Arriver à la COP aurait pu être une fête. Ou, en tout cas, un moment d’espoir : voir plus de 170 pays se parler et entendre 170 chefs d’état se répéter dans l’expression de paroles profondes sur l’avenir de l’Humanité n’est quand même pas anodin sur notre petite planète terre. Voir le monde centrer à nouveau son attention sur le climat après le coma qui avait touché la planète entière à la suite du Sommet de Copenhague de 2009, lui aussi historique, avait quelque chose de réconfortant, voire d’encourageant.

Même si la COP a la capacité de créer une bulle qui ferait croire que le monde entier a les yeux tournés vers Paris et se soucie réellement du climat, trois semaines après les attentats, le lendemain de la victoire du FN aux régionales, il faut bien dire que l’enthousiasme est un peu ébranlé….

Le niveau 4 de la menace terroriste était, à la manifestation du climat Ostende dimanche dernier, traduit en niveau 4 de la menace climatique. Et aujourd’hui, on pourrait rajouter le niveau 4 du « défaire société », du « non vivre ensemble » qu’engendre la victoire du Front National. Si on se reportait quelques années auparavant, en 2008, c’était notre système financier mondial qui était au niveau 4 de l’auto-destruction…

On est là face aux quatre grandes menaces de notre début de siècle : terrorisme et situation au Moyen Orient qui n’en finit pas de se dégrader, crise climatique, vivre ensemble et système financier. Elles devraient nous confronter et nous interroger : sur les possibles liens de causalité communs, peut-être ; sur une complexité qui les caractérise assurément toutes ; sur sans aucun doute un même sentiment d’occasions ratées, de signaux non entendus.

C’est sur ce dernier point qu’il apparaît utile de se pencher, surtout pour le futur. Ces quatre problèmes ont tous été identifiés, à un moment ou un autre, comme des menaces contre notre bien-être par des observateurs à peine éclairés. Qu’il s’agisse du travail d’intégration et de « faire ensemble » des jeunes d’origine immigrée pour leur permettre d’être des citoyens à part entière sans souffrir de ce problème latent d’identité et d’exclusion sociale ; qu’il s’agisse d’avoir laissé une guerre civile se développer sans intervenir quand il était encore temps ; qu’il s’agisse de la place laissée dans les médias aux idées d’extrême droite, mais aussi leur appropriation par des partis de droite et l’incapacité de la gauche à entretenir l’espoir pour les classes populaires et à ne pas engager un vrai travail de cohésion sociale; qu’il s’agisse des signaux envoyés par la Communauté scientifique depuis assez longtemps sur le dérèglement du climat ; qu’il s’agisse enfin des dénonciations d’un système financier devenu fou et sans plus aucun lien avec la société réelle.

Évidemment, il est tentant de jouer au donneur de leçon fat qui, après coup, n’a aucun mérite d’affirmer « qu’il l’avait bien dit » . Bien sûr, il ne faut pas sous-estimer la complexité du réel et de son appréhension ; ni des résistances en tout genre qui pourraient empêcher les changements nécessaires, ni les exceptions qui peuvent confirmer les règles. Mais il est vrai que la science des systèmes nous apprend certains principes de base comme ceux d’action-réaction et que la réaction peut mettre du temps à se développer.. Et, en regardant ces différentes problématiques, on peut difficilement se départir du sentiment que les décideurs respectifs ont fait preuve d’aveuglement, de négligence coupable ou de manque de courage.

Pourquoi en a-t-il été ainsi ? La pression de l’émotion et le carcan de l’idéologie sont toutes deux des empêcheurs de penser le réel dans sa complexité et sa dynamique de changement permanente. Les contraintes politiques lient le destin d’hommes et de femmes aux prochaines élections jusqu’à en faire une obsession – et Dieu ou plutôt De Gaulle sait si cette présidentielle funestement ramenée à 5 ans est névrosante pour tous les politiques français – qui a tendance à les tétaniser et leur enlever le sens de l’État et du devoir. Puis il y a aussi notre pauvre statut d’être humain, faible quand il s’agit d’avoir du courage, limité quand il s’agit de saisir et d’affronter le réel dans toute sa complexité et incapable de se projeter à terme plus long.

L’exemple que l’Histoire nous procure, c’est évidemment l’accord de Munich de 38 entre les alliés et Hitler et Mussolini pour éviter une guerre en Tchécoslovaquie, qui s’avère très vite être un chèque en blanc pour le dictateur nazi. Accord qui vaut au Premier Ministre anglais Chamberlain, cette réplique sans appel du grand Chruchill : « Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre ». Trop souvent, on a l’impression que c’est le choix du déshonneur qui a été posé pour quand même avoir la guerre.

Dans le cas du changement climatique, au moins, il y a -malheureusement – bien peu d’incertitudes sur les conséquences d’une non-action, si ce n’est celles, fausses, distillées par les quelques climato-sceptiques encore en vie. L’argument de ne pas avoir pu anticiper les conséquences du réchauffement climatique ne vaut pas : les études du GIEC sont depuis un certain temps suffisamment étayées pour faire preuve d’un minimum de réalisme.

Dans le cas du climat, il s’agit bien de volontarisme d’un côté et de résistances au changement de l’autre. Et ne sous-estimons pas la tâche : qu’il s’agisse pour nos vieilles économies essoufflées de se décarboner et de payer la dette climatique, pour les pays émergents d’interrompre leur trajectoire de développement ou pour les pays pétroliers de se couper les sources de leur prospérité et de leur poids géo-politique, ce sont chaque fois des changements comme peu souvent l’Histoire les y a contraints.

Choisir entre le déshonneur d’encore repousser les efforts de changement à fournir pour préserver le confort de nos vies consuméristes et éviter ainsi tous remous sociaux et l’impopularité pour ceux qui s’attaqueraient au système d’un côté et, de l’autre entre, non la guerre, mais l’engagement vers le changement d’une économie décarbonée et d’une transition juste : nous verrons dans quatre jours ce que les négociateurs de la COP auront choisi…

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