Les propos contenus dans cette analyse n’engagent que l’auteur. Ils ne sauraient en rien être attribués à l’institution à laquelle il appartient.
Introduction
Le 26 juin 2019, plusieurs chercheurs de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse publiaient dans le journal Libération une tribune dans laquelle ils interpellaient l’astronaute français Thomas Pesquet pour lui demander de renoncer à la conquête spatiale, considérant que la véritable urgence se situe sur Terre : « Il n’y a aucune urgence à quitter la Terre, mais nous devons vite trouver comment y rester dans des conditions de vie décentes pour tous. L’astronaute doit publiquement se prononcer contre l’exploration spatiale, car, comme il l’a déclaré, il n’y a pas de ‘plan B’ face à l’urgence climatique » .⌈1⌋
Dans cette lettre ouverte, les chercheurs toulousains prennent pour élément déclencheur à leur réflexion l’annonce récente faite par la NASA de l’ouverture de la Station spatiale internationale (ISS) au tourisme. S’ils partagent très largement l’enthousiasme pour l’exploration spatiale, l’aberration des moyens envisagés par la NASA les amène à s’interroger sur ses fins : « à l’ère du dérèglement climatique et de la catastrophe écologique, la conquête spatiale est-elle vraiment une priorité ? Et à quel coût écologique ? ».⌈2⌋
À une époque où nous sommes sans cesse plus dépendants des technologies spatiales pour notre mode de vie quotidien, cette demande peut paraître extrême, mais elle s’avère être à la hauteur du défi environnemental auquel nous sommes chaque jour davantage confrontés. Elle nous invite ainsi à nous interroger sur les rapports parfois flous entretenus entre espace et écologie. L’exploration spatiale requiert en effet des ressources non négligeables qui ont un impact écologique. Il est donc plus que jamais nécessaire de se pencher sur les effets des activités entreprises par l’Homme, qu’il s’agisse des impacts spécifiques des vols spatiaux sur la stratosphère, de la génération des débris en orbite basse ou encore, plus localement, de l’impact de l’activité spatiale sur l’écosystème Guyanais .⌈3⌋, par exemple.
Une fois ces différents défis environnementaux clairement identifiés, il convient également de s’interroger sur le dispositif réglementaire qui permet d’encadrer efficacement les activités entreprises dans l’espace. Cette dernière question est fondamentale dans la mesure où cette absence de cadre réglementaire conjuguée à l’accélération des activités cause aujourd’hui des problèmes bien plus complexes et onéreux à résoudre que s’ils avaient été pris en considération dès le départ.⌈4⌋
Il ne fait aucun doute que les décennies à venir seront intenses en matière spatiale : qu’il s’agisse du développement et de la démocratisation du tourisme spatial, de la recherche et de l’installation de bases de recherche sur la Lune et de la colonisation de Mars ou encore du développement de méga-constellations de satellites, le 21ème siècle sera assurément celui du renouveau de la conquête spatiale. Ce siècle sera également celui de l’éveil mondial des consciences face au problème environnemental. À l’instar de nombreux autres domaines, les pratiques de l’Humain devancent ses connaissances des impacts environnementaux ou, parfois même, les ignorent. L’objectif de cette contribution est donc d’ouvrir quelques pistes de réflexions sur les différents éléments devant inévitablement être pris en considération lorsque l’on souhaite étudier les liens qui existent entre conquête de l’espace et écologie.
1. La pollution liée aux activités spatiales
Le terme « pollution spatiale » est généralement entendu comme l’ensemble des dégradations diverses de l’environnement dues aux activités humaines liées à l’exploration spatiale. Il est ainsi possible de diviser cette pollution spatiale en trois catégories distinctes: la pollution de l’espace en tant que tel (à travers les débris spatiaux par exemple), la pollution des planètes et des satellites ⌈5⌋ et enfin la pollution de la planète Terre elle-même.
Nous nous focaliserons essentiellement ici sur la première et la dernière catégorie dans la mesure où elles présentent un certain nombre de synergies intéressantes à étudier. Les inquiétudes exprimées à l’heure actuelle au sujet des émissions engendrées par les fusées dans l’atmosphère sont en effet analogues à celles qui accompagnèrent les prémices de la problématique des débris spatiaux. Bien que les débris spatiaux soient plus que jamais d’actualité, les politiques et les pratiques destinées à gérer cette problématique en sont néanmoins toujours à un stade très embryonnaire. Si l’ampleur potentielle du problème représenté par ces débris avait été reconnue plus tôt dans l’ère spatiale et que des mesures internationales coordonnées avaient été prises à l’époque, ils ne seraient peut-être pas devenus le risque majeur auquel nous sommes confrontés aujourd’hui : « regardless of the cause of early inaction, space debris was not addressed and the situation evolved into a classic example of ’’the tragedy of the commons’’ » ⌈6⌋(le concept de « tragédie des communs » décrit une situation dans un système de ressources partagées où des utilisateurs individuels, agissant indépendamment en fonction de leurs propres intérêts, se comportent contrairement au bien commun de tous les utilisateurs, en épuisant ou en détériorant cette ressource par leur action collective)⌈7⌋.
