Depuis quelques années, la figure du zombie effectue un retour et a ré-envahi tous les terrains de divertissements sous une forme plus effrayante que jamais. Si la culture populaire nous parle du monde dans lequel nous vivons, les récits de zombies nous en dépeignent une vision angoissante, aux frontières de la catastrophe globale, où les individus, incapables de faire face de façon organisée aux menaces, deviennent eux-mêmes la première source de danger. Et si les films de zombies visaient à nous avertir du monde qui nous attend si nous ne le reprenons pas en main ? Petit tour d’un genre ancestral qui n’en finit pas de renaître.

Les zombies, c’est de l’éducation populaire

Bien qu’ils soient souvent – et légitimement – soumis à la critique, les films « grands publics » et autres blockbusters, au delà des budgets monstres et des scenarii souvent fades, reflètent quelque chose de nos sociétés.

Or, les récits de fin du monde ont toujours existé. On trouve déjà au VIème siècle avant Jésus Christ[[Puisque nous parlons de Jésus Christ, nous faisons ici une légère digression : il faut savoir que nous n’avons pas trouvé trace de lui dans la filmographie « zombie » mais qu’il existe un film s’intitulant « Jésus Christ Vampire Hunter » (2001), que nous n’avons pas vu – et que nous ne verrons sans doute pas. Deuxième remarque : dans l’évangile selon St Jean, chapitre 11, Jésus « ressuscite » son ami Lazare de Béthanie, mort depuis 3 jours. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse ici de mort-vivant ou de zombie au sens où nous l’entendons (et que nous définirons plus loin).

]] des écrits de ce type. Le plus célèbre dans le monde occidental étant « l’apocalypse de Jean »[[Ne pas confondre avec Jean, l’apôtre de Jésus.

]]. « Apocalypse », qui signifie « dévoilement » en grec, recouvre en fait un récit en trois étapes et non pas uniquement une destruction globale du monde. Il s’agit des phases de l’annonce, de la destruction et enfin de la rédemption. S’il y est question d’un monde soumis à la destruction, l’espoir y est pourtant toujours très présent. Et, tant les récits anciens d’apocalypse que les films catastrophes des XXème et XXIème siècles racontent ce fragile équilibre: tout est détruit mais tout peut être reconstruit.

Cet équilibre est l’origine d’un choix absolument politique. Choisir entre une confortable résignation ou un comportement plus volontariste est signe du regard porté par plusieurs artistes sur nos réalités contemporaines. Cette seconde posture rappelle furieusement l’urgence des premiers militants écologistes décidant de créer des partis politiques, d’agir ; les solutions aux problématiques sociales, environnementales et économiques étant, pour eux, avant tout politiques. C’est ainsi que de nombreux films décrivant la fin du monde ont des dimensions clairement liées aux constats opérés par les tenants de l’écologique politique.

Donnons en rapidement quelques exemples :

 Le nucléaire est un danger imminent et sur le long terme. L’après Hiroshima, c’est l’histoire de deux blocs nucléaires qui peuvent détruire en quelques secondes l’ensemble du monde. L’équilibre de la terreur postule l’éventualité d’un conflit cataclysmique, et de manière tout à fait paradoxale, en pose les conditions pour l’éloigner. (« The war game », « Watchmen »…).

 Notre planète agonise, peut-être déjà au-delà de tout salut. Les nouvelles angoisses qui apparaissent dans la culture populaire sont d’ailleurs généralement de type « environnementales»[[ « The day after tomorrow »  par exemple, dans lequel New-York est recouvert par les flots, puis recouvert de neige.

]], ou sanitaires, biotechnologiques… Le monde, auquel les progrès de la vaccination, l’apport des antibiotiques, etc. avait un temps cru en un futur débarrassé de maladies infectieuses, d’épidémies grave, n’est en fait pas à l’abri de catastrophes de ce type. L’OMS a d’ailleurs rappelé que la menace était constante (Ebola, coronavirus, sras, h1n1…)[[A l’heure de rédiger ces lignes, le virus Ebola ravage d’ailleurs certaines régions d’Afrique…

]].

Notons enfin que l’on retrouve régulièrement dans ces histoires de fin du monde des figures du militant écologiste, à savoir soit le caricatural hippie environnementaliste, soit l’expert qui, connaissant la menace avant tout le monde, tente de faire prendre conscience du danger et de faire entendre « une vérité qui dérange ». On pourrait dire que, comme dans la réalité, les autorités ont toujours beaucoup de mal à prendre au sérieux les prévisions alarmistes. La lenteur de la décision politique[[L’écologie a fait le choix résolu de s’attaquer aux défis immenses que posent la destruction de la planète – même si elle n’est pas aussi soudaine, rapide et brusque qu’un tsunami, une attaque extra terrestre ou autre monstre… Au contraire, les partis verts s’inscrivent dans le processus démocratique. Ce processus qui semble d’ailleurs la moins efficace dans les films – sûrement pour des raisons scénaristiques et dramatiques – pour stopper cette catastrophe et renverser le sens de l’histoire.

]] rend d’autant plus tendue l’histoire et son dénouement.

Histoire du zombie et contexte politique

Dans ce contexte de récits d’apocalypse, le zombie occupe aujourd’hui une place de choix. Films, bandes dessinées, jeux vidéos, dessins animés…, le zombie est actuellement une figure incontournable du genre qui à envahi tous les terrains du divertissement. Malgré cette omniprésence, sa définition reste complexe. Il existe, à peu de choses près, autant de sortes de zombies que de récits qui en parlent. Si l’on veut le définir, il est difficile d’éviter le piège tautologique: le zombie est un mort-vivant. Cette difficulté à en établir le contour est un élément déterminant : derrière le terme « zombie » se cachent des réalités très diverses et qui ont mué en même temps que le contexte politique, social et culturel dans lequel ils évoluaient.[[Historiquement, le terme « zombie » se réfère à la culture africaine puis haïtienne. En Afrique de l’ouest, « Ndzumbi » signifie cadavre, « Nzambi » esprit d’un mort, « Nsumbi » diable, « Zumbi » fétiche, revenant. A Haïti, « Zombi » a plusieurs significations, mais principalement celle de divinité, de chef, d’esprit, de mort vivant. In « Zombies ! » de Julien Bétan et Raphaëlm Colson, Moutons électriques éditeur.

]]

Dans les récits contemporains, le zombie est très hétéroclite : il peut s’agir d’une personne qui a été « comme morte », ou qui est revenue du monde des morts, ou de l’enfer… Il peut se déplacer lentement en clopinant, rampante et en gémissant des borborygmes incompréhensibles, comme il peut être désormais aussi une personne infectée par un virus mystérieux rapide, hors de contrôle, hurlant des cris terrifiants.

Il y a donc une difficulté à définir ce monstre. De plus, rappelons que dans toute production artistique ou culturelle, il s’agit d’être vigilant et de ne pas tomber dans une lecture univoque. Nous allons d’ailleurs tenter de faire émerger quelques éléments qui reflètent, à un moment donné, des dynamiques politiques importantes des XXème et XXIème siècles.

Nous distinguons 3 périodes majeures : la période coloniale, celle de la guerre froide et enfin la période contemporaine.

1. Les noirs. Le blanc. L’esclave. Le maître.

Les premières figures des zombies telles que nous les entendons viennent d’Haïti. En 1928, William Seabrook écrit « L’île Magique », ouvrage racontant son enquête sur l’île où il est stupéfait de voir des personnes « zombifiés ». Il découvre également l’article 246 du « Code noir », qui régit alors les rapports entre esclaves et maîtres pendant la période coloniale française. Cet article dit ceci : « Sera aussi qualifié d’attentat meurtrier tout usage fait, contre les personnes, de substances, qui, sans amener la mort, déterminent un sommeil léthargique plus ou moins prolongé […] Et le fait d’enterrer la personne à qui de telles substances auront été administrées sera tenu pour meurtre, quel qu’en soit le résultat ». Tous les éléments nécessaires pour construire une histoire de zombie sont réunis. Hollywood n’a plus qu’à filmer.

Ce sera le cas dès 1932 avec « White Zombie » (de Victor Halperin). Un jeune couple américain débarque à Haïti pour se marier. Il est accueilli par un propriétaire de plantations. Celui-ci tombe amoureux de la future épouse. Il demande alors à un prêtre vaudou (blanc – nous y reviendrons) de la « zombifier ». Tout le monde la pense donc morte. L’ex futur-mari fuit Haïti par tristesse. Le plan a bien fonctionné. Sauf que l’ex-future mariée reste une enveloppe charnelle, séduisante, mais vide de toute humanité…

Par la suite, le pitch variera légèrement autour de ce fil rouge (par exemple, en 1943, avec « I walked with a zombie », de Jacques Tourneur) mais s’en tiendra principalement à ces éléments centraux : la distinction entre les blancs et les noirs, le lien flou entre la science et la magie, un rapport individuel entre un prêtre vaudou et sa victime et cette curiosité que l’on qualifiera d’exotico-coloniale très tendance de la fin du XIXème et du début du XXème siècle.

Le plus interpellant dans cette période est le rapport racial très marqué. Même si le vaudou est une magie noire d’hommes noirs, elle est pratiquée, dans les deux films cités, par l’homme blanc. A l’encontre des femmes blanches, mais principalement contre d’autres noirs. Comme s’il était hors de question qu’un noir puisse avoir une influence, du pouvoir sur un blanc.

Le contexte raciste et colonial de l’époque explique sans doute ce polissage hollywoodien. Il est intéressant de constater que cela peut être pris ou comme une manière de rappeler la suprématie blanche ou bien comme un triste constat du rapport de domination existant toujours à cette époque.

2. L’arrivée de la science. Et des savants fous. Et des nazis. Et des communistes.

En 1936, il n’est pas encore vraiment question de Guerre Froide. Pourtant « Revolt of the zombies » (de Victor Halperin également) est l’un des premiers films où il est question d’une ancienne magie cambodgienne permettant de contrôler mentalement les humains. Les soviétiques essayent de mettre la main sur ces pratiques pour monter une armée qui devra partir à la conquête du monde.

Dès le début de la seconde guerre mondiale, l’ennemi change rapidement de nationalité et d’idéologie. Que ce soit dans « King of the zombies » (1941, de Jean Yarbrough) ou dans « Revenge of the zombies » (1943, de Steve Sekely), des scientifiques fabriquent des armées de zombies pour le Führer, Adolf Hitler – le nouvel ennemi. La nouvelle angoisse porte des blouses blanches floquées de la croix gammée. Ils font appel à tous les moyens scientifiques en leur possession pour assurer le Reich de 1000 ans.

Le rapport dominant du prêtre vaudou à sa victime, « individu », est passé de mode ; les films montrent désormais la dangerosité de la science lorsqu’elle est pratiquée placée dans de mauvaises mains et, plus loin, dans le cadre de la guerre. Mais au-delà de la science et son utilisation néfaste, c’est aussi l’instrumentalisation politique des zombies qui est à souligner. On conserve une relation de domination du scientifique, « ex-gourou », sur son armée de zombies qu’il commande. Toutefois, désormais, le pouvoir se fait dans un objectif politique : la victoire de l’empire nazi ou soviétique.

En 1954, le comics « Corpses…coast to coast » raconte la grève des croque-morts aux USA. Cette grève provoque la création d’un syndicat des zombies (« United World Zombies ») dirigé par des zombies communistes. Ceux-ci déclenchent une guerre atomique pour s’emparer du pouvoir mondial… En 1955, « Creature with the atom brain » (de Edward Cahn) évoque des meurtres commis en Californie. Ils sont l’œuvre de zombies crées par un scientifique nazi et ce, grâce à l’énergie nucléaire. Dans « Teenage zombies » (Jerry Warren), en 1959, se fomente un complot anti-USA. Le projet est de contaminer l’eau via un agent chimique devant transformer les yankees en esclaves zombies.

Ces quelques exemples montrent le passage de l’emprise vaudou vers la cause scientifique, et, c’est important, vers la politisation du zombie. Avec la montée de la menace rouge, les aspects scientifiques remplacent en fait le vaudou, le religieux mais sans pour autant nier une volonté extérieure, supérieure au zombie lui-même.

Après la guerre et les bombes sur Hiroshima et Nagasaki, l’atome est de plus en plus présent dans les différents récits et, très vite, est perçu comme facteur pouvant créer des zombies. Il y a donc une lecture très négative des conséquences de cette « nouvelle technologie ».

3. La fin des valeurs. Le début de l’individualisme.

Un ovni précurseur : 1959 : Les schtroumpfs noirs de Peyo. Débarqué bien avant les récits de zombie les plus marquants de l’après guerre (avec Romero, notamment), il est à souligner à quel point les schtroumpfs noirs de Peyo contient absolument toutes les caractéristiques d’un récit contemporain de zombies. Nous passerons outre l’analyse symbolique du village des schtroumpfs et de son fonctionnement en tant que tels, et qui mériteraient un article à eux seuls, pour souligner que l’infection, la morsure, la volonté de contamination et de destruction comme seul moteur, la menace du collectif et la difficulté pour une organisation sociale de faire face à cette invasion virale font des schtroumpfs noirs l’un des premiers récits contemporain de zombie, soit une dizaine d’années avant que le cinéma hollywoodien ne s’empare réellement de cette recette contemporaine du phénomène.

En 1968, en pleine période trouble aux USA (Vietnam, droits civiques et assassinat de Martin Luther King, notamment) sort « Night of the living dead » de George Romero. Film culte et premier récit hollywoodien de zombie, il va qui marquer un tournant définitif dans les histoires de morts-vivants.

