Les préoccupations écologiques et environnementales ont émergé en Belgique au début des années 70 grâce à l’action des associations, des organisations politiques, des médias et des citoyens. Leur engagement a laissé de très nombreuses traces qui sont progressivement répertoriées et conservées pour être transmises aux générations futures dans le Centre d’archives privées Etopia. La première partie de cette analyse esquisse quelques jalons de la naissance de l’écologie en Belgique dans les années septante[[Ce texte a fait l’objet d’une communication lors de la rencontre du Groupe de Contact HEnRI : Histoire de l’Environnement – Réseau Interdisciplinaire organisée à Bruxelles, le 11 mai 2011 : Les acteurs de la protection de l’environnement, sous le titre « les archives des mouvements pré-écologistes conservées à Etopia ».

]]. La seconde partie présente les sources disponibles en insistant particulièrement sur celles qui sont conservées au centre d’archives privées Etopia.

Introduction

L’asbl étopia, centre d’animation et de recherche en écologie politique, est une association d’éducation permanente et un centre d’archives privées. Celui-ci s’est donné trois objectifs généraux : accueillir les archives liées à l’écologie politique et à la mouvance environnementale, assurer le traitement archivistique de ces fonds et valoriser ces différentes collections auprès d’un large public.

Son patrimoine relativement jeune est à la fois de nature politique et associative. Il rassemble les archives du parti Ecolo créé en 1980, celles du parti vert européen, de même que des archives issues d’associations environnementales et écologistes ainsi que de personnes engagées dès les années 60 dans la préservation de la nature ou dont les revendications sont à mettre en lien avec les fondements de l’écologie politique.

Depuis la création du centre d’archives en 2000, ses responsables sont conscients de l’importance d’accueillir non seulement les archives de l’écologie politique, dont les premières traces en Belgique francophone remontent au début des années 70, mais aussi celles des associations environnementales. Celles-ci prennent leurs racines dans les années 1960. Vu l’importance de l’enjeu environnemental pour le XXIe siècle, il est capital de rassembler ces sources afin de les rendre accessibles non seulement à la communauté scientifique mais également aux citoyens[Pour un aperçu plus complet et détaillé de nos collections, voir : Hendrick, A. ; Laureys, D. ; Dutrieue, A-M.. Etat des fonds et collections du centre d’archives privées d’étopia [en ligne], étopia, avril 2011 (consulté le 17 mai 2011). [https://www.etopia.be/spip.php?article79 .

]].

Ce patrimoine se caractérise par sa jeunesse et par la diversité de ses supports. Etant contemporain des nouvelles technologies de l’information et d’une société où la production de contenus est en expansion continue, nous devons développer des techniques et des méthodes nouvelles afin d’assurer leur sauvegarde à long terme. Dans ce but, le centre d’archives d’Etopia expérimente de nouvelles voies afin de relever ce défi numérique. Par exemple, il propose à ses producteurs d’archives des méthodes de classement leur permettant d’organiser leur archivage en amont. Il dispose aussi d’une base de données qui lui permet un archivage courant des documents clés produits par les services producteurs[[Voir pour plus de détails : Dubois, M.-L.. Comment contribuer à la collecte et à la conservation de sources pour les historiens de l’écologie. L’exemple d’étopia. [en ligne], étopia, juillet 2010 (consulté le 17 mai 2011). https://www.etopia.be/spip.php?article1164

]].

La première partie de cet exposé vous présentera quelques jalons de l’histoire de l’écologie. Cette partie est inspirée par le texte publié par José Daras, membre fondateur du parti Ecolo et ministre d’état, à l’occasion des 30 ans du parti Ecolo : « du passé… pour l’avenir[[Pour de plus amples développements, voir Daras, J .. Du passé… pour l’avenir. Ecolo : 30 ans d’évolution,[en ligne] Etopia, septembre 2010 (consulté le 17 mai 2011). www.etopia.be/spip.php?article1642

]] ». Elle se base également sur le travail d’écriture de Benoit Lechat dont l’ouvrage sur l’histoire de l’écologie politique en Belgique est à paraître à l’automne 2011.

La seconde partie de l’exposé vous présentera les sources disponibles au centre d’archives étopia.

Les premiers pas de l’écologie en Belgique : la décennie 70

Les trois décennies suivant la fin de la guerre 40-45, communément appelées les « Trente glorieuses », ont profondément changé le monde en commençant par l’Europe dont la nécessaire reconstruction sera soutenue par le célèbre « plan Marshall ». Cette période de croissance démographique et de plein emploi sera également synonyme de boom économique.