La problématique des émissions liées aux lanceurs et leur impact sur l’atmosphère offre aujourd’hui un certain écho à celle des déchets spatiaux dans la mesure où, avec près d’un demi-siècle d’écart, elle nous confronte à un défi très similaire : parvenir à identifier, analyser et traiter efficacement un problème potentiel alors qu’il en est à un stade encore naissant. En cas d’inaction, le risque est grand d’échouer à développer un environnement propice à l’émergence d’un outil politique idoine permettant d’en assurer une gestion et une gouvernance efficaces sur le long terme.
a. Les débris spatiaux
L’imaginaire collectif a bien souvent tendance à se représenter l’espace comme un environnement immaculé, très largement épargné de toute pollution humaine ; il n’en est cependant rien. Depuis 1957, c’est plus de 5000 lancements qui ont été réalisés. Le développement des systèmes spatiaux a ainsi charrié dans son sillage une quantité impressionnante de débris en tous genres : composantes de fusées, satellites en fin de vie, fragments d’équipements voire mêmes outils perdus par des astronautes.
L’Agence spatiale européenne (ESA) estime qu’il y a aujourd’hui 8000 tonnes de débris qui errent dans l’espace. 29 000 objets de plus de 10cm ont été recensés tandis que les débris plus petits se compteraient en dizaines de millions⌈8⌋. Si les prémices de la conquête spatiale ont été marquées par une relative sécurité des activités, cette situation se retrouve très largement remise en danger à l’heure actuelle. L’espace extra-atmosphérique est en effet un milieu particulièrement fragile dans lequel de très nombreux débris de toutes tailles se déplacent à grande vitesse et représentent une menace pour les satellites opérationnels⌈9⌋ : « L’espace circumterrestre ne se nettoie naturellement que des débris spatiaux situés sur des orbites dont le périgée est suffisamment bas, de l’ordre de 400 km, qui finissent par rentrer dans l’atmosphère où ils se consument ; les autres débris restant en orbite pendant des dizaines voire des centaines d’années»⌈10⌋.
Bien que pour la plupart d’une taille très réduite, ces débris représentent un grand danger lorsqu’ils tournent en orbite autour de la Terre. Comme l’explique Luisa Innocenti, responsable du projet Clean Space à l’ESA : « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que même un petit débris – en raison de la vitesse à laquelle il progresse dans l’espace – peut faire exploser un satellite actif par exemple et cette explosion va générer un nouveau nuage de débris. Donc tous les débris sont des menaces potentielles »⌈11⌋. Les exemples en la matière ne manquent d’ailleurs pas. En 2007, la destruction volontaire par la Chine d’un satellite en fin de vie au moyen d’un missile balistique a généré plus de 3000 fragments en orbite. En 2009, c’est une collision entre le satellite américain de télécommunication Iridium 33 et un satellite russe inactif Kosmos 2251 qui a provoqué 2000 débris de plus de 10cm sur une orbite déjà très encombrée. Outre la pollution qu’ils génèrent dans l’espace circumterrestre, ces nombreux débris représentent donc non seulement une menace pour les prochaines missions spatiales mais également pour les activités économiques de l’Europe dans l’espace (pour une valeur d’environ 8 milliards d’euros) et plus généralement pour toute une série d’applications satellitaires dont nous sommes aujourd’hui largement dépendants sur Terre : télécommunications, diffusions des programmes de télévision, navigation par satellite, contrôle et sécurité aérienne, observation de la terre pour les prévisions météorologiques, surveillance terrestre ou maritime etc. Les modèles mathématiques qui calculent la prolifération des débris sont unanimes : « au-delà d’une certaine densité, la création des débris spatiaux peut devenir un phénomène divergent, rendant le milieu spatial inexploitable »⌈12⌋.
À une heure où la commercialisation de l’espace est en plein essor et que le New Space⌈13⌋ ou Space 4.0 vont notamment se traduire par le déploiement massif de petits satellites (cubesats ou nanosatellites) et de larges (voire méga) constellations par de nouveaux acteurs commerciaux, le risque de générer des centaines de milliers d’alertes de collisions⌈14⌋ chaque semaine est plus réel que jamais pour les opérateurs de ces constellations⌈15⌋.
