Depuis 2009, Ecolo J Bruxelles s’intéresse à la question de la croissance économique et de sa pérennité dans nos sociétés occidentales. Au travers de réflexions communes ou de conférences, les jeunes écologistes ont été plusieurs fois amenés à penser la « prospérité sans croissance ». Les travaux de Tim Jackson sont devenus des piliers incontournables dans l’amorce de ce le débat.

Aujourd’hui, nous voulons profiter de la tribune qui nous est accordée pour partager les sentiments de jeunes vis-à-vis de la société contemporaine mais aussi pour montrer à quel point un penseur comme Tim Jackson constitue un espoir et une alternative pour notre génération.

Nés dans une époque de crises et de vide idéologique, nous, jeunes écologistes, savons que si nous devons faire le deuil de la vision progressiste de la modernité et si, face à ce constat, il nous est parfois difficile de ne pas succomber à l’abattement général, il nous est aussi accordé d’être cette génération charnière qui pourra ouvrir à un autre monde.

Pourquoi ce ressenti ? Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous ne peuvent s’empêcher de se vivre comme la trace d’une génération déchue qui a vécu dans l’opulence et qui a cru en une bienheureuse évolution de l’homme, confortable grâce à la technique, stable et assurée grâce à l’accumulation capitaliste. Comme beaucoup, nous aspirons à un autre monde, un monde à taille humaine où un rapport de proximité pourrait être entretenu avec les êtres et les choses, où il serait possible de retrouver la valeur des objets qui nous entourent et d’assurer un avenir désirable à nos enfants.

Cependant, si nous prenons de la distance pour partie vis-à-vis de la vie de labeur polie et bien rangée, l’espoir et la réussite dans l’accumulation de nos parents, si en opposition à cela nous aspirons à une vie plus simple et plus juste, nous ne savons pas toujours comment faire et s’il nous est permis d’espérer, tant les voies d’avenir semblent bouchées et le contrôle du régime marchand total.

Alors que les diverses crises sociales, aussi violentes qu’elles aient été, n’ont jamais hypothéqué l’avenir général des hommes, la crise écologique apparaît, elle, comme la première crise dont peut-être nous ne reviendrons pas. Plus que la nécessité de faire le deuil d’une idéologie comme cela a souvent été le cas au travers des diverses guerres et secousses sociales, il nous faut envisager aujourd’hui de devoir faire le deuil de l’humanité. Pour une génération sans vraie croyance ni grand espoir, c’est un problème de grande envergure !

Tim Jackson nous transmet un constat implacable[[Jackson Tim, Prospérité sans croissance, Etopia / De Boeck, Bruxelles, p86-90.

]] qui pose la nécessité de réduire notre consommation énergétique de 5%/an pendant 40 années. Ceci constituant une approximation minimale des efforts à fournir pour que la température estimée en l’an 2050 ne soit pas supérieure de plus de 2° (en moyenne) par rapport à celle mesurée au XXème siècle. De manière métaphorique, si Al Gore nous disait que notre terre est malade dans son documentaire « Une vérité qui dérange », Tim Jackson rajoute que sa maladie est grave. Cependant, même si des modifications climatiques sont quasi inéluctables, toute forme de renoncement ne constitue pas une option. Aujourd’hui, citoyens et élites politiques et économiques ne peuvent plus éviter ni le discours, ni la réflexion autour de la finitude de nos ressources et des nuisances multiforme de notre modèle qui modifiera en profondeur notre mode de vie et notre rapport à la nature.

Si les meilleures choses résultent parfois des pires catastrophes (ne dit-on pas que l’Europe et son rôle dans le maintien de la paix résultent de la deuxième guerre mondiale ?), il n’est pas toujours simple de dégager des solutions claires de la confusion qui règne actuellement.

Tim Jackson est dans ce cadre une alternative à la confusion contemporaine, au vide idéologique et au fatalisme ambiant.

Cependant, nous ne réclamons pas un père pour renaître dans son autorité. Nous connaissons assez bien les dérives auxquelles mènent la plupart des idéologies. Nous savons qu’un dévouement total pour une cause affaiblit la lucidité. La grande force du livre de Tim Jackson est, sans offrir de solution tout faite, d’installer la réflexion et le questionnement chez son lecteur, lui laissant la paternité de ses conclusions.

Nous savons que la voie à suivre ne sera pas celle qui nous sera toute tracée par les courants d’intellectuels qui aujourd’hui s’attellent à penser « un autre monde ». Ainsi, nous savons qu’il faudra tenir un équilibre, garder une autonomie parmi ces différentes propositions. Néanmoins, celles-ci sonnent bien pour nous comme un souffle nouveau dont la fraîche impertinence et le décalage face à l’opposition fruste entre gauche et droite nous semble salvateur.

Tim Jackson fait partie de ces penseurs dont nous avons besoin pour envisager notre vécu sous un autre angle, avec un regard plus confiant et ambitieux. Face au constat d’une vie délétère où l’évidence d’un avenir meilleur n’est plus assuré et où le progrès tant espéré n’a pas tenu ses promesses, face à l’existence d’une époque rythmée par la fragmentation des communautés de valeurs et l’éclatement du lien social, nous, jeunes, pensons qu’il est encore permis de croire en un idéal. Certes, cet idéal ne pourra pas prétendre à une forme de certitude et à l’univocité d’une vérité, mais nous l’envisageons néanmoins comme un sujet de réflexion nous inspirant pour l’avenir…

Face à une société qui s’est construite avec le progrès comme cadre structurant et l’accumulation de biens comme indicateur de bonheur, nous, jeunes, faisons le constat de son échec. Nous n’en sommes pas désespérés pour autant. L’avenir est devant nous et nous sommes l’avenir.

