Un manque de diversité dans la démocratie ?

Les 11, 12 et 13 avril ont eu lieu Les Rencontres des Nouveaux Mondes. Pendant ces trois jours, des jeunes de tous horizons se sont réunis pour échanger autour de la démocratie, une notion aussi vaste que complexe. L’objectif était de réaliser l’état des lieux de notre démocratie ; pointer ses forces et ses faiblesses ainsi que les pistes pour la transformer. Un des sujets abordés lors des échanges était celui de l’inclusivité dans la démocratie représentative. Un constat ressort : notre démocratie dite représentative ne l’est pas tellement. Regardons d’abord la représentation des femmes au sein des instances politiques. Les travaux de la docteure en sciences politiques Audrey Vandeleene portent sur ce sujet. Elle met en évidence le taux de présence inégal des femmes dans les parlements et gouvernements belges. En quelques chiffres[1], depuis 2024, le gouvernement flamand et la FWB comptent presque 65 % de femmes. Un pourcentage contrebalancé par ceux de la communauté germanophone et du gouvernement fédéral qui ne comptent que 25% de femmes et le gouvernement wallon 50%[2]. Après le scrutin d’octobre 2024, parmi les 280 bourgmestres élus à Bruxelles et en Wallonie, seules 62 sont des femmes, ce qui représente 20%[3]. Pour ce qui est des présidentes de parti, si Ecolo veille à la mixité au sein de sa co-présidence, les autres partis semblent plus frileux et les femmes sont rares à leur tête. Malgré le déséquilibre persistant, bien que variable, entre le nombre de femmes et d’hommes politiques, le nombre de femmes actives en politique a néanmoins augmenté à travers le temps. Par exemple, en 2014, le parlement européen ne comptait que 25% de femmes pour 40% à l’heure actuelle. Ce phénomène s’explique notamment par la mise en place de quotas[4]. Même si cela constitue une amélioration, des progrès restent possibles.

“Les jeunes souhaitent prendre part aux décisions sociétales et s’intéressent aux phénomènes de société qui les concernent”

Les femmes ne sont pas les seules à être sous représentées, il en va de même pour les jeunes et leurs préoccupations. Ceux-ci se sentent rarement entendus comme le démontrent ces chiffres publiés par Latitude Jeunes[5] : seulement 9% des jeunes en 2023 pensent que leur avis est entendu et pris en compte par les politiques et 64% pensent que les politiques ne tentent pas réellement d’améliorer les conditions de vie des citoyens. Les jeunes sont également perçus comme étant désintéressés par les questions politiques[6]. Mais ce stéréotype n’est pas totalement fidèle à la réalité. Selon une analyse[7] menée par  le Centre permanent pour la citoyenneté et la participation (CPCP), il est vrai qu’il y a une perte de confiance envers les hommes et femmes politiques qui entraîne une certaine prise de distance de la part des jeunes. Le Forum des jeunes (FDJ) rejoint ce constat dans son memorandum : « D’abord, ils font leur campagne, ils proposent plein de choses. Et puis une fois qu’ils sont au pouvoir, il n’y a rien qui est fait. Alors je veux bien c’est compliqué mais des fois en fait, c’est un peu de l’hypocrisie » (Témoignage de V. 16 ans recueilli par le FDJ)[8]. Mais la distance entre partis et jeunesse n’entraîne pas une désertion de la scène politique par les jeunes pour autant. En effet, toujours selon le CPCP, les jeunes souhaitent prendre part aux décisions sociétales et s’intéressent aux phénomènes de société qui les concernent. Et quand ils ne s’intéressent pas à la politique à proprement parler, ils trouvent d’autres formes d’implication. De nombreux jeunes préfèrent intégrer le milieu associatif, des ONG ou d’autres institutions en phase avec leurs valeurs et ces engagements ont une portée politique.

Mais, tous les jeunes ne sont pas égaux. En effet, si les jeunes se sentent oubliés, les jeunes issus de quartiers populaires se sentent eux totalement invisibilisés, comme en témoigne le rapport Injustice climat[9] réalisé par l’association française Ghett’up. Pourtant, en matière d’écologie notamment, ce sont eux les premiers touchés. Ghett’Up a lancé une grande enquête auprès de 1000 jeunes issus de quartiers populaires en France, dont en Seine-Saint-Denis, sur la question de l’écologie. Le rapport dresse le constat suivant : si les jeunes des quartiers populaires ont une faible empreinte écologique, ce sont eux qui subissent le plus d’effets indésirables. Nuisances sonores et lumineuses, pollutions, logements mal isolés, manque d’espaces verts, chaleurs extrêmes l’été, difficultés à se procurer une alimentation saine et équilibrée, les impacts négatifs sont nombreux. Pourtant, lorsque l’on parle de climat et d’écologie, ces jeunes sont rarement pris au sérieux ou conviés aux discussions, ce qui produit un sentiment d’exclusion de la scène démocratique.

