Tim Jackson est économiste, ce qui justifie a priori l’intérêt que l’on peut porter à un ouvrage qu’il titre « Prospérité sans croissance ». En effet, la science économique, telle qu’enseignée dans les Universités du monde entier postule l’absolue nécessité et même l’inéluctabilité de la croissance comme moteur du fonctionnement économique et social et garantie de bien-être pour les populations et pour chaque individu en particulier.

Tim Jackson remet en question ce postulat et à ce titre, mérite d’être remercié. Il le fait en outre dans le cadre d’une commission chargée d’établir un rapport au gouvernement britannique : il s’agit de la Commission pour le développement durable, ce qui ne peut qu’accroître l’importance politique de son travail.

C’est donc avec une bienveillance maximale et, pour le dire franchement, avec l’espoir de renforcer mes propres analyses que j’ai lu, relu et même épluché les différents chapitres de cette publication.

Ayant dû subir pendant de nombreuses années la langue de bois des technocrates européens et la langue de coton des institutions internationales, j’ai apprécié la lucidité de l’auteur dont on constate à la fois l’honnêteté intellectuelle et la vision d’avenir qui l’anime.

Je me dois donc de saluer la qualité des analyses tant économiques que sociales qui aboutissent

 à une remise en cause sans équivoque de la dynamique de croissance, laquelle est au cœur des politiques économiques en vigueur dans le monde entier.

 à une condamnation sévère du consumérisme et de l’individualisme : l’auteur n’hésite pas à affirmer que la prospérité est menacée non par la récession mais par la poussée du matérialisme et le modèle économique qui le perpétue (p. 88). Dans la foulée, il ajoute à juste titre que la culture de la consommation envoie tous les mauvais signaux.

La croissance est donc, affirme Tim Jackson, insoutenable, dans sa forme actuelle. Cela voudrait-il dire qu’une autre forme de croissance est soutenable ?

Il s’empresse d’ajouter que la décroissance est instable dans les conditions actuelles. Une telle affirmation ne manque pas de surprendre. Il s’agit effectivement d’un truisme. Comment la décroissance pourrait-elle en effet s’inscrire sans heurt dans un fonctionnement économique et social qui postule pour être opérationnel une croissance des activités économiques ? Il n’est pas besoin d’être économiste pour comprendre une telle évidence.

La politique fiscale, celle du crédit, la sécurité sociale, la recherche-développement, l’aide aux entreprises, les marchés publics, les engagements internationaux, bref tout l’encadrement économique, social, institutionnel est établi sur l’hypothèse d’une croissance continue du PIB…

Faire le choix d’une politique de décroissance ou simplement renoncer à l’objectif de croissance va donc à l’encontre de cette hypothèse et ne peut que provoquer une certaine instabilité, à moins de reconsidérer l’ensemble de ces politiques de manière à créer un contexte favorable.

C’est d’ailleurs ce que propose Tim Jackson lorsqu’il envisage de reconfigurer les variables macroéconomiques de manière à réduire l’impératif de croissance (p. 79).

Mais est-il suffisant de réduire l’impératif de croissance dans les pays développés alors que ces mêmes pays surconsomment les ressources limitées de la planète ? Évidemment non.

Or, c’est bien des pays développés dont il est question.

L’humanité, avec 60 milliards de tonnes par an, extrait et utilise 50% de ressources naturelles en plus qu’il y a 30 ans et la responsabilité de cette évolution incombe pour l’essentiel aux pays développés. Ceux-ci consomment jusqu’à 10 fois plus de ressources que les peuples pauvres c’est-à-dire moins « développés ».

L’Europe importe 3 tonnes par an par habitant de ressources naturelles et bénéficie donc d’un important transfert de ressources en provenance des pays les plus « pauvres » au sens où nous entendons le mot « pauvre » c’est-à-dire avec un PIB par habitant très faible[[Overconsumption? Our use of the world’s natural resources ; Sustainable Europe Research Institute (SERI) and global 2000 (FOE-Austria); 2009

]].

Au-delà du problème capital de l’épuisement des ressources, se pose aussi celui des équilibres écologiques qui ne peut être réduit au réchauffement climatique. C’est ainsi que la Convention pour la protection de la biodiversité a confirmé en mai 2010 que le monde a échoué dans l’atteinte de son objectif qui était de parvenir à une réduction significative du taux de perte de biodiversité d’ici 2010[[Convention sur la diversité biologique : Perspectives mondiales de la biodiversité – 3, mai 2010

]].