L’amélioration du niveau de vie des citoyens, la mutation énergétique du charbon vers le pétrole et le début du nucléaire donneront l’illusion d’un monde parfait. Et pourtant, dès les années 60, des voix s’élèvent pour dénoncer le matérialisme forcené et ses effets sur l’environnement. Citons notamment l’ouvrage de Rachel Carson « le printemps silencieux » ou encore « Avant que nature meure » de Jean Dorst en 1964.

C’est à cette époque également que surviennent les premières catastrophes pétrolières et que l’armée américaine utilise des armes chimiques au Vietnam. Les prises de conscience vont progressivement pousser certains citoyens et scientifiques à s’engager dans des associations environnementales et de défense de la nature. En 1973, le rapport Meadows « The Limits to Growth » ( « Halte à la croissance ? ») accélère la conscientisation en faveur de l’écologie.

Mais la prise de conscience avait en réalité commencé plus tôt, avec notamment la création en 1957 de la Société Royale – Cercles des Naturalistes de Belgique ou encore d’Aves en 1963 qui allaient développer une formidable expérience de sensibilisation[Depuis 2003, pour mieux appréhender les grands enjeux de la conservation de la nature, Aves s’est associée aux [Réserves Naturelles-RNOB pour fonder Natagora.

]].

Au début des années 70, l’émergence de l’écologie politique en Belgique s’alimente aussi en France où fleurissent de nouvelles revues, comme La Gueule ouverte ou le Sauvage qui contribuent à populariser l’écologie politique auprès du grand public. La naissance des Amis de le Terre France en 1971 et la candidature de René Dumont aux élections présidentielles de 1974 signent son ancrage dans le paysage politique.

Du côté belge, c’est au travers de la publication Démocratie nouvelle que l’écologie politique commence à s’implanter dans le paysage politique. La petite organisation namuroise du même nom participe à une liste de cartel aux élections législatives de 1974 et certains de ses membres contribuent activement à la création de la section belge des Amis de la Terre en 1976.

En 1971, la fédération Inter-environnement voit le jour pour rassembler les associations environnementales. La fédération défend l’intégrité et de la diversité des environnements ainsi que la promotion d’un milieu de qualité. Elle est en outre habilitée par ses membres à défendre leurs intérêts dans tout litige mettant en jeu la qualité de l’environnement et le développement durable au niveau local, régional, fédéral européen et international[Extrait des statuts d’Inter-environnement Wallonie du 11 avril 2008. Voir en ligne : [http://www.iewonline.be/spip.php?rubrique44

]].En 1975, la fédération nationale se scinde en ailes régionales.

Comme le dit José Daras dans son historique[[Voir supra

]] : « Dans le foisonnement de ce que l’on allait appeler les nouveaux mouvements sociaux, l’écologie se cherche, se disperse et se trouve. Des liens se créent, les mêmes personnes sont à la fois anti-nucléaires, tiers-mondistes, féministes, pacifistes… Le lien commun : on ne défend pas un intérêt personnel et on pose la société civile en gardienne des libertés face à l’Etat hégémonique. Il restait sans doute aux activistes de ces nouveaux mouvements sociaux à rencontrer les protecteurs de l’environnement et de la nature. »

En Belgique, c’est aux élections communales de 1976 à Namur que l’on trouve la première liste électorale ou le mot « écologie » apparaît. Elle s’intitule Combat pour l’écologie et l’autogestion. Suivront aux élections législatives de 1977 et 1978 les listes portant les appellations « Wallonie-Ecologie » ou « Ecolog ».

En 1979, les élections européennes marquent un tournant pour les écologistes belges qui obtiennent plus de 5% avec la liste Europe-Ecologie pour les francophones et 2,2% avec la liste néerlandophone d’Agalev. Après de nombreuses discussions, la décision est prise de créer une structure politique permanente à côté des Amis de la Terre qui restent de leur côté soucieux de préserver leurs actions de terrain et d’éducation permanente. C’est au terme de deux assemblées constitutives en mars 1980 que le parti Ecolo voit officiellement le jour. Un peu plus d’un an plus tard, en décembre 1981, les six premiers élus Ecolo entrent à la Chambre des représentants et au Sénat aux côtés de trois élus du parti frère flamand Agalev.

Les sources disponibles au centre d’archives étopia

On le voit, la mouvance environnementale et l’écologie politique en Belgique disposent déjà d’une histoire riche et les documents retraçant ces évènements doivent dès à présent être conservés.