Les morts y revivent (sans qu’aucune explication ne soit réellement donnée ou trouvée). Poursuivies par ces morts vivants, plusieurs personnes se retrouvent dans une maison, où se joue l’essentiel du film, véritable huis-clos angoissant qui révèle les facettes les plus obscures des individus survivants et cloîtrés. Ce huis-clos a justement cette particularité de faire tomber la dichotomie entre les « méchants » zombies et les « gentils » survivants. Ici, c’est toute l’inhumanité des survivants qui se dévoile et qui pose la question de savoir de quel côté se trouvent finalement les vrais monstres.

L’autre fait marquant est que le héros principal est noir. Les conflits qui vont l’opposer au père de famille, blanc, raciste, buté, individualiste sont évidemment centraux dans le contexte de la question raciale aux États-Unis.

Dix ans plus tard, le même Romero sortira « Dawn of the dead », dans lequel on se retrouve dès le début en plein milieu d’une épidémie de morts-vivants. Quatre personnes (dont un noir, à nouveau) décident de fuir en hélicoptère et se retranchent dans un centre commercial.

Si cette idée leur paraît bonne au départ (car dans ce contexte de survie, ils y trouvent de la nourriture, des fournitures, de nombreux endroits où se retrancher) ils vont se rendre compte rapidement que de plus en plus de zombies se dirigent vers le Mall. L’un des héros dira que «les zombies vont là où ils ont l’habitude d’aller… ».

Le récit de zombie prend peu à peu la forme d’une contestation politique de la société de consommation : nous sommes devenus des consommateurs, tellement habitués et désireux d’avoir des complexes commerciaux gigantesques, que nous nous y rendons, dénués de raison, sans réfléchir, sans conscience, sans plus aucun sens à nos actes et gestes, instinctivement. Voir des hordes de zombies déambuler dans ces magasins est une image très parlante.

Les années 80 vont voir la figure du zombie se développer à grande vitesse dans la culture populaire : par le clip « Thriller » de Michaël Jackson, on les voit danser… En 1985, dans « Day of the dead » (toujours de Romero), en 1988 avec « Return of the living dead », de Dan O’Bannon, etc.

Le zombie se popularise tellement qu’il devient peu à peu une figure quasi comique de films d’horreurs ou gore. Dans les années 90, il va progressivement se faire plus rare ou exclusivement comme acteur clownesque du récit.

Si c’est avant tout par l’essor des jeux vidéos qu’il va revenir – plus sombre et plus dangereux que jamais (e.a. dans Resident Evil (1996) puis Silent Hill (1999)), c’est au cinéma, dans « 28 days laters » (2002) que le zombie revient de façon fracassante comme figure d’épouvante.

Dans ce film de Dany Boyle (qui s’était distingué auparavant avec « Trainspotting », et qui n’était donc pas un obscur réalisateur « de genre » mais bien un réalisateur en vue), des militants de la cause animale libèrent des singes infectés par un virus. La population de Londres puis de toute l’Angleterre est infectée et dévastée.

Dans la foulée, suivent toute une série de films sombres où le zombie prend sa forme du « XXIème siècle » : là ou il était lent et écervelé, ressuscité d’entre les morts et sans intention propre, il devient généralement « infecté », rapide, assoiffé de chair, individualiste même s’il peut se regrouper en effrayantes hordes, comme par exemple dans « I am legend », en 2007, de Francis Lawrence[[Si le livre original de Richard Matheson paru en 1954 parlait plutôt de vampires, le film avec Will Smith a pour sujet une sorte de croisement entre vampires (ils sont brûlés par la lumière) et des zombies (ils sont infectés par un virus). Mais ce sont surtout des êtres qui s’adaptent.

]].

En 2007, sort « 28 weeks later », la suite de « 28 days later », réalisé cette fois par Juan Carlos Fresnadillo. Bien moins bon que le premier opus, selon la critique, il reste un récit intéressant dans le développement de la figure du zombie contemporain mais surtout pose un éclairage très cru et très pessimiste sur les relations entre les humains survivants.

En 2013, sort enfin le critiquable « World war Z » de Marc Forster. En effet, soi-disant tiré de l’excellent livre du même nom et écrit par Max Brooks[[Si vous devez lire un seul livre de zombies, nous vous conseillons celui-là.

