Beaucoup d’encre a coulé pour analyser les rebondissements de la saga NewB et les années de péripéties mouvementées de ce projet bancaire.

Lancer et pérenniser un projet entrepreneurial est une tâche ardue. Statistiquement, plus de 50% des projets d’entreprises innovantes échouent dans les 5 ans qui suivent leur lancement. Ce chiffre monte à 70% lorsque la période d’observation passe à 7 ans.

NewB est un projet de banque coopérative belge éthique né d’un double constat :

  • le manque de diversité du secteur bancaire dans notre pays. En Belgique, pas moins de 83 % des banques sont d’origine étrangère et les banques coopératives sont peu répandues.
  • l’absence de volonté réelle de changement de la part des grandes banques conventionnelles qui, plus de 10 ans après la crise de 2008, rechignent à faire évoluer leurs pratiques pour tenir compte des nécessités et attentes actuelles de la société.[1]

Entre 2011 et 2014, partant de rien, NewB lance son projet bancaire avec l’objectif de lever 70 millions d’euros de capital et de trouver 1 million de clients. En 2013, 43.000 citoyens et 24 associations rejoignent le projet, levant ainsi 15M€. En 2019, NewB parvient à récolter 35M€ supplémentaires auprès de citoyens et citoyennes, d’associations et des pouvoirs publics. Après 10 ans d’activité et un premier refus en 2014, elle reçoit sa licence bancaire fin 2020. La coopérative offre alors des services de paiement, d’épargne, de prêt et d’assurance.

Finalement, en 2022, NewB s’engage à lever 40M€ d’euros auprès d’investisseurs institutionnels pour enfin atteindre son objectif de levée de fonds. A défaut d’y parvenir, elle annonce mettre fin au projet fin de l’année 2022. Aujourd’hui, la coopérative a abandonné son statut de banque, pour devenir une agence bancaire et d’assurances, en partenariat avec vdk banque et l’assureur Monceau.

Un succès et des attentes énormes

La première campagne de prise de parts dans la coopérative était un réel succès démontrant l’attente de nombreux citoyens pour plus de durabilité dans le monde bancaire. Les équipes de NewB sont parvenues à mener une campagne de levée de fonds tonitruante, mobilisant un véritable mouvement citoyen. La promesse était grande, les attentes énormes.

Il est probable que ce premier succès ait donné l’impression que NewB avait un projet bancaire unique, sans concurrent existant ou émergent. Mais un projet entrepreneurial n’existe jamais en vase clos. Il doit toujours faire face à des concurrents directs ou indirects qui répondent, de près ou de loin, aux mêmes problèmes. On peut donc postuler que NewB fait partie d’une vague de nouveaux acteurs qui visent à remettre en question l’ordre établi sur le marché des services bancaires et d’assurance.

Par exemple, Tomorrow Bank, en Allemagne, a levé 14M€ d’euros avec 90.000 utilisateurs et Hélios, en France, levé 9M€ d’euros avec 50.000 utilisateurs qui ont été séduits en moins d’un an. En comparaison avec ces banques également durables, NewB a réalisé une levée de fonds standard de 15 millions en 2013 pour pouvoir se lancer en tant que projet innovant dans le secteur financier avec une proposition de valeur unique basée sur la durabilité et le modèle coopératif. Cependant, d’un point de vue entrepreneurial, elle fait pâle comparaison en termes de nombre de clients payants acquis ainsi que par la lenteur de sa pénétration de marché.

Transformer l’essai : obtenir la licence bancaire et, surtout, capter des clients

Une fois  passé l’enthousiasme initial de la première levée de fonds, l’équipe NewB se retrouve face à une tâche immense : obtenir un agrément bancaire auprès de la banque nationale et convaincre les particuliers de déplacer leurs dépôts et leur épargne au sein de la banque.

On l’a vu, le trésor de guerre de NewB parait suffisant aux premiers abords mais la banque coopérative va rapidement se confronter à la réalité qui frappe l’entièreté des néo-arrivants sur le marché de la finance en Europe : faire changer un citoyen de banque s’avère très compliqué. En Belgique, BNP Paribas Fortis, Fintro, KBC-CBC, Belfius et ING cumulaient quelque 207 milliards d’euros fin décembre 2022, à comparer avec un encours total de 300 milliards[2][3],, soit 69 % du total des parts de marché. C’était 65,2 % il y a dix ans.