Parmi les sources disponibles, nous connaissons déjà les écrits des précurseurs de l’écologie politique qui ont fortement inspiré les premiers écologistes des années 70. Dès 1979, Ivo Rens et Jacques Grinevald ont publié un premier article relevant ces sources : Jalons pour une historiographie de l’écologie politique paru dans la revue suisse Cadmos. On y retrouve les références essentielles d’auteurs anglo-saxons et les éléments de contexte qui ont permis l’émergence de l’écologie politique.

Le Centre d’archives possède des collections complètes des revues la Gueule ouverte et Le Sauvage dont plusieurs illustrations et extraits sont repris dans des tracts et publications des partis écologistes francophones de la fin des années 1970. On y retrouve aussi les auteurs qui vont construire progressivement la pensée écologiste. Parmi ceux-ci, Ivan Illich, André Gorz, l’américain Amory Lovins pour les enjeux de l’énergie, Gregory Bateson, pour la pensée systémique, Nicolas Georgescu Roegen pour la décroissance et bien évidemment René Dumont.

Parmi les fonds et les collections d’associations conservés au centre d’archives privées étopia, figurent les archives des Amis de la terre Belgique et d’Inter-environnement Wallonie, la fédération des associations environnementales francophones, les papiers de personnes ayant milité dans des associations comme le Groupement des Jeunes protecteurs de la nature (G.J.P.N.) à la fin des années 70 ou les archives de l’Institut Eco-Conseil, organisme certifiant la formation des éco-conseillers. Nous conservons également une collection d’autocollants reprenant le slogan « nucléaire non merci » traduit dans de nombreuses langues.

Vous trouverez également chez nous les archives de l’asbl Mediacom créée à la fin des années 70, qui avait pour objectif de fédérer les « médias communautaires » et « alternatifs » du monde francophone. Ce fonds constitué essentiellement de périodiques reflète des luttes comme le pacifisme, la coopération avec le tiers-monde, le féminisme, la protection de l’environnement, la dynamique des coopératives, etc. Il contient des publications belges mais également françaises ou en provenance du continent africain. Partiellement traité et accessible, ce fonds permet d’étudier le terreau idéologique et associatif des nouveaux mouvements sociaux.

Parmi ceux-ci figure notamment le Comité de Défense des Habitants de Bruxelles centre (CDHBC), association qui voit le jour en 1973 à l’initiative de quelques habitants soucieux de défendre leur quartier, dont les archives ont depuis peu été versées dans notre fonds. Parmi les combats de ce comité de quartier, citons l’opposition à la démolition de l’Institut Pacheco, la restauration de cet hospice ainsi que les aménagements du parvis Saint Jean-Baptiste, de la place Sainte-Catherine, du Vieux Marché aux Grains. Le CDHBC s’est également engagé, aux côtés d’autres associations, dans le projet de PRAS mené par la Région de Bruxelles-capitale.

Depuis quelques années, nous avons entamé une démarche active auprès des associations environnementales afin d’enrichir nos fonds et collections et contribuer à la préservation de la mémoire de ces acteurs importants pour l’histoire de la mouvance environnementale. Ces démarches demandent du temps, du respect, de la diplomatie et de la perspicacité. En effet, entre le premier contact avec l’association et l’identification des archives à sauver, il faut convaincre les responsables de nous confier leurs archives, éviter qu’elles ne soient stockées dans des locaux humides ou trop secs. Il faut également éviter que les producteurs effectuent un premier tri eux-mêmes et se débarrassent ainsi de documents précieux sur le plan historique. Aussi, essayons-nous d’agir préventivement en proposant nos services pour le tri des archives et la réalisation de relevés « avant » les déménagements par exemple.

Le fond dispose également d’une collection importante de périodiques et d’ouvrages de référence dans le domaine environnemental. Cette dernière rassemble les numéros de revues d’associations belges ou étrangères que le centre a pu acquérir ou collecter lors de tris et de dons d’archives. Vous y trouverez plus de 175 titres de périodiques dont certains sous forme de collections complètes. Citons notamment La gueule ouverte, Incidences, Espace-vie, L’homme et l’oiseau, Survie, L’écologiste, etc. Nous disposons également de nombreux ouvrages de référence soigneusement collectés par le centre de documentation du CEFE depuis sa création en 1983 (étopia depuis 2004) et complétés par les dons de militants écologistes de la première heure. Un important travail d’inventoriage de ces ouvrages traitant de nombreuses thématiques comme le nucléaire, les relations Nord-Sud ou la protection de l’environnement par exemple est en cours et la plupart des références déjà encodées peuvent être consultées en ligne via notre base de données : http://alexandrie.etopia.be

N’oublions pas, à côté des archives d’associations ou des papiers de particuliers, les archives politiques. Etant financée en partie par le parti Ecolo, étopia conserve naturellement l’ensemble des archives du parti. Parmi celles-ci, on trouve aussi bien des documents ronéotypés des débuts que des archives numériques des dix dernières années, des affiches électorales, des tracts et supports de campagne ainsi que les documents produits par les différentes instances du parti ou encore les archives des cabinets des ministres écologistes.

