Reprendre la main sur une partie du flux monétaire, c’est récupérer des moyens collectifs pour soutenir l’économie. Du coup, on peut (ré) orienter celle-ci. Au contraire, abandonner ce levier aux mains des banques, c’est mettre l’économie sous le joug de celles-ci, non seulement d’un point de vue économique mais aussi éthique (sociale, économique, environnementale…).

L’expérience de notre monnaie complémentaire est présentée dans ces trois documents, le premier relate la mise en place de notre monnaie, le second de la maintenance et le troisième des effets de leviers que nous entrevoyons. C’est une première version amenée à évoluer régulièrement.

Contexte

Grez en Transition [[Site de GeT]] (GeT) a été lancé à Grez-Doiceau (13.000 habitants) en novembre 2009, suite à une conférence Etopia à Louvain-la-Neuve [Voir sur le [site d’Etopia]] dans le cadre des Rencontres des Nouveaux Mondes 🙂

En 6 ans, plus de 180 événements, ateliers, réunions… ont été organisés, sans compter les interventions pour soutenir le démarrage d’autres initiatives dans ou hors de la commune.

En 2011 démarrait l’atelier d’économie locale, sociale et solidaire de GeT[Voir sur le [site GeT. L’atelier est copiloté par Emilie Ronsse et moi-même]]. Cet atelier a été inspiré par la lecture de Viva Favela, le livre de Joaquim Melo [[Présenté lors du Baradéba quelques mois plus tôt]].

    • “C’est un dispositif intégré : la présence des différents composants renforçant l’efficacité de chacun. Même si, pour des raisons pratiques, il faudra probablement scénariser leur mise en place. La présentation qui suit propose (de façon intuitive) une séquence de mise en place. Le dispositif est, a priori, destiné à fonctionner sur le périmètre géographique de la commune. Ce qui ne veut pas dire qu’il est exclusif par rapport aux échanges exogènes. Loin de là, certains aspects doivent être limités dans l’espace pour des raisons pratiques (ex monnaie locale) mais la plupart sont ouverts sur l’extérieur.”
  • Description des missions :
    • “fonction d’inventaire, d’évaluation des ressources et des besoins (…)
    • fonction de banque locale (création d’une monnaie locale, prêts à la production, prêts à la consommation aux particuliers, acquisition de biens communs) (…)
    • incubateur de projets économiques locaux (…)
    • réseau d’échange de savoirs et de formation continuée (…)”

5 ans après, l’atelier est toujours actif, et a bien avancé dans ses projets. Plus de 110 personnes ont participé concrètement à l’atelier autour d’un noyau de 10-15 personnes. Ce qui est absolument génial dans ce processus, c’est qu’aucun des participants n’avait de connaissance particulière en économie ou au sujet des monnaies… Toutes les compétences ont été construites collectivement, avec un mélange de bienveillance et d’esprit critique. Il a fallu aussi dénouer les conflits d’approche avec patience[N’en déplaise à la critique de la Transition de J. Clotuche et E. Bouchat, Transition : je t’aime moi non plus !, [LaLibre.be.]] jusqu’à obtenir le consentement du groupe.

Petit état des lieux :

  • Evaluation. Sélection de 3 filières prioritaires : alimentation, énergie et construction
  • Banque. Création et mise en place de la monnaie locale
  • Incubateur. Soutien à la création de 3 coopératives à finalités sociales : Graines de Vie, Brasserie du Renard et Epicerie collaborative de Nethen
  • Echanges de savoir et formation. Documentation de toutes les étapes[[Tous les PV sont en lignes (sauf ceux qui citent des personnes)]], conférences et interventions sur les sujets de l’atelier
  • Gouvernance. Rédaction de la Charte, mise en place des asbl GeT’iT et Les BLÉS

Assez vite, le groupe a ressenti la nécessité de travailler sur la gouvernance, sur une Charte [Il y a consacré quasi 2 ans de réflexion. [Charte sur le site de GeT]] pour encadrer les projets. L’idée est de pouvoir appliquer les principes de la Transition tels que l’inclusivité, sans qu’à un moment donné, l’inertie de certains acteurs ne bloque le processus[[Voir plus loin, gouvernance.]]. Il fallait donc mettre sur papier les valeurs de la Transition telles que nous les partagions.

Cette Charte reprend donc 8 valeurs que nous avons déclinées en principes d’action. Ces principes étant eux-mêmes déclinés en critères quantifiables par les acteurs eux-mêmes. Cette articulation nous permet d’accueillir tous les acteurs, sans condition préalable, “de là où ils sont”, en les motivant à entrer dans une trajectoire de transition dont ils sont eux-mêmes les pilotes et qui sera évaluée par leur pairs, entre autres lors de l’AG.

Exemples, les pourcentages sont laissés à la discrétion des acteurs (membre ET ses pairs) : un épicier peut proposer de passer de 0 à 10% de produits bio en 1 an ; un pompiste, de 0 à 5% d’énergie verte en vendant du bois de chauffe ; un restaurateur, de 10 à 50% de produits locaux…

Pour aborder le chantier de la monnaie, nous avons rejoints le réseau Financité dont nous somme devenu un Groupe Local.

Design de la monnaie

Objectifs

Premier travail sur la monnaie : explorer, comprendre, définir le profil de notre monnaie. En effet, et nous le découvrons au fil de nos réflexions et de nos rencontres avec Financité, derrière une monnaie, il y a une intention[Bernard Liétard, co-designer de l’Euro, dit dans une interview sur RT lors de la crise grecque qu’entre le contexte de design et celui de sortie de l’Euro, une chose avait radicalement changé : ce sont les banques privées qui se mettent à créer de la monnaie (et plus les banques centrales). Ndlr : Le design de lEuro se trouvait dès lors inadapté au contexte dans lequel il est sorti. [Video sur Youtube. Passage à 0:40’. Consultée le 17/12/2015. Transcription (en anglais) sur le site RT]] (ce qui nous rapproche du concept anglophone design). Et il est clair qu’à y mettre une intention, ça ne serait pas celle de recréer les conditions de la financiarisation de l’économie ou de la concentration du capital.

En partant du cadre de la Charte, en comparant ceux des différentes monnaies belges et des informations regroupées par Financité dans le (alors futur) Guide pratique des monnaies complémentaires[Sur le site de [Financité]], nous avons décidé des objectifs de notre monnaie :

  • Faire travailler largent localement en évitant la fuite des richesses
    Notre monnaie dynamise les échanges économiques et augmente la richesse locale. Elle valorise les savoirs faire des acteurs locaux. En circulant localement, elle réinjecte les plusvalues réalisées au bénéfice de la collectivité et donc la soutient.
  • Encourager la solidarité économique
    Notre monnaie développe une solidarité entre les acteurs (acheteurs, producteurs, distributeurs…) et permet dinclure des activités trouvant difficilement leur place dans léconomie de lEuro/économie de marché/économie classique[[Nous n’avons pas pu trancher entre les 3 formules :)]].
  • Lutter contre la spéculation en monnaie et en marchandise
    Notre monnaie, par sa conception, protège une quantité dEuros de la spéculation et incite à pratiquer des prix équitables.
  • Valoriser les richesses locales immatérielles
    Notre monnaie promeut aussi les activités qui ne sont pas prises en compte par léconomie marchande (conservation et promotion de la culture, sauvegarde de lenvironnement et utilisation durable des ressources, bonne gouvernance responsable)
  • Promouvoir et communiquer les valeurs de la Charte de GetiT
    Notre monnaie repose sur la Charte de GeTiT comme cadre éthique cohérent, social et solidaire.

