(cc) moren hsu

I. Introduction

La question de la propriété émerge comme un axe central de réflexion au sein du champ de l’écologie politique, suscitant des interrogations profondes quant à la manière dont les relations humaines avec la terre et les ressources naturelles influent sur la durabilité environnementale. Cette problématique transcende les limites des disciplines, s’entremêlant avec des dimensions juridiques, philosophiques et politiques. La propriété, en tant que concept fondamental, impacte directement la manière dont nous concevons la gestion des ressources et notre rapport à l’environnement.

L’importance de déchiffrer la nature de la propriété dans le contexte de l’écologie politique réside dans son pouvoir de façonner les structures sociales, économiques et écologiques. La manière dont nous comprenons et justifions la propriété influe sur la répartition des ressources, la justice sociale et les dynamiques environnementales. En analysant la propriété, nous explorons les fondements philosophiques qui sous-tendent nos systèmes politiques et économiques, ainsi que leur impact sur la préservation ou la dégradation de notre environnement commun.

Nous commencerons cette réflexion par une exploration détaillée des différentes approches de l’analyse et de la définition de la propriété, embrassant des perspectives juridiques, philosophiques, et politiques en écologie. Ensuite, nous plongerons dans les généalogies philosophiques de la propriété, avec un accent particulier sur les travaux de penseurs tels que Locke, Rousseau, et Marx. En parallèle, nous examinerons la question de savoir si la propriété est intrinsèquement une question philosophique, en analysant ses liens avec les concepts philosophiques du pouvoir et son impact sur la justice sociale. Par la suite, nous mettrons en lumière les implications de la propriété en écologie politique, en analysant les justifications philosophiques de la propriété privée, et en examinant les réflexions contemporaines de penseurs tels qu’Elinor Ostrom et Murray Bookchin. Une section dédiée aux dialogues entre propriété et communs approfondira la manière dont les approches alternatives, telles que la gestion des ressources en communauté, peuvent influencer les défis liés à la propriété privée, avec un accent sur les convergences, divergences, et tensions conceptuelles. Enfin, nous aborderons les perspectives futures de la gestion des ressources, les implications pratiques et politiques découlant de nos réflexions, tout en appelant à un dialogue renouvelé entre les différentes approches de la propriété et la gestion des biens communs.

II. Définition, histoire et généalogie de la propriété

La discussion sur la propriété est complexe et sujette à des difficultés de définition, en particulier la distinction entre propriété et propriété privée. La propriété englobe les règles régissant l’accès et le contrôle des ressources matérielles et immatérielles. Différents systèmes de propriété existent, tels que la propriété commune, collective et privée. La propriété privée permet à des individus spécifiques de prendre des décisions sur les ressources qui leur sont attribuées, avec un contrôle considérable sur leur usage. Cependant, la propriété privée nécessite une justification publique en raison de son impact sur les autres et de son recours à l’autorité publique pour la protéger.

Le concept de propriété est débattu, certains le considérant comme un ensemble de droits et d’autres insistant sur la relation substantielle entre une personne et une chose. La capacité de transférer ces droits renforce le caractère auto-perpétuant de la propriété privée, laissant la distribution des ressources à la discrétion des individus sans nécessiter d’intervention publique continue. La question de savoir si la propriété devrait impliquer l’héritage reste sujette à controverse, et il est probable que des désaccords persisteront, certains considérant la propriété comme un concept essentiellement contesté.

La compréhension de la propriété est multi-facette, traversant divers domaines tels que le droit, la philosophie, et, plus récemment, l’écologie politique. L’analyse de la propriété peut être abordée sous différentes perspectives, chacune apportant une dimension unique à la compréhension du concept.

Les approches juridiques de la propriété se concentrent souvent sur les droits légaux et les relations de propriété établies par les systèmes juridiques. Cette perspective examine comment la propriété est définie et protégée par la loi, mettant l’accent sur les droits de possession, d’usage et de transfert (concepts issus du droit romain, à savoir usus le droit d’user de la chose, fructus le droit de jouir de la chose et abusus le droit de disposer, donner ou détruire la chose).