L’« action-intention gap” dans le domaine de la finance durable est très important. Il représente la différence entre les promesses d’intention de potentiels clients et les actes posés par ceux-ci : “je suis prêt(e) à changer de banque” versus “je change de banque”. De plus, du point de vue marketing et communication, en moyenne, une entreprise financière doit dépenser plusieurs centaines d’euros pour acquérir un nouveau client. Or, du point de vue des services bancaire à strictement parler (offre de services, moyens de paiement, application, service clientèle, etc.), la proposition de valeur de NewB est relativement similaire, voir plutôt inférieure à l’offre déjà existante et peut souvent être trouvée moins chère chez un concurrent. Malgré ses efforts, NewB ne compte que 12.334 clients versus les 46.000 attendus en 2021[4]

Outre la cohabitation avec d’autres acteurs émergents, NewB doit avant tout faire face à l’offre des banques traditionnelles. L’un des avantages compétitifs principaux d’une jeune pousse face à une grande entreprise établie est son agilité pour faire évoluer son offre et sa rapidité de prise de décisions pour ce faire. Or, la nature même de la structure coopérative implique une certaine lenteur des processus décisionnels. De plus, les équipes peinent souvent à mobiliser les coopérateurs et les réunions n’atteignent pas toujours les quorums de présence nécessaire pour prendre certaines décisions stratégiques. Il faut donc parfois convoquer plusieurs assemblées générales ordinaires, puis extraordinaires pour pouvoir faire évoluer la coopérative et adapter son offre ou son fonctionnement.

Tirer les leçons et se (re)lancer

Nous évoquons ici quelques facteurs importants de réussite d’un projet entrepreneurial innovant : financements, ventes, gouvernance, agilité. Mais d’autres facteurs de succès auraient pu être analysés, tels que la composition et gestion de l’équipe, la relation avec les fournisseurs ou encore l’environnement légal.

Il est évidemment facile de faire une analyse après les faits, une fois la poussière retombée et sans avoir été directement impliqué dans le projet, mise à part la possession de parts de coopérateurs mais cette aventure collective a montré le besoin clair de la population de réinventer les piliers les plus structurants de notre société. Plus d’une centaine de milliers de personnes et des dizaines d’associations ont pu prendre part à la création d’une entreprise guidée par une ambition et des valeurs claires : changer la banque pour de bon et remettre le pouvoir de la finance au service de la société à un niveau local et de manière durable.

NewB a lancé un véritable mouvement qui va être suivi, on l’espère, par d’autres initiatives similaires. La mise en avant du besoin de transformation de la finance, appelé à aller vers l’incorporation de l’impact sociétal dans ses produits, est bien présent et doit être pris en compte par les grands acteurs financiers d’aujourd’hui qui dominent le marché par rapport aux acteurs alternatifs ou émergents.

Il y a entre 620 et 800 milliards d’euros en actifs sous gestion en Belgique. Une enquête réalisée par Impact Finance Belgium estime qu’entre 1 et 2,5% de ces actifs est investi avec un but d’impact. Quant aux assurances et fonds de pension qui détiennent environ 175 milliards d’euros, ils investissent entre 0 et 0,5% de leur portefeuille dans un but d’impact.

Il est donc temps d’agir, vis-à-vis des banques mais également vis-à-vis des autres acteurs financiers. En tant que citoyens, il nous est déjà possible d’augmenter cette part d’impact dans la finance en nous tournant vers des banques responsables présentes sur le marché comme Triodos, Argenta et VDK. Nous pouvons également utiliser notre pouvoir de citoyens en tant que clients de fonds de pension, d’assurance, de banque et d’autres produits financiers pour exiger davantage de transparence et de responsabilité sociétale des entreprises existantes.

Il est statistiquement normal qu’un projet innovant d’entreprise échoue. Mais la plus grosse réussite de NewB, c’est d’avoir rassemblé le mouvement citoyen et militant lors des deux levées de fonds auprès des particuliers et associations. De nombreuses coopératives peuvent envier cette énergie qui est parvenue à sortir l’initiative NewB de sa niche initiale et à en faire un projet grand public largement connu en Belgique. Elles gagneront à comprendre ce que NewB a positivement réussi pour le répliquer dans le cadre d’autres projets coopératifs qui veulent faire bouger les lignes.

NewB n’a peut-être pas su défier les statistiques pour poursuivre sa propre histoire, mais elle offre une opportunité remarquable à ses 116.833 coopérateurs : faire le point, idéalement en petits groupes, réfléchir sur ce que qu’ils et elles ont collectivement réussi, et sur leur part de responsabilités concernant les différents échecs qui ont contribué à mettre NewB dans la situation dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. Finalement, créer une société, c’est d’abord associer des personnes et des ressources qui acceptent des règles pour matérialiser une vision, des intérêts ou des travaux communs.

Car s’agit de continuer à soutenir les projets qui se lancent, à encourager les entrepreneurs qui rêvent d’un monde plus durable, plus juste, et qui prennent des risques pour créer cette réalité sous forme de société. Pour n’en citer que quelques-uns : Cociter (fournisseur d’électricité), Neibo (téléphonie mobile), Terre en vue (accès à la terre agricole), Urbike (logistique urbaine), Médor & Wilfried (Journalisme), Bees coop & consorts (grande distribution), etc. Rejoignons-les et contribuons activement pour qu’elles réussissent là ou NewB a échoué.

 

Martin Nera,                                                               Diane Delava,

CEO, Mind & Market ASBL                                       Changemaker pour une finance durable

[1] https://newb.coop/fr/actualite/newb-lidee-dune-banque-differente

[2] Décