Les nouvelles technologies sont centrales dans notre société actuelle. Numérique, intelligence artificielle, objets connectés, automatisation, etc. Les high tech sont pleines de promesses et pourraient résoudre tous les problèmes si l’on en croit certains, même le dérèglement climatique. Cependant, une approche plus critique des technologies, à travers les low tech notamment, pointe certains écueils : utilité réelle, consommation de ressources et d’énergie, complexité, obsolescence, etc. Les low tech appellent à une véritable discussion démocratique autour de ce que nous souhaitons produire en fonction de besoins collectifs redéfinis.

Durant tout un week-end, à travers différentes activités, une trentaine de jeunes ont découvert et pris position sur le sujet. Les Rencontres des Nouveaux Mondes sont un week-end de réflexion où des jeunes mettent en discussion une thématique de société pour aboutir à des pistes d’actions transformatrices.

Surenchère technologique

Face aux défis de notre époque, de nombreux acteurs priorisent les solutions basées sur les nouvelles technologies. Les politiques encouragent massivement les innovations, plus technologiques que sociales. Cette option est rarement accompagnée d’une remise en cause de la technologie elle-même, de ses impacts et des comportements qui en découlent. Pour mettre fin à la voiture thermique, faisons le choix de la voiture électrique, voire autonome. Alors même qu’un débat plus profond sur la meilleure façon de répondre au besoin de mobilité serait plus pertinent. Idem pour l’énergie. Remplaçons un système technique basé sur les énergies fossiles par des énergies renouvelables, tout en laissant de côté un débat sur la nécessaire révision de nos usages et la diminution globale de notre consommation énergétique. Plutôt que de simplifier, voire de renoncer, nous rajoutons des couches de complexité technologique pour répondre à des problèmes parfois engendrés par les technologies elles-mêmes et leur usage disproportionné.

Sous prétexte de simplification, la technologie crée de nouvelles interfaces pour répondre à un besoin et crée de nouvelles dépendances. La technologie a un effet de mise à distance des usagers. Prenons par exemple le cas de la numérisation dans le secteur agricole, encouragée par le président Emmanuel Macron1. Les promoteurs de cette révolution 4.0 entendent pallier la diminution du nombre d’agriculteurs et d’agricultrices par la création d’immenses fermes connectées dont les capteurs et robots permettraient de déployer une agriculture de précision sur d’énormes surfaces, dépassant les capacités de gestion humaine. Ce virage technologique permettrait de rendre le travail de l’agriculteur moins pénible et plus attractif. Il est cependant nécessaire de mettre en évidence le fait que les investissements à réaliser pour s’équiper en matériel high tech sont colossaux. Cette transition accentue la dépossession des savoirs, met à distance l’agriculteur de sa terre et/ou de ses animaux, et rend plus difficile la transmission à des tiers. Qui plus est, ce matériel high tech se compose de ressources naturelles, notamment métalliques, dont l’extraction entraîne des pollutions massives et dont l’approvisionnement dépend de chaînes complexes et vulnérables.

À l’opposé, on retrouve la démarche de l’Atelier paysan. Cette coopérative développe et construit des machines agricoles en dialogue avec les paysans de façon raisonnée et au plus proche de leurs besoins. Leur démarche vise à renforcer l’autonomie des fermes via la diffusion et l’utilisation de technologies appropriées. Les agriculteurs peuvent à leur tour sensibiliser leurs pairs. À l’inverse de l’agroindustrie 4.0, l’Atelier paysan promeut l’enjeu national de réinstaller pas moins d’un million de paysans pour pouvoir nourrir la France sans pesticides. Elle y contribue en donnant des formations et en créant des alliances avec d’autres acteurs du monde paysan. La démarche de l’Atelier paysan se rapproche de la démarche low tech, même s’il ne s’en revendique pas spécialement.