Les perspectives philosophiques explorent les fondements conceptuels de la propriété. Des penseurs classiques aux contemporains, les philosophes ont débattu des justifications éthiques, des droits naturels et des implications morales de la propriété. Cette dimension offre une réflexion plus profonde sur la signification de la propriété dans le contexte de la vie humaine et de la société. Elle permet de nous interroger selon quels principes une société va répondre à la question normative de comment justifier la propriété.

Dans le contexte de l’écologie politique, la propriété est souvent considérée comme une institution sociale ayant des implications politiques profondes. Cette perspective examine comment la propriété peut être utilisée comme un instrument de pouvoir, influençant la distribution des ressources naturelles et façonnant les politiques environnementales. La propriété devient ainsi un enjeu central dans les débats sur la justice écologique et la durabilité.

Les généalogies de la propriété regroupent des récits sur la manière dont la propriété privée aurait pu émerger dans un monde jusqu’alors ignorant de cette institution. Les histoires les plus connues sont les récits lockéens écrit au XVIIe siècle par le philosophe anglais John Locke. L’un commence par une description d’un état de nature et une prémisse initiale selon laquelle la terre n’appartient à personne en particulier. Ensuite, il raconte pourquoi il serait judicieux pour les individus d’approprier la terre et d’autres ressources pour leur usage personnel, et dans quelles conditions de telles appropriations seraient justifiées. Ces récits lockéens impliquent également l’idée d’un progrès social, où les marchés et la prospérité conduisent à l’inégalité et à la nécessité d’un gouvernement pour protéger les droits de propriété.

Une autre variante de récit proposée par David Hume, philosophe écossais du XVIIIe siècle, présente une perspective différente. Selon Hume, la possession de ressources est souvent arbitraire et résulte du conflit et de la chance. Cependant, un équilibre stable peut émerger lorsque les coûts marginaux de l’activité prédatrice deviennent égaux aux gains marginaux, conduisant à un accord tacite pour éviter le conflit. Autrement dit, la propriété peut être justifier si les externalités négatives causées par l’exploitation d’une propriété sont compensées par des externalités positives.

Un troisième type de récit, associé à Rousseau et Kant, philosophes du XVIIIe siècle, met davantage l’accent sur le contrat social et la décision sociale dans l’établissement de la propriété. Dans cette perspective, la propriété est basée sur le consentement de tous les individus concernés par les décisions sur l’utilisation et le contrôle des ressources.

Ces généalogies ne prétendent pas nécessairement être littéralement vraies, mais elles contribuent à notre compréhension de la propriété et de ses justifications. Certaines, comme l’approche de Rousseau et Kant, soulignent l’importance sociale de la propriété, tandis que d’autres, comme l’approche de Hume, mettent en lumière la stabilité et les avantages pratiques de la propriété, indépendamment de ses fondements moraux.

III. La propriété est-elle une question philosophique ?

La propriété, en tant que concept fondamental, entretient des liens étroits avec les différentes conceptions philosophiques du pouvoir. L’examen de ces liens permet de mieux comprendre la manière dont la propriété s’inscrit dans les théories du pouvoir développées par des penseurs majeurs. Les philosophes de l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne ont abondamment discuté de la propriété, chacun apportant des perspectives variées sur sa justification et son institution. Dans l’ensemble, ces discussions historiques ont cherché à dégager les principes fondamentaux justifiant la propriété, tout en soulignant les questions morales et sociales complexes qu’elle soulève.

Déjà, le concept juridique de la propriété à évolué au cours du temps, de ses premières manifestations dans les sociétés anciennes à sa consolidation en tant que principe central dans les systèmes juridiques modernes. Dans l’Antiquité, l’idée principale renvoie à la propriété individuelle et communautaire. Dans les sociétés antiques, la propriété pouvait prendre la forme d’une propriété individuelle, mais elle était souvent interconnectée avec des structures communautaires. Des notions de possession partagée et de responsabilité collective étaient présentes. Le Moyen Âge voit, de son côté, l’émergence du féodalisme, où la propriété des terres était étroitement liée aux relations de vassalité. Les droits seigneuriaux régissaient l’utilisation des terres et illustraient la complexité des arrangements de propriété. Enfin, c’est à l’époque moderne que l’idée de la propriété privée se développe et se renforce. Les changements économiques et sociaux ont favorisé la reconnaissance légale et culturelle de la propriété individuelle, posant les bases du système de propriété privée contemporain.

