Thérèse Snoy, administratrice d’étopia et directrice du réseau Eco-consommation, 16 février 2005

Introduction

Le résidentiel et le transport sont les secteurs dont les émissions sont en augmentation constante depuis 1990.

En France, + 14% pour le résidentiel et tertiaire, + 22 % pour le transport

En Wallonie, + 12 % pour le logement, + 26 % pour le transport, + 36 % pour le tertiaire…

« A un moment donné dans le futur, le monde prendra conscience du danger de la déplétion du pétrole et essayera de faire quelque chose. La question fondamentale est quand? »

Extrait du site «  Le loup derrière la porte »

La réussite de Kyoto 2 est d’autant plus difficile qu’on s’adresse au secteur de la consommation domestique et individuelle. Les changements à obtenir sont d’ordre culturel ; c’est pourquoi il est nécessaire de bien étudier l’état d’esprit des citoyens dans leur rôle de consommateur.

Dans ce bref exposé, je me propose de donner quelques aperçus d’études sur l’état d’esprit des consommateurs en 2005 en France et en Belgique ; ces aperçus nous donneront une idée des obstacles à surmonter pour modifier les comportements de consommation d’énergie dans nos sociétés.

Ensuite, je ferai quelques réflexions sur les conditions de succès d’une politique de la consommation « responsable ».

 

1. Où en est le consommateur en 2005 ?

Avis aux consommateurs: La schizophrénie nous guette. Les journalistes ont été les premiers touchés. Le matin, ils vous parlent de l’impérative croissance économique, le soir ils vous servent un documentaire sur le réchauffement climatique. Le marché des antidépresseurs se porte bien.

Extrait du message de « candide » (mail anonyme)

Les consommateurs sont –ils prêts pour un changement culturel ??

Une étude réalisée en France en 2004 par Universal Concord, filiale du groupe Mc Cann (Le Monde, 15 juillet 2004) évoque l’apparition des « alterconsommateurs », une catégorie qui représente 15 à 25 % des consommateurs, et qui se distinguent non pas par un refus de consommer mais par une certaine résistance à la consommation de masse. Ces gens veulent « reprendre le contrôle de leurs désirs », et sont dès lors plus exigeants et se dirigent vers des produits et des modes de consommer qu’ils veulent originaux. Dès lors ils arbitrent leurs achats en fonction d’une certaine éthique et du respect de l’environnement. On peut aussi mentionner les études de B.Cathelat ( Centre de communication avancée, France). Celui-ci parle de « l’hédonisme à temps partiel » ( interview à l’Express le 13/1/2000 ) : par ce terme, il désigne une partie de consommateurs qui ont une double attitude. Dans leur vie professionnelle ils sont très conformes et compétitifs, mais dans leur vie privée, on peut dire qu’ils n’entrent pas dans la logique du système et sont prêts à une certaine austérité et à une certaine résistance. Il y a chez eux une recherche de bien-être, qui n’est pas synonyme de matérialisme, mais ne s’accompagne pas d’une motivation citoyenne ni politique. B.Cathelat note une progression parallèle de l’optimisme individuel et du pessimisme collectif ; dès lors, le corps et la maison deviennent le domaine qu’on maîtrise encore, le dernier territoire.

Une récente étude de l’ULB pour les services fédéraux de la politique scientifique sur les «  critères et impulsions de changements vers une consommation durable »1 montre que  les comportements d’éco-consommation relèvent de motivations autres que civiques et que les gens ne veulent pas renoncer au confort. Il y a une réticence à la démarche volontariste, car elle est perçue comme injuste. Pourquoi moi et pas les autres ? Une demande de justice s’exprime : tout le monde doit être soumis à une même contrainte ! C’est pourquoi cette étude conclut à l’inefficacité des campagnes de sensibilisation isolées de mesures structurelles agissant sur les prix et les normes.