Une concertation de toutes les agences spatiales est désormais organisée dans le cadre de l’ « Inter-Agency Space Debris Committee» ainsi qu’au niveau du comité des Nations-Unies pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique. Cette concertation a permis l’élaboration d’un ensemble de lignes directrices relatives à la réduction des débris spatiaux, mais ces mesures de bonne conduite restent dépourvues de tout caractère contraignant.
Des initiatives nationales ou régionales⌈16⌋ ont été prises de manière éparse pour tenter si pas d’endiguer, du moins maîtriser, la croissance des débris en orbite. À cela s’ajoute l’action de certains acteurs qui commencent désormais à réfléchir à des moyens de retirer les objets les plus menaçants. Toutefois, une gestion efficace et pérenne des débris spatiaux ne pourra être assurée qu’au travers d’avancées politiques et légales globales impliquant l’ensemble des acteurs du spatial : « Half a century ago a potential problem presented itself, but a lack of urgency prevented good policy from being established when the problem was in its nascent stage. The result is that some regions of Earth’s orbital space present hazardous conditions due to debris accumulation »⌈17⌋.
b. Pollution terrestre et atmosphérique
À ces pollutions extra-atmosphériques s’ajoutent d’autres éléments. Les activités humaines liées aux lancements spatiaux provoquent une pollution terrestre importante. Les émissions de combustion des réacteurs de fusées émises dans la stratosphère lors de la phase d’ascension vers l’orbite affectent en effet l’atmosphère globale⌈18⌋. Bien qu’à l’heure actuelle la littérature scientifique en la matière soit fort éparse et que la connaissance du phénomène demeure faible, il est généralement d’usage de considérer que les fumées générées par les fusées engendrent deux types d’effets sur l’atmosphère.
D’une part, les réactions chimiques appauvrissent la couche d’ozone⌈19⌋. Il s’agit ici, et depuis toujours, de la principale préoccupation concernant les émissions de fusées. En effet, les moteurs à propulsion solide injectent du chlore directement dans la couche d’ozone alors que cette dernière est soumise à une réglementation internationale depuis 1987⌈20⌋.
D’autre part, une seconde préoccupation est apparue plus récemment⌈21⌋. Les particules injectées dans la stratosphère absorbent et réfléchissent l’énergie solaire. Elles modifient ainsi le flux de radiations dans l’atmosphère, chauffant la stratosphère et refroidissant la surface⌈22⌋. Ce forçage radiatif a pour effet de modifier l’albédo⌈23⌋ de la Terre et donc la quantité d’énergie solaire injectée dans l’atmosphère. Ces changements thermiques appauvrissent également la couche d’ozone⌈24⌋.
Si, historiquement, cet impact a été perçu comme négligeable et a pu très largement échapper à toute réglementation, les activités de lancement sont aujourd’hui en pleine évolution : plus grande fréquence, fusées plus grandes et emploi de toute une nouvelle variété de combustibles. Le nombre de lancements orbitaux a quasi doublé au cours de la dernière décennie, un phénomène qui devrait encore s’accélérer davantage à l’avenir. On prévoit ainsi que la taille du tissu industriel spatial pourrait être multipliée par huit d’ici à 2030⌈25⌋ : « at some future increased launch rate, the global impact from launch emissions will collide with international imperative to manage the global atmosphere. This could result in regulation of launch activity »⌈26⌋.
Si nous appliquons les leçons tirées de la problématique des débris spatiaux, il est donc plus que temps de développer et de mettre en œuvre un cadre politique permettant d’atténuer les risques posés par les émissions de fusées aux environnements naturel et opérationnel. Cette démarche devra inévitablement s’accompagner de mesures encourageant la communauté scientifique à poursuivre les recherches sur les émissions dans l’atmosphère dans la mesure où de nouveaux carburants, sur lesquels aucune recherche n’a encore été menée, verront bientôt leur usage renforcé, affectant encore davantage une connaissance déjà très éparse du phénomène⌈27⌋.
2. Cadre réglementaire pour une conduite responsable des activités spatiales
La question des débris spatiaux et celle de la pollution de la Terre et de son atmosphère sont deux exemples qui témoignent de la nécessité de se doter d’un cadre réglementaire global permettant une utilisation responsable et durable de l’espace et de toutes les activités qui y sont ou seront entreprises. À une époque où chaque jour des pays et des entreprises privées font un peu plus part de leur intention d’entreprendre des activités sur des planètes, lunes, astéroïdes ou mêmes des comètes, il est urgent de clarifier et de compléter le régime qui encadre actuellement l’exploration spatiale.