Du point de vue philosophique, les réflexions ont aussi évolué au cours du temps. Dans l’Antiquité, les auteurs comme Platon et Aristote ont débattu de la relation entre la propriété et la vertu, certains soutenant que la propriété collective promeut l’intérêt commun tandis que d’autres mettent en avant les vertus de la propriété privée. Aristote, par exemple, a souligné comment la propriété privée favorise la prudence et la responsabilité individuelle, tout en liant la liberté à la propriété et en distinguant les hommes libres des esclaves en fonction de leur possession de soi.

Au Moyen Âge, Thomas d’Aquin élargit cette discussion en soulignant les obligations morales des riches envers les pauvres, établissant ainsi les droits des démunis face aux riches. Son argumentation, mentionnant la primauté des besoins fondamentaux face à toute division artificielle des ressources, a influencé les débats ultérieurs sur la légitimité de la propriété privée.

Au XVIIe siècle, John Locke forgeait une vision de la propriété comme étant le fruit du travail et de l’usage productif des ressources. Selon lui, le travail conférait une légitimité morale à l’appropriation, établissant ainsi la propriété privée comme un droit naturel découlant de la liberté individuelle.

Au siècle suivant, Kant apportait sa réflexion en soulignant le lien intime entre la propriété et l’agence humaine. Il avançait que chaque individu avait le devoir de permettre l’utilisation des objets utiles, tout en reconnaissant la nécessité d’un arrangement social pour réguler les conflits d’intérêts. Son contemporain, Rousseau, critiquait la propriété privée comme source d’inégalités sociales. Pour lui, cette forme de propriété était à l’origine de conflits et contribuait à l’accroissement des disparités, remettant ainsi en question ses fondements moraux.

Au XIXe siècle, John Stuart Mill abordait sérieusement le communisme tout en pointant les injustices du système de propriété existant. Il plaidait pour des réformes visant à rendre les lois de propriété plus justes et en accord avec les principes de justice. A la même époque, Karl Marx analysait la propriété dans le contexte du capitalisme, la dénonçant comme un instrument d’exploitation de la classe ouvrière. Pour Marx, la propriété était un élément central dans la reproduction des inégalités de pouvoir et de richesse, appelant à une transformation vers des formes de propriété collective. Enfin, Hegel, également au XIXe siècle, explorait le rôle de la propriété dans le développement de la personnalité et de la liberté individuelle. Il mettait en lumière sa contribution à la responsabilité sociale, insistant sur son importance dans les dynamiques de pouvoir et d’autonomie individuelle.

La question de la propriété engage l’intérêt des philosophes pour plusieurs raisons. D’une part, elle soulève des questions fondamentales sur la justice sociale et la distribution des ressources, ce qui en fait un sujet pertinent pour la réflexion philosophique. D’autre part, la propriété implique des questions sur la relation entre l’individu et les biens matériels, ainsi que sur l’idée de propriété de soi-même.

L’enjeu de la justice sociale est également au cœur des préoccupations philosophiques entourant la propriété. L’examen des impacts de la propriété sur la justice sociale explore comment ce concept fondamental peut contribuer à des inégalités ou, au contraire, à une distribution plus équitable du bien-être dans la société.

L’analyse de la propriété révèle souvent des inégalités structurelles. Certains soutiennent que la propriété, en particulier sous sa forme privée, peut être source d’injustices sociales en favorisant l’accumulation de richesses et la concentration du pouvoir entre les mains d’une minorité.

D’autres approches philosophiques considèrent la propriété comme un levier pour promouvoir la justice sociale. Des penseurs tels que John Rawls au XXe siècle a exploré des idées comme la redistribution équitable des ressources pour atténuer les inégalités découlant de la propriété privée. Pour eux, les questions de propriété sont souvent secondaires par rapport aux principes abstraits de justice, plaçant les débats sur les systèmes économiques plus dans le domaine de la politique que de la philosophie politique.