]], le film adopte un regard quasi macro puisque le héros, confronté à une épidémie mondiale voyage de pays en pays pour comprendre mieux le phénomène. Cette histoire a la particularité de sortir d’un cadre strictement local pour montrer comment l’humanité entière tente de faire face à une épidémie mondiale. Entre ouvrage géopolitique d’anticipation et descriptions serrées de personnages incarnant les bons et moins bons côté de l’humanité, World War Z, à tout le moins dans sa version romanesque, est un des récits de zombies les plus aboutis au niveau de l’analyse (fictive) du zombie et des conséquences sociétales d’une telle catastrophe.

Bien qu’ils se distinguent tous au niveau scénaristiques, ces films expriment en commun un monde désenchanté, un zombie « auto-suffisant » qui ne s’inscrit plus dans un grand dessein supérieur. Les mondes dans lesquels ces récits prennent place sont post-cataclysmiques. L’être humain y survit, mais sans plus aucune règle collective, sans plus aucune autre valeur que sa seule survie en tant qu’individu, dans la nostalgie d’un monde passé, replié sur soi, où toute forme d’existence est synonyme de danger et ce -c’est important- autant à cause des zombies que des autres survivants. La collectivité n’est plus, c’est l’anarchie : ce sont des films de survie.

Les films de zombies ont donc, depuis leur apparition au début du XXème siècle, évolué en parallèle avec la société, ses démons, ses croyances, ses superstitions. Le zombie fut religieux, puis scientifique, jusqu’à devenir infecté. S’il reprend aujourd’hui une place centrale dans de nombreux récits, c’est plus sombre et plus obscur que jamais, dépeignant un monde chaotique, dépourvu de valeur, de collectif, et où il met en avant au moins autant sa propre dangerosité que celle de la survie en terrain hostile en compagnie des autres humains survivants.

Le zombie est désormais est une figure de désordre complet[[Contrairement au fantôme, par exemple, qui est plutôt « figure de déséquilibre » : il n’a pas rejoint le monde des morts car il a encore une mission à accomplir sur terre.

]], d’apocalypse, de destruction totale. Le zombie est désormais un infecté. La cause de son existence est devenue « naturelle » ou scientifique, c’est-à-dire d’origine humaine, et non plus fantastique ou magique. Elle est réelle, biotechnologique, rationnelle. Le zombie est un être dépossédé de lui même, soumis à des forces inconnues et néfastes dans ce qui reste de son propre corps et de son cerveau. Les récits de zombies questionnent la condition humaine. Il est à la fois l’humain et sa négation, peut-être même est-il l’humain que nous sommes aujourd’hui, en chemin vers l’inhumain. (et par un effet miroir nous renvois autant l’image de l’inhumanité en devenir que celle de ceux qui tentent vainement de résister à ce changement ?)

Le zombie est un être politique

Le zombie, dans ses caractéristiques les plus basiques, décérébré, mu par ses instincts les plus bas, dépourvus de sens, où l’action se suffit à elle-même, fait spontanément penser au consommateur conditionné, privé de jugement, abruti par le confort (parallèle brillamment mis en scène dans « Damn of the dead », de Romero.

Ce n’est également sans doute pas un hasard si les zombies ont gagné en vitesse et en agressivité ces 30 dernières années, faisant un lien évident avec l’accélération de nos sociétés (rapidité de l’information, de la consommation, de la rencontre virtuelle). Dans les récits, cette rapidité est aussi l’un des facteurs qui empêchent plus que tout la réflexion : il n’est plus possible de s’arrêter, de se poser, de réfléchir… Pour le zombie comme pour le survivant, « le mouvement, c’est la vie ».

Conclusions

La figure du zombie existe depuis longtemps et réapparaît de façon cyclique, en évoluant en fonction du contexte sociétal. D’abord magique ou religieux, il est devenu le fruit d’une évolution scientifique déraisonnée : nucléaire, puis virale. Aujourd’hui, plus en forme que jamais, il est le fruit de la folie des hommes et le symbole d’un individualisme forcené avide de destruction et d’uniformisation. Incapables d’une réaction juste et proportionnée, les humains se font déborder d’autant plus vite que les structures collectives sont inadaptées à une telle menace et fragilisées par le développement rapide de celle-ci. Ne reste alors que quelques humains pour tenter de survivre dans ce monde qui s’est écroulé sur lui même à cause d’une crise par lui-même suscitée. Ces humains découvrirons qu’ils sont leurs propres pires ennemis et qu’il n’y a plus d’espoir dans ce monde qui a atteint le point de non retour.

Si les récits de zombies rencontrent un tel succès aujourd’hui, c’est aussi probablement qu’ils font écho à une crise mondiale, dans un contexte de menace d’écroulement des structures collectives et de crise des valeurs. Le récit de zombie devient dans ce sens aujourd’hui un récit d’anticipation effrayant, un worst-case scénario pour des générations dépourvues de repères.

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