Déconstruire l’imposture du techno-solutionnisme
Réponse écologiste à “Climat: comment éviter un désastre” de Bill Gates”
Après plus de 30 ans de désinformation par l’industrie fossile pour occulter la réalité et les causes du dérèglement climatique, la « transition écologique » s’impose comme un impératif incontournable dans le débat public comme dans les sphères de pouvoir, et ce jusque dans les assemblées d’actionnaires des grands groupes pétroliers. Les acteurs qui furent parmi les derniers à prendre acte de la nécessité de sortir des énergies fossiles se bousculent pour être en première ligne de la transition, non-seulement pour se disputer des parts de marché dans les industries destinées à croître, mais plus fondamentalement, pour en définir l’imaginaire, le contenu, et les moyens techniques et politiques, selon leurs critères et leurs intérêts[1].
Ce revirement vaut pour les grands groupes pétroliers comme pour leurs partenaires technologiques : Microsoft, Amazon et Google, dont le rôle de fournisseur d’infrastructure informatique, certes moins connu, n’est pas moins décisif pour optimiser et accélérer la prospection et l’extraction des énergies fossiles grâce à l’intelligence artificielle et le « cloud computing ». Si ces partenariats sont peu médiatisés, c’est le géant Microsoft qui domine ce marché, avec des conséquences importantes en termes d’augmentation des émissions carbone : d’après le rapport de Greenpeace à ce sujet, « le contrat de Microsoft avec ExxonMobil pourrait à lui seul entraîner des émissions supérieures à 20% de l’empreinte carbone annuelle de Microsoft »[2].
C’est donc dans le contexte de cette nouvelle lutte définitionnelle autour de l’imaginaire de la transition que cette recension se propose de lire le livre de Bill Gates, récemment traduit en français : Climat : Comment éviter un Désastre. L’objectif n’est pas de discuter les détails techniques des innovations mises en avant, mais de restituer les schèmes argumentatifs dans lesquels ces propositions sont imbriquées afin d’expliciter et de critiquer comment ceux-ci cadrent le débat public autour du réchauffement climatique et des moyens d’y répondre. Si le livre n’apporte aucun contenu radicalement nouveau, c’est que sa visée est principalement performative : faisant valoir son succès en tant qu’entrepreneur, son sérieux d’ingénieur, et sa sollicitude philanthropique pour le sort des plus pauvres, Bill Gates cherche à redonner ses marques de noblesse au techno-optimisme : rassurez-vous, la situation est grave, mais il est possible d’y répondre par un sucroît de croissance, de progrès, et d’innovations techniques. Nous avons déjà de nombreux outils en mains, et ceux qui manquent encore ne tarderont pas à être développés avec des investissements judicieux dans la recherche et le développement. La priorité pour répondre au dérèglement climatique doit être d’accélérer et de coordonner ces forces productives. Ainsi, le livre sonne à la fois comme un cri de ralliement à destination des élites économiques et politiques mondiales de se mettre sans plus tarder au pas d’une transition énergétique totale, et d’un autre côté comme une défense du bien-fondé du modèle de croissance et des modes de vie consuméristes qu’il sous-tend.
Avant de se pencher de plus près sur ses thèses, il convient de replacer ce type de discours dans le contexte historique plus large de la réflexivité environnementale des sociétés industrialisées depuis l’émergence de mouvements environnementaux. Si l’industrialisation rencontre des critiques suivant des grammaires écologiques dès ses débuts au 19ème siècle[3], c’est à partir des années 1960 et 1970 que la critique écologique atteint son apogée, rejoignant et renforçant une contestation plus large de l’ordre établi comme intrinsèquement aliénant et destructeur. Le mode de vie consumériste, le progrès technique, et la logique de croissance sont radicalement mis en cause: incapables de répondre aux problèmes écologiques qu’ils engendrent, il s’agit de les défaire ou les dépasser au profit d’un nouveau modèle de société, avec d’autres modes de vie, d’autres institutions économiques et politiques, et d’autres imaginaires[4]. À partir des années 80 et 90, un nouveau discours écarte cette critique comme romantique et utopique pour défendre l’idée contraire : la prise en charge des problèmes environnementaux par les institutions établies est non-seulement possible, mais le meilleur moyen d’y remédier. La croissance économique et le progrès technique ont certes historiquement dégradé l’environnement, mais ce lien n’a rien d’intrinsèque – les premiers seront découplés des seconds en développant de nouvelles technologies et en internalisant les externalités. Moteurs d’un dynamisme et d’une inventivité sans précédent, ces logiques ne doivent pas être abandonnées, mais au contraire accélérées : redirigées vers de fins écologiques, elles en deviendront les meilleures alliées[5]. Modernisation écologique, développement durable, capitalisme vert, les termes se sont succédés pour donner une clé de lecture non-antagoniste des questions environnementales, écarter la critique systémique des modes de vie sur-développés, et défendre le bien-fondé de la poursuite d’un modèle de croissance et de compétitivité[6].
Il est important de rappeler à quel point cette opposition entre critique radicale et techno-optimisme est structurante dans l’histoire des réflexivités environnementales, car, même s’il n’y fait jamais explicitement référence, c’est dans ce débat que Bill Gates intervient. En effet, ces deux réponses se sont opposées dès les premières négociations internationales sur le climat à la fin des années 90, avec, d’une part, une réponse technocratique basée sur des mécanismes de marché et des promesses d’innovation technologique en parfaite continuité avec une vision économique néo-classique et les institutions socio-économiques dominantes[7], et, d’autre part, une réponse héritant de la critique radicale, portée par le mouvement de justice climatique : une coalition réunissant nations insulaires et pays du Sud, ONG environnementales internationales, et divers mouvements sociaux : de jeunes, indigènes, de justice environnementale, en bref, les groupes les plus concernés. Pour ce dernier, l’inégalité et le dérèglement climatique sont les conséquences indissociables du système économique dominant. Une réponse conséquente à ces deux problèmes ne peut donc se faire sans remise en cause du modèle de croissance et des modes de vie consuméristes qu’il promeut – structurellement non-soutenables car reposant sur un accaparement inégal, et non-généralisable, des ressources et des puits de la planète. D’où son mot d’ordre : « changer le système par le climat »[8]. On ne peut comprendre les prises de positions de Bill Gates en dehors de ce contexte. En effet, s’il se met en scène comme promoteur d’un plan rationnel et scientifique, un lecteur avisé reconnaîtra derrière chaque argument qui cadre ses propositions un effort permanent d’établir la réponse techno-optimiste comme évidente, bien fondée, seule à même d’apporter une réponse sérieuse, contre une critique systémique du modèle de croissance et ses modes de vie.