Sortir de la binarité

Il est important d’éviter toute caricature ou simplisme. Les low tech ne s’opposent pas aux high tech. Prenons l’exemple du vélo : il est assimilé aux low tech, bien plus sobre et durable qu’une voiture, mais il fait pourtant appel à des technologies avancées et à des matériaux spécifiques pour en produire tous les composants. Pas d’objet low tech à proprement parler donc mais plutôt des principes qui guident toute réflexion sur les technologies et les objets du quotidien, dans une époque où les ressources naturelles sont sous pression. Quels sont ces principes ?

  • L’utilité tout d’abord. Telle technologie est-elle réellement utile ? Répond-elle à un besoin ou est-elle superflue ? Éviter la production d’une technologie inutile permet d’économiser ressources et énergie.

  • La durabilité ensuite. La conception et la production d’une technologie doit être la plus durable et locale possible. Doivent présider des critères de robustesse, d’économie d’énergie et de ressources, de simplification des objets, de réparabilité et de recyclabilité.

  • Enfin, l’accessibilité est le 3e principe. La technologie est-elle accessible et appropriable par le plus grand nombre ? Peut-elle être produite et réparée localement dans un esprit de convivialité2? L’approche low tech vise à démocratiser la technique, rendre les connaissances accessibles.

Ces trois principes caractérisent la démarche low tech, telle que définie par Philippe Bihouix3, orientée vers la quête de discernement technologique. Plus qu’une expérimentation sur des technologies plus sobres, les low tech revêtent une dimension systémique et politique, et remettent en cause les modèles économiques et sociaux actuels. Dotées d’une conscience aiguë du dépassement des limites planétaires, elles supposent une remise en question profonde de nos modes de production et de consommation.

Les low tech, une véritable alternative ?

L’application de ces principes suffit-elle à faire des low tech une véritable alternative socio-technique ? N’y a-t-il pas un risque de récupération des low tech par la logique de marché, ouvrant vers la commercialisation à grande échelle des objets low tech ? Les low tech seraient-elles en passe de devenir un nouveau techno-solutionnisme, c’est-à-dire que la résolution de la crise écologique passerait par un modèle technologique plus sobre ?

« Qu’est-ce qui pourrait suffire à nous épanouir collectivement dans un monde (écologiquement) contraint ? »

Selon Quentin Mateus4 du Low-tech.Lab, les trois principes ne sont pas suffisants car l’industrie peut s’en emparer sans changer de paradigme économique. Fondamentalement, les low tech s’opposent à la logique capitaliste à plusieurs niveaux : propriété intellectuelle vs partage des savoirs, accumulation vs sobriété. Tout en reconnaissant que le mouvement low tech est multiple et que différentes sensibilités y co-existent, il préfère voir les low tech comme un espace de controverses sur la technique qui suppose d’imaginer une autre économie. Selon lui, au-delà de la question des besoins, celle qui sous-tend la démarche low tech serait davantage : « Qu’est-ce qui pourrait suffire à nous épanouir collectivement dans un monde (écologiquement ) contraint ? ». Compte tenu de l’épuisement de notre système Terre causé par les activités humaines, de la surexploitation des ressources, des effets du dérèglement climatique, il s’agit d’expérimenter des manières de faire et de vivre autrement, suffisantes pour satisfaire à notre bien-être à toutes et tous. Comment faire bien avec beaucoup moins ? Il s’agit de trouver la réponse ensemble, explique Quentin Mateus.

Les low tech considérées comme projet de transformation profonde de la société peuvent agir sur trois plans : économique, politique et culturel. « Si la culture change, cela peut amener des changements économiques qui peuvent changer le politique » explique Quentin Mateus. À travers la culture, il est essentiel de raconter ce que c’est de vivre dans un monde low tech. La perte de confort matériel, liée par exemple à un habitat léger avec des toilettes sèches, est totalement compensée par la sérénité mentale de l’indépendance retrouvée. Il s’agit de la reprise d’un pouvoir politique. Il faut occuper l’espace du désir, investir les imaginaires. Du point de vue économique, il est nécessaire de parvenir à donner une autre image de l’entrepreneur qui a réussi. Mateus cite l’exemple de boulangers et maraîchers en Bretagne qui ont développé d’autres modèles économiques coopératifs tout en travaillant un nombre d’heures raisonnables sur leur semaine. C’est possible. Enfin, au niveau politique, il s’agit de faire des choix sociaux pour que les initiatives locales soient accessibles au plus grand nombre. La condition pour faire ces choix est de retrouver une autonomie économique et matérielle. Les dépendances matérielles qui nous sont pratiquement imposées par le système socio-technique en place nous limitent dans nos choix. L’exemple de la voiture est éloquent. Difficile de s’y opposer quand elle est indispensable pour nous rendre au travail. Les low tech visent à s’affranchir de ces dépendances matérielles, à devenir plus autonomes pour définir d’autres trajectoires de société.

