Depuis que les jeunes manifestent chaque jeudi, la transition écologique est indubitablement devenue une question politique centrale. Le financement de la lutte contre les changements climatiques est au cœur de cette question centrale. Je voudrais ici mettre en débat l’une de mes réflexions à ce sujet.

A la suite de la crise financière mondiale de 2008, les principales Banques centrales du monde, dont la Banque centrale européenne (BCE), ont recouru à des mesures dites « non conventionnelles » reprises sous le vocable « d’assouplissement quantitatif » (quantitative easing). Il s’agissait principalement d’octroyer des prêts d’argent à long terme au secteur bancaire à des taux d’intérêts insignifiants, nuls ou même négatifs, d’une part, et de racheter sur les marchés financiers des obligations représentant les dettes publiques des Etats membres de la zone euro, d’autre part.

Ainsi, avec cette dernière mesure, selon ses données bilantaires de 2017, la BCE a racheté un peu plus de 2000 milliards d’euros de dette publique soit environ 20% du stock de dette publique de la zone euro ! La BCE a donc fait tourner la planche à billets et a injecté 2000 milliards d’euros dans les marchés financiers en rachetant des obligations des Etats de la zone.

La BCE, prudente et diplomate, a veillé à racheter des titres de dettes des différents pays dans des proportions équitables en fonction de la taille des économies sans, toutefois, publier le détail des données. Mes estimations, basées sur la clé de répartition du capital de la BCE entre ses membres, me font penser qu’il s’agit d’environ 490 milliards pour l’Allemagne, de 390 milliards d’euros pour la France et de 70 milliards pour la Belgique. Montants sur lesquels les pays de la zone continuent à verser des intérêts que l’on peut estimer à 20 à 30 milliards par an dont 5 milliards pour l’Allemagne, 4 milliards pour la France et 700 millions pour la Belgique.

Aujourd’hui, il est de bon ton de critiquer cet assouplissement quantitatif. Pourtant, il a permis d’éviter une récession économique sans précédent, d’éviter le défaut de paiement de certains pays et d’éviter l’éclatement de la zone euro. On a donc bien assisté à une victoire de la politique monétaire non conventionnelle face à la gravité de la situation créée par la crise du secteur financier ! Ce qui n’empêche pas d’être critique et de souligner que les cibles de croissance économique et d’inflation sont loin d’être atteintes et de constater que cette opération a aussi servi à sauver les banquiers et les marchés financiers et qu’elle profité aux marchés boursiers et immobiliers enrichissants encore plus ceux qui avaient déjà constitué des patrimoines.

Mais, l’essentiel n’est plus là, il n’est pas dans le passé mais dans le futur. A présent se pose la question de savoir ce que la BCE va faire de cet immense stock de dettes. Selon les théories monétaires conventionnelles, elle doit s’en débarrasser. La BCE n’a pas vocation à conserver ce stock de dettes. Et, on imagine bien son embarras. Comment remettre sur le marché financier 2000 milliards de dettes ? Au risque de déstabiliser l’économie et la finance qui sont toujours dans un état fragile ? Ce serait pure folie ! C’est pourquoi, la BCE a annoncé qu’elle réinvestirait les remboursements du principal dans les nouvelles dettes publiques émises. La BCE est donc condamnée à conserver ce paquet de dettes. Mais pour combien de temps ? Peut-elle le conserver indéfiniment ? Normalement, non, mais c’est pourtant ce que je propose !

La BCE étant un organisme public, cette dette publique des Etats qu’elle détient est une dette du secteur public sur lui-même. C’est comme si ma poche droite devait de l’argent à ma poche gauche… C’est sympathique mais c’est … stupide. Le simple bon sens voudrait qu’on annule cette dette. Mais, pour des raisons de comptabilisation de la monnaie émise, ce n’est ni possible, ni souhaitable. Aussi, je propose de convertir cette dette en dette perpétuelle à taux zéro. Que la BCE conserve définitivement cette dette sur ses livres et n’en perçoive plus jamais les intérêts ! Il s’agirait alors d’une dette inexigible.

Le premier avantage de la proposition serait que la charge des intérêts à payer par les Etats se réduirait considérablement. Moins 700 millions par an pour le Belgique ! Un allègement qui laisse rêveur au moment où les gouvernements cherchent à donner de l’air à leurs budgets. Voilà de nouvelles marges de manœuvre qui pourraient être utilisées pour financer l’indispensable transition écologique et solidaire.

Un second avantage, conforme à l’objectif initial de l’assouplissement quantitatif, serait que l’application de cette proposition permettrait d’augmenter la stabilité financière des économies européennes grâce à une importante masse monétaire permanente, stable et gratuite qui resterait indéfiniment en circulation. Pour prendre une image, c’est comme si, il y a quelques années, on avait découvert de l’or, qu’on en avait fait des pièces et qu’on les avait mises en circulation. Ces pièces ne seraient la dette personne et elles pourraient circuler librement et sans frais.

Troisième avantage, cette mesure permettrait de libérer la politique monétaire de son carcan. En effet, vu le stock de dettes des Etats, à l’heure actuelle, il est impossible aux Banques centrales d’augmenter leurs taux d’intérêts sous peine de mettre rapidement les Etats en cessation de paiement. La politique monétaire, censée être indépendante, est aujourd’hui contrainte par le stock existant de dettes. Annuler une partie de ce stock permettrait de libérer la politique monétaire. Ce qui permettrait à la Banque centrale d’être en meilleure position si une nouvelle crise survenait.

Quatrième avantage, la masse de liquidités en circulation, gratuite, pourrait aider le secteur bancaire à financer les indispensables investissements de la transition écologique en octroyant des crédits orientés vers l’efficacité énergétique, les économies d’énergie, l’amélioration des processus, etc.

Enfin, dernier avantage, cette proposition permettrait de souligner les bienfaits des actions de la BCE qui est l’institution européenne la mieux intégrée. Ce sont ses actions qui ont jugulé la crise de 2008. Dans un contexte de doute vis-à-vis de l’Europe, souligner cette réussite ne peut que redorer le blason de la BCE et celui de l’Union européenne pour laquelle nous allons voter dans quelques mois.

En conclusion, à l’heure actuelle, je ne vois pas un seul argument rationnel, économique ou financier pour s’opposer à cette proposition, je n’y vois que des avantages mais je voudrais la soumettre à la sagacité des lecteurs.

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