Cependant, certains philosophes voient un lien inextricable entre la propriété et la justice. Les institutions de propriété peuvent favoriser ou entraver la réalisation de principes tels que l’égalité ou la distribution selon les besoins. La perspective de David Hume, par exemple, développe la propriété comme une convention sociale établie et stabilisée par des règles sociales. Selon lui, toute réflexion normative sur la propriété doit être précédée d’une réflexion normative sur la justice sociale. Certains penseurs, comme G.A. Cohen, ont examiné l’idée de propriété de soi-même, soutenant que chaque individu a le droit de contrôler ses propres ressources corporelles et mentales. Cette réflexion soulève des questions sur la compatibilité entre les principes d’égalité et les principes de propriété de soi.

Cette exploration de la propriété souligne la complexité de ce concept au sein des débats contemporains. Les liens avec les conceptions philosophiques du pouvoir, de la liberté individuelle et de la relation entre l’individu et les biens matériels, ainsi que les impacts sur la justice sociale, sont des dimensions cruciales à considérer dans toute réflexion sur la propriété en écologie politique.

Divers arguments justificatifs concernant la propriété privée ont été proposés, contribuant à l’approfondissement du concept. Tout d’abord, l’argumentation conséquentialiste. Selon cette perspective, les citoyens en général sont mieux lotis dans un système de propriété privée qu’avec tout autre système. Les partisans de cette approche avancent souvent l’idée de la «tragédie des communs», 1où la propriété commune entraîne une utilisation inefficace des ressources.

De plus, d’autres arguments sont basés sur la liberté. Les penseurs libéraux soutiennent que la propriété privée favorise la liberté individuelle, car les propriétaires ont le droit d’utiliser leurs biens comme ils le souhaitent. Cependant, des penseurs égalitaristes soulignent que la propriété exclut socialement certaines personnes des ressources détenues par d’autres, remettant en question l’idée que la propriété privée est un système de liberté absolue.

Enfin, l’importance morale de la propriété en termes de statut et de reconnaissance sociale est un dernier argument. Les droits de propriété confèrent un certain statut et une reconnaissance dans la société, mais leur distribution inégale soulève des questions importantes sur l’inégalité et la privation de droits de propriété pour certains individus.

En résumé, les arguments justificatifs concernant la propriété privée incluent des considérations conséquentialistes sur son efficacité, des réflexions sur son lien avec la liberté individuelle, ainsi que des implications morales sur la reconnaissance sociale et l’inégalité.

Les penseurs contemporains de la propriété ont réfléchi au lien avec l’écologie politique. Elinor Ostrom, lauréate du prix Nobel d’économie, a profondément influencé la réflexion sur la gestion des ressources communes. Elle a remis en question la théorie de la “Tragédie des biens communs” de Garrett Hardin longtemps été considérée comme inéluctable, en démontrant que les communautés peuvent mettre en place des institutions efficaces pour gérer durablement les ressources partagées. En effet, Ostrom a développé une théorie basée sur des recherches empiriques, remettant en question l’idée selon laquelle la privatisation ou la nationalisation sont les seules solutions viables. Ses observations de terrain dans divers contextes ont montré que la gestion collective peut prévenir la tragédie des biens communs et garantir la durabilité des ressources partagées. Son travail met en lumière l’importance de reconnaître les droits d’usage des individus dans la formulation de politiques environnementales, offrant ainsi une alternative à la vision traditionnelle de la propriété.

Murray Bookchin, fondateur de l’écologie sociale, propose une critique radicale de la société capitaliste et de ses structures de propriété. Il soutient que la transformation vers une société écologique nécessite une révolution sociale, remettant en question non seulement la propriété privée des moyens de production, mais également les formes hiérarchiques de gouvernance. L’écologie sociale de Bookchin explore les liens entre les rapports de propriété et les problèmes environnementaux, plaçant la propriété au cœur de la transformation politique vers une société écologiquement durable.

La réflexion sur la propriété a des implications profondes sur les politiques et les pratiques actuelles. Les décideurs politiques, les acteurs économiques et la société civile doivent intégrer ces dimensions pour construire des approches plus durables et équitables.

En réformant les politiques, il est nécessaire de repenser les cadres juridiques et institutionnels régissant la propriété pour permettre une gestion démocratique et juste des ressources dans un contexte raréfaction des ressources dû au changement climatique et de concentration des ressources dû à l’augmentation des inégalités. Ces réformes pourraient encourager des modèles de propriété plus en accord avec les impératifs écologiques, en favorisant par exemple des réglementations plus strictes sur l’utilisation des ressources naturelles et des incitations économiques à la durabilité.