Il est nécessaire de se doter d’un cadre qui traite de manière proactive la gestion de l’environnement et atténue les dommages potentiels causés par les activités humaines visant à utiliser et à exploiter les corps planétaires et leurs ressources : « In essence, the international space community is currently lacking guidance for how to balance both exploration and use in setting intended for the peaceful benefit of humankind in locations without national sovereignty or jurisdictional control »⌈28⌋.
2.1 Réguler un bien commun
L’espace extra-atmosphérique, extraordinaire par de nombreux aspects, est en outre sans équivalent sur le plan juridique. À l’instar des océans ou de l’Antarctique, la littérature scientifique recourt au terme d’« international spaces » ou de « global commons » comme construction sociale⌈29⌋ : « International spaces are regions and resources that lie beyond the reach of the legal and political jurisdiction of the individual members of international society. Outer space and sizable segments of the world’s oceans belong to this category, at least in part, by virtue of their remoteness and limited capacity of states to exercise jurisdiction in these relatively remote regions »⌈30⌋. Ces espaces transnationaux, qui ont été le théâtre de luttes politiques en raison de leur importance stratégique et de leurs potentielles ressources, ont chacun été les témoins du développement progressif d’une série de traités internationaux qui diffèrent dans la manière dont ils abordent les questions de gouvernance, d’accès ainsi que l’utilisation de leurs ressources communes respectives⌈31⌋.
Depuis la fin des années 1950, il a été entrepris de formuler une série de règles internationales destinées à faciliter les relations mondiales dans la gestion de ce bien commun et le libellé des différents accords internationaux a reflété la vision selon laquelle son exploration et son utilisation devraient se faire au bénéfice de tous les États⌈32⌋. Compte tenu de sa potentielle valeur économique perçue, un nombre croissant d’États ont ainsi fait usage de leur droit à participer sur un pied d’égalité aux décisions prises dans ce domaine. Au cours de cette période que l’on a qualifiée d’«âge d’or» de la législation spatiale, à côté des activités spatiales en plein essor, s’est ainsi développé un cadre juridique multilatéral progressif et évolutif qui traitait exclusivement des activités spatiales⌈33⌋.
Peu de temps après le lancement du premier satellite artificiel Spoutnik, l’ONU a décidé de créer le Comité des Nations Unies pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique (UN COPUOS) ; encore à l’heure actuelle il s’agit du principal organe législatif en charge de l’espace et des activités spatiales. Ce comité et son sous-comité juridique ont, de par leurs efforts en matière de droit de l’espace, installé l’ONU dans une position de plate-forme pour la coordination des activités de coopération internationale en matière spatiale et pour la formulation des règles internationales y afférentes⌈34⌋.
Dans son sillage, la Déclaration de principes juridiques régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique adoptée par l’Assemblée générale en 1963 allait constituer une étape importante en établissant pour la première fois que les activités spatiales devaient servir les intérêts de tous les êtres humains et que ces activités devaient être conduites dans un environnement international⌈35⌋. Au cours des années qui ont suivi, les Nations Unies ont élaboré cinq traités multilatéraux de caractère général qui incorporent et développent les concepts qui figuraient dans la Déclaration des principes juridiques :
– Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes (annexe de la résolution 2222 (XXI) de l’Assemblée générale) – adopté le 19 décembre 1966, ouvert à la signature le 27 janvier 1967, entré en vigueur le 10 octobre 1967;
Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (annexe de la résolution 2345 (XXII)) – adopté le 19 décembre 1967, ouvert à la signature le 22 avril 1968, entré en vigueur le 3 décembre 1968;
– Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux (annexe de la résolution 2777 (XXVI)) – adoptée le 29 novembre 1971, ouverte à la signature le 29 mars 1972, entrée en vigueur le 1er septembre 1972;
– Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (annexe de la résolution 3235 (XXIX)) adoptée le 12 novembre 1974, ouverte à la signature le 14 janvier 1975, entrée en vigueur le 15 septembre 1976;
– Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes (annexe de la résolution 34/68) – adopté le 5 décembre 1979, ouvert à la signature le 18 décembre 1979, entré en vigueur le 11 juillet 1984.
On a tendance à considérer que le Traité de 1967, plus connu sous le nom de Traité sur l’espace, représente l’instrument juridique le plus complet en matière de coopération dans l’espace et qu’il constitue un cadre pour le développement du droit de l’espace. Les quatre autres traités sont quant à eux plus axés sur certains concepts figurant dans le Traité de 1967.