Plusieurs points de basculement sont près d’être franchis, ce qui signifie que des écosystèmes essentiels se retrouveraient dans un état de moindre productivité et cela de manière irréversible.

 aucun des 21 objectifs secondaires à atteindre en 2010 n’a été atteint ;

 les espèces à haut risque d’extinction sont proches de l’extinction ; les amphibiens sont en première ligne tandis que l’état des différentes espèces de corail se détériore rapidement ;

 entre 1970 et 2006, près d’un tiers des espèces de vertébrés a disparu ;

 la superficie et l’intégrité des habitats naturels dans la majorité des parties du monde continuent de diminuer.

 la diversité génétique des cultures et de l’élevage continue de décliner dans les systèmes agricoles. Plus de 60 races d’élevage se sont éteintes depuis 2000.

Le Secrétaire exécutif de la Convention sur la diversité biologique Ahmed Djoghlaf, a conclu : «  nous continuons à perdre la biodiversité à un rythme jamais vu dans l’histoire ; le taux d’extinction est estimé jusqu’à 1000 fois plus élevé que le taux historique connu à ce jour. »

Il ressort de ces constats récents et convergents que la surchauffe économique mondiale de ces dernières décennies est insoutenable et nécessite des mesures politiques urgentes pour éviter, s’il en est encore temps, un effondrement écologique irréversible que l’humanité ne pourrait supporter.

Tim Jackson écrit à propos de la crise financière et des impacts écologiques :

« Parmi les motivations de ce travail de recherche, les répercussions matérielles et environnementales de la croissance ont figuré en première place. La crise économique peut sembler n’entretenir aucun lien avec elles, mais il n’en est rien. L’âge de l’irresponsabilité reflète un aveuglement de long terme quant aux limitations de notre monde matériel. Cet aveuglement se voit de façon aussi évidente dans notre incapacité à réguler les marchés financiers que dans notre incapacité à protéger les ressources naturelles et à restreindre les impacts écologiques. Nos dettes écologiques sont aussi instables que nos dettes financières. Aucune n’est dûment prise en compte dans la poursuite sans trêve de la croissance de la consommation.

Afin de protéger la croissance économique, nous avons été disposés à admettre – et avons même recherché – l’accumulation de lourds passifs financiers et écologiques, croyant ceux-ci nécessaires pour assurer la sécurité et nous préserver de l’effondrement. Mais ce choix n’a jamais été soutenable à long terme. La crise financière nous a montré qu’il n’est même pas soutenable à court terme. »

On ne peut qu’adhérer à une telle analyse.

J’ajouterai que la crise écologique montre, au même titre que la crise financière, ce caractère non soutenable à court terme.

Sauver l’humanité en protégeant les écosystèmes et nos conditions de vie.

D’autres signaux se manifestent à ce jour confirmant l’urgence d’un changement de cap : le constat le plus préoccupant est celui de la détérioration lente mais bien mesurable de la santé des enfants dans les pays développés au cours de ces dernières décennies.

La référence à l’augmentation de l’espérance de vie (à la naissance) pour affirmer que l’état de santé de la population s’améliore sans cesse masque une réalité préoccupante. De nombreux indices montrent en effet que, si les plus âgés d’entre nous vivent plus vieux que leurs parents, l’état de santé des plus jeunes a tendance à se dégrader.

Les maladies chroniques frappent toutes les tranches d’âge mais les données statistiques disponibles montrent que les enfants, en particulier les plus jeunes, sont particulièrement touchés :

 L’asthme atteint en moyenne, dans toute l’Europe, 7 % des enfants et l’augmentation de l’incidence de cette pathologie est constante depuis une vingtaine d’années.

 L’incidence du diabète insulinodépendant (type 1) augmente dans tous les pays européens, de 2 à 4 % par an selon les pays. Cette augmentation est particulièrement rapide chez les enfants de moins de 4 ans.

 L’incidence du cancer de l’enfant en Europe a augmenté de 1% par an en moyenne en 20 ans, celle des adolescents de 1,5 % par an. La tendance est mesurable depuis les années 70 mais une accélération se manifeste au fil du temps : chez les enfants, l’augmentation est passée de 0,8 % par an entre 1970 et 1980 à 1,3 % entre 1980 et 1990 ; chez les adolescents, les chiffres sont respectivement 1,3 % et 1,8 %. Les types de cancer les plus fréquents sont la leucémie et les tumeurs au cerveau. Le cancer de la thyroïde augmente de 4,4 % par an, toutes tranches d’âge confondues.