Que faire face à ce constat ?

Nous l’avons évoqué précédemment : les femmes sont encore en infériorité numérique par rapport aux hommes dans plusieurs espaces politiques, les jeunes et les personnes issues de l’immigration sont aussi peu nombreux à être désignés à des postes politiques à responsabilité. Comment garantir alors que les intérêts de la population soient repris dans leur globalité par les politiques si peu de jeunes, de femmes ou de personnes issues de l’immigration sont présentes ? Comme le dit Audrey Vandeleene : « Il est en effet utile d’avoir des modèles auxquels se référer, des personnes qui peuvent inspirer les jeunes à suivre leurs traces[10] ». Si la politique ne se diversifie pas, ce sont de nombreux jeunes qui ne trouveront jamais de figures auxquelles s’associer. La question de la représentativité et de l’inclusivité dans notre système démocratique se pose alors.

“Redonner la main au peuple, c’est aussi le sensibiliser sur son pouvoir d’action et toucher un plus grand panel de personnes.”

Que faire face à ce constat ? Comment transformer notre démocratie afin de la rendre plus inclusive et efficace ? Transformer le modèle, explorer d’autres façons de procéder qui permettraient que les citoyens se sentent mieux entendus et reconnus. Dans l’ouvrage  Changer de régime politique ! Vers une démocratie plus directe[11], les auteurs proposent une transformation de la démocratie en passant à une démocratie directe, un modèle dans lequel les citoyens prennent les décisions sans devoir passer par l’intermédiaire d’un élu, et ce, par différents processus dont le référendum. Redonner la main au peuple, c’est aussi le sensibiliser sur son pouvoir d’action et toucher un plus grand panel de personnes. S’il s’agit d’une solution de refonte de la démocratie et d’optimisation de la participation, l’autre volet de notre thématique reste incertain ; la diversité et l’inclusivité ne sont pas pour autant garanties.

En matière d’inclusivité, Audrey Vandeleene propose une série de solutions pour tendre vers la diversité en politique. Pour ce faire, elle évoque les pistes d’amélioration possibles à chaque niveau du parcours d’un·e candidat·e, de son statut d’aspirant·e à celui d’élu·e. La première étape étant celle de la candidature, il serait utile d’encourager les aspirant·e·s potentiel·le·s ainsi que de présenter la diversité de l’action politique, de créer des rôles modèles et pour finir, de mettre en place une culture des partis qui soit plus ouverte. Agir de la sorte permettrait d’inciter un panel de personnes plus diversifié à se présenter. Ensuite, parmi le lot d’aspirant·e·s, il faut choisir ceux et celles qui seront candidat·e·s sur les listes, c’est ce qu’on appelle la phase de sélection. A cette étape, il faudrait rendre les mécanismes de décision transparents et prévoir des règles de représentation dans les organes de décision. De plus, le consensus pourrait être préféré au vote lors de la sélection des candidat·e·s, cette façon de procéder laisserait une place à la discussion et donnerait la possibilité de construire une liste plus équitable. Pour finir, l’élection est ce moment où le/la candidat·e devient une élue, et si plus de visibilité était donnée aux candidat·e·s issu·e·s de la diversité ainsi que de plus grandes responsabilités, les citoyen·nes percevraient plus de diversité.

Notons aussi que des mesures fortes devraient être prises contre le sexisme en politique dont sont encore victimes les femmes ainsi que contre le sexisme en ligne, s’ajoutant à d’autres formes de discriminations dans le cas de femmes issues des minorités. Ce phénomène est « un frein pour les femmes qui envisagent de se lancer en politique[12] » écrivent Clémence Deswert, Emilie Van Haute et Audrey Vandeleene. Les auteures mettent en évidence une série de mesures utiles comme la sensibilisation, le mentorat, des réseaux de soutien, l’accompagnement des victimes et un monitoring efficace.