Pour saisir schématiquement ses arguments avant de les discuter point par point, les voici résumés dans leur ordre logique :
1) Dresser un constat et définir l’objectif. Afin d’éviter les conséquences dramatiques d’un réchauffement climatique incontrôlé, les pays riches doivent viser l’objectif zéro émission nette d’ici 2050, suivi de près par le reste du monde.
2) Expliquer les causes. Le carbone est devenu omniprésent dans tous les aspects de nos modes de vie car c’est une source d’énergie puissante et bon marché.
3) Donner un sens à l’histoire. La consommation d’énergie et des objets marchands qui l’accompagnent va continuer d’augmenter avec la généralisation des modes de vie développés à une partie croissante de la population mondiale, elle-même en croissance. C’est une bonne nouvelle : cette expansion est le signe d’une amélioration sans équivoque des conditions de vie, dont il serait immoral de priver les plus pauvres.
4) Définir le problème. L’économie doit donc continuer de croître, tandis que ses bases matérielles carbonées doivent être substituées par des solutions zéro carbone. Des transitions similaires ont eu lieu par le passé, motivées principalement par des facteurs économiques. Or, cette transition est motivée par des considérations environnementales, et doit se faire le plus rapidement possible.
5) Coordonner et planifier. Afin de remplacer les bases matérielles et énergétiques de l’économie par des solutions zéro-carbone, une coordination mondiale et intersectorielle est nécessaire. Le principal moyen d’accélérer cette transition est de diminuer le surcout des solutions vertes (les “green premiums”) par rapport aux énergies fossiles, en soutenant l’innovation des premières, et développant un cadre de régulation pour mieux refléter les coûts cachés des seconds. Lorsque les solutions vertes deviendront plus rentables que les techniques carbonées, le secteur privé les diffusera au plus grand nombre.
L’objectif : zéro émission nette
« Zéro, c’est ce que doit être notre objectif. Pour mettre un coup d’arrêt au réchauffement et éviter les pires effets du changement climatique … l’être humain doit cesser d’accroître le volume de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. »[9]
Dans un contexte où les délibérations internationales ne semblent aboutir qu’à des demi-mesures, poser sans tergiversations l’objectif zéro carbone parait, à première vue, comme une prise de position plus qu’ambitieuse. Climato-sceptique jusqu’en 2006, Bill Gates explique avoir été convaincu de l’importance, non-seulement de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais de parvenir à zéro émission nette, lorsqu’il prit la mesure de la non-linéarité des phénomènes climatiques : même une hausse des températures moyennes a priori « insignifiante » de 1 à 2 degrés Celsius serait suffisante pour entraîner des effets catastrophiques. Passant en revue le panorama des conséquences maintenant bien connues d’un réchauffement non-atténué (augmentation et intensification des phénomènes métrologiques extrêmes, hausse du niveau des mers, risques de sécheresses et de baisses de rendements agricoles), sa conclusion est sans équivoque : les principaux émetteurs (les pays riches) doivent ouvrir la voie et parvenir à zéro d’ici 2050, suivis de près par les pays à revenu moyen, puis enfin le reste du monde. Contre les détracteurs qui voudraient que ce soit aux pays « en voie de développement » comme l’Inde ou la Chine, plus peuplés, donc plus émetteurs en termes absolus, Gates fait valoir la transition énergétique comme génératrice de nouveaux marchés : « ce sont les pays qui développent de grandes entreprises et des industries à zéro carbone qui seront les chefs de file de l’économie mondiale dans les décennies à venir »[10].
Pour le mouvement de justice climatique, rejoint par un nombre croissant d’experts sur le climat, les plans zéro-carbone, sous couvert de promesses ambitieuses, apparaissent comme la dernière trouvaille du lobby fossile pour retarder l’action climatique.
Les déclarations en faveur d’un plan zéro émission nette sont fort à la mode depuis plusieurs années, que ce soit de la part des états ou des grands groupes industriels. Or, le diable est dans les détails : le qualificatif net permet de requalifier le zéro comme un équilibre comptable dans lequel les émissions sont permises tant qu’elles sont « compensées » par des émissions négatives ailleurs, par des projets de reforestation, par exemple, ou la capture directe du CO2 par des procédés industriels. Cela peut donner lieu à des scénarios diamétralement opposés dans leurs ambitions de réduction effective d’émissions, qui pourtant portent le même nom de zéro émission nette. En effet, l’équilibre comptable peut être (théoriquement) atteint soit en réduisant drastiquement les émissions avec un usage minimal d’émissions négatives pour compenser les émissions irréductibles restantes, soit en perpétuant les niveaux d’émission actuels avec l’espoir d’un usage maximal d’émissions négatives à échelle industrielle à l’avenir. Pour reprendre le schéma de pensée proposé par le mouvement de justice climatique pour comprendre cette différence, on peut arriver à zéro en faisant 10 moins 10, mais aussi en faisant 100 moins 100[11]. En termes mathématiques, les deux sont équivalents, en terme de plan d’action pour atténuer le réchauffement climatique, c’est la différence entre donner la priorité à une réduction immédiate, effective et sérieuse des émissions d’un côté, et se donner le droit de continuer à émettre en invoquant des chimères comptables et technologiques dont la prise sur le réel est au mieux inexistante, au pire susceptible d’aggraver la dégradation des écosystèmes et de violer les droits de peuples autochtones[12]. Pour le mouvement de justice climatique[13], rejoint par un nombre croissant d’experts sur le climat[14], les plans zéro-carbone, sous couvert de promesses ambitieuses, apparaissent comme la dernière trouvaille du lobby fossile pour retarder l’action climatique.
Il est difficile de situer le plan de Bill Gates dans ce débat. D’un côté, il place la réduction effective des émissions au centre de son argumentaire, prônant le chiffre de 51 milliards de tonnes – la quantité annuelle des émissions mondiales – comme le chiffre clé pour comprendre l’enjeu climatique, celui-ci devant impérativement arriver à zéro, ou presque (toujours cette marge du zéro net). D’un autre côté, s’il n’accrédite pas les propositions les plus controversées des plans zéro-net des industries fossiles[15], il se positionne en défenseur prudent des technologies de captage directe de l’air, reconnaissant leurs limites actuelles, sans pour le moins se garder de projeter que celles-ci pourraient être amenées à aspirer 10 milliards de tonnes de carbone d’ici 2050, soit 20% des émissions actuelles[16]. Plus fondamentalement, sa position reste parfaitement opaque par rapport à d’autres chiffres clés qui structurent les discussions climatiques : la différence entre limiter le réchauffement à 1,5 degrés par rapport à 2 d’ici la fin du siècle. S’il fait brièvement référence au fait qu’une augmentation de 2 degrés par rapport à 1,5 entraînerait des conséquences dramatiques, il n’explicite à aucun moment lequel de ces deux objectifs son plan vise. Or la différence est capitale, car derrière chacun de ces chiffres se cache une contrainte clé : le budget carbone. Cadrage structurant du débat climatique depuis les COP de 2011 et 2012, le budget carbone désigne, pour un seuil d’augmentation de la température moyenne globale donné, la quantité totale d’émissions à ne pas dépasser pour espérer rester en deçà de cette limite. Pour donner un ordre d’idée, « l’horloge carbone » du Mercantor Research Institute on Global Commons and Climate Change indique que limiter le réchauffement à 2 degrés laisse un budget carbone de 1000 milliards de tonnes, tandis que le limiter à 1,5 laisse un budget de seulement 275 milliards de tonnes. Au rythme de 51 milliards de tonnes émises par an (sachant que cette quantité ne cesse d’augmenter), ces budgets seront écoulés en un peu plus de 19 ans pour le premier, et de 5 pour le second. Si les chiffres exacts des budgets carbone restent sujet à débat[17], c’est surtout la notion d’émission cumulative qui est importante à retenir. Puisque les émissions s’accumulent d’année en année, les négociations internationales pour atténuer le dérèglement climatique ont reconnu comme principal objectif de limiter les émissions cumulatives, plutôt que d’atteindre zéro à partir d’une certaine date, afin de maintenir la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère sous un certain seuil.
L’omission de cet enjeu, pourtant au cœur des discussions internationales et des recherches scientifiques sur le climat depuis plus d’une décennie[18], est pour le moins surprenante. La focale que Gates met sur le seul chiffre des émissions annuelles crée l’illusion que, tant que nous parvenons à zéro d’ici 2050, la trajectoire des émissions prises pour y parvenir importe peu. Il se positionne d’ailleurs très fermement contre des politiques de réduction ambitieuses dès 2030, auxquelles appelle pourtant le plus récent rapport du GIEC[19]. Mieux vaut se donner un objectif ambitieux au long terme (2050), argumente Gates, même si sa mise en place plus lente se traduira par une réduction marginale des émissions d’ici 2030, car « compte tenu de la place cruciale qu’occupent les combustibles fossiles dans nos vies, nous n’avons tout simplement aucun moyen de cesser de les utiliser aussi massivement en une seule décennie »[20]. Les conséquences du recule de l’échéance sur le budget carbone ne sont pas discutées. Ainsi, en reléguant l’objectif zéro carbone à un avenir lointain, pour laisser à de nouvelles technologies le temps de se développer et se déployer sur le marché, Gates demeure en parfaite continuité avec les tergiversations des 30 dernières années de négociation climatiques. Techniques de tergiversation, c’est le nom que donnent les sociologues anglais Duncan McLaren et Mils Markusson pour qualifier les différentes technologies conjurées à chaque nouvelle phase de négociations sur le climat pour préserver l’espoir que les ambitions climatiques pouvaient être atteintes, tout en repoussant l’échéance des transformations économiques, culturelles, et comportementales incontournables pour réduire effectivement les émissions. On pourrait ainsi amender la justification de Bill Gates : il n’existe aucun moyen de cesser d’utiliser les énergies fossiles sans transformations profondes et coordonnées des institutions économiques et sociales qui génèrent des modes de vie carbonés – précisément ce à quoi appelle le mouvement de justice climatique depuis ses débuts[21], ainsi qu’un nombre croissant de chercheurs sur le climat[22].
Expliquer les causes
« Si les combustibles fossiles sont partout, c’est pour une bonne raison : ils ne coûtent pas cher »[23]
Passant en revue toute une série d’objets du quotidien (brosse à dent en plastique, céréales et coton cultivés avec des engrais chimiques et des appareils hautement mécanisés, moyens de transport et habitats nécessitant pétrole, acier, béton, plastique), Gates rappelle à quel point les combustibles fossiles sont omniprésents dans les existences modernes. Mais comment en est-on arrivé là ? Pour Gates, cette omniprésence est imputable à l’humanité dans son ensemble, mue par un désir naturel d’améliorer ses conditions d’existence par une augmentation de sa consommation énergétique, désir que les carburants fossiles ont simplement satisfait en étant les sources d’énergie les moins chères et les plus efficaces. L’universalisation de l’histoire énergétique des pays du Nord derrière un « être humain », ou un « nous » saute immédiatement aux yeux : celle-ci vient masquer de profondes inégalités en termes de consommation de ressources et d’émissions, ainsi que les processus socio-politiques qui sous-tendent ces inégalités historiques[24]. Au-delà de cette première critique évidente, cette lecture de l’histoire interpelle par la naturalisation de l’histoire de l’énergie qu’elle opère. En présentant une humanité n’attendant que l’invention de la machine à vapeur et la découverte de gisements de charbon pour enfin se lancer dans l’industrialisation fossile, elle occulte la dimension socio-politique dans les choix énergétiques tout comme dans l’adoption des modes de vie carbonés qui ont contribué à cette omniprésence aujourd’hui.
Ainsi, si la densité énergétique du pétrole et du charbon est indéniable, l’histoire de leur adoption ne peut pas être comprise en dehors d’une histoire politique opposant des groupes sociaux aux intérêts antagonistes
Sur ce premier point, les travaux d’historiens qui se sont penchés sur l’adoption de sources énergétiques fossiles questionnent l’idée d’un déterminisme purement économique. Revenant sur l’adoption du charbon par l’industrie du coton en Angleterre dans les années 1830, l’historien Andreas Malm a démontré que celle-ci s’est produite en dépit de projets hydrauliques de grande ampleur qui fournissaient une énergie moins chère et plus fiable que la vapeur. Mais l’énergie hydraulique ouvrait à des problèmes sociaux : les usines installées le long des cours d’eau offraient un terrain propice aux contestations ouvrières, la densité plus faible en main d’œuvre des zones rurales consolidant le rapport de force en faveur du travail. Le charbon quant à lui, malgré son surcoût et les instabilités techniques des débuts de la machine à vapeur, permettait d’installer des usines en ville, à proximité d’une large réserve d’une main-d’œuvre excédentaire paupérisée, et donc plus prompte à accepter les conditions du travail industriel pour des plus bas salaires, et plus facilement remplaçable en cas de grève. Dans une même veine, on ne peut non plus expliquer l’adoption massive du pétrole par le seul facteur économique, car celui-ci demeure systématiquement plus cher que le charbon pendant tout le XXème siècle[25]. Pour l’historien Timothy Mitchell, c’est à nouveau dans l’histoire sociale qu’il faut chercher les causes de ces transformations. À la fin du XIXème siècle émergent de puissants syndicats de mineurs capables de coordonner des grèves massives qui bloquent l’économie, et dont les revendications sociales posent les bases du suffrage universel et de l’assurance sociale. Le passage au pétrole, dont l’extraction et l’exportation est beaucoup moins intensive en main d’œuvre, permet de contourner le mouvement ouvrier afin d’en éroder le pouvoir. C’est notamment dans cet objectif qu’il est significativement subventionné par le pouvoir étasunien, sur son territoire d’abord puis en Europe avec le plan Marshall[26]. Ainsi, si la densité énergétique du pétrole et du charbon est indéniable, l’histoire de leur adoption ne peut pas être comprise en dehors d’une histoire politique opposant des groupes sociaux aux intérêts antagonistes[27]. Pour en revenir au livre de Bill Gates, cette histoire souligne que des motivations socio-politiques, lorsqu’elles sont perçues par les classes dirigeantes comme suffisamment pressantes, peuvent induire l’adoption d’une source d’énergie plutôt qu’une autre, en dépit de son surcoût.
Une histoire politique des choix techniques permet aussi de dénaturaliser l’adoption massive des technologies emblématiques des modes de vie carbonés, que Gates présente comme une évidence allant de soi. Prenons l’exemple de la voiture, auquel Gates se réfère dans une discussion sur la lenteur de la diffusion de nouvelles technologies : « Le moteur à combustion interne a été lancé dans les années 1880. Combien de temps a-t-il fallut avant que toutes les familles urbaines aient une voiture ? Trente à quarante ans aux États-Unis, soixante-dix à quatre-vingts ans en Europe. »[28] L’exemple avance une lecture déterministe de l’histoire des techniques : les technologies aujourd’hui omniprésentes étaient prédestinées à le devenir dès leur invention ; leur diffusion généralisée, certes lente et progressive, était inévitable – une simple affaire de pénétration d’un marché. Or, si le but est de démontrer que l’adoption de nouvelles techniques répond à des logiques économiques basées sur des choix rationnels, l’exemple de la voiture est particulièrement mal choisi. Comme le rappellent Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, l’apparition des premières voitures privées aux États-Unis donne lieu à de vives oppositions : celles-ci étant perçues comme une privatisation de la rue comme espace public, avec ses nombreux usages autres que la locomotion – usages que les nuisances des voitures rendent impraticables. Au début du XXème siècle, ce sont les tramways électriques qui dominent le paysage urbain aux États-Unis, et fournissent un mode de transport sûr, peu-cher, et relativement confortable. Leur abandon est en premier lieu le résultat d’un désinvestissement progressif par les puissances publiques qui s’opposent à leur situation de monopole, puis d’une attaque concertée par les grands groupes pétroliers et d’automobile (Général Motors, Standard Oil, et Firestone) dans les années 1930, qui les rachètent et les démantèlent afin d’étendre le marché des voitures individuelles et des bus à essence, assurant des débouchés pour leurs industries. Le résultat, absurde pour un grand nombre de contemporains de l’époque, ralentit la mobilité urbaine et en accroît le coût. Ce sont d’ailleurs sur la base de considérations économiques que de nombreux cantons en Suisse, à l’issue de plusieurs référendums entre 1900 et 1925, interdisent l’automobile individuelle : celles-ci accroissent les coûts de maintenance des routes et font concurrence avec le système de rail public. D’autres gouvernements, comme la république de Weimar en Allemagne, font le choix de subventionner et municipaliser les tramways pour réduire les couts de transport. De façon plus générale, la périurbanisation et la motorisation sur laquelle elle repose sont à replacer dans un projet politique plus large : ces choix techniques (dont la généralisation s’avèrera particulièrement délétère pour le climat) sont encouragés par l’administration américaine dans l’entre-deux guerres afin de lutter contre le communisme, en généralisant l’accès à la propriété privée d’une maison individuelle[29].
L’exemple peut paraître anecdotique, mais il souligne un point important : l’omniprésence des technologies qui sous-tendent les modes de vie à haute intensité carbone, loin d’être la conséquence inéluctable d’un désir naturel de consommation, sont les produits contingents de choix politiques et d’affrontements entre acteurs économiques aux intérêts divergents. La lecture déterministe de Bill Gates permet de soustraire les processus historiques responsables de cette omniprésence au regard critique, et donc de la rendre incontestable, alors que l’enjeu climatique impose précisément de la remettre en question. Une histoire sociale et politique des techniques, en rappelant que d’autres choix étaient possibles, permet non seulement d’armer cette remise en question, mais d’appuyer l’impératif de refaçonner les modes de vie en s’appuyant sur la richesse des contestations et des expérimentations d’alternatives du passé[30].
Le sens de l’histoire
« Toutes les activités de la vie moderne – l’agriculture, l’industrie, les transports – libèrent des gaz à effet de serre, et plus le temps passe, plus elles prennent de l’ampleur. Ce qui est une bonne chose, car c’est la preuve que les conditions de vie des gens s’améliorent. »[31]
C’est un refrain repris à chaque nouveau chapitre du livre, une célébration de la bonne nouvelle d’une augmentation phénoménale des conditions de vie entièrement imputables à l’expansion du domaine de la consommation de masse à une part croissante de la population : « presque partout, les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé. Le niveau de vie augmente. Et il en va de même de la demande en voitures, routes, immeubles, réfrigérateurs, ordinateurs et climatiseurs, et en énergie pour les alimenter. »[32] Le message est clair, et sans cesse renouvelé : le développement et la croissance économique sont des processus naturels, inéluctables, émancipateurs, et universellement salués. Cet évangile de la mondialisation fait plus que donner à cette dernière un sens univoquement positif, il l’érige en accomplissement moralement incontestable de la lutte contre la pauvreté : « Ce progrès est une bonne chose. La croissance … signifie que la vie des gens s’améliore de bien des façons. Ils gagnent plus d’argent, obtiennent une meilleure éducation et sont moins susceptibles de mourir jeunes. Quiconque prétend lutter contre la misère ne peut que considérer cela comme une bonne nouvelle »[33]. Par ce discours, Gates se positionne comme défenseur des plus pauvres du monde[34] : c’est en leur nom que la croissance énergétique doit se poursuivre. C’est d’ailleurs à partir de l’ambition de sa fondation de défendre l’accès à une énergie fiable pour les pauvres qu’il est entré dans la matière du réchauffement climatique et du casse-tête qui constitue la clé de voûte du livre : la lutte contre la pauvreté appelle à augmenter la production d’énergie, alors que le réchauffement climatique impose que celle-ci ne se traduise pas par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
Un tel argumentaire repose sur une vision de la pauvreté comme une condition naturelle, que Gates illustre avec une image particulièrement frappante[35].
Cette image semble parler d’elle-même : on y voit un vieux paysan labourant une terre sèche et frustre avec une charrue en bois tirée par deux vaches dont on voit le contour des côtes, aidé par un enfant au corps tendu par le travail des champs, censé représenter cette part de la population malheureuse que le progrès technique n’a pas encore atteint, qui n’est pas encore suffisamment intégrée dans l’économie monde pour pouvoir s’arracher à une misère multiséculaire. L’impératif de modernisation s’impose donc comme une évidence.
Or, cette vision d’un tiers-monde emprisonné dans la misère depuis les temps immémoriaux a été profondément déconstruite par l’historien Mike Davis. Dans Génocides Tropicaux, il revient sur trois périodes de grandes famines à la suite de sécheresse exceptionnelles qui frappèrent de nombreux pays tropicaux à la fin du 19ème siècle, en particulier l’Inde et la Chine, où elles causèrent entre 31 et 61 millions de morts[36]. Loin d’être imputables à de seules irrégularités climatiques, Davis montre comment celles-ci étaient inextricablement liées à la déstabilisation politique induite par la colonisation européenne. L’état chinois avait pu répondre à des évènements climatiques similaires au 18ème siècle, évitant le désastre humanitaire en combinant distribution interrégionale de grain par un système de canaux hautement sophistiqué à un contrôle des prix. L’Inde précoloniale, d’après une étude anglaise de 1978, recensait 17 famines en deux millénaires contre 31 pendant les 120 ans de règne anglais, là aussi grâce à un système planifié de réserves locales et des mesures anti-spéculatives, alors que la réponse anglaise lors des famines de 1876-1878 et de 1899-1900 fut d’exporter 300 000 tonnes de grain sur le marché international, en toute conscience de la situation humanitaire dramatique. Au-delà de ces évènements spéculaires, Davis souligne trois facteurs qui accrurent la vulnérabilité des paysans tropicaux aux évènements climatiques extrêmes : la substitution d’une agriculture autonome de subsistance par une agriculture d’exportation tournée vers des marchés internationaux, et donc soumis aux fluctuations des marchés, la détérioration des conditions d’échanges due à la chute des prix de ces marchandises, induisant un endettement croissant, et la suppression, par des mécanismes formels et informels de colonisation, des stratégies coordonnées de développement de l’agriculture[37]. Pour Davis, c’est l’imposition forcée d’une économie de marché qui déstabilisa la paysannerie des pays tropicaux et contribua à creuser les inégalités de revenus entre celle-ci et la paysannerie européenne, alors qu’aucun écart significatif ne les différenciait au début du 19ème siècle. C’est donc précisément l’intégration dans un système d’économie monde fondé sur des conditions d’échanges inégales, et non le fait de malheurs naturels ni de pratiques horticoles arriérées, qui explique les fondements de la pauvreté du « tiers monde » à ce moment historique[38].
Mais quel rapport avec cette histoire et la question contemporaine du climat ? Pour le comprendre, il faut resituer à quoi cette image sert dans le discours de Bill Gates. Il n’est pas anodin qu’elle accompagne les pages dans lesquelles il soulève la question des inégalités d’émissions, pour en faire une lecture bien particulière :
« Le problème ne tient pas seulement au fait que chaque personne consommera plus d’énergie. Nous serons aussi plus nombreux. … C’est une bonne nouvelle pour ceux qui verront leurs conditions de vie s’améliorer, mais pas pour le climat. Considérons le fait que près de 40% des émissions planétaires proviennent des 16% les plus riches de la population. (Et encore, ce chiffre omet les émissions de produits fabriqués ailleurs, mais consommés dans les pays riches.) Que va-t-il se passer quand les gens seront plus nombreux à vivre comme les plus riches ? … Même si le monde riche parvenait par magie au zéro dès aujourd’hui, le reste du monde continuerait à en émettre de plus en plus. Il serait immoral et irréaliste de vouloir empêcher la progression de ceux qui se trouvent plus bas sur l’échelle économique. … Nous devons permettre aux gens à faible revenu de grimper les échelons sans aggraver le changement climatique. Nous devons parvenir au zéro – en produisant encore plus d’énergie qu’aujourd’hui, mais sans injecter davantage de carbone dans l’atmosphère. »[39]
Les modes de vies modernes et consuméristes reposent structurellement sur un accaparement inégal des ressources et des puits de la planète, ainsi que sur une externalisation systématique de ses coûts environnementaux et sociaux vers d’autres pays
Ce qui se joue ici n’est rien d’autre que la redéfinition d’un pilier central de la critique du mouvement de la justice climatique. Pour celui-ci, les inégalités d’émissions sont le signe d’une surconsommation des plus riches, aussi bien insoutenable d’un point de vue temporel que non-généralisable d’un point de vue spatial, qui appelle donc à une redistribution des richesses comme à une diminution drastique de la consommation des plus émetteurs[40]. Le politologue Ulrich Brand parle d’un « mode de vie impérial » : les modes de vies modernes et consuméristes reposent structurellement sur un accaparement inégal des ressources et des puits de la planète, ainsi que sur une externalisation systématique de ses coûts environnementaux et sociaux vers d’autres pays[41]. Les travaux de Bonneuil et Fressoz, s’appuyant sur l’étude des flux de matières produite par l’institut d’écologie sociale de Vienne, permettent de chiffrer cet accaparement inégal, en comptabilisant la balance matière, en termes de tonnes de matériaux, de différents blocs économiques : les pays industriels occidentaux importent plus de mille milliards de tonnes de matières premières de plus qu’ils n’en exportent, rendu possible par un déficit net d’importation pour le reste du monde[42]. Pour Ulrich Brand, le globe ne possédant simplement pas assez de ressources, ni de capacité d’absorption des « externalités » du mode de vie impérial pour le garantir à tous, sa généralisation ne peut qu’entraîner un accroissement des tensions géopolitiques entre états en compétition pour l’assurer à ses élites[43].
C’est à partir de ce constat fondamental – du caractère non-généralisable des modes de vie des plus riches de la planète – et en contestant le caractère univoquement positif de ce modèle de société[44], que le mouvement de justice climatique avance l’impératif de défendre et inventer des modèles socio-économiques qui garantissent des conditions de vie dignes en respectant les limites planétaires, c’est-à-dire sans reposer sur une augmentation structurelle du métabolisme énergétique et matériel des économies. Dans cette vision, la lutte contre la pauvreté ne saurait être mise en opposition à la lutte contre le réchauffement climatique : découlant des mêmes dynamiques historiques, toutes deux appellent à une réponse conjointe contre les systèmes de domination responsables de ces inégalités[45].
La vision de la pauvreté qu’avance Gates : comme la condition naturelle des sociétés privées de progrès, permet de présenter celle-ci comme un problème de production, et non comme un problème de distribution inégale des ressources résultant d’échanges inégaux. Y remédier ne peut donc que passer par une augmentation de celle-ci, afin d’atteindre la généralisation souhaitable des modes de vie modernes à l’ensemble de la planète. Renoncer à la croissance serait délétère pour les plus pauvres, c’est en leur nom qu’il faut impérativement trouver des solutions techniques pour la poursuivre tout en atteignant la neutralité carbone. Cette lecture de l’histoire participe à construire, sur un ton profondément moralisateur, le casse-tête central qui prépare la voie à l’impératif d’une solution reposant sur des avancées techniques : « le monde doit fournir aux plus pauvre d’avantage d’énergie afin qu’ils puissent prospérer, mais nous devons veiller à ce que cette énergie ne produise pas davantage de gaz à effet de serre. »[46] Ce procédé – faire référence à la pauvreté des pays du Sud pour défendre la surconsommation du Nord et son modèle de croissance contre toute attaque – n’a rien de nouveau, on le retrouve dès la conférence de Kyoto en 1997 dans l’argumentaire du Global Climate Coalition, le lobby représentant les intérêts des multinationales dans les délibérations mondiales sur le climat[47]. En montant en opposition la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le réchauffement climatique, il permet d’écarter la critique des modes de vie tout en asseyant la voie technocratique comme seule à même de permettre une victoire sur ces deux fronts.
Une lecture phasiste de l’histoire de l’énergie
« Nous avons déjà entrepris ce genre de chose – passer d’une source d’énergie à une autre -, et cela a toujours pris plusieurs décennies. »[48]
Comment rendre crédible la proposition, pour le moins audacieuse, qu’il soit possible de continuer à faire croître l’économie mondiale tout en atteignant l’objectif zéro-carbone ? Tout l’argumentaire de Gates repose sur l’imaginaire d’une transition du système énergétique, d’un système carboné vers un système renouvelable. Celle-ci permettra de tout changer (dans la base matérielle de l’économie) sans que rien ne change (ni dans ses buts ni dans son organisation). Cet imaginaire trouve son appui dans une lecture phasiste de l’histoire de l’énergie : ce type de transition a déjà eu lieu par le passé, de l’économie organique reposant sur le bois, la force musculaire, et l’énergie hydraulique vers le charbon au 19ème siècle, qui fut ensuite succédé par le pétrole et le gaz naturel après la seconde guerre mondiale[49]. Même si Gates prévient que ces transitions ont pris plus de temps que ce dont nous disposons aujourd’hui, leur évocation garde tout de même un effet rassurant : l’exercice a déjà été fait, la feuille de route existe, le défi consiste à le reproduire, de façon rapide et coordonné.
Or cette lecture du passé comme une succession d’âges matériels (bois, charbon, pétrole) repose plus sur des trompe l’œil statistique que sur une « vision du monde fondée sur les faits »[50] dont Gates se gargarise. En effet, celle-ci provient d’une présentation des différentes sources d’énergies en termes de pourcentage dans le mix énergétique total, plutôt qu’en termes de valeurs absolues. Comparer ces deux approches permet de mettre en lumière à quel point celles-ci diffèrent dans l’histoire de l’énergie qu’elles racontent.
Part des différentes sources d’énergie, en pourcentage, dans le mix énergétique mondial[51].