 Dans tous les pays dits « développés », 10 à 20 % des enfants souffrent de troubles psychiques ou du comportement (hyperactivité, troubles de l’attention, dyslexie, dépression, autisme…). On assiste à une augmentation régulière de ces troubles ; c’est notamment le cas de l’autisme (2 à 3 fois plus de cas en 1990 qu’en 1980).

 Les malformations génitales apparaissent de plus en plus fréquemment chez les garçons (Cryptorchidie, hypospadias) dans tous les pays industrialisés. L’augmentation de leur nombre s’est amplifiée très nettement à partir des années 70. Chez les petites filles, on observe de plus en plus fréquemment l’avancement de l’âge de la puberté.

 Une véritable épidémie d’obésité est constatée actuellement dans la plupart des pays industrialisés mais aussi dans les pays dits « en voie de développement ». Elle frappe particulièrement les enfants et révèle une accélération brutale du phénomène depuis le milieu des années 80. Sans doute les causes de cette épidémie sont-elles multiples : sédentarité et malbouffe sont largement en cause et frappent en premier lieu les personnes en situation de précarité. Mais ces causes bien connues ne suffisent pas à expliquer l’accélération récente[[Paul Lannoye et al., Appel pour la protection de la santé des enfants : Mouvement politique des objecteurs de croissance, 2010.

]]. C’est bien la détérioration générale du milieu de vie et de nos conditions de vie qui est en cause.

Quand on examine par exemple la politique de l’environnement dans l’Union européenne, on constate que trois principes la gouvernent : le principe de précaution, celui de la réduction des nuisances à la source et le principe pollueur-payeur. Ces principes sont globalement bons mais leur application l’est beaucoup moins parce qu’ils sont soumis à des impératifs supérieurs : il faut assurer la croissance économique et le développement technologique. Précaution et prévention sont par définition hostiles à la croissance économique ; réparer après que les nuisances aient provoqué les dégâts, y compris à la santé des enfants, est au contraire bon pour la croissance.

Quant aux technologies, elles font généralement l’objet, lorsqu’elles sont émergentes, de campagnes annonciatrices de retombées économiques et d’emplois nouveaux présentés comme exceptionnels. C’est ce qui a lieu aujourd’hui avec les nanotechnologies. Elles bénéficient donc d’un a priori favorable, d’un soutien public à la mesure des bienfaits escomptés et de la bénédiction de responsables politiques fascinés. Ceux-ci mettent en place des législations et réglementations qui, généralement, protègent plus le déploiement de ces nouvelles technologies que les citoyens. Ainsi, envahissent-elles le marché avant que les nuisances aient été évaluées et que des législations moins laxistes finissent par être adoptées.

Aujourd’hui, les associations écologistes se battent contre les retombées négatives générées par des choix technologiques effectués dans les années 50 : c’est le cas des pesticides et de l’agriculture industrielle ; c’est aussi celui de l’énergie nucléaire. Dans les deux cas, ces technologies ont fasciné par leur puissance apparente. La foi aveugle dans le pouvoir de l’homme sur la nature conduit au désastre. Dans les deux cas, le cadre politique construit sur mesure pour assurer leur développement continue à favoriser ces mauvais choix, contre toute logique. En Europe, la politique agricole commune et le traité Euratom, malgré l’évidence de leur nocivité et de leur caractère insoutenable perpétuent des orientations écologiquement nocives et dangereuses pour les êtres humains

Tim Jackson, comme économiste, confronté en 2009 à une crise financière sans précédent, plaide pour une nouvelle macroéconomie et dénonce à juste titre les réponses visant à relancer la croissance, annonçant leur échec inéluctable.

Son analyse de la relance verte est à cet égard intéressante et sa conclusion pertinente : les moteurs systémiques de la croissance nous poussent sans relâche vers des flux de ressources toujours plus insoutenables. En clair, une économie fondée sur la croissance, même verte, ne peut générer un découplage absolu.

Nous avons besoin d’une autre sorte de structure économique, d’une structure adaptée aux contraintes écologiques de ce monde. Il en appelle alors à mettre sur pied une nouvelle théorie macroéconomique écologique laquelle exigera une nouvelle écologie de l’investissement, ce qui demandera un réexamen des concepts de rentabilité et de productivité.