En intégrant le concept de propriété écologique, généralement attribué à Elinor Ostrom, il est essentiel de reconnaître que le progrès technologique seul ne suffira pas à résoudre les problèmes actuels. La propriété écologique s’oppose conceptuellement à la propriété marchande liée au capitalisme libéral qui a produit la catastrophe écologique en cours. Elle vise à protéger des espaces et des ressources. Le principe du droit romain abusus concernant la propriété disparaît, cela ne signifie ni la vente ni la destruction sont possible. Par exemple, un champ en propriété écologique pourrait être exploité selon des pratiques d’agroécologie bio, en opposition à un champ en propriété classique en agriculture intensive. Cette perspective de propriété écologique incite à une réflexion sur la manière dont les ressources sont gérées et utilisées, offrant un cadre pour la protection de l’environnement et la promotion d’une utilisation durable des terres.

IV. Dialogues entre propriété et communs

La propriété privée, en tant que mécanisme de gestion des ressources naturelles, présente des limites majeures qui nécessitent une réflexion approfondie, notamment en ce qui concerne son impact sur l’initiative démocratique.

Tout d’abord, comme on peut l’observer aujourd’hui la propriété privée peut souvent négliger les externalités environnementales, telles que les pollutions ou les dégradations écologiques, qui ne sont pas prises en compte dans les décisions des propriétaires. Les conséquences de ces externalités peuvent être graves, affectant non seulement l’environnement mais aussi la santé publique et le bien-être des générations futures. Cette absence de considération pour les impacts environnementaux peut compromettre la durabilité à long terme des ressources naturelles et des écosystèmes. Malgré l’idée selon laquelle les spéculateurs pourraient agir en tant que protecteurs des ressources sur lesquelles ils spéculent, la réalité montre souvent l’échec de cette théorie. En effet, dans une économie de marché, l’épuisement d’une ressource peut créer de la rareté et augmenter sa valeur, incitant ainsi à une utilisation rationnelle. Cependant, cela ne garantit pas toujours une gestion responsable des ressources, et les externalités négatives sont souvent socialisées, tandis que les bénéfices restent privatisés.

De plus, la propriété privée peut réduire la capacité d’initiative démocratique dans la gestion des ressources. Les propriétaires ont le pouvoir de prendre des décisions arbitraires qui peuvent entraîner des répercussions importantes sur l’environnement et sur la vie des communautés locales. Par exemple, un propriétaire terrien peut décider de défricher une forêt pour développer un projet immobilier, sans consultation ni consentement des habitants. Cette asymétrie de pouvoir entre les propriétaires et les communautés peut entraîner des conflits et des injustices sociales, compromettant ainsi la démocratie et la justice environnementale.

Les communs représentent une alternative à la propriété privée dans la gestion des ressources. Les communs sont des biens partagés par une communauté qui élabore des règles collectives pour leur utilisation et leur préservation. Contrairement à la propriété privée, les communs mettent l’accent sur la responsabilité partagée et la durabilité, cherchant à éviter les écueils de la tragédie des biens communs.

Des exemples concrets illustrent la mise en pratique des principes des communs dans la gestion des ressources. Des initiatives telles que les pêcheries communautaires, les forêts gérées collectivement, ou encore les systèmes d’irrigation partagés démontrent la viabilité de ce modèle. Ces exemples soulignent l’importance de la collaboration, de la confiance et de la participation communautaire dans la préservation des ressources naturelles.

En explorant ces limites de la propriété privée et en présentant les communs comme une alternative viable, il devient évident que la réflexion sur la gestion des ressources naturelles doit dépasser les paradigmes traditionnels de propriété. Cet aspect souligne la nécessité d’un dialogue approfondi entre les théories de la propriété et les approches émergentes axées sur les communs, en particulier dans le contexte de l’écologie politique.

Les communs peuvent être une réponse créative à ces enjeux. Cependant, dans un cadre où la propriété marchande prévôt, les communs font faces à une limite d’échelle, circonscrit à des expérimentations locales à impacte modeste. Un changement d’échelle impliquerait un choc des normes sociale et économique entre un modèle capitaliste où la propriété marchande domine et un modèle communiste où la propriété d’usage et les communs sont généralisé.