Part des différentes sources d’énergie, en valeurs absolues, dans le mix énergétique mondial[52]
Le premier graphique, en pourcentage, semble accréditer l’idée d’une succession de phases : le bois, majoritaire au début du 19ème, laisse place au charbon, qui atteint son apogée au début du 20ème, puis recule face au pétrole et au gaz, les renouvelables demeurant minoritaires. Le deuxième, en revanche, témoigne plutôt d’une accumulation de strates énergétiques : les nouvelles sources d’énergie ne remplacent pas les plus anciennes mais viennent s’ajouter dans une dynamique de consommation croissante sans inflexion majeure. C’est l’argument de Jean-Baptiste Fressoz, dont les travaux discutent l’histoire de l’énergie et des matières en lumière de la notion d’accumulation symbiotique, où les nouvelles sources d’énergie font accroître la demande des formes plus « anciennes ». Par exemple, si le charbon fait reculer l’usage du bois de feu, cette baisse est plus que compensée par l’augmentation du bois d’œuvre, dont l’usage, incontournable dans la première révolution industrielle, est multiplié par 6 en Angleterre entre 1830 et 1930[53]. De même pour le pétrole, dont chaque tonne consommée en Grande Bretagne entre 1918 et 1934 nécessite 2,5 tonnes de charbon, pour produire l’acier des pétroliers, réservoirs, et raffineries notamment. Ces phénomènes cumulatifs étaient parfaitement connus des experts en énergie et en matières premières contemporains de ces transformations. Ce n’est que dans le contexte des chocs pétroliers des années 1970s que la notion de « transition énergétique » apparaît, non pas sous la plume d’historiens ou d’experts du système technique, mais des futurologues américains soucieux de rendre crédibles leurs prospectives énergétiques. L’invention d’un passé scandé par une succession de transitions énergétiques donnait à voir une économie décarbonée à venir « comme la suite, voire l’aboutissement d’un majestueux processus historique amorcé il y a deux siècles. Le problème, » conclut Fressoz, est que cette lecture « projette un passé qui n’existe pas sur un futur qui reste fantomatique. »[54]
Si, contrairement à la lecture phasiste de l’histoire, les nouvelles sources d’énergie ont plutôt eu tendance à s’ajouter aux anciennes plutôt qu’à s’y substituer, il est permis de douter que le développement de nouvelles technologies zéro-carbone permettra de faire l’économie d’une critique de la logique de croissance perpétuelle. Réfutant l’idée selon laquelle les nouvelles installations d’énergie renouvelable se substituent une à une aux installations fossiles, le sociologue Richard York a démontré que, pour une unité d’électricité produite par des ressources non-fossiles (incluant le nucléaire), la quantité d’électricité fossile produite ne diminuait que d’un dixième, celle-ci étant plutôt additionnée au mix énergétique existant. En y regardant de plus près donc, la vision phasiste de l’histoire et l’idée de substitution de la base énergétique de l’économie, censées garantir la possibilité de continuer à la faire croître sans contribuer au réchauffement, ouvrent à de sérieuses remises en question. Il est par ailleurs intéressant de souligner que, si Bill Gates accrédite sa vision de l’histoire en citant élogieusement l’historien de l’énergie Vaclav Smil, il ne fait pourtant aucune allusion aux conclusions de son universitaire fétiche : pour préserver la biosphère, il faut mettre fin à la croissance ; les solutions techno-optimistes ne permettront pas d’y échapper[55].
Conclusions
Chaque étape argumentative du livre est ainsi construite pour invisibiliser ou décrédibiliser la critique du modèle de croissance et de la surconsommation au profit de solutions techniques, promettant de garantir la poursuite de celle-ci sans conséquence climatique délétère. L’objectif zéro-carbone d’ici 2050 est utilisé pour contrer l’idée d’une réduction drastique dès 2030, et occulte la question du budget carbone et son impératif de renoncer à exploiter les réserves fossiles connues afin de justifier la poursuite de leur exploitation dans la prochaine décennie. Sa lecture des « causes » de l’omniprésence des énergies fossiles, en plus de dissoudre les responsabilités historiques dans un grand nous indifférencié, naturalise les modes de vie à haute intensité carbone, invisibilisant les institutions et les choix sociaux et politiques qui ont contribué à leur construction et leur diffusion hégémonique, en les plaçant en dehors du champ de la critique. L’interdiction de la critique est renforcée par une forte injonction morale : remettre en cause le modèle de croissance reviendrait à priver les plus pauvres des moyens d’améliorer leurs conditions. C’est en leur nom que celle-ci doit être poursuivie : la généralisation des modes de vie occidentaux à l’ensemble de la population est simplement non-négociable. Afin de résoudre la contradiction que cet impératif soulève en termes de lutte contre le dérèglement climatique, une seule solution : substituer par des nouvelles innovations techniques les bases matérielles de l’économie carbonée par des processus zéro-carbone, sans en changer les règles, ni les buts, ni le cours. De telles transitions ont déjà eu lieu, mais ce sont des processus lents – il faut donc l’accélérer en finançant massivement la recherche et l’innovation dans les solutions clés, jusqu’à ce qu’elles deviennent suffisamment rentables pour être diffusées massivement sur le marché par le secteur privé.
le techno-optimisme n’a jamais eu pour but de résoudre les problèmes environnementaux, mais de produire un cadre permettant de les penser en dehors de l’idée d’une contradiction fondamentale entre l’ordre économique dominant et l’environnement
S’il se veut novateur, ce type de discours a plus de 40 ans. On reconnaît l’espoir de la modernisation écologique de la fin des années 80, avec ses promesses que le progrès technique et la poursuite de la compétitivité, redirigée vers des fins écologiques, permettraient de résoudre les problèmes environnementaux. On peut mesurer son succès au fait que son adoption comme cadre conceptuel par les institutions économiques et politiques dominantes depuis les années 90[56] ne se soit soldé par aucun recul significatif des émissions au niveau global, ni même des pays « post-industriels » lorsque les émissions importées sont comptabilisées[57]. Les pères fondateurs de ce concept ont depuis reconnu que, s’il pouvait s’avérer utile sur certaines problématiques bien précises, il est insuffisant pour les enjeux de plus grande ampleur, notamment le dérèglement climatique, qui appelle à des changements structurels de l’économie[58]. Sa réussite durable dans les discours dominants, malgré ses échecs en termes de réduction effective des émissions, tient peut-être au fait que le techno-optimisme n’a jamais eu pour but de résoudre les problèmes environnementaux, mais de produire un cadre permettant de les penser en dehors de l’idée d’une contradiction fondamentale entre l’ordre économique dominant et l’environnement, afin de désarmer la critique radicale appelant aux changements structurels de celle-ci. Dans ce contexte, le livre de Bill Gates apparait comme le dernier effort pour servir ce même but : retarder l’adoption de mesures structurelles et sérieuses qui permettraient d’infléchir les tendances écocidaires de l’ordre dominant, sous couvert de promesses technologiques à portée de main qui, si nous y croyons assez fort, permettront de surmonter cette contradiction.
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[1] Orange, « Changement climatique ».
[2] Greenpeace, « Oil in the Cloud ».
[3] Fressoz, « Losing the Earth knowingly ».
[4] Bonneuil et Fressoz, L’événement anthropocène, 171‑73.