Les études menées par le CRIOC chaque année en Région wallonne2 relèvent que les consommateurs sont en grande majorité conscients du fait que l’environnement est un problème immédiat et urgent. Mais ces mêmes personnes interrogées estiment aussi qu’acheter ce qui leur plaît est un droit et refusent de payer des prix plus élevés pour les produits dits « écologiques ». Ces consommateurs estiment qu’ils font un effort dans leur comportement personnel ; le geste le plus souvent cité est le tri des déchets, mais les économies d’énergie apparaissent heureusement de plus en plus dans la liste des comportements cités.

Justement qu’en est-il dans le domaine de l’énergie ??  il y a tout d’abord encore une difficulté à percevoir les risques et à croire à la capacité d’action; (aspect non polluant du CO2, aspect planétaire du problème).

D’après un sondage en France de la Fondation nationale des sciences politiques en 2004, seulement 9 % de gens font le lien entre logement et l’effet de serre

Les observations d’Ecolife, responsable des opérations « écoteams » en Flandre leur font dire que les ménages ont de plus en plus connaissance des mesures à prendre, une volonté croissante de les prendre, mais le comportement ne change pas sur des thèmes comme l’énergie ;

Ecolife remarque aussi que les campagnes de sensibilisation en matière d’énergie sont récentes ; peu développées sur le plan « marketing » ( pas ciblées, pas de cadre théorique,); pas évaluées ( pas d’analyse des effets, pas de suivi );

On peut aussi s’étonner du fait que certaines prévisions très catastrophiques ( santé environnement, climat,…) ne provoquent pas de mouvements de panique, et si peu de changements de comportements. Mais c’est que l’on se cache ce que l’on ne veut pas voir ou ce qui demande un trop grand changement de vie. Mécanisme psychologique connu et partagé. Devant de tels problèmes à dimension planétaire, on a aussi un sentiment d’impuissance, le changement paraît hors de portée,… et on continue à faire comme son voisin.

« La peur ne donne pas toujours des ailes. Au contraire, souvent, elle paralyse ou alimente la politique de l’autruche. » ( B.Lechat ; dossier d’Etopia sur la modernisation écologique de la Wallonie).

Autre point de vue, celui d’Edgar Morin : «  il faudrait une montée soudaine et terrible de périls …pour constituer l’électrochoc nécessaire aux prises de conscience et de décision… » Edgar Morin ( STOP, L.de bertillat et Simon Retallack, ed Seuil, 2003)

Le catastrophisme est-il une bonne pédagogie ? Je pense plutôt que ce sont les solutions pratiques mises à la portée des gens, et à un prix accessible qui ont plus de chances d’être efficaces (Ex : le tri des déchets).

Enfin, n’oublions pas que la publicité, elle-même dépendante de ses « clients », continue à dominer largement le « marché » des messages reçus, et avec bien plus d’art et d’efficacité que les messages éco-civiques que nous pourrions diffuser ( publicité pour la voiture, mythologie du déplacement, modèle 4 façades,…). La limitation des messages de la pub pour les voitures sera-t-elle envisagée comme elle l’est pour le tabac ? Cela pourrait se justifier. Mais il me paraît plus essentiel d’agir sur le produit mis sur le marché que sur la pub qui en parle.

Donc, les limites de la sensibilisation sont évidentes !

Les facteurs pour un changement de comportement peuvent être résumés ainsi :

  • motivation externe et interne

  • information sur possibilités et alternatives disponibles ;

  • capacité financière et physique

  • créer nouvelles références culturelles : donc valeur d’exemple des personnalités politiques et publiques.

2. Clés pour une politique énergétique convaincante pour le consommateur

Une politique visant les objectifs de Kyoto dans le domaine domestique et des choix individuels ne peut être efficace que si elle allie différents outils et si elle les met en œuvre simultanément.

A. Les prix doivent révéler la rareté et intégrer le coût des pollutions

Le choix le plus écologique doit devenir le moins cher !

Pour cela la fiscalité doit favoriser les consommations qui génèrent peu d’émissions et pénaliser au contraire ce qui en génère beaucoup.

L’exemple le plus flagrant est l’avion.

Des primes et des incitants (défiscalisation,..) doivent soutenir le choix du consommateur.