A l’heure actuelle, cent pays (parmi lesquels toutes les puissances spatiales) ont ratifié le Traité de 1967. Ce dernier prévoit une liberté d’accès des États à l’espace extra-atmosphérique, sans que l’un d’entre eux ne puisse se l’approprier (articles 1 et 2). De plus, il exige que les activités relatives à l’utilisation et à l’exploration s’effectuent conformément au droit international (article 3). Enfin, il bannit la mise en place d’armes nucléaires ou de toute autre forme d’arme de destruction massive sur l’orbite de la Terre, leur installation sur la Lune ou tout autre corps céleste, voire leur stockage dans l’espace hors de la Terre (article 4).
Beaucoup plus controversé, le Traité sur la Lune signé en 1979 prévoit que la Lune et ses ressources (qui ne sont pas explicitement définies) constituent « le patrimoine commun de l’humanité » et en interdit par conséquent l’exploitation sauf lorsque celle-ci est protégée par une organisation internationale qui serait établie à l’avenir. Dans la mesure où il n’a été ratifié que par une dizaine de pays dont aucune grande puissance spatiale, et bien que ce Traité soit techniquement entré en vigueur en 1984, il demeure de facto un échec⌈36⌋.
À l’heure actuelle, l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique se retrouve donc réglementée par un ensemble de traités sous l’égide de l’ONU, dont le Traité de 1967 représente la pierre angulaire. Comme le souligne Pascale Ehrenfreud, ce Traité a en effet été un instrument juridique fort et efficace qui, pendant près de cinq décennies, a permis de d’encadrer l’exploration et l’usage de l’espace en orbites basse et géostationnaire de manière pacifique et au bénéfice de l’humanité. Il a également servi de guide à l’exploration scientifique de la Lune : « the international space community – comprised of numerous governmental, scientific, commercial, private and even military stakeholders – has gradually developed a complex framework that balances exploration and use of assets and resources in Earth Orbit » ⌈37⌋.
Le Traité de 1967 représente assurément une disposition constitutive pour la gestion de l’espace comme bien commun dans mesure où il garantit l’ordre public. Le traité bannit notamment l’établissement de bases et de fortifications militaires sur la Lune et les autres corps célestes. Il interdit, en outre, toute revendication d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté. Mais, aujourd’hui plus que jamais, il souffre également d’un certain nombre de limites qui en affectent la portée opérationnelle: « there is a disconnect between these constitutive arrangements for space and the development of operating rules dealing with a variety of functional concerns »⌈38⌋ .
Premièrement, ce Traité ne permet pas de répondre efficacement à certaines questions qui se situent en dehors de son champ d’application ; il ne permet notamment pas de couvrir des problématiques qui seraient liées à des environnements spatiaux qui se trouvent au-delà de l’orbite terrestre⌈39⌋ , pas plus qu’il ne permet d’offrir des solutions à des questions telles que la protection de la couche d’ozone stratosphérique, le contrôle du changement climatique ou encore l’utilisation du spectre électromagnétique⌈40⌋.
Deuxièmement, le Traité ne permet pas non plus la prise en considération de certains développements dont la mesure n’avait tout simplement pas été prise ni même envisagée au début des années soixante. C’est notamment à tous les défis engendrés par le new space et caractérisés par une activité de plus en plus importante du secteur privé dans le champ spatial que peine désormais à faire face le Traité sur l’espace: « both private and state-sponsored ventures are increasingly engaged in extra-terrestrial projects with potential adverse environmental impacts »⌈41⌋.
Le Traité prévoit ainsi dans son article VI que les États parties ont la responsabilité internationale des activités nationales dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, qu’elles soient entreprises par des organismes gouvernementaux ou par des entités non gouvernementales. L’article VI précise également que les activités des entités non gouvernementales dans l’espace extra atmosphérique « doivent faire l’objet d’une autorisation et d’une surveillance continue de la part de l’État approprié partie au Traité »⌈42⌋. Cependant ni la portée de cette surveillance ni la manière dont elle s’exerce ne sont ici détaillés. De nombreuses questions fondamentales demeurent ainsi sans réponse : dans quelle mesure les États sont-ils responsables ? Pendant combien de temps s’exerce cette surveillance continue et comment cette supervision peut-elle s’accomplir dans un futur où un nombre grandissant d’entités internationales non-gouvernementales collaboreront sur des projets qui pourront s’étendre sur plusieurs décennies ?⌈43⌋
L’article IX encourage les Etats à étudier l’espace extra-atmosphérique mais également à procéder à son exploration de manière à éviter les effets préjudiciables de sa contamination ainsi que les modifications nocives du milieu terrestre résultant de l’introduction de substances extraterrestres et, en cas de besoin, les encourage à prendre les mesures appropriées à cette fin. Le Traité poursuit en précisant que si un État devait croire qu’une activité ou expérience envisagée par lui-même ou par ses ressortissants devait causer une « gêne potentiellement nuisible » aux activités d’autres États en matière d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, il devra engager les consultations internationales appropriées avant d’entreprendre ladite activité ou expérience. Ici aussi la portée opérationnelle de cet article semble limitée dans la mesure où le libellé retenu semble en réalité s’adresser directement à la protection des êtres humains bien plus qu’il ne fait de la protection de l’environnement une fin en soi⌈44⌋.