Tout cela est fort bien dit mais risquerait de rester confiné dans les cénacles universitaires, en l’absence de perspectives concrètes sur les moyens à mettre en œuvre. L’auteur a tenté d’éviter ce piège en proposant (chapitres 11 et 12) une transition vers une économie durable, non sans avoir au préalable balisé la voie de cette transition (p. 172). La crise économique actuelle, dit-il, nous donne une occasion unique d’investir dans le changement. De balayer la pensée court-termiste qui a gangrené notre société des décennies durant. De la remplacer par une politique réfléchie, capable de s’attaquer aux immenses défis, de combattre le changement climatique et d’accoucher d’une prospérité durable.

Il considère que seules existent deux possibilités pour mettre en œuvre un changement de cet ordre. L’une est la révolution. L’autre est de s’engager dans le « patient labeur de la transformation sociale ».

Il ajoute : «  Il y a ceux pour qui la révolution semble être la réponse. Ou, à défaut d’être la réponse, la conséquence inévitable du dysfonctionnement social et écologique permanent. Finissons-en avec le capitalisme. Rejetons la mondialisation. Attaquons le pouvoir des entreprises et renversons les gouvernements corrompus. Démantelons les vieilles institutions et recommençons tout depuis le début. » L’auteur n’échappe pas ici à la caricature pour mieux justifier le choix du « patient labeur de la transformation sociale ». Il n’hésite pas à évoquer le spectre d’une nouvelle barbarie.

Se confirme ici ce que les analyses économiques des chapitres précédents laissaient paraître : l’auteur n’a pas pris la pleine mesure de l’urgence écologique. Les faits montrant l’effondrement en cours de nombreux écosystèmes vitaux exigent des changements radicaux et urgents qu’un « patient labeur de transformation sociale » doit accompagner mais non remplacer.

On ne peut manquer en outre d’être déçu par le clivage simpliste énoncé même si c’était prévisible dès lors que les propositions sont destinées au gouvernement britannique et se doivent donc d’être aussi acceptables que possible pour ne pas effaroucher leur destinataire. La mondialisation n’est pas compatible avec l’avènement d’une économie durable. Tim Jackson refuse clairement de remettre en cause la mondialisation et d’attaquer le pouvoir des entreprises. Il ne veut pas voir qu’ainsi il programme l’échec garanti d’une transformation écologique et sociale à la hauteur des défis en cours.

Revenons, pour illustrer ce point de vue, à la problématique du changement climatique.

En page 81, Tim Jackson rappelle les faits : les émissions de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles sont, en 2008, quasiment 40% plus élevées qu’en 1990, année de référence retenue par le protocole de Kyoto. Les pays de l’annexe 1, signataires de ce protocole, se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5% à l’échéance 2012. Pour l’Union européenne, l’objectif de réduction globale a été fixé à 8%, les États membres devant répondre à des engagements différentiés.

Le protocole de Kyoto qui, rappelons-le, est le résultat d’une négociation internationale (1997) où chaque état partie à la Convention cadre sur le changement climatique a veillé à limiter les contraintes sur son économie, a fixé des limites aux émissions générées sur le territoire national. Il n’est donc nullement tenu compte des émissions provoquées en dehors de ce territoire national pour fabriquer les produits finis ou semi-finis importés pour satisfaire la demande. L’évolution des économies développées s’est caractérisée depuis les années 90 par une tendance générale à la délocalisation de la production industrielle vers des Etats non soumis aux exigences du protocole de Kyoto, comme l’Inde, la Chine ou encore les pays de l’Europe de l’Est, ceux-ci n’ayant contracté que des obligations factices en raison de la lourde récession qu’ils ont vécue avant même l’adoption du protocole (1997).

C’est ainsi que Tim Jackson constate l’écart entre les émissions réellement provoquées par la consommation du Royaume-Uni et les émissions comptabilisées selon les exigences du protocole de Kyoto : une réduction apparente des émissions de 6% entre 1990 et 2004 se transforme en une augmentation de 11% dès que l’on intègre dans le calcul les émissions contenues dans les échanges commerciaux (p. 83).

Plus récemment, l’étude consacrée à la France par le Commissariat général au développement durable[[Commissariat général au développement durable : Etudes et documents ; CO2 et activités économiques de la France- tendances 1990- 2007 et facteurs d’évolution ; août 2010.