  1. Investissements publics : les pouvoirs publics doivent d’abord donner l’exemple pour leurs propres bâtiments et modes de transport ; ensuite, ils ont le devoir d’investir pour créer des alternatives praticables directement : donc investissements dans les nouvelles technologies ; dans les économies d’énergie ; dans les transports ; Les programmes de rénovation des logements sociaux doivent comprendre des investissements dans l’isolation et toutes formes d’économies d’énergie ; le danger est de ne tenir compte que des frais de construction dans les cahiers des charges.

  1. Les normes : une réglementation contraignante n’est pas nécessairement mal vécue si elle est annoncée, progressive et justifiée par beaucoup d’information. Un bon exemple est la directive européenne sur l’habitat qui exige un certificat énergie (coefficient d’isolation) pour les bâtiments ; mise en œuvre progressive dans les Etats membres ; les normes en aménagement du territoire sont également indispensables (cesser la dispersion de l’habitat ! favoriser l’habitat mitoyen, les ensembles groupés, avec logements adaptables selon l’évolution des familles) ; Limitations de vitesse ; Imposition d’une efficacité énergétique minimum (pour voitures, et autres appareils…) ; Arrivera-t-on à un système de quotas d’émission dans des secteurs comme le transport : transport aérien ? transport de marchandises ?

  1. Expertise technique, produits et matériaux disponibles : la création de filières, garanties et certification des matériaux et des procédés, formation des corps de métier aux techniques et au fonctionnement des produits mis sur le marché sont vraiment indispensables. Exemple du LPG qu’aucun garagiste ne conseille, des chaudières à condensation que les chauffagistes ne savent pas placer !

  1. L’Education au développement durable : elle doit être généralisée y compris dans les écoles professionnelles, techniques et supérieures. La prise en compte du facteur « énergie » et des impacts environnementaux des différents secteurs d’activités économiques n’est pas encore intégrée partout dans l’enseignement, loin s’en faut. Certains secteurs de formation fonctionnent encore purement dans une logique financière, étrangère aux contraintes écologiques. Je pense surtout aux « business school » .

  1. L’Information et la sensibilisation du public : des sources d’ information concernant l’impact écologique des produits, équipements, combustibles,…indépendantes des intérêts commerciaux, doivent être financées par le pouvoir public; aujourd’hui, le secteur du mazout finance une étude « prouvant » que celui-ci est moins lourd en émissions de CO2 que le gaz. A supposer que ses résultats soient fondés, comment lui faire confiance ? Les éco-bilans des emballages de boissons se contredisent indéfiniment. Legouvernement n’a pas pris la peine d’expliquer au public la dernière hausse des écotaxes. Le consommateur est ballotté par les discours commerciaux et plus perdu que jamais. Sur base de ces informations crédibles, des relais d’information doivent assurer une vulgarisation des résultats et proposer des choix accessibles aux consommateurs. C’est le rôle d’une association comme le Réseau Eco-consommation. Le stade suivant est la sensibilisation : des campagnes de sensibilisation trouvent alors leur place et peuvent baser leur efficacité auprès des consommateurs sur leur crédibilité technique et sur la convergence des mesures prises par ailleurs par les macro-acteurs de la société.

Pour rêver un peu :

L’exemple du Vorarlberg en Autriche ( politique du logement) : créer un cercle vertueux !

www.energieinstitut.at

  • octroi de primes à l’habitat écome en fonction de critères liés aux matériaux utilisés

  • politique d’information systématique ( guide d’achats, centre de conseils, ..)

  • formation des corps de métier

  • campagne sur le concept d’habitat

  • crédits spéciaux des banques

  • tous les bâtiments publics doivent répondre aux exigences

  • clusters partenaires

1 Plan d’appui scientifique à une politique de développement durable ; ULB-IGEAT ; CRIOC ; CEE ; juillet 2004

2 L’éco-consommation en Wallonie ; 5 ans de perception de l’éco-consommation en Wallonie : 1999-2004, par le CRIOC

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