L’affaire des « lasagnes au cheval », notamment, nous a rappelé la difficulté de contrôler la qualité alimentaire dans le cadre d’un marché où les ingrédients parcourent des milliers de kilomètres avant d’atterrir enfin dans notre assiette.
Plus généralement, l’ensemble de notre modèle agroalimentaire, du producteur au consommateur, aboutit aujourd’hui à un non-sens économique et environnemental.
En termes de santé d’abord. Des pesticides ou résidus de produits pharmaceutiques se retrouvent à tous les niveaux de notre chaîne alimentaire, avec un impact avéré sur notre santé : intolérances et allergies, carences alimentaires, cancers, obésité. Si, comme on l’apprenait récemment, la Belgique détient le triste record mondial de prévalence de cancer du sein[[Chiffres OMS, 2012.
]], ce n’est pas le résultat du hasard mais d’une série de choix politiques et économiques inconsidérés.
En matière environnementale ensuite. La culture intensive empoisonne et appauvrit les sols. La production et la transformation des aliments, délocalisées vers l’étranger, nécessitent des transports qui engendrent pollution de l’air et émissions de CO2, sans compter le suremballage et les déchets en résultant.
Au niveau du secteur agricole enfin. Les agriculteurs vivent aujourd’hui une pression insoutenable : endettement sur plusieurs générations, perte de revenus et précarisation, risque de spéculation sur leurs terres. En Wallonie, le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 50 % entre 1990 et 2010, passant de 29 200 à 14 500[[SPF Économie, Chiffres clés de l’agriculture, 2011.
]]. Cela a conduit à la suppression de milliers d’emplois et au glissement d’emplois à temps plein vers des temps partiels – un basculement qui, comme dans d’autres secteurs, concerne principalement les femmes.
L’enjeu immédiat est à la restauration de la confiance. La confiance des producteurs, celle des consommateurs et celle entre producteurs et consommateurs.
Remettre d’aplomb un système agroalimentaire qui marche sur la tête
Sous la pression de l’industrie agroalimentaire, la politique européenne agricole s’est égarée, en oubliant que l’intérêt des producteurs devait rencontrer l’exigence des consommateurs ainsi que la préoccupation environnementale. Le modèle des circuits courts restaure concrètement ce triangle vertueux. Il permet au producteur de retrouver de la marge dans ses bénéfices grâce à la réduction des intermédiaires et à la création de nouveaux emplois plus durables, et donc d’améliorer son niveau de vie et ses perspectives ; il tient aussi compte de cette nouvelle et légitime exigence de qualité de la part du consommateur ; enfin, il diminue l’empreinte environnementale de ses activités puisque les transports et l’emballage sont réduits à leur portion congrue.
Alliances emploi-environnement : le politique moteur d’une mobilisation économique
Les Alliances emploi-environnement (AEE) symbolisent cette dynamique mise en place voilà dix ans à Bruxelles et cinq ans en Wallonie. Elles renouvellent le rôle et l’action du politique en matière de développement économique. L’AEE ne fait preuve ni d’étatisme ni de laxisme : elle place les responsables politiques dans un rôle de mobilisateur économique à l’échelle d’une filière. Interlocuteurs sociaux, entreprises, travailleurs, fédérations professionnelles, enseignants, universités, opérateurs de formation, administrations, mettent tous en œuvre des actions visant à tirer profit de l’évolution en cours de l’économie et de l’écologie, pour créer des emplois, réduire l’empreinte écologique et les dépenses d’énergie des particuliers et des entreprises.
Depuis 2009, les ministres Ecolo ont lancé des Alliances emploi-environnement dans quatre domaines : la construction et la rénovation durables en Wallonie et à Bruxelles, l’eau, les déchets et l’alimentation durable à Bruxelles. Ce sont en tout 200 actions mises en œuvre et 300 acteurs co-construisant l’avenir de nos économies.
Selon les estimations ex ante réalisées, 7 200 emplois peuvent être créés dans un délai de trois à cinq ans à l’échelle du territoire de la Région bruxelloise, soit :
2 500 dans la construction durable, principalement des maçons, chapistes, façadiers, couvreurs, menuisiers, vitriers, chauffagistes, installateurs sanitaires, électriciens, architectes ;
300 dans la gestion de l’eau ;
250 dans la gestion des ressources ;
450 dans la gestion des déchets ;
3 700 dans l’alimentation durable.
Pour la prochaine législature, le Conseil économique et social bruxellois suggère un soutien accru à l’offre en matière d’enseignement et de formation, et à la création ou au maintien d’emplois locaux (notamment via les cahiers des charges des marchés publics).
En Wallonie, la Confédération de la construction wallonne (CCW) a joué un rôle majeur dans la mise en œuvre de la première AEE, consacrée à la construction et la rénovation durables. Elle a ainsi notamment participé à la rédaction de clauses sociales visant à protéger les marchés publics du dumping social. Elle demande également la pérennisation de cette AEE pour soutenir la demande.