En ce qui concerne les jeunes, le FDJ  a émis en 2018 un avis qui réclame une stratégie jeunesse. Cette stratégie constituerait une sorte de boîte à outils permettant à diverses institutions et à différents niveaux de pouvoir d’accompagner les jeunes dans leur engagement politique. Le FDJ affirme que la jeunesse n’est pas réticente à l’engagement mais qu’il faut être prêt à l’accompagner et à lui faire une place.

Il est également essentiel de donner une voix aux publics plus précaires et invisibilisés dans la sphère publique. Inspirons-nous de Féris Barkat, jeune français fondateur de l’association Banlieues Climat. Cette école du climat, gérée par des jeunes a pour objectif d’instruire les jeunes des banlieues françaises tout en s’écartant des schémas d’enseignement traditionnels et élitistes. Les jeunes intègrent l’école avec l’envie de se bouger, de passer de l’expression à l’action, et y retrouvent toutes les clés nécessaires pour s’informer et se faire entendre. Le public cible est avant tout constitué de jeunes issus de quartiers populaires, qui se sentent exclus des écoles classiques. Cet organisme permet donc de légitimer d’autres types  d’enseignement et de donner une voix à ceux qu’on  stigmatise, et qui se retrouvent passés sous silence.

Créer de nouveaux espaces d’expression ou transformer les espaces préexistants en les poussant à écouter davantage les jeunes sur les questions politiques et écologiques, c’est le souhait d’associations comme GhettUp et Banlieues climat qui portent la voix des jeunes des quartiers populaires. Par ailleurs, inciter les associations et les responsables politiques à associer une plus grande diversité de personnes aux décisions est un élément essentiel pour revitaliser la vie démocratique. Des organismes comme le Forum des Jeunes proposent également de façon régulière des avis, memorandums ou autre pistes pour ramener plus de diversité au sein de notre système démocratique. Nos décideurs seraient inspirés d’y prêter plus d’attention.

Chloé Liégeois, stagiaire Etopia et participante des RdNM 2025

 

 

 

Bibliographie

Atelier « Comment diversifier la vie politique », Audrey vandeleen, RDNM 2025

Conférence du 11 avril 2025 aux Rencontres des Nouveaux Mondes, de Sybille Gioe, Nawal

« Arif, Edi, Asmania et Bobby réclament justice », s. a., pour « Call for climate », consulté en ligne à l’adresse suivante : https://callforclimatejustice.org/fr/justice-climatique/

Vandeleen A.,  Storme E., Deswert, C., Wauters, B., Devroe, R., “candidate et candidat. Quand les inégalités de genre entravent les candidates aux élections. Etude relative au sexisme durant la période électorale de juin 2024 en Belgique », 2025, consulté en ligne à l’adresse suivante : http://hdl.handle.net/1854/LU-01JKXAY5WYKWQJJKMV9FPAT133

Reporterre, « ces jeunes des quartiers populaires ne se sentent pas représentés par le mouvement climat », 2024, consulté en ligne à l’adresse suivante : https://reporterre.net/Ces-jeunes-des-quartiers-populaires-ne-se-sentent-pas-representes-par-le-mouvement-climat

Peel, S., « jeunes et politique : éduquer pour s’engager », s. d. , consulté en ligne à l’adresse suivante : https://actus.ulb.be/fr/series/jeunes-et-politique -eduquer-pour-engager

Vandeleen, A., « La sélection des candidats aux élections par les partis politiques. L’exemple du scrutin du 25 mai 2014 », 2018, consulté en ligne à l’adresse suivante : https://shs.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2018-33-page-5

Banlieue climat, « Notre constat », s. d., consulté en ligne à l’adresse suivante : https://banlieues-climat.org/constat

Gett’up, « injustice climatique », 2024, consulté en ligne à l’adresse suivante : https://static1.squarespace.com/static/64ba7528704fd40269ad8eff/t/670d655efc50ce3fd98bebd0/1728931182369/Rapport+%28in%29justices+climatiques_final.pdf

Demertzis, V., Wathelet, B., Wernaers, C., “Présentation : une jeunesse dépolitisée, vraiment ? », 2021, consulté en ligne à l’adresse suivante : https://www.revuepolitique.be/presentation-une-jeunesse-depolitisee-vraiment/