Bien que l’article IX ait pu être utilisé comme un crochet permettant d’aborder la question des débris spatiaux, y recourir pour établir un lien entre les émissions causées par les lancements et leur « gêne potentiellement nuisible » pour les activités de lancement semble être une interprétation qui aille encore bien au-delà de l’intention originelle de cet article. Si, de manière générale, des succès ont pu être engrangés en matière de gouvernance des questions atmosphériques, en matière spécifiquement spatiale nous nous retrouvons encore aujourd’hui confrontés à système de gouvernance fragmenté et incohérent de ce bien commun : « the constitutive arrangements do not encompass efforts to address specific matters, such as broadcasting and climate change, and the functionally specific regimes, such as the arrangement for the stratospheric ozone layer, do not serve to strengthen the constitutive framework »⌈45⌋.
Conclusion
À l’heure où le renforcement et l’accélération des activités humaines dans l’espace extra-atmosphérique s’imposent comme une des caractéristiques inévitables du 21ème siècle, il s’avère plus que jamais nécessaire de poursuivre et d’intensifier l’étude de la manière dont ces dernières affectent l’environnement. Comme nous avons eu l’occasion de le voir, l’ampleur progressivement prise par le problème des débris spatiaux plaide aujourd’hui pour une attitude beaucoup plus proactive lorsque nous nous retrouvons confrontés aux nouveaux défis que posent la conquête spatiale : « early spacefaring nations missed the opportunity to deal with space debris before it became a problem, in part due to gaps in knowledge »⌈46⌋. En travaillant à combler les lacunes de notre connaissance scientifique du sujet, nous avons par conséquent le devoir de tout mettre en œuvre pour éviter que des questions telles que celles des émissions provoquées par les véhicules de lancement ne connaissent le même destin que celles des débris spatiaux. Dans les années à venir, il est par conséquent indispensable que les différents acteurs du champ spatial encouragent, facilitent et financent les recherches scientifiques consacrées aux émissions des fusées dont la l’impact est encore aujourd’hui trop mal évalué et mesuré.
Parallèlement à cet effort à mener au niveau de la connaissance scientifique, la décennie à venir devra également s’accompagner d’une évolution du cadre de régulation activités spatiales actuelles et futures afin qu’elles soient conduites de la manière la plus durable et responsable possible. La planification de l’exploration et l’usage de l’espace extra-atmosphérique doivent en effet s’accompagner de lignes directrices permettant de les encadrer et de protéger l’environnement contre des impacts qui pourraient s’avérer disruptifs à bien des égards. Si le Traité pour l’espace a, pendant près de cinquante ans, représenté un instrument légal solide et efficace permettant d’encadrer l’exploration et l’utilisation de l’espace, il fait actuellement face à un certain nombre de limites qui en réduisent la portée. Comme nous l’avons vu, la grande majorité des dispositions de ce Traité concernent principalement les activités d’exploration et les utilisations de l’orbite terrestre par des États ou des organisations. Pour ce qui concerne des zones allant au-delà de l’orbite terrestre, le Traité ne les a abordées qu’au travers du prisme des questions d’exploration scientifique ou de contamination volontaire. Dès lors, comme l’a très bien souligné Pascale Ehrenfreund: « with the market increase in plans by launching nations, commercial ventures, and private entities beyond Earth orbit, it is clear that important changes in implementation lie ahead – particularly for human activities […] The international space community will soon need to address issues that involve multiple stakeholders and potential use conflicts that are beyond its collective experiences in orbit near Earth »⌈47⌋.