Ainsi, construire une nouvelle société plus soutenable et équitable ne sera permis qu’une fois dépassé le déficit d’espoir qui habite certains d’entre nous. Or c’est bien ce que nous propose aujourd’hui Tim Jackson. Il ne faut pas négliger la nécessité, pour chacun d’entre nous, d’avoir un projet pour s’engager dans la vie, d’avoir, pour s’investir, un horizon d’espérance, une perspective qui dégage des possibilités. Si Tim Jackson n’est pas le premier à avoir amorcé un tel virage, il est certainement le premier à avoir eu une légitimité et une incidence politique aussi forte. Que son analyse prenne pied dans les arènes politiques du gouvernement britannique n’est pas anodin. Cet évènement est symptomatique d’une reconnaissance grandissante envers une déconstruction de nos modèles de développement, dans les sphères de pouvoir.

Un horizon s’ouvre donc. Mais concrètement où concentrer notre énergie ?

Au-delà des multiplies initiatives que nous connaissons tous, c’est-à-dire au-delà des tentatives fondamentales de regroupement, de vie en collectivité, de création de réseaux de solidarité et d’échange, nous pensons qu’il s’agirait surtout d’utiliser et concentrer nos énergies à repérer nos alliés plutôt qu’à fustiger nos ennemis. Il s’avère en fait que les autres tenants du système partagent un même désir: celui de laisser à nos enfants un monde meilleur. Certes, si tout tient dans la conception que l’on se fait du « monde meilleur », il nous semble cependant important de reconnaitre cette envie commune, sous peine d’être condamné à l’opposition stérile. Dans une Belgique sclérosée par le repli communautaire, il serait primordial d’éviter de nouvelles enclaves idéologiques qui feraient barrières à des possibles actions collectives. Ainsi, il s’agirait de catalyser et de mutualiser nos forces.

Par ailleurs, outre ces solutions ou encore le témoignage d’alternatives concrètes comme celle du maire de la commune de Beckerich[[Commune qui poursuit la voie de l’autonomie énergétique au travers de modes de décisions participatifs et qu’Ecolo J visita en octobre 2010.

]], outre, aussi, les apports de penseurs comme Tim Jackson, nous pensons qu’il serait pertinent d’intégrer la dimension artistique comme voie d’exploration de l’avenir.

En effet, comme expression rêvée de l’espoir et du désir, cette dimension devrait avoir une place de choix dans le processus de transition. Nous sommes amenés à remettre fondamentalement en cause nos manières de vivre. C’est un virage plus difficile à réaliser que les écologistes eux-mêmes ne l’imaginent. Comme le disait Einstein, « on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ». Or, nous sommes bien prisonniers de ces systèmes de pensée. L’art sous toutes ses formes peut être une voie pour nous en défaire. En effet, si nous voulons créer ici une prospérité sans croissance, cette nouvelle prospérité ne pourra venir que de ce que notre esprit peut imaginer. Pour changer une réalité, il faut d’abord pouvoir en visualiser d’autres futurs.

Cette diffusion des idées au travers d’une temporalité longue peut être illustrée par le cas de Friedrich Hayek, philosophe américain et fondateur du système dit « néo-libéral » actuel. Alors que celui-ci a commencé à diffuser ses thèses en 1930, son idéologie ne s’est imposée comme véritable modèle de société que 40 ans plus tard. On le voit, il a fallu plus d’une génération et la faillite du système keynésien pour qu’un mode de pensée, raillé dans les années 30, devienne la « seule issue possible » dans les années 80. Comme on le constate dans cet exemple, le travail de construction idéologique peut difficilement être réalisé par le pouvoir politique. De tout temps, il a essentiellement été demandé à nos mandants de prendre des décisions.

Quant aux services « prospective » au sein de grandes entreprises multinationales, des institutions nationales, fédérales (et fédérées) et au sein même des partis politiques, leurs missions les assignent souvent à rester dans le plausible. Le mot « utopie » ne les concerne que très peu.

Les artistes, de par leur fonction, peuvent se libérer de cette condition de plausibilité.

Face aux créations artistiques modernes qui souvent donnent une vision pessimiste de nos sociétés futures, l’artiste Luc Schuiten a ainsi voulu dessiner un futur enviable basé autour de l’idée d’archiborescence[[Concept urbanistique utilisant principalement comme inspiration toute forme d’organismes vivants. Voir sur http://vegetalcity.net/

]]. De leur côté, les artistes présents au sein de la Plateforme « pas en notre nom » n’ont misé que sur le même procédé. Au travers de leurs propositions artistiques, ils ont voulu ouvrir les possibles. Ainsi, le simple fait d’oser peindre, dessiner, écrire une utopie nous permet de visualiser un futur.

Par ailleurs, les artistes sont, par leur pratique, les premiers à avoir amorcé un décalage quant à la possibilité d’une pleine maîtrise du monde. Franz Liszt dénonçait déjà à son époque cette volonté de maîtrise qui nous a trop souvent éconduits. Il annonçait en même temps la spécificité du rôle social de l’artiste : « L’artiste vit aujourd’hui en dehors de la communauté sociale car l’élément poétique, c’est-à-dire l’élément religieux de l’humanité, a disparu des gouvernements modernes ». Qu’auraient-ils à faire d’un artiste ou d’un poète, ceux qui croient résoudre le problème de la félicité humaine par l’accroissement illimité de l’industrie et de l’égoïste bien-être ?

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