L’AEE wallonne rassemble plus de cinquante entreprises impliquées notamment dans des projets de développement de filières de matériaux durables.De leur côté, le Forem et les autres opérateurs de formation ont intégré les compétences vertes dans leurs différents référentiels de formation, liée aux enjeux de la construction durable et de l’énergie (l’étanchéité à l’air, la performance énergétique des bâtiments, etc.).
Pour une Alliance emploi-environnement « circuit court »
Il s’agit de mobiliser les pouvoirs publics, les acteurs du secteur agroalimentaire et les consommateurs finaux autour d’un même objectif : faire de l’amélioration de la qualité de l’alimentation et de la relocalisation d’une production agricole durable une source d’opportunités économiques et de créations d’emplois.
Tout le monde doit y être associé : les entrepreneurs, les pouvoirs publics, les fédérations agricoles, les collectivités (écoles, hôpitaux, maisons de repos…), les opérateurs de formation, le secteur économique de la distribution ainsi que des groupements et associations actifs dans le domaine de l’alimentation et du développement durable.
L’enjeu de cette mobilisation est de renforcer la qualité de l’offre et de réduire le nombre d’intermédiaires tout en accroissant et sécurisant, à l’autre bout de la chaîne, la demande de produits frais et de saison. L’objectif étant de réconcilier offre et demande (conservation, stockage, distribution) en soutenant et en créant des emplois durables et de la valeur sur l’ensemble de la chaîne agroalimentaire.
Une alliance Wallonie-Bruxelles
Cette politique est aussi une très belle opportunité d’alliance entre Wallons et Bruxellois : d’un côté, les Wallons ont des agriculteurs et des producteurs de qualité ; de l’autre, de plus en plus de Bruxellois préfèrent acheter des produits de qualité qui soutiennent les économies locales plutôt que d’attendre de voir arriver des produits du bout du monde – dont on ne connaît ni l’origine réelle ni la qualité.
L’agriculture dans nos villes
Si j’évoque New York, on pense à des gratte-ciel, à une fourmilière de gens pressés, peut-être à un grand brassage de cultures. Mais certainement pas à des choux, des carottes et des salades. Et pourtant, en dix ans, plus de 2 000 marchés fermiers ont été créés dans les grandes villes américaines, proposant des produits issus de l’agriculture urbaine et périurbaine.
Surfaces cultivables sur les toits des immeubles, anciennes friches industrielles à réaffecter, potagers urbains : partout dans le monde, de grandes villes décident de nourrir une part croissante de leur population avec des produits issus de leur propre territoire. Ces projets, riches de lien social, de promesses concrètes d’emplois locaux et à haute valeur environnementale, méritent de se développer davantage dans les villes wallonnes et à Bruxelles.
Un projet pilote vient d’ailleurs d’être lancé à Anderlecht. La ferme urbaine qui s’installera sur le toit de la nouvelle halle (anciens abattoirs) sera une première à Bruxelles et s’inspirera de projets fructueux menés au Canada, aux États-Unis et aux Pays-Bas. Une ferme d’ampleur puisqu’elle comptera 4 000 m2 (potager et serres) dédiés à la culture de produits locaux et bio (tels que chicons, choux de Bruxelles, asperges, salades, épinards, etc.). Elle alimentera un nouveau restaurant directement relié à la ferme ainsi qu’un magasin.
Ce projet original démontre également qu’il est possible d’optimiser l’utilisation de certaines toitures d’immeubles en ville, notamment dans les zones -économiques. Un choix pertinent vu l’essor démographique et la nécessité d’utiliser chaque mètre carré à bon escient.
Amener les produits de qualité au plus près du consommateur
Dans ma commune de Profondeville, le groupe local Ecolo a lancé il y a six ans un groupement d’achats communs (GAC) ; il compte aujourd’hui nonante membres qui, tous les quinze jours, peuvent commander fruits, légumes et autres produits locaux distribués dans chaque village de l’entité. Les produits sont fournis par une coopérative réunissant de jeunes agriculteurs bio qui se rassemblent avant de pouvoir voler de leurs propres ailes.
À quelques kilomètres de là, à Floreffe, une ancienne échevine Ecolo a également lancé un GAC, associant dans une coopérative des consommateurs-citoyens et des producteurs locaux. Ce groupement proposera une large gamme de produits régionaux de qualité, bio ou de culture raisonnée, via un circuit on ne peut plus court de commercialisation. Des produits locaux, savoureux, frais, de proximité, tout en aidant les petits producteurs, et pour le plus grand bonheur des consommateurs.
