Atteindre les objectifs de durabilité écologique exige des investissements et des budgets extraordinaires. Les finances publiques sont appelées au secours mais sont contraintes par une norme d’endettement (60 % du PIB), par une concurrence fiscale et une mobilité des capitaux qui sapent les recettes fiscales alors que, dans le même temps, les dépenses publiques sont relativement incompressibles. Recettes, dépenses, dette, les trois pôles d’un triangle infernal qui contrarient le budget et l’impératif écologique et jettent le discrédit sur le politique incapable de mobiliser les financements pour relever les défis contemporains et rassurer la population sur son futur.

Cette carte blanche à d’abord été publiée sur le site d’information Le Soir le 24 novembre 2023

L’endettement public, recette miracle ?

C’est sans doute aller un peu vite en besogne ! Il convient de prendre un temps de réflexion. L’endettement public est-il réellement le moyen de financement le plus adéquat ? N’est-ce pas augmenter la sujétion du secteur public au secteur financier ? N’est-ce pas soumettre un objectif de bien commun à une logique financière de type marchand, le prêt à intérêt ? N’est-ce pas enclencher une redistribution inversée allant des contribuables payant l’impôt aux épargnants encaissant des intérêts ? Un transfert des moins nantis au plus nantis ? N’est-ce pas s’astreindre à rechercher une croissance économique supplémentaire pour pouvoir rembourser ces dettes ou en payer les intérêts ? Cette croissance n’exigerait-elle pas de nouvelles activités et de nouveaux prélèvements dans la nature qui ne feraient qu’aggraver les dommages déjà commis à la nature ?

L’endettement public ne semble pas l’outil le plus adéquat pour financer le bien commun et la bifurcation socio-écologique financièrement non rentable. Seules des recettes provenant d’un impôt équitable permettraient de répondre correctement aux défis de l’heure mais la concurrence fiscale et la liberté des mouvements de capitaux ont pulvérisé les assiettes fiscales et il apparaît de plus en plus que l’impôt sur la fortune « tax-the-rich », piste souvent évoquée, n’est pas simple à mettre en place face à des structures financières opaques.

Une solution européenne impérative

La solution ne peut être cherchée qu’au niveau européen, là où l’on peut échapper à cette concurrence fratricide entre Etats membres. A l’image des mesures d’assouplissement quantitatif prises par la BCE et le SEBC pour sauver les banques lors de la crise financière, un collectif piloté par J. Couppey-Soubeyran, Maîtresse de conférences à la Sorbonne, propose d’instituer un mécanisme de « monnaie volontaire ». Il s’agit d’une faculté de création monétaire d’un montant limité par an qui serait exclusivement et intégralement affecté au financement des investissements socialement ou écologiquement indispensables qui n’auraient pas de rentabilité financière (aménagement du territoire, transports publics, infrastructures d’intérêt général, bâtiments publics d’intérêt social, etc.). Cette monnaie volontaire serait liquidée sous forme de subventions, via un circuit de distribution à préciser, pour financer des projets répondant aux conditions mentionnées. En parallèle à cette injection monétaire, ce collectif propose d’instaurer un mécanisme européen qui permettrait de contrôler et de retirer les éventuels excès de monnaie. Ce mécanisme comprendrait un volet fiscal européen qui viserait à taxer les stocks et les flux de capitaux et à taxer les prélèvements de ressources non renouvelables (les minéraux). Parallèlement, les outils de contrôle de la masse monétaire de la BCE, notamment les réserves obligatoires, seraient renforcés comme le préconise le Professeur Paul De Grauwe.

C’est probablement dans la direction d’une action coordonnée politique monétaire-politique fiscale au niveau européen qu’il faut se diriger pour sortir du trilemme durabilité écologique, soutenabilité budgétaire et stabilité politique. Les élections européennes constituent probablement un momentum adéquat pour mettre ce genre de propositions en débat.

Une carte blanche de Pierre Delandre, Chercheur associé d’Etopia

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