A lire, cela parait anodin, voire convenu. Pourtant, ce fut loin d’être évident. Chaque mot a été pesé, évalué en regard des conséquences possibles… Même si nous avions l’expérience de la Charte, ce travail théorique est harassant pour le collectif. Maintenir son énergie et sa concentration sur ces questions a été un vrai challenge.

Mécanismes

L’étape suivante a été de réfléchir aux mécanismes de notre monnaie. Afin de comprendre les implications des différents choix, nous avons créé un calculateur[[Version modifiable]]. En effet, difficile en discutant autour d’une table, d’évaluer l’impact de tel ou tel incitant en regard de la gestion complémentaire qu’il suppose.

Nous avons épluché tous les cas de figures (incitants, rédimmage, fonte, parité avec la monnaie principale…) pour in fine choisir le modèle le plus simple,

  • incitant à l’entrée : non (ou à l’initiative du prestataire),
  • fonte : non,
  • rédimmage (taxe à la sortie) : non,
  • commission de comptoir : non,
  • parité à l’Euro : oui,
  • couverture en Euro : 100% jusqu’à l’AG[[Voir 3e partie, Jeu sur le taux de couverture]],

modèle qui allège toute la gestion, la communication, les explications… ce qui rejoint entre-autres une des conditions dimplémentation de notre monnaie : limiter les dépenses dénergie inutiles afin de ne pas essouffler l’équipe.

Conditions d’implémentation

Cette simplicité va nous aider aussi pour instaurer la confiance chez les prestataires (pour la TVA, la fiscalité les BLÉS sont comptés comme des Euros), la transparence puisque la “valeur” de la monnaie est connue de tous instantanément (= à l’euro) et que la gouvernance est ouverte à tous.

Parmi les autres conditions, l’inclusivité totale, c’est à dire, à zéro condition si ce n’est celle du périmètre géographique, facilite grandement les interactions. Il est clair que, de notre initiative, nous contactons plutôt les prestataires identifiés comme ceux dont la trajectoire de transition sera la plus évidente.

Gouvernance

Pour participer à la gouvernance, l’usager ou le prestataire doit se faire membre de l’ASBL Les BLÉS. Mais il ne faut pas être membre pour utiliser les BLÉS.

Devenir membre permet de d’influer sur lévolution de la monnaie. Les cotisations sont symboliques. Par contre, le signataire s’engage dans une trajectoire de transition balisée par la Charte de GeT’iT. Cette obligation est “contraignante”, c’est à dire que le membre en “défaut de trajectoire” perd sa qualité de membre.

Les membres sont réunis en 3 collèges : le Collège des Garants, le Collège des Prestataires et le Collège des Usagers. Les décisions sont prises à l’unanimité avec un système de majorité au sein de chaque collège en cas de blocage. L’ASBL GeT’iT fait partie des fondateurs (tout comme Financité).

C’est aussi l’ASBL Les BLÉS qui a les pleins pouvoirs quant à l’affectation du fonds de garantie. C’est la carotte pour la Transition :-)[[Voir 3e partie, Effet économiques potentiels]]

Financement

Nous lançons un financement collaboratif[Sur le site de [KissKissBankBank]] de la monnaie qui malheureusement échoue. Heureusement une partie des dons nous sera versée directement et couvrira les quelques frais engagés.

Identité

Une fois définis les objectifs, les mécanismes, les conditions d’implémentation, la gouvernance, il fallait encore lui trouver un nom… Après une enquête-sondage sur le site de GeT[[Qui n’a pas déchaîné les foules : 8 réponses en plus de l’équipe !]], nous l’avons baptisée les “BLÉS” pour Bon Local pour l’Économie Solidaire. Le nom n’a pas fait directement l’unanimité – notamment du fait des expressions paradoxales qui viennent à l’esprit[[Par ex. “Et toi, t’as du BLÉS ?” Ce qui, du point de vue de notre angle “économie sociale et solidaire”, et dans une commune comme Grez-Doiceau – l’une des dix communes où le revenu moyen est le plus élevé en Wallonie, peut être ambigu. Nous avons décider de jouer consciemment de cette ambiguïté pour rassembler.]], ça a plutôt été un choix par défaut. Mais très vite, on se rend compte qu’il passe bien, qu’il est immédiatement mémorisé. La conception graphique des billets reprend le cycle du blé : le grain (1B), le blé vert (5B), le blé mûr (10B), le grain que l’on passe à la génération suivante (20B).

Gestion

Pour respecter notre volonté de transparence, nous mettons en place un Google Sheet avec l’état des comptes en BLÉS et en euros, qui sera régulièrement mis à jour. Le visiteur pourra voir également le taux de couverture des BLÉS.

Les échanges concrets seront notés dans les comptoirs sur des feuilles adhoc et retranscrites dans le fichier en ligne.

Impression des billets

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Moment clef et symbolique pour le collectif[[Vidéo sur le site des BLÉS

]], la découverte que la matérialité de la monnaie lui confère une sorte d’un coup une “autorité”, elle est là et dès qu’elle circulera, elle aura une valeur ! C’est dingue les conventions accumulées autour de ce bout de papier qui vaut concrètement 2.000 fois moins que sa valeur faciale. Dans cette petite boîte en carton, sur la table de réunion, la veille du lancement, il y a 52.000 BLÉS qui, un jour, feront 52.000 euros dans le fonds de garantie.

Du coup se posent des problèmes que nous n’avions pas anticipés : la sécurité du stockage des billets qui ne sont pas encore dans le circuit. Heureusement, on trouve rapidement des coffres dans lesquels on répartit les billets.

Prospection des prestataires

Avant le lancement, nous organisons une soirée d’information pour les prestataires (et le public) “Par ici la monnaie” avec le soutien de Financité. La salle est comble, le débat nourri, nous sentons que le potentiel est réel.

Avec Financité, nous organisons une soirée “à la rencontre des prestataires” pour l’équipe avec l’idée de se driller à répondre aux questions, à dérouler notre argumentaire…

Nous mettons en place une signalétique et du matériel pédagogique.

Après, par binôme, nous démarrons une vague de visites de prospection… et surprise, nous sommes très bien reçus. Les commerçants nous accueillent très positivement. Il faut dire que l’association des commerçants est un échec et que beaucoup voient cette monnaie comme une opportunité. Sur le site, un formulaire permet aux prestataires de s’inscrire. Très rapidement, nous atteignons la trentaine de prestataires[[40 prestataires fin 2015]].

Lancement de la monnaie

Petite visite diplomatique

C’est toujours un moment particulier, pour un groupe de citoyens, de rencontrer un élu d’autant que notre groupe de Transition observe généralement une distance courtoise, non pas par dédain, plutôt pour rester “libres”. Dans le cas de la monnaie, l’ampleur du projet nous semblait imposer d’informer la bourgmestre, surtout que les journalistes annonçaient la publication imminente de leurs articles. L’accueil fut cordial, elle nous informa d’emblée que la commune n’accepterait pas les BLÉS en paiement (ce que nous n’imaginions pas même dans nos rêves les plus fous). Ce fut l’occasion de l’informer que le maire de Bristol (UK) recevait son salaire en monnaie locale (idem).

Elle nous souhaita bonne chance.

Jour J

Nous avons programmé le lancement officiel fin avril, lors de la Fête de la Saint Georges, la grande fête communale, afin d’être au cœur de la commune, des habitants, dans un moment de fête collective. Le stand annuel de GeT est dédié à la monnaie : une camionnette déguisée en “transporteur de fond[[Orthographe normale pour une monnaie qui a du sens !]]” – girophare allumé, un petit comptoir, des jeux pour attirer les passants…

Les autres stands de l’espace “terroir” acceptent d’utiliser les BLÉS durant l’événement.

Plus ou moins 400 BLÉS circuleront dès ce jour-là.

Suite, partie 2

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