En résumé, la propriété privée présente des limites dans la gestion des ressources naturelles en raison de son incapacité à prendre en compte les externalités environnementales et de son impact sur l’initiative démocratique. Pour assurer une gestion plus durable et équitable des ressources, il est essentiel d’explorer des alternatives telles que la gestion collective et la prise en compte des intérêts des communautés locales dans les processus de décision.

Dans le dialogue entre la propriété et les communs, un point de convergence crucial réside dans la reconnaissance des droits d’usage. Tant dans la conception traditionnelle de la propriété que dans les modèles de gestion des communs, il est essentiel de définir clairement les droits d’accès et d’utilisation des ressources. La propriété privée reconnaît ces droits à l’individu propriétaire, tandis que les modèles de communs accordent des droits d’usage à une communauté ou à un groupe spécifique. Le défi réside dans la recherche d’un équilibre qui préserve les droits individuels tout en garantissant une utilisation durable et équitable des ressources.

Un autre aspect convergent entre la propriété et les communs est la notion de responsabilité. Tandis que la propriété privée implique généralement une responsabilité individuelle envers la gestion des biens, les modèles de communs soulignent la responsabilité collective de la communauté envers les ressources partagées. La prise de conscience grandissante des enjeux environnementaux a conduit à une réévaluation de la responsabilité collective dans la gestion des ressources, incitant à explorer des mécanismes hybrides qui combinent les avantages de la propriété individuelle avec la responsabilité collective envers l’environnement.

Des points de divergence et tensions conceptuelles existent cependant, éléments vis-à-vis desquels il faut être attentif. Une tension fondamentale réside dans le conflit entre la propriété privée et la gestion collective des ressources. Alors que la propriété privée confère des droits exclusifs à un individu ou à une entité, les approches de gestion collective des communs mettent l’accent sur la nécessité de partager les responsabilités et les bénéfices de manière équitable au sein d’une communauté. Les débats émergent autour de la manière de concilier ces deux modèles, tout en assurant une utilisation durable des ressources sans compromettre les droits individuels.

Une autre tension conceptuelle découle du contraste entre l’individualisme inhérent à la propriété privée et le communautarisme associé aux modèles de gestion des communs. L’individualisme défend l’autonomie et les droits personnels, tandis que le communautarisme souligne la nécessité d’une gestion collective et coopérative des ressources. Trouver un équilibre entre ces deux perspectives divergentes devient crucial pour élaborer des solutions durables et équitables, tout en reconnaissant la diversité des valeurs et des priorités au sein de la société.

Ces points de convergence et de divergence montrent que le dialogue entre la propriété et les communs ne se limite pas à des questions pratiques, mais s’étend dans le domaine philosophique, explorant les fondements éthiques de la gestion des ressources et les modèles de société souhaitables.

V. Perspectives futures et conclusions

La question de la propriété et des communs se trouve au cœur des défis contemporains liés à la gestion des ressources. Dans un contexte de changements climatiques, d’épuisement des ressources naturelles et d’augmentation de la population mondiale, il devient impératif de repenser nos modèles de propriété. Les défis incluent, entre autres, la durabilité des pratiques de gestion des ressources, la préservation de la biodiversité, et la nécessité de trouver des solutions équitables face à des enjeux globaux.

La propriété, qu’elle soit privée ou collective, doit s’adapter aux impératifs de durabilité. Cette nécessité implique de repenser la manière dont les ressources naturelles sont exploitées et utilisées. Les défis sont nombreux, notamment la surpêche, la déforestation, et l’utilisation excessive des ressources en eau. L’enjeu est de trouver des modèles de propriété qui favorisent une utilisation durable des ressources, tout en respectant les équilibres écologiques.

La propriété et les modèles de gestion associés ont souvent contribué à la dégradation de la biodiversité. La fragmentation des terres, la conversion des habitats naturels en zones urbaines ou agricoles, et d’autres pratiques liées à la propriété ont des conséquences directes sur la diversité biologique. La recherche de solutions pour préserver la biodiversité nécessite une réflexion approfondie sur les droits de propriété et les incitations économiques qui les sous-tendent.