]] confirme cette tendance : entre 1990 et 2007, le quasi statu quo résultant du calcul conforme aux exigences de Kyoto cache une lourde augmentation (+ 33%) générée par l’ampleur des délocalisations.

L’inadéquation des engagements politiques en matière de lutte contre le réchauffement climatique, eu égard à la mondialisation accélérée des échanges commerciaux et aux délocalisations massives qu’elle entraîne, saute aux yeux. À moins de croire aux miracles, il n’y a aucun espoir, dans ces conditions, de voir la tendance en cours s’infléchir et encore moins s’inverser.

Il est par ailleurs illusoire de croire à une adaptation possible des engagements internationaux à la réalité de la mondialisation, ne fût-ce que pour des raisons pratiques : comptabiliser le contenu en énergie grise de chaque produit est une opération complexe, difficilement opérationnelle et vérifiable.

Il est plus judicieux de remettre en cause la mondialisation elle-même, sachant qu’elle est préjudiciable aux intérêts des travailleurs, au tissu économique des Régions et à l’environnement. Les dogmes du libre-échange, hérités d’Adam Smith et David Ricardo se heurtent à la réalité d’aujourd’hui où dominent la mobilité internationale des facteurs de production et la recherche des conditions les plus favorables à l’investisseur (faible coût de la main d’œuvre et contraintes écologiques minimales)[[Eric Laurent : le scandale des délocalisations ; Plon, 2011

]]. En matière d’émission de gaz à effet de serre, la mondialisation génératrice d’un énorme volume de transport supplémentaire du fait de l’éclatement des filières de production et de l’accroissement des distances entre producteurs et consommateurs, est par nature négative.

La relocalisation de l’économie est au contraire l’objectif à mettre en œuvre de toute urgence. Pour ce faire, les initiatives locales ou régionales ne suffiront pas. Il faut les accompagner d’un profond changement du contexte global de manière à les faciliter et à les stimuler.

L’Union européenne et sa dynamique libre-échangiste est en première ligne à cet égard. Le traité européen et les politiques qu’il induit sont imprégnés de l’objectif permanent de croissance économique et de compétitivité sur les marchés internationaux ; c’est une tout autre Europe dont les Européens et le monde entier ont besoin.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont les principes de fonctionnement donnent la primauté absolue à la liberté du commerce, est une machine de guerre contre l’environnement, les droits sociaux et la capacité de résilience des économies régionales. Il appartient à l’Union européenne de prendre l’initiative pour enfin subordonner les règles du commerce international aux priorités écologiques et sociales.

La transition : une démarche inégale et timide.

À la lecture du chapitre 11 consacré à la transition vers une économie durable, on ne peut qu’être frappé par la relative tiédeur et le caractère souvent peu concret de nombre de propositions.

 À propos des plafonds préconisés pour l’extraction des ressources rares et des émissions polluantes, l’auteur propose de mettre en place des mécanismes efficaces en vue d’atteindre ses objectifs (!). Rien n’est envisagé pour interdire ou, à tout le moins, dissuader les technologies intrinsèquement génératrices de nuisances irréversibles.

 Quant à la proposition de réforme fiscale pour la durabilité, elle cautionne les mécanismes les plus contestables (et manifestement inefficaces) du protocole de Kyoto : les échanges de quotas d’émissions et les mécanismes de flexibilité (p. 174).

 Au rayon des mesures visant à changer la logique sociale qui enferme les gens dans le consumérisme matérialiste, l’auteur se montre très inégal. Il propose très courageusement de partager le travail disponible, de lutter contre les inégalités systémiques (notamment par l’adoption d’un revenu maximum et d’un revenu minimum) et de créer des communautés sociales résilientes.

Mais quand il s’agit de démanteler la culture du consumérisme, il se montre bien timide. Si « l’obsolescence planifiée ou perçue est l’un des pires ravages de la société du gaspillage », il semble illogique que ce verdict ne s’accompagne d’aucune proposition. Pourquoi, par exemple, ne pas imposer par la loi à tous les producteurs de garantir pour une durée raisonnable et suffisamment longue le produit mis sur le marché ?

Pourquoi ne pas imposer la réparabilité de tous les équipements et en fin de compte leur possible recyclage ?

Ces critiques n’enlèvent rien aux mérites de l’auteur dont les prises de position et les analyses sont de nature à faire réfléchir les décideurs politiques et à alimenter un débat sur l’après croissance que les élites autoproclamées et, parmi elles, la plupart des économistes, refusent le plus souvent d’aborder.

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