Et maintenant, que fait-on? Après plusieurs semaines de mobilisations de la jeunesse belge autour du climat, les débats commencent à s’ouvrir sur les actions à mettre en place. Toutefois, si une prise de conscience autour de la nécessité d’agir émerge, ce débat reste encore dominé par les tenants de l’utopie du passé, porteurs de dénis.
Le premier déni est celui qui fait reposer la transition sur… la croissance économique. C’est oublier que celle-ci est en baisse structurelle depuis 40 ans. C’est également refuser de voir que la croissance, à partir d’un certain seuil, n’amène plus de réduction des inégalités ni d’accroissement de prospérité. Des économistes comme l’anglais Tim Jackson l’ont à suffisance démontré. Sans parler de ses effets dévastateurs sur l’environnement, les autres espèces vivantes et le climat, forcément. Ce mythe de la croissance, trompeur, nous pousse donc dans la mauvaise direction.
Le second déni réside dans l’idée que la technologie va sauver le climat. Si la transition passera aussi par la technologie, parier uniquement sur les technologies du passé qui ont montré leurs limites ou sur d’hypothétiques technologies à venir est un leurre. La promotion du nucléaire en est l’exemple principal. De par l’accroissement de ses déchets – non traitables ! – et les difficultés croissantes d’extraction de l’uranium, sa ressource principale, cette énergie devient de plus en plus polluante. Certes, il faut rendre l’ensemble de nos technologies propres, compatibles avec les lois de la biosphère. Mais croire en elles comme sauveuse du climat, c’est continuer la fuite en avant. Plutôt que de s’attaquer aux causes et s’engager dans des réformes fondamentales, ces positionnements ne font en réalité que déplacer les problèmes.
Le troisième déni est de considérer la transition écologique comme non finançable. L’argument n’a d’autres buts que la démobilisation et repose sur un mensonge. Nombreux sont les rapports évaluant le coût de la transition pour nous maintenir sous les 2°C de réchauffement. La plupart tablent sur des investissements équivalent à 1 % du PIB, chaque année jusqu’à la fin du siècle. C’est loin d’être inaccessible : le coût de la crise de 2008 a représenté une perte en PIB bien supérieure au 1 % que nécessiterait cette transition. C’est ne rien faire et attendre qui augmenterait l’impact financier vers des niveaux démentiels à l’horizon 2050. À savoir : 20 % du PIB, comme l’avait calculé l’économiste Nicholas Stern.
Tentés par la caricature, préférant le “on a toujours fait comme ça” ou le “il faut faire plus de la même chose”, ces attitudes sont au fond méprisantes envers les citoyens porteurs d’innovations. Elle sont aussi profondément climato-sceptiques. La vraie transition n’est pas d’avoir des voitures vertes dans des embouteillages verts de villes vertes. Nous n’avons pas besoin d’un environnementalisme qui maintient les causes des crises actuelles. Nous avons besoin d’écologie. C’est-à-dire d’une capacité à penser de façon systémique. Et d’une capacité à définir démocratiquement un horizon vers lequel réorienter notre monde.
Car ses limites sont en voie d’être dépassées. Regardons en face notre “manière d’être au monde”. Le progrès social s’est développé sur l’idée d’abondance matérielle. Elle nous a apporté des bienfaits, mais nous sommes arrivés au bout de ce modèle. Les informations disponibles aujourd’hui sont éloquentes à ce sujet. Les taux de burn-out atteignent des sommets. La précarité augmente. Notre démocratie est enrayée à cause de l’impuissance de l’action politique. Et c’est jusqu’à la manière dont nous mangeons, consommons et produisons qui est à l’origine des dérèglements climatiques.
Pour arriver à transformer notre monde, nous devons d’abord sortir des peurs. L’écologie est un courant de pensée parmi les plus pragmatiques. Depuis près de 50 ans, ce sont des personnalités internationalement reconnues qui, dans tous les domaines, avertissent quant aux risques encourus et proposent systématiquement des solutions bénéficiant au plus grand nombre. Loin d’être des freins au développement, ces propositions réinventent notre prospérité.
Mais nous devons aussi, et c’est peut-être le plus important, sortir ces débats de la sphère des experts de la transition écologique. De quelle manière notre démocratie permet de nous engager dans cette voie ? Tout d’abord, l’élargir vers plus de participation et de démocratie directe, afin d’éviter qu’il ne reste que désillusions quant à la capacité du politique à agir. Ensuite, réinventer l’État et la redistribution, c’est-à-dire l’État-providence. S’atteler à un nouveau contrat social et écologique, vers le revenu de base notamment, est une chance à saisir. Voilà un nouvel horizon émancipateur, qui rassure et libère chacun. Au risque sinon que le choc climatique ne soit récupéré par les extrêmes, qui imposeront des modèles fondés sur le ressentiment et le populisme. Et où le rationnement deviendra la norme unique, parce que nous aurons trop attendu.
En septembre 1962, dans un discours resté célèbre, John Kennedy engagea la société américaine dans l’exploration spatiale. “We choose to go to the Moon !” : “Nous avons choisi d’aller sur la Lune au cours de cette décennie et d’accomplir d’autres choses encore, non pas parce que c’est facile, mais justement parce que c’est difficile. Parce que cet objectif servira à organiser et à offrir le meilleur de notre énergie et de notre savoir-faire, parce que c’est le défi que nous sommes prêts à relever, celui que nous refusons de remettre à plus tard, celui que nous avons la ferme intention de remporter”. Moins de dix ans plus tard, le défi était relevé : Neil Armstrong posait le pied sur la lune.
La transition écologique doit être notre objectif du XXIe siècle. Celui que nous ne voulons pas remettre à trop tard, celui qui nous permettra de révéler le meilleur de nous-mêmes, parce que nous pouvons le faire. Et parce qu’il représente un nouvel engagement pour l’humanité. “We choose to go to Earth !