Les ressources non renouvelables sont limitées, par définition. Et pour certaines, les réserves s’épuisent à un rythme inquiétant. Pourtant, la grande majorité du système économique fonctionne comme si de rien n’était, tournant ostensiblement le dos à cette évidence.

Face à une « vérité qui dérange » et à cette perspective visiblement embarrassante, nombreux sont les acteurs qui choisissent la stratégie de l’autruche.

D’autres ont anticipé et peuvent témoigner : la prise en compte de cette finitude n’a pas les effets apocalyptiques que d’aucuns lui attribuent. Au contraire, elle est en réalité une chance à saisir pour nos entreprises. Car ce qui est vrai pour l’énergie l’est également pour l’ensemble des ressources naturelles : étain, zinc, phosphate ou terres rares, pour ne citer que quelques exemples. Leur maîtrise et leur utilisation rationnelle constituent pour nos entreprises les outils d’une compétitivité durable, non pas fondée sur l’exploitation (jusqu’à l’épuisement) des ressources mais sur l’efficacité de leur usage.

Le raisonnement est simple. Les réserves sont limitées et les pics se rapprochent. Autrement dit, comme le montre le tableau ci–dessous, tôt ou tard, la consommation de ces ressources devra décliner du fait de l’épuisement des réserves ; les prix s’emballeront à cause de la rareté. Ce qui se fait déjà sentir : le prix des ressources naturelles a diminué tout au long du xxe siècle mais, en dix ans à peine, il a rebondi plus rapidement que l’activité économique, gommant ainsi cette baisse historique.

Pics de ressources[[Estimés à partir du concept d’« exergie » (combinaison des quantités de ressources disponibles et de leur qualité, par exemple la concentration dans la croûte terrestre).]]
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Vu cette finitude des matières premières et leur répartition inégale à la surface de la planète, considérant les besoins croissants des pays émergents au fur et à mesure que leur niveau de vie s’élève et le coût de plus en plus élevé d’une extraction et d’une exploration de plus en plus périlleuses, le prix des matières premières est inexorablement appelé à grimper. Et leur part dans la valeur totale des biens augmentera donc également.

Actuellement, 38 % des coûts de production dans l’industrie belge sont consacrés à l’approvisionnement en ressources importées, alors que 17 % relèvent de la masse salariale. Or, en dix ans, le prix de certaines de ces matières industrielles importées (les matières végétales, les métaux non ferreux, le minerai de fer et la ferraille) a augmenté de 157 %[[Tous ces chiffres sont tirés de la base de données de la BNB : Belgostat.]], alors que les coûts salariaux ne progressaient que de 32 %[[Conseil central de l’économie, Annexe du rapport technique, 2013.]]. On voit donc à quel point maîtriser l’usage des matières premières constitue, pour aujourd’hui et pour demain, un avantage compétitif non négligeable pour ceux qui décident de s’y intéresser.

La sobriété est rentable : l’exemple d’Umicore

Cette entreprise, ancienne Union minière du Haut–Katanga, incarnait assez exactement ce que l’économie belge pouvait avoir de plus prédateur et de plus polluant. Spécialisée dans les métaux non ferreux de base (zinc et cuivre), le groupe voyait ses résultats varier au gré des cycles économiques. Polluantes, ses activités présentaient également une faible valeur ajoutée. En se repositionnant dans le domaine des métaux précieux et des fameuses « terres rares », nécessaires à la construction des éoliennes, des applications photovoltaïques, des catalyseurs et des batteries rechargeables destinées aux véhicules, l’entreprise a saisi l’opportunité de recycler une énorme quantité de déchets industriels auparavant non valorisés – des résidus industriels polluants – ou des produits manufacturés, comme les appareils électroniques en fin de vie destinés aux décharges ou à l’incinération. Elle tire donc désormais ses revenus de ce que l’on appelle l’« urban mining » (les « mines urbaines »).

Succès financier et durabilité furent assurés grâce à cette transformation radicale en leader mondial du recyclage. Cette entreprise belge emploie actuellement plus de 14 000 collaborateurs de par le monde, investit aujourd’hui près de 6 % de ses revenus dans la recherche et le développement, essentiellement en partenariat avec ses clients, pour améliorer les processus liés à la mise en œuvre et… au recyclage des métaux rares qu’elle leur vend. En un peu plus de dix ans – et alors que le groupe se séparait d’actifs non prioritaires représentant 50 % de ses revenus –, Umicore a vu son chiffre d’affaires doubler.

Une fois qu’on a compris que « la vérité ne dérange plus » mais qu’elle constitue au contraire une véritable occasion de refonder nos manières de faire et de produire, il suffit alors de mettre en place les politiques susceptibles de fournir les bons incitants aux entreprises pour qu’elles adoptent cette stratégie de la durabilité.