Vers une démocratie technique

Si l’approche low tech ne constitue pas une solution parfaitement aboutie, elle a de nombreux atouts. Elle engage un questionnement nécessaire sur la fuite en avant technologique dans laquelle nos sociétés semblent engagées. Elle vient rappeler des questions essentielles telles que l’identification collective des besoins et la réponse la plus appropriée à y apporter. À travers l’expérimentation, les expériences biosphères5 par exemple, les low tech révèlent l’existence d’autres manières de répondre à nos besoins, en renforçant l’autonomie des citoyen·ne·s. Elles montrent que, malgré l’homogénéité technique apparente, il existe d’autres chemins. Celui des low tech met en avant des valeurs telles que la coopération, l’entraide, la suffisance, la créativité et la réflexivité, afin de ne pas reproduire les écueils du système technologique actuel.

Plus fondamentalement, les low tech révèlent le besoin partagé de reprendre en main démocratiquement les trajectoires technologiques de nos sociétés. « C’est dans ce contexte que la low tech présente un intérêt : participer à ouvrir une fois de plus la question sociale et politique de la technique6 » écrivent Roussilhe et Mateus.

Les jeunes en action !

Durant tout le week-end, trente jeunes ont découvert différentes approches critiques des technologies. Ils et elles ont visité des projets concrets mettant au centre une utilisation raisonnée des technologies et des ressources naturelles. Du projet d’expérimentations « l’arbre qui pousse » à Ottignies qui recrée un écosystème d’alternatives pour vivre autrement au Makilab à Louvain-la-Neuve qui vise à renforcer une approche autonome des technologies, en passant par l’entreprise Otra qui souhaite proposer des solutions plus écologiques dans le secteur de la construction, à base de matériaux biosourcés. Plusieurs intervenant·e·s sont venu·e·s partager leurs visions et expériences autour des technologies. Avec Repair Together, les jeunes ont découvert les entrailles de nos smartphones et les prémisses de la réparation de ces objets complexes. Caroline Pultz du Low-tech.Lab a fait un retour sur son expérience biosphère et la façon dont elle et Corentin de Chatelperron ont vécu pendant quatre mois dans le désert mexicain en autonomie, anticipant ce que pourrait être un mode de vie écologique dans des régions désertiques amenées à s’étendre. Les jeunes ont aussi pu découvrir le mouvement slowheat qui porte une réflexion sur notre rapport au chauffage, et développe une approche davantage centrée sur le chauffage des corps que des espaces. Fort·e·s de ces apprentissages et échanges, les jeunes ont profité d’une journée , sous forme de forum ouvert, pour identifier des pistes d’action pour l’avènement d’une société du discernement technologique. Trois thèmes principaux sont ressortis :

1) Pour des low tech démocratiques et sociales :

Les jeunes ont insisté sur l’importance de sortir les low tech de la sphère des ingénieurs et de démocratiser les réflexions et expériences low tech. Pour ce faire, ils dégagent trois axes :

a) L’éducation et la formation devraient être davantage axées sur des compétences manuelles afin de renforcer, dès le plus jeune âge, la connaissance et la maîtrise de nos objets du quotidien.

b) les pouvoirs publics devraient renforcer les initiatives citoyennes qui s’inscrivent dans une démarche low tech, tels que les fablab ou encore les repair café.

c) les jeunes pointent aussi la nécessité de communiquer sur ces enjeux. Ils plaident pour la création d’une plateforme qui regrouperait toutes les initiatives de type low tech ainsi que le lancement d’une campagne de promotion à grande échelle sur les low tech.

