Fin mai dernier, alors que je préparais une interview invitant, une énième fois, le gouvernement fédéral à réinstaurer des réductions d’impôts pour les Belges qui isolent leur logement, mon thermomètre extérieur indiquait 8 °C ; le printemps touchait tout doucement à sa fin et peu nombreux étaient ceux qui avaient déjà coupé leur chaudière. Hasard du calendrier, au même moment, le service d’études d’Ecolo m’indiquait que remplir sa citerne à mazout coûtait désormais 1 000 € plus cher que dix ans[[2000 litres coûtaient en moyenne 620 € en 2003 et 1 693 € en 2013, soit une augmentation de 173 % alors que sur la même période l’inflation cumulée était inférieure à 25 %.

]] plus tôt !

Dans un monde marqué par un climat qui perd la tête et un cours du pétrole tout aussi instable, comment protéger les ménages de leur forte exposition aux coûts énergétiques et de la perte nette de pouvoir d’achat qu’elle induit ?

C’est la première de toutes les questions. La plus urgente certes, mais celle qui nécessite aussi de sortir des sentiers battus.

À ce sujet me revient à l’esprit un souvenir assez précis. J’étais alors directrice du service d’études d’un mouvement d’éducation permanente ; on était en 2005. Le prix du litre du mazout de chauffage avait franchi la barre symbolique des 50 centimes – et je ne vous parle pourtant pas « d’un temps que les moins de 20 ans… ». On était sans doute à l’approche de l’hiver, les familles étaient inquiètes et le gouvernement fédéral de l’époque (PS-MR) voulait se montrer à la hauteur de l’inquiétude. Il fit ce qu’il savait le mieux faire : il chercha une rustine et s’engagea à maintenir artificiellement le prix du mazout à 50 centimes le litre. Des millions d’euros passèrent ainsi directement des caisses de l’État aux poches des pétroliers. Et ce jusqu’à ce que le gouvernement réalise que le mazout ne redescendrait sans doute jamais en dessous des 50 centimes et que cette mesure était impossible à financer dans la durée. Elle disparut. Fin de l’histoire.

Que de temps perdu ! Car qui en doute encore aujourd’hui, la seule manière efficace de protéger les ménages de la hausse des coûts énergétiques, c’est de les aider à consommer moins. D’une part, en raison du bon vieil adage qui veut que l’énergie la moins chère est celle qu’on ne consomme pas ; d’autre part, parce que c’est là que chaque euro investi sera le plus rentable.

En effet, investir dans la performance énergétique et l’isolation des bâtiments est un investissement stratégique, car à triple dividende : social bien sûr, par l’impact bénéfique sur le budget des ménages ; économique, car cela soutient directement l’emploi (selon la Confédération wallonne de la construction, une dizaine d’emplois sont mobilisés pour chaque million d’euros investi dans les travaux économiseurs d’énergie[[http://archives.lesoir.be/environnement-%AB-alliance-emploi-environnement-%BB-un_t-20090625‑00NTPC.html

]]) ; et climatique, par la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre – les bâtiments sont à eux seuls responsables d’un tiers des émissions.

Évolution du prix des énergies
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Évolutions mensuelles 1990-2010 de l’indice des prix des énergies et de l’indice général des prix à la consommation, BNB d’après DGSIE.

Économies par l’isolation
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100 % des habitations isolées en 10 ans : on doit le faire parce qu’on peut le faire

Notre ambition est claire : tous les logements wallons et bruxellois doivent être isolés d’ici dix ans.

Cette ambition est bien réelle et s’inscrit dans la droite ligne de ce que les ministres Ecolo ont initié depuis dix ans en Région bruxelloise et depuis cinq ans en Wallonie. Durant cette législature, le gouvernement wallon a soutenu 200 000 ménages pour 1,6 million de logements, dont 52,7 % ont au moins leur toit isolé. Si on accélère le rythme en doublant les sommes en jeu, l’objectif sera atteint en dix ans. À Bruxelles, vu l’action menée par Ecolo depuis non pas cinq mais dix ans, les choses peuvent aller encore plus vite.

 

La piste est d’ores et déjà ouverte, amplifions !

En Wallonie, le montant des primes a doublé depuis 2009. Concrètement, ce ne sont pas moins de 600 millions d’euros qui ont été mobilisés pour octroyer environ 350 000 aides. Quand on sait que cela représente un montant de travaux d’environ 2,15 milliards d’euros, on peut en déduire que cela aura permis de mobiliser 20 000 emplois au cours de ces cinq années de législature. Et ce en pleine période de morosité économique. Qui a dit que les pouvoirs publics étaient impuissants face à la crise ?