Ces démarches de soutien sont d’autant plus importantes que, dans le contexte actuel de crise, bon nombre de PME hésitent à investir en faveur de leur durabilité, que ce soit en matière de processus de fabrication, de gestion de leur entreprise ou de développement d’activités vertes innovantes, en lien avec leur core business.

Le difficile accès aux crédits d’investissement

La première raison de cette frilosité est à chercher du côté des difficultés grandissantes à accéder au crédit bancaire. C’est en tout cas ce dont témoignent de nombreux patrons de PME rencontrés. Aurait–on sauvé les banques, et grevé par la même occasion les finances publiques, pour les seuls beaux yeux des banquiers ? Visiblement, les institutions bancaires feignent de ne pas avoir compris que cette aide n’était due qu’en raison du rôle essentiel qu’elles devaient reprendre, non pas dans l’économie financière et spéculative, mais aux côtés des acteurs économiques de l’économie réelle.

Si elles ne le comprennent pas spontanément, c’est visiblement qu’il faut être plus clair. Tel est le sens de la proposition de loi déposée par Ecolo et instaurant le principe du « livret vert ». Inspiré du livret A français, il impose à chaque banque d’offrir, parmi ses produits d’épargne, un livret vert, doté d’un taux d’intérêt annuel de 2,5 % et destiné à financer des secteurs à haute valeur stratégique pour l’avenir de nos régions et de leurs habitants : le logement individuel ou social à haute performance énergétique, les collectivités locales, les entreprises actives dans les secteurs verts ou soucieuses d’améliorer leur efficacité dans l’utilisation de l’énergie et des matières premières.

Au vu des sommes importantes que les épargnants belges déposent sur leurs livrets d’épargne – près de 247 milliards à la fin de l’année 2013 d’après la Banque nationale – et des taux particulièrement faibles de ceux–ci, une telle initiative ne pourrait qu’attirer grand nombre d’épargnants et, de ce fait, résoudre une bonne partie des difficultés de financement des PME de notre pays.

Mieux se connaître pour mieux se transformer

Mais l’assèchement actuel du financement n’est qu’une partie du problème : une fois la pompe à crédit réamorcée pour les entreprises, encore faut–il que les investissements consentis soient orientés vers une compétitivité de long terme. Il s’agit en effet de soutenir les entreprises dans leurs investissements innovants, et notamment ceux qui, permettant une réelle sobriété dans l’utilisation des ressources, contribuent à façonner un avenir durable.

Pour que ces investissements soient rentables, il faut qu’ils soient faits à bon escient. Dans une entreprise, l’équipe de direction connaît parfaitement sa structure des coûts. Elle connaît par contre souvent beaucoup moins bien les sources de perte de compétitivité par son utilisation des matières premières.

Pour y remédier, Ecolo propose que les pouvoirs publics prennent en charge, sur une base volontaire, un audit externe analysant la manière dont chaque entreprise utilise les ressources et formule des pistes pour minimiser son impact environnemental et, partant, ses coûts.

Les outils économiques régionaux, en complément des institutions bancaires, pourront ensuite intervenir pour accorder des financements à des conditions préférentielles aux entreprises, afin qu’elles concrétisent les investissements verts et raccourcissent la durée du retour sur investissement. Le modèle de réussite des premiers entrants dans le système constituera en effet un exemple à suivre pour l’ensemble de nos entreprises : les fonds publics, indispensables pour amorcer le processus deviendront superflus, une fois prouvée la rentabilité des investissements consentis.

En d’autres termes, par le financement de cet audit et la mobilisation de leurs outils économiques, les Régions réalisent elles–mêmes un investissement : la compétitivité durable gagnée pour leurs entreprises se traduira en maintien et développement d’un emploi de qualité sur leur territoire[[Commission européenne, Commission staff working document, Exploiting the Employment Potential of Green Growth, 2012.]]. À titre d’illustration, la Commission européenne a estimé à 17 % le potentiel de -réduction des consommations de ressources des entreprises européennes. Si l’on ramène cette estimation à l’échelle wallonne, les impacts de la sobriété permettraient d’ici vingt ans aux entreprises de créer 15 000 emplois nouveaux et d’économiser 140 millions d’euros.

Trop souvent, en Wallonie, la politique industrielle a été menée de manière purement défensive, se cantonnant à une logique de soins palliatifs, désespérément tournée vers le passé. La politique industrielle ne peut être une bataille d’arrière–garde, le dos tourné à un avenir dont trop de mes collègues se méfient. Je voudrais tant qu’elle s’appuie sur l’avenir plutôt que sur un passé à tout jamais enfui.

Au-delà des Alliances emploi-environnement (qui ont fourni la preuve de leur succès et qu’il s’agit d’amplifier pour donner un nouveau souffle à de nombreux secteurs), la compétitivité écologique profitera à toutes les entreprises.

Les rêves de grandeur ne se nourrissent pas de nostalgie mais de confiance en nous et en l’avenir.

Lire le livre d’Emily Hoyos “Les temps changent“.

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