Les enjeux environnementaux ne connaissent pas de frontières nationales, et les débats autour de la propriété et des communs doivent prendre en compte cette dimension globale. Les défis contemporains exigent des solutions qui favorisent l’équité entre les nations et les communautés. Concilier les intérêts divergents tout en garantissant un accès équitable aux ressources et en préservant l’environnement constitue un défi crucial.

Face à ces défis et implications, un appel est lancé pour un dialogue renouvelé entre les concepts de propriété et de communs. Ce dialogue doit être multidisciplinaire, engageant des perspectives philosophiques, politiques, économiques et écologiques. Il devrait impliquer toutes les parties prenantes, des chercheurs aux décideurs politiques, en passant par la société civile, afin de coconstruire des solutions viables et équitables.

En conclusion, la redéfinition du concept de propriété et l’exploration des communs offrent des perspectives riches pour relever les défis contemporains liés à la gestion des ressources. Il faut critiquer la propriété marchande qui est aujourd’hui hégémonique pour passer à un autre mode de propriété ou à un panachage de différentes formes de propriété, tel un faisceau de droits. La créativité allouée par le caractère démocratique de notre système politique nous permet de penser une pluralité de propriétés qui s’appliquerait à différents types de situations. En favorisant un dialogue ouvert et en intégrant des approches novatrices, il est possible de créer des fondements plus durables pour la coexistence entre l’humanité et son environnement.

Ouverture bibliographique possible

A. Références classiques

Locke, John. Deux Traités du Gouvernement. 1690.

– Ouvrage majeur sur la propriété en tant que droit naturel et fondement du gouvernement.

Rousseau, Jean-Jacques. Du Contrat Social. 1762.

– Exploration de la propriété comme source d’inégalités et réflexions sur la propriété commune.

Marx, Karl. Le Capital. 1867.

– Critique de la propriété capitaliste et analyse des relations sociales liées à la production.

B. Travaux contemporains en écologie politique

Ostrom, Elinor. Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action. 1990.

– Approfondissement de la théorie des communs et de la gouvernance décentralisée.

Bookchin, Murray. The Ecology of Freedom: The Emergence and Dissolution of Hierarchy. 1982.

– Exploration des liens entre écologie sociale et propriété, remettant en question les structures hiérarchiques.

Harvey, David. Justice, Nature and the Geography of Difference. 1996.

– Analyse des aspects géographiques de la propriété et de son rôle dans les inégalités environnementales.

C. Études spécifiques sur la gestion des communs

Hess, Charlotte, & Ostrom, Elinor. Understanding Knowledge as a Commons: From Theory to Practice. 2006.

– Application du concept de communs à la gestion des connaissances et des ressources intellectuelles.

Bollier, David. Think Like a Commoner: A Short Introduction to the Life of the Commons. 2014.

– Exploration des principes des communs et de leur application dans différents domaines.

Cox, Michael, Arnold, Gail, & Villamayor Tomás, Sergio. A Review of Design Principles for Community-Based Natural Resource Management. 2010.

– Examen des principes de conception pour la gestion communautaire des ressources naturelles.

Sources :

« La propriété le sujet et sa chose ». Clerc et Mordillat. 2023.

Waldron, Jeremy, “Property and Ownership”, The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Fall 2023 Edition), Edward N. Zalta & Uri Nodelman (eds.), URL = <https://plato.stanford.edu/archives/fall2023/entries/property/>

Robert Castel « La proporiété sociale : émergences, transformations et remises en cause »

Cretois, P. (2022). Défendre la copossession des ressources pour préserver les communs environnementaux. Revue Française de Socio-Économie, 29, 131-148. https://doi.org/10.3917/rfse.029.0131

Cretois, P. (2021). Propriété. Dans : Razmig Keucheyan éd., Histoire globale des socialismes: XIXe-XXIe siècle (pp. 487-498). Paris cedex 14: Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.keuch.2021.01.0487

(2021). Dépasser l’idéologie propriétaire. Ballast, 11, 151-163. https://doi.org/10.3917/ball.011.0151

https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2020-3-page-751.htm

1 La “tragédie des biens communs” est la tendance à l’épuisement et à la surutilisation des ressources partagées en l’absence de régulation, due à l’intérêt personnel des individus.

Share This