Ce genre d’initiatives citoyennes, associatives ou coopératives se multiplie depuis plusieurs années et mérite assurément l’attention et le soutien des pouvoirs publics, notamment pour l’accompagnement à la création, à la pérennisation – voire, quand c’est opportun, à la mise en réseau de ces initiatives dans une logique de maillage de nouvelles épiceries locales.
D’autres projets structurants voient le jour : la Wallonie a récemment assisté à l’installation de la première moyenne surface basée sur le principe « 50 % des produits venant de moins de 50 km ». Car les circuits courts, ça ne peut pas compliquer la vie des familles ! La vente à la ferme, c’est bien pour certains. Mais l’enjeu est avant tout de faire venir le plus près possible du consommateur le produit transformé à la ferme, chez un artisan ou dans une coopérative.
Dans cette optique, la grande distribution doit aussi être actrice du développement des circuits courts, en faisant mentir sa réputation de pression insoutenable des prix sur les producteurs. À travers des accords volontaires avec le secteur, l’Alliance emploi-environnement devra permettre d’atteindre un pourcentage de plus en plus élevé de produits locaux dans les rayons des grands magasins.
Toutes les cantines scolaires fournies en produits locaux et de qualité
Lorsque la méfiance s’installe entre les Belges et leur assiette, elle se transforme rapidement en panique dès qu’il s’agit de nos enfants. On les sait plus vulnérables ; et les statistiques toujours à la hausse en matière d’allergies, d’obésité, de diabète, ou, plus grave encore, de cancer chez les jeunes, ne nous rassurent point – j’avoue ici, c’est la jeune maman qui écrit.
Même si cela semble ne pas avoir de rapport, j’ai visité récemment un élevage bovin sur les hauteurs de Dinant. Le producteur avait repris quelques années plus tôt l’exploitation familiale ; étant seul pour la faire tourner, il avait « choisi de passer en bio pour la facilité » (sic). Une race rustique française qui vêle toute seule – excusez les détails –, et qui se nourrit de foin en hiver et de pâturage en été. Bref, ses vaches et lui vivent en pleine autonomie, les coûts d’exploitation diminuent et la viande est délicieuse. Tout va bien, donc ? Pas tout à fait : la demande ne suivait pas, et notre agriculteur s’est retrouvé contraint de vendre une grande partie de sa viande bio comme de la viande non labellisée.
Simple conséquence de la loi de l’offre et de la demande : pour garantir aux producteurs des filières stables d’écoulement de leur production tout au long de l’année, il faut agir sur l’augmentation et la structuration de la demande. Les cantines scolaires, j’y reviens, mais pas seulement, nous offrent ici une réponse. En effet, à chaque fois qu’une école, une crèche, une administration, un hôpital, ou une maison de repos décide d’adapter son cahier des charges pour intégrer des exigences de qualité et d’origine des produits, le bénéfice est double : d’une part, il touche automatiquement, et sans démarche nécessaire de sa part, un public important – dont les plus fragiles d’entre nous (enfants, personnes âgées ou hospitalisées…), qui ont particulièrement besoin de se mettre à l’abri des méthodes agroalimentaires intensives, de leurs additifs et de leurs produits phyto en tout genre – ; d’autre part, on offre aux producteurs et agriculteurs des perspectives concrètes, autrement plus enthousiasmantes que l’endettement sur plusieurs générations, à l’image de la déroute vertigineuse du modèle agricole intensif.
Il est encourageant de constater que ces démarches se multiplient aujourd’hui, notamment à l’initiative d’Ecolo, dans les communes. Mais elles n’ont pas vocation à rester isolées. Ecolo veut aller plus loin et généraliser les normes de qualité et d’origine des produits dans les écoles. C’est important pour les enfants, positif pour nos producteurs, mais aussi bénéfique pour l’emploi.
Qualité, création d’emplois et prix sont compatibles
L’entreprise TCO Service est un modèle du genre. Née le 1er octobre 1992, la société Traiteur Collard SPRL travaille dans le domaine des prestations traiteur et événementiel. Progressivement, elle donne naissance à TCO Service, dont les activités sont désormais exclusivement tournées vers la restauration collective. L’entreprise compte aujourd’hui près de 50 employés. Elle produit et distribue pas moins de 13 000 repas par jour.
Écoles, maisons de repos, mess d’entreprises, crèches : la clientèle de la société représente toute la diversité et la complexité de la restauration collective. Et tous ont opté pour le durable parce qu’il ne s’agit pas de choisir entre le prix et la qualité : à travers le soumissionnement à des cahiers des charges dans le cadre de marchés publics, l’équilibre prix compétitif/exigence de qualité est respecté. En effet, produits locaux, travail du produit « brut » de saison (la purée de pommes de terre, c’est de la vraie purée de pommes de terre), certification bio ou équitable, travail direct avec les agriculteurs, travail en équipes et respect de chaque travailleur…
Quand on vous dit que c’est possible !
Lire le livre d’Emily Hoyos “Les temps changent“.