Nous disposons également des documents (affiches, périodiques, tracts, papiers) des prémices du parti Ecolo dont ceux de Démocratie nouvelle, mouvement de réflexion et d’action dont le manifeste de 1973 démontre clairement le rôle qu’il a joué dans l’émergence de l’écologie politique en Belgique et encore quelques documents des premières listes déposées lors d’élections comme Combat pour l’écologie et l’autogestion, Wallonie-écologie ou Europe-Ecologie.

Signalons encore qu’une collecte d’archives orales a été entreprise afin de recueillir les témoignages des fondateurs et membres actifs du parti Ecolo. Ces récits donnent un éclairage nouveau aux écrits et permettent de recueillir des anecdotes intéressantes et des éléments de contexte à remettre en perspective afin de mieux appréhender notre histoire. Un DVD retraçant l’histoire d’Ecolo a été réalisé à partir de ces témoignages. Nous comptons bien sûr, en fonction des opportunités et moyens à notre disposition, étendre cette collecte aux acteurs de la mouvance environnementale.

Etopia contribue aussi pleinement à l’histoire européenne de l’écologie[Voir pour plus de détails : Dubois, M.-L.. Quelle conservation des sources pour quelle histoire de l’écologie politique. [en ligne], Etopia, décembre 2010 (consulté le 17 mai 2011). [https://www.etopia.be/spip.php?article1715

]], c’est ainsi que nous retrouvons quelques papiers et documents relatifs à des initiatives écologistes intéressantes pour l’histoire européenne comme ceux d’Ecoropa, action écologiste européenne, retrouvés dans les archives d’un fondateur du parti Ecolo. Cette association active à la fin des années 70 cherchait à coordonner au plan européen l’action et la réflexion écologique dans une optique fédéraliste. On y retrouve notamment un manifeste tentant de faire le point sur la réflexion écologiste e et une publication portant le titre : la réalité sur l’énergie : 21 questions – 21 réponses.

Mais c’est surtout en accueillant les archives du Parti vert européen dont le siège principal est à Bruxelles que notre centre d’archives contribue le plus à la mémoire collective des écologistes européens. Ce fonds, qui compte déjà 56 caisses de déménagement, sera inventorié dans le courant des années 2011 et 2012. Il est certain que ce fonds sera riche en enseignements pour l’histoire européenne de l’écologie.

Conclusions

Au fil de cette présentation, vous aurez pu remarquer que l’histoire de l’écologie et de la mouvance environnementale est bien vivante et active.  Aussi, au-delà des quelques sources présentées dans cet exposé, je vous invite à consulter notre Etat des fonds et collections[[Voir supra.

]] qui détaille l’ensemble des sources rassemblées au centre d’archives étopia. Ce document, régulièrement mis à jour, vous permettra de voir que de nombreuses archives sont déjà accessibles à la recherche et peuvent donc déjà faire l’objet de mémoires ou de thèses. C’est seulement à travers leur exploitation que ces sources révèleront toutes leurs richesses et permettront aux générations futures de comprendre les enjeux qui nous occupent aujourd’hui.

Néanmoins, nous sommes conscients qu’un important travail de repérage et de conscientisation autour de ces archives reste encore à faire. La politique de sauvegarde que nous avons adoptée commence à produire ses fruits et mérite d’être poursuivie et encouragée. Il faut ensuite organiser ces archives, les traiter et les valoriser.

Je tiens beaucoup, pour conclure, à remercier le réseau HEnRI pour l’initiative de cette rencontre. Ceci augure, je l’espère, le début de nombreuses collaborations et échanges avec vous, historiens ou chercheurs intéressés par l’histoire de la mouvance environnementale et de l’écologie politique. J’espère vous avoir donné l’envie de découvrir nos fonds et collections d’archives et l’envie d’écrire l’histoire de cette déjà grande aventure.

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