Si cette courte contribution s’est principalement employée à présenter les nombreux défis auxquels les activités spatiales seront confrontées si elles entendent se poursuivre dans un cadre responsable et durable, il est aujourd’hui indéniable que l’espace permet également de fournir un certain nombre d’outils indispensables pour affronter les défis environnementaux actuels et à venir. L’espace a en effet un rôle fondamental à jouer dans la prise de conscience écologique mondiale et les images par satellites ont notamment rendu visibles les problèmes écologiques dont souffre l’ensemble de la planète : fonte des glaces, nuages de pollutions, assèchement des systèmes hydrologiques (mer d’Aral, Lac Tchad, delta du Nil), entre autres . De plus, les avancées technologiques telles que la miniaturisation des senseurs, les transferts de données à grande vitesse ainsi que les capacités de stockage des données renforcées ont également permis de développer de nouvelles capacités satellitaires conçues spécialement pour surveiller la pollution et identifier les sources d’émissions⌈48⌋.
A la fois défis et à la fois solution, les activités entreprises dans l’espace extra-atmosphérique devront quoi qu’il en soit toujours prendre la mesure de leur impact potentiel sur l’environnement. Une démarche durable et responsable plaide donc en faveur d’une politique spatiale qui conjugue recherche scientifique renforcée et proactivité pour le développement d’un cadre de régulation idoine.
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1 « Lettre à Thomas Pesquet sur le tourisme spatial et la conquête martienne », in Libération, 25 juin 2019, https://www.liberation.fr/debats/2019/06/25/lettre-a-thomas-pesquet-sur-le-tourisme-spatial-et-la-conquete-martienne_1736118.title= »Retour à la note 1 dans le texte »
2 Ibidem.
3 JOUSSEN Iris, « L’impact de l’activité spatiale en Guyane sur l’écosystème », Science et avenir, 07 février 2017. https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/impact-des-lancements-de-fusees-sur-l-environnement_109420
4 ROSS Martin, VEDDA James, The policy and science of rocket emissions, Center for Space Policy and Strategy, 2018, p.2.
5 Cette pollution a deux aspects. Le premier, et le plus évident, est la présence sur les corps célestes explorés par l’Homme des restes de sondes, robots ou de leurs dispositifs d’atterrissage. La seconde, moins visible mais tout aussi importante, est la contamination de leur environnement par les bactéries provenant de la planète Terre emmenées par ces mêmes objets.
6 ROSS Martin, VEDDA James, op. cit., p.2.
7 Pour plus d’informations voir : HARDIN Garret, « The tragedy of commons », in Science, no.162, pp.1243-1248.
8 ESA EURONEWS : Débris spatiaux, comment nettoyer l’espace?, 27 novembre 2017, https://www.esa.int/fre/ESA_in_your_country/France/ESA_Euronews_Debris_spatiaux_comment_nettoyer_l_espace
9 BRACHET Gérard, « Les enjeux d’un développement durable des activités spatiales » in Géoéconomie, vol.2, no.61, 2012, CAIRN, p.96.
10 Ibid, p.97.
11 ESA EURONEWS : Débris spatiaux, comment nettoyer l’espace?, 27 novembre 2017, https://www.esa.int/fre/ESA_in_your_country/France/ESA_Euronews_Debris_spatiaux_comment_nettoyer_l_espace
12 BRACHET Gérard, loc. cit., p.98.
13 Ces termes qui désignent principalement un mouvement caractérisé par l’émergence du secteur privé dans le champ spatial. Ils concernent plus particulièrement le groupe des relativement nouvelles compagnies aérospatiales, indépendantes des gouvernements et des principaux contractants traditionnels, qui travaillent au développement d’un accès plus rapide et low-cost aux technologies spatiales. Parmi celles-ci on peut nommer Blue Origin de Jeff Bezos ou SpaceX d’Elon Musk.
14 En 2016, le Centre d’orbitographie opérationnelle du CNES répertoriait plus de deux millions d’alertes collisions. Cette année-là, 17 manœuvres de satellites français et européens ont été nécessaires afin d’éviter de potentielles collisions. Voir : Centre National d’Etudes Spatiales, Débris spatiaux, où en est-on ?, https://cnes.fr/fr/dossier-debris-spatiaux-ou-en-est, 24 novembre 2017.