CPCP, « l’engagement des jeunes en  politique », Analyse #176, 2013, consulté en ligne à l’adresse suivante : https://www.cpcp.be/wp-content/uploads/2013/04/engagement_jeunes.pdf

Forum des jeunes, « Avis officiel : plaidoyer pour une stratégie jeunesse en fédération Wallonie-bruxelles », Avis officiels et positions, s. d., consulté en ligne à l’adresse suivante : https://forumdesjeunes.be/avis-officiels-positions-cat/avis-officiel-plaidoyer-pour-une-strategie-jeunesse-en-federation-wallonie-bruxelles/

CRISP, « Démocratie directe », 2022, consulté en ligne à l’adresse suivante : https://www.vocabulairepolitique.be/democratie-directe/

https://www.europarl.europa.eu/workingpapers/femm/w10/4_fr.htm

DERENNE, C., PETIT, O., Changer de régime politique ! vers une démocratie plus directe, « Editions Etopia et Altura » (coll. Luc Pire), 2024

https://www.latitudejeunes.be/enquete-jeunes2023/

[1] Rapport sur l’évolution de la présence des femmes au sein des organes politiques législatifs et exécutifs suite aux différentes élections organisées en Belgique depuis 1994, par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, igvm-iefh

[2] Et en ce qui concerne les parlements, si on retrouve la parité aux parlements wallon et bruxellois, ce n’est pas le cas au sein des parlements flamand,  européen et de celui  de la communauté germanophone où on dénombre entre 40 et 45% de femmes.

[3] « A peine 20 % de la population ont une femme comme bourgmestre », par Julien Bialas, Xavier Counasse, Julien Thomas et Stéphane Vande Velde, dans Le Soir, 30/11/2024

[4] Il s’agit de mesures visant à réduire l’inégalité de la représentation des femmes par rapport aux hommes dans la vie politique. Leur objectif est donc d’accroître la participation des femmes à la vie politique. Ces quotas peuvent être imposés par une législation nationale ou bien par les partis politiques eux-mêmes. En Belgique, les élections de 1999 sont les premières à avoir vu l’application d’un quota (deux-tiers maximum de membres du même sexe) sur les listes électorales. La parité hommes-femmes sur les listes électorales a ensuite été appliquée. Lors des élections de 2019, le principe de la tirette (alternance homme-femme sur l’ensemble de chaque la liste) a pour la première fois été appliqué pour l’élection des membres du Parlement wallon puis lors des élections de 2024 au Parlement bruxellois. L’ensemble des gouvernements du pays doivent être mixtes. Depuis 2019, le gouvernement wallon doit être composé d’au moins un tiers d’hommes ou de femmes. C’est également le cas du gouvernement bruxellois et de celui de la Communauté française à partir des élections de 2024. Source : https://igvm-iefh.belgium.be/fr/themes/prise-de-decision-politique/application-legislations

[5] « Santé, climat, politique, avenir : le regarde des 18-25 ans en Belgique francophone (2023) » : https://www.latitudejeunes.be/enquete-jeunes2023/

[6] Demertzis, V., Wathelet, B., Wernaers, C., “Présentation : une jeunesse dépolitisée, vraiment ? », Revue Politique, 2021, consulté en ligne à l’adresse suivante : https://www.revuepolitique.be/presentation-une-jeunesse-depolitisee-vraiment/

[7] CPCP, « l’engagement des jeunes en  politique », Analyse #176, 2013, consulté en ligne à l’adresse suivante : https://www.cpcp.be/wp-content/uploads/2013/04/engagement_jeunes.pdf

[8] Memorandum 2023 du forum des jeunes disponible à l’adresse suivante: https://forumdesjeunes.be/wp-content/uploads/2023/12/memorandum-2023-digital.pdf

[9] Rapport disponible à l’adresse suivante : https://static1.squarespace.com/static/64ba7528704fd40269ad8eff/t/670d655efc50ce3fd98bebd0/1728931182369/Rapport+%28in%29justices+climatiques_final.pdf

[10]Citation issue de son intervention lors des Rencontres des Nouveaux Mondes le 12 avril 2025.

[11] DERENNE, C., PETIT, O., Changer de régime politique ! vers une démocratie plus directe, « Editions Etopia et Altura » (coll. Luc Pire), 2024

[12] Deswert C., Vandeleene A., Van Haute E., « En campagne électorale, les candidates toujours confrontées au sexisme. Étude du cas belge », The conversation, 6 mars 2025.

Share This