2) Pour un modèle technologique réellement durable :

Le modèle technologique actuel ignore largement les contraintes autour des ressources et de l’énergie. Il est encore possible aujourd’hui d’introduire sur le marché des objets parfaitement inutiles qui négligent les paramètres d’économie de ressources et d’énergie ou encore de conditions de production dignes. Pour les jeunes, le modèle technologique de demain doit répondre à d’autres critères : simplicité, robustesse, réparabilité, recyclabilité doivent devenir les maîtres mots. Nos gouvernements devraient contraindre les industriels en ce sens au nom de l’impératif écologique. Produire des biens réellement durables est aujourd’hui essentiel car c’est cette étape qui concentre la plus lourde part de l’empreinte écologique.

3) Pour des technologies solidaires :

Aujourd’hui, le développement technologique occidental est fortement dépendant de ressources provenant de pays du Sud où leur extraction peut être socialement et environnementalement néfaste. Pensons aux conflits sociaux autour de mines de cuivre au Pérou ou encore aux groupes armés à l’est de la République Démocratique du Congo dont le financement dépend en partie du commerce des minerais. Face à ces situations, les jeunes préconisent la réalisation de plus de recherches sur les impacts globaux de nos technologies. Les analyses de cycle de vie devraient se généraliser et intégrer des critères liés au respect des droits humains. Ces évaluations devraient accompagner la vente des produits et conditionner leur mise sur le marché. Les obligations liées au devoir de vigilance, c’est-à-dire à une prise en compte par les entreprises des risques sur leur chaîne d’approvisionnement, devraient devenir des clauses contraignantes des accords de libre échange. Pour réduire les impacts ailleurs, privilégier des politiques de sobriété et de réduction de la consommation ici est une voie à davantage explorer.

Au terme de ce week-end autour des technologies, la voie des low tech semble largement plébiscitée. Les jeunes partagent ce constat de la fuite en avant technologique actuelle et de la nécessité de reprendre la main sur notre avenir technologique. Ils et elles souhaitent un débat élargi sur un modèle technologique qui soit compatible avec les limites planétaires. Ce modèle gagnerait à s’inspirer de toutes les initiatives visionnaires qui expérimentent et promeuvent des techniques adaptées à un monde écologiquement contraint.

1 Emmanuel Macron a déclaré le 12 octobre 2021 « Pour réussir cette nouvelle révolution de l’alimentation saine, (…) nous devons investir dans trois révolutions (…) : le numérique, la robotique, la génétique » en annonçant une enveloppe de deux milliards d’euros dans le plan France 2030 pour développer ces innovations. Voir article de la revue Silence, « Hectar, vers une agriculture 4.0 ? », mars 2023

2 Mentionnons que selon Ivan Illich, penseur critique de la société industrielle, la société conviviale est une société où « l’outil moderne est au service de la personne, elle-même intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes », autrement dit « une société où l’homme contrôle l’outil ».

3 Philippe Bihouix est un ingénieur français, directeur de l’AREP et auteur de plusieurs livres dont « l’Âge des low tech » en 2014.

4 Quentin Mateus était intervenant lors de la conférence d’ouverture des Rencontres des Nouveaux Mondes, en compagnie de Nils le Bot (AREP) et Joao Antonucci Rezende (Right to repair Europe). Quentin Mateus est l’auteur, avec Gauthier Roussilhe de l’ouvrage « Perspectives low tech. Comment vivre, faire et s’organiser autrement ? », éditions divergences, 2023.

5 Caroline Pultz et Corentin de Chatelperron sont tous les deux membres du Low-tech.Lab. Ils développent le projet biosphère qui consiste à créer des écosystèmes autonomes (nourriture, eau, énergie, etc.) dans différents types de milieux.

6 MATEUS Q. et ROUSSILHE G., « Perspectives low tech : comment vivre, faire et s’organiser autrement ? », éd. Divergences, 2023, p.141.

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