À Bruxelles, 160 000 « primes énergie » ont été octroyées depuis 2004. Ces primes ont permis d’isoler les logements, mais également d’améliorer les équipements (chaudière, ventilation, frigo…) installés dans ces logements, voire d’y installer des systèmes renouvelables (solaires et pompes à chaleur principalement). Alors qu’à notre arrivée dans le gouvernement bruxellois le budget pour les « primes énergie » était de 1 million d’euros par an, grâce à Ecolo, ce budget est passé à 22 millions d’euros en 2013 ! 22  fois plus !

Le bureau d’études Vito a estimé que 1 € de prime permettait d’économiser 7 € sur la facture d’énergie pendant trente ans. Grâce à l’action menée à l’initiative d’Ecolo, les Bruxellois vont ainsi économiser 910 millions d’euros sur leur facture d’énergie grâce aux 130 millions d’euros de primes octroyées depuis 2004 pour les investissements économiseurs d’énergie.

Tous les logements, donc y compris ceux des locataires

Chaque famille, chaque personne doit avoir accès aux mesures d’efficacité énergétique. Les Belges ont beau avoir une brique dans le ventre, 60 % d’entre eux sont pourtant locataires à Bruxelles et ils sont près d’un tiers en Wallonie. Ceux-là se retrouvent souvent dans une situation paradoxale : ils doivent payer les charges liées à leur propre consommation sans pouvoir agir sur l’état de leur logement pour faire significativement baisser celle-ci.

C’est pourquoi nos ministres ne sont pas restés les bras croisés. En Wallonie, l’Ecopack (prêt à taux zéro pour des investissements pour la performance énergétique) est aussi accessible aux locataires, et surtout aux revenus précaires. En Région bruxelloise, 130 millions d’euros ont été consacrés aux « primes énergie », pour tout type de projet. Avec l’ouverture des Maisons de l’Énergie à Bruxelles, ce sont l’accompagnement et le conseil aux habitants qui trouvent une concrétisation plus qu’utile auprès des locataires.

Mais il ne faut pas s’arrêter en chemin. Pour aider les locataires au même titre que les propriétaires, Ecolo veut lier les aides au bâtiment, inciter davantage le propriétaire bailleur à réaliser des investissements et organiser strictement les modalités de répercussion de ces investissements dans le calcul du montant du loyer, de manière à ce qu’au final le locataire voie effectivement ses charges énergétiques diminuer, et ce malgré une participation à l’investissement économiseur d’énergie. Concrètement, tant que les locataires occupent le bâtiment, ils remboursent le prêt au prorata des économies d’énergie, diminué d’une somme visant à récompenser la démarche. Le prochain occupant du logement poursuit le remboursement selon les mêmes conditions.

Par ailleurs, afin d’éviter une flambée des loyers, les travaux d’amélioration de la qualité énergétique du logement loué ne doivent pas mener à une augmentation des loyers supérieure à l’économie réalisée grâce aux travaux – déduction faite des aides publiques reçues par le propriétaire.

L’énergie, la question sociale du xxie siècle

Nous ne sommes pas tous égaux devant la question énergétique, et ce pour une raison très simple : l’évolution des prix de l’énergie sur fond de crise économique augmente. Déjà étranglés par la crise économique, les ménages à bas revenus voient la proportion de leurs revenus consacrée à l’énergie augmenter davantage et aggraver leurs conditions de vie, de plus en plus précaires. Et quand on connaît le rôle que remplit aujourd’hui l’énergie dans notre quotidien et à quel point l’accès à celle–ci est indispensable à une vie digne, je me sens parfois comme ces femmes et ces hommes du siècle passé, confrontés à l’urgence de mieux répartir les ressources au lendemain de la guerre. On leur doit la sécurité sociale.

Aujourd’hui, il s’agit d’une autre ressource, tout aussi essentielle et précieuse. Une ressource à laquelle il convient d’appliquer ces mêmes valeurs dans lesquelles Ecolo s’enracine : la solidarité, l’émancipation, l’auto-nomie et la participation.

Pourquoi une tarification progressive, solidaire et familiale de l’électricité ?

Jusqu’ici, la facture électrique des Wallons et des Bruxellois était un non–sens social et environnemental : moins un ménage consommait – que ce soit pour des raisons sociales ou parce qu’il faisait des efforts pour réduire sa facture –, plus il payait cher l’unité consommée. Sachant que ce sont les ménages aux revenus les plus faibles qui consomment le moins d’électricité, le système était particulièrement inéquitable.

C’est pourquoi les gouvernements wallon et bruxellois, à l’initiative d’Ecolo, ont décidé de mettre fin à ce modèle injuste et de mettre en place une -tarification progressive et solidaire, renforcée en fonction de la composition familiale et de la situation économique du ménage.

En Wallonie, la tarification progressive, solidaire et familiale reposera sur une exonération modulée selon la taille du ménage et sa situation sociale : de 400 kWh pour une personne isolée à 800 kWh pour les ménages de sept personnes et plus et pour les clients sous tarif social spécifique. Les personnes qui se chauffent à l’électricité ou qui disposent d’une pompe à chaleur ne sont pas concernées par ce dispositif. Près de deux tiers (64 %) des ménages wallons concernés par la tarification progressive, solidaire et familiale verront leur facture diminuer grâce au nouveau mécanisme.

À Bruxelles, la progressivité des tarifs de l’électricité interviendra au plus tard en janvier 2017 via les tarifs de distribution d’électricité, comme c’est déjà le cas pour l’eau. Afin de respecter le principe d’équité, les tarifs progressifs tiendront compte :
– de la composition des ménages ;
– des clients bénéficiant du statut de client protégé ;
– de la situation particulière des utilisateurs de -réseaux autoproducteurs ;
– de la situation particulière des clients finaux se chauffant à titre principal par un système de chauffage électrique ou une pompe à chaleur.

Dépenses énergétiques des ménages en fonction des revenus
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Source : Enquêtes sur le budget des ménages (1999 et 2009).

L’énergie à l’épreuve du fédéralisme de coopération

L’énergie, priorité politique, priorité sociale, économique et climatique. Mais aussi l’énergie, priorité budgétaire pour Ecolo. En effet, ne tournons pas autour du pot : pour isoler l’ensemble des logements en Wallonie et à Bruxelles d’ici dix ans, il faudra accélérer la cadence. De grandes avancées ont certes déjà été faites ces dernières années, on l’a vu, mais cela ne suffira pas.

Au cours de ces cinq dernières années, alors que l’heure était aux mesures permettant aux Régions d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2014, les ministres Ecolo ont pu convaincre leurs collègues du gouvernement de considérer les budgets consacrés aux politiques de performance énergétique comme des investissements à haute valeur stratégique ajoutée. Ce qui était vrai hier devra l’être demain davantage. La situation budgétaire ne sera pas plus simple ni les défis, plus petits ; les dépenses devront dans ce contexte être particulièrement efficaces, tant sur le plan social et économique, que climatique. L’isolation de tous les logements au cours des deux prochaines législatures répond à cet impératif. Il sera donc, vous l’avez compris, une priorité budgétaire pour mon parti.

Mais les efforts ne peuvent pas se limiter aux Régions, même dans le cadre de cette Belgique renouvelée et modernisée avec notre concours, qui déplace jour après jour le centre de gravité vers les entités fédérées. L’État fédéral disposera encore au lendemain du 1er juillet 2014 de deux leviers importants pour démultiplier les effets des politiques d’efficacité énergétique menées par les Régions : la TVA d’une part, la mobilisation de fonds publics pour du tiers investisseur d’autre part.

En matière de TVA, j’ai eu l’occasion d’exprimer dans les médias toute ma perplexité face aux mesures linéaires, très chères pour l’État et, au bout du compte, sans aucun impact en faveur du pouvoir d’achat des Belges. Réduire la TVA sur l’électricité revient à donner d’une main ce que le retard de l’indexation reprend de l’autre. Une rustine électorale peu glorieuse eu égard aux enjeux. Mais je ne veux surtout pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Le gouvernement fédéral peut prendre des mesures très utiles en matière de TVA, par exemple en réduisant de 21 à 6 % le taux appliqué aux travaux économiseurs d’énergie pour tous les logements ou aux constructions nouvelles répondant à de hautes exigences de performance énergétique.

Le tiers investisseur est ce mécanisme qui préfinance les travaux d’isolation des ménages qui n’ont pas d’économies. Si l’on retrouve sur le marché des sociétés privées spécialisées dans ce type de montage, Ecolo a toujours estimé que c’était également aux pouvoirs publics de mettre en place des dispositifs garantissant l’accès aux économies d’énergie pour tous les ménages. D’où la mise en place de l’Ecopack en Wallonie et du prêt vert à Bruxelles, qui rendent déjà aujourd’hui les investissements dans les économies d’énergie et les énergies renouvelables « indolores » pour des milliers de Wallons et de Bruxellois : le ménage ne doit pas avancer lui–même l’argent et il rembourse au prorata des économies qu’il fait sur sa facture d’énergie.

Pour amplifier le rythme des travaux d’isolation et permettre de toucher l’ensemble des logements d’ici dix ans, il convient de mobiliser des moyens supplémentaires dans ce cadre.

Lire le livre d’Emily Hoyos “Les temps changent“.

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