15 European Space Agency, Space Debris – Space 19+, http://blogs.esa.int/space19plus/programmes/space-debris/
16 Au travers de l’initiative Clean Space, l’ESA est par exemple pionnière en matière de développement d’une approche « eco-friendly » des activités spatiales : « On the ground, this means adopting greener materials, processes and technologies and boosting sustainability through EcoDesign. In space, it means preserving Earth’s orbital environment as a safe zone, by reducing debris creation through CleanSat, while the Space Servicing Vehicle will demonstrate the capability to rendez-vous, capture, service and de-orbit defunct space objects in a controlled fashion with a commercial perspective», ESA, Space Safety, Space19plus, 2019, http://esamultimedia.esa.int/docs/corporate/Space19+flyers_SSA_LR.pdf
17 ROSS Martin, VEDDA James, op. cit., p.2.
18 Pour une analyse approfondie, voir : ROSS Martin, TOOHEY Darin, PEINEMANN Manfred, ROSS Patrick, « Limits on the space launch market related to stratospheric ozone depletion», in Astropolitics, 7:1, pp.50-82, 2009.s
19 M.N. Ross et al., 1997, “Observation of Stratospheric Ozone depletion in Rocket Exhaust” in Nature, 390, 1997, pp.62-64.
20 Voir: ANDERSEN S.O., SARMA K., Protecting the Ozone Layer, Earthscan Publications, Sterling VA, 2002.
21 ROSS M., SHEAFFER P., “Radiative forcing caused by rocket engine emissions” in Earth’s Future, no.2, 2014, pp.177–196.
22 ROSS Martin, VEDDA James, op. cit., p.3.
23 L’albédo est le pouvoir réfléchissant d’une surface, c’est-à-dire le rapport de l’énergie lumineuse réfléchie à l’énergie lumineuse incidente.
24 KRAVITZ Ben, ROBOCK Alan, SHINDELL Drew, MILLER Mark, “Sensitivity of stratospheric geoengineering with blackcarbon to aerosol size and altitude of injection”, in Journal of Geophysical Research, vol.117, 2012.
25 SHEETZ Michael, “The space industry will be worth nearly $3 trillion in 2030, Bank of America Predicts”, 31 octobre 2017, https://www.cnbc.com/2017/10/31/the-space-industry-will-be-worth-nearly-3-trillion-in-30-years-bank-of-america-predicts.html
26 ROSS Martin, VEDDA James, op. cit., p.3.
27 WORLD METEOROLOGICAL ASSOCIATION, Scientific assessment of ozone depletion, Report no. 44, 2014.
28 EHRENFREUND Pascale, RACE Margaret, LABDON David, “Responsible space exploration and use : balancing stakeholders interests”, in New Space, 2013, p.61.
29 “International spaces are in a large measure socially constructed […] to encompass spatially delimited material entities like the oceans, outer space, and (with some reservations) Antarctica. Because these entities are essentially fixed, the category of what I will call traditional international space is finite”, p.288.
30 YOUNG Oran R., “Governing International Spaces: Antarctica and Beyond” in BERKMAN Paul Arthur, LANG Michael A., WALTON David W. H., YOUNG Oran R., Science Diplomacy: Antarctica, Science, and the Governance of International Spaces, 2011, pp.287–288.
31 Ibid., pp. 287–294.
32 SPECTER Christine, “An ISY policy for developing and newly industrialized countries” in Space Policy, May 2010, p.119.
33 DANILENKO Gennady M., “Outer Space and the Multilateral Treaty-Making Process”, 1989, http://www.law.berkeley.edu/journals/btlj/articles/vol4/Danilenko/HTML/text.html
34 Les traités et principes des Nations Unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique, http://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf.
35 Déclaration des principes juridiques régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, 13 décembre 1963 https://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/1962(XVIII)&Lang=F.
36 EHRENFREUND Pascale et al, loc. cit. p.64.
37 Ibid., p.65.
38 YOUNG Oran R., loc. cit., p. 293.
39 EHRENFREUND Pascale et al., loc. cit., p.65
40 YOUNG Oran R., loc. cit., p. 293.
41 KRAMER William R., “Extraterrestrial environmental impact assessments – A foreseeable prerequisite for wise decisions regarding outer space exploration”, in Space Policy, no.30, 2014, p.217.
42 Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, (annexe de la résolution 2222 (XXI) de l’Assemblée générale) – adopté le 19 décembre 1966, ouvert à la signature le 27 janvier 1967, entré en vigueur le 10 octobre 1967.
43 KRAMER William R., loc. cit., p.217.
44 SANDS P., PEEL J., Principles of international environmental law, New York, Cambridge University Press, 2012, p.300.
45 YOUNG Oran R., loc. cit., p.293.
46 ROSS Martin, VEDDA James, op. cit., pp.8-9.
47 EHRENFREUND Pascale et al, loc. cit. pp.70-71.
48 Voir CHATUVERDI Aditya, “How satellites are changing the way we track pollution on the ground”, The Wire, 30 juillet 2019, https://thewire.in/environment/how-satellites-are-changing-the-way-we-track-pollution-on-the-ground