[5] On retrouve une des premières formulations de ce concepts sous le nom de modernisation écologique, dans un rapport produit pour le parlement allemand en 1984 : « La modernisation, en termes économiques, est l’amélioration systématique et scientifique des produits et des processus de production. C’est un impératif structurel des économies capitalistes et marchandes, et la compétition à l’innovation dans les pays industrialisés a entrainé une accélération continue de modernisation technologique. Si les problèmes inhérents de cette compulsion à l’innovation ont été suffisamment discutés, il est tout de même possible d’en influencer la direction. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la modernisation écologique. Il s’agit de changer la direction du progrès technique et de mettre l’impératif d’innovation au service de l’environnement. La clé de cette approche consiste en la possibilité de solutions “gagnant-gagnant » pour l’économie et l’environnement, acquises principalement par la réduction des couts et de nouvelles innovations. » Jänicke, « Umweltpolitische Prävention als ökologische Modernisierung und Strukturpolitik. Discussion paper ». traduit de l’allemand par l’auteur.
[6] Brand, « Sustainable development and ecological modernization »; Blühdorn, « The Politics of Unsustainability »; Dobson, Green political thought; Larrère, « L’écologie politique existe-t-elle ? »; Sklair, « The Transnational Capitalist Class and the Struggle for the Environment ».
[7] McLaren et Markusson, « The Co-Evolution of Technological Promises, Modelling, Policies and Climate Change Targets ».
[8] Jacobsen, Climate Justice and the Economy; Haeringer et al., Crime climatique stop!
[9] Gates, Climat, 6.
[10] Gates, 57.
[11] Thanki, « Not Zero ».
[12] Bragg, Rose Jackson, et Lahiri, « La Grosse Arnaque ».
[13] Friends of the Earth, « Chasing Carbon Unicorns ».
[14] McLaren et al., « Beyond “Net-Zero” »; Anderson et Peters, « The Trouble with Negative Emissions »; Larkin et al., « What If Negative Emission Technologies Fail at Scale? »
[15] Comme les plans de reforestation REDD+ ou la bioénergie et captage et stockage du carbone (cultiver et brûler de la biomasse pour produire de l’énergie en aspirant simultanément les émissions).
[16] Gates, Climat, 144.
[17] Rogelj et al., « Estimating and Tracking the Remaining Carbon Budget for Stringent Climate Targets ».
[18] McLaren et Markusson, « The Co-Evolution of Technological Promises, Modelling, Policies and Climate Change Targets », 3‑4.
[19] Masson-Delmotte et al., « Global warming of 1.5°C. »
[20] Gates, Climat, 297.
[21] Klein, This Changes Everything.
[22] Urry, Climate change and society; Järvensivu et al., « Governance of Economic Transition, A background document to the UN Global Sustainable Development Report ».
[23] Gates, Climat, 62.
[24] Ces débats rejoignent les critiques faites aux concepts de l’Anthropocène, avec son grand récit de l’humanité prise comme un tout indifférenciée. Voir Bonneuil et Fressoz, L’événement anthropocène.
[25] Podobnik, Global Energy Shifts, 76.
[26] Mitchell, Carbon democracy.
[27] Pour une discussion plus approfondie de ces deux exemple dans un argumentaire plus détaillé, voir Bonneuil et Fressoz, L’événement anthropocène, 119‑42.
[28] Gates, Climat, 69‑70.
[29] Bonneuil et Fressoz, L’événement anthropocène, 134‑37. 306-307.
[30] Bonneuil et Fressoz, L’événement anthropocène.
[31] Gates, Climat, 10.
[32] Gates, 64.
[33] Gates, 154.
[34] Une porte d’entrée critique qui ne sera pas développée ici consisterait à mettre en lumière les faux-semblants de cette posture. Les prises de positions récentes de Bill Gates en défaveur de la levée des brevets sur les vaccins COVID, qui en faciliterait l’accès aux pays du Sud, ont alimenté le renouveau d’une critique présente dès son entrée dans la philanthropie et la santé mondiale à la fin des années 90 : s’alliant avec les industries pharmaceutiques étasuniennes, Gates joua un rôle décisif dans l’inscription d’un régime de défense de la propriété intellectuelle particulièrement stricte dans les règles du commerce mondial, permettant de solidifier le monopole de Microsoft sur les brevets de logiciels informatiques, et donc de consolider sa fortune, tandis qu’il devint un des verrous les plus importants entravant l’accès des pays du Sud aux médicaments génériques dont ils avaient besoin. Zaitchik, « How Bill Gates Impeded Global Access to Covid Vaccines ». Pour une critique plus générale de la philantropie des milliardaires, voir Giridharadas, Winners take all et Maclean et al., « Elite Philanthropy in the United States and United Kingdom ».
[35] Gates, Climat, 67.
[36] Davis, Génocides tropicaux, 13.
[37] Davis, 317.
[38] Pour une déconstruction plus ciblée du discours de Bill Gates et des recherches sur lesquelles ils s’appuient, notamment celles de Steven Pinker et Hans Rosling, et qui intègre l’histoire du 20ème siècle, voir Hickel, The divide.
[39] Gates, Climat, 67.
[40] Ghosh, The Great Derangement, 92.
[41] Brand et Wissen, « Global Environmental Politics ».
[42] Bonneuil et Fressoz, L’événement anthropocène, 274.
[43] Brand et Wissen, « Crisis and continuity ».
[44] En s’appuyant notamment sur une critique des modèles de développement occidentaux dans les pays du Sud : Rahnema et Bawtree, The post-development reader, comme d’une critique de la croissance non-économique (uneconomic growth) dans les pays du Nord : Daly, From uneconomic growth to a steady-state economy; Corazza et Victus, « Economy of Permanence ».
[45] Friends of the Earth International, « People Power Now »; « The People’s Demands for Climate Justice ».
[46] Gates, Climat, 14‑15.
[47] Sklair, « The Transnational Capitalist Class and the Struggle for the Environment », 214.
[48] Gates, Climat, 68.
[49] Fressoz, « The age of et ses limites ».
[50] Gates, Climat, 344.
[51] Voosen, « Meet Vaclav Smil, the Man Who Has Quietly Shaped How the World Thinks about Energy ».
[52] Mair, « Climate Change and Capitalism ».
[53] Fressoz, « Pour une histoire des symbioses énergétiques et matérielles ».
[54] Fressoz, 11.
[55] Watts, « Growth must end ».
[56] Brand, « Sustainable development and ecological modernization ».
[57] Wiedmann et al., « The Material Footprint of Nations ».
[58] Jänicke, « Ecological modernisation ».