Pendant que l’économie circulaire et l’écologie industrielle questionnent notre manière de produire et de localiser l’activité économique, un autre phénomène se produit sous nos yeux, susceptible de bouleverser nos manières de produire, de consommer, de financer des projets ou, tout simplement, d’apprendre.

Du logement à l’utilisation de la voiture en passant par la musique ou l’épargne, pas un seul domaine de notre vie n’échappera au potentiel de nouveautés que porte cette révolution. Partant tous azimuts, il paraît difficile de prévoir où elle s’arrêtera et comment elle nous transformera. Cette révolution n’est autre que l’économie collaborative.

Cette nouvelle économie, qui s’est appuyée sur les innombrables possibilités de mise en réseau que permet le Web, est principalement portée par les jeunes générations. Habituées à collaborer dans le monde numérique, ces dernières réinsufflent de l’esprit de coopération dans le monde réel. D’une certaine façon, elles prolongent l’économie sociale et solidaire en la réinventant. Et elles élargissent les horizons de l’innovation sociale, technologique et économique, en se fondant sur la « mise en commun ».

Plus de solutions que de problèmes

Si vous désirez voyager moins cher et découvrir vraiment les habitants de la région que vous visitez plutôt que d’avoir à subir l’accueil standardisé des chaînes d’hôtels, des sites tels que couchsurfing.org ou airbnb.com vous feront découvrir les milliers de chambres, appartements, cabanes et maisons mises en location par des particuliers comme vous et moi. Rien que pour Bruxelles, des milliers d’offres sont proposées, allant de la chambre d’étudiant à l’hôtel de maître.

Si vous vous demandez en quelle année est né Daniel Cohn-Bendit, le premier endroit où vous trouverez l’information sera probablement l’un des sites les plus visités au monde, Wikipedia, cette encyclopédie collaborative en ligne, alimentée dans des dizaines de langues par des rédacteurs bénévoles et relue par des experts, eux aussi volontaires.

Si vous avez décidé de vous passer de votre voiture mais vous avez envie de présenter votre nouvel amour à votre vieille tante habitant en pleine campagne, loin de toute gare, empruntez une voiture partagée cambio.be pour la soirée. Ou allez sur un des sites proposant des locations de voitures de particulier à particulier.

Si les banques traditionnelles ont perdu votre confiance après avoir joué avec votre argent, de -multiples sites de crowdfunding (« financement participatif ») peuvent vous proposer d’investir des montants allant de un à plusieurs milliers d’euros dans des projets plus innovants les uns que les autres. Vous deviendrez dès lors « actionnaire » d’un documentaire cinéma, d’un projet de développement d’éoliennes de nouvelle génération ou encore d’un restaurant Slow Food. De la culture à la technologie de pointe, tous les secteurs d’activités sont concernés par ces plates-formes de crowdfunding, de même que les différents maillons de la chaîne – de la production à la consommation, en passant par le financement et la distribution.

Les effets concrets de la mise en application de ces principes modifient positivement les repères sociaux et économiques. L’économie collaborative entraîne en effet une redistribution des rôles, des décisions, des responsabilités, avec une plus grande participation de chacun. Les plus–values qu’elle engendre excèdent de loin la seule rentabilité économique : ses dividendes sont également sociaux et environnementaux.

Créer une opposition manichéenne entre économie traditionnelle et économie collaborative est une ineptie : les principes énoncés sont souples, ils s’hybrident avec le monde dans lequel ils sont plongés et se transforment en même temps qu’ils modifient leur environnement. Mais pour que cette hybridation ait lieu, pour que nous puissions profiter pleinement de cette révolution, encore faut-il que l’environnement légal ne se montre pas trop hostile.

En effet, l’économie collaborative se confronte à des obstacles entre autres liés à une législation et une fiscalité parfois anachroniques : elle entre difficilement dans les cases existantes. Des adaptations à la législation sociale doivent par conséquent être inscrites à l’ordre du jour de nos gouvernements et parlements, pour faciliter la vie de ceux qui ont choisi la modernité, qui s’échangent du temps ou qui décident d’habiter ensemble sans -convoler…

L’exemple de la colocation

Dans un contexte de crise économique doublée de crise du logement, la colocation se développe rapidement. Ce mode d’habitat, à la fois pragmatique, solidaire et joyeux, contribue à économiser l’énergie et l’espace, mais demeure pénalisé : réduction ou exclusion des allocations de chômage ou du revenu d’intégration pour ces colocataires qui ont décidé de jouer entre eux la carte de la solidarité, rotation élevée des occupants qui devient un casse-tête en matière de garantie locative, obligation de domiciliation chez les parents pour garantir la continuité du versement des allocations familiales nécessaires aux études… L’encadrement juridique demeure boiteux. Alors que, dans la plupart des cas, aucune tentative de fraude ni de resquillage n’est à déplorer. Juste l’envie de vivre quelque chose… de différent.

Reconnaître légalement les spécificités de la cohabitation et individualiser les droits sociaux revient donc aussi à soutenir l’économie collaborative.

Mais pour stimuler et faciliter, il faut également (re) connaître cette forme émergente d’économie. Et le rôle des pouvoirs publics est essentiel en la matière. Il commence par un devoir d’exemplarité – comme il peut l’être vis-à-vis du commerce équitable ou de l’économie sociale. Pour ne prendre qu’un exemple, le probable basculement des pouvoirs publics du Royaume-Uni vers les logiciels libres (open source) – bon marché ou même gratuits – et vers le libre accès aux données publiques (open data) permettra, si cela se concrétise, aux finances britanniques de réaliser de solides économies et d’apporter une mine d’informations aux citoyens, aux associations et aux entreprises, afin de doper l’activité collaborative.

Lire le livre d’Emily Hoyos “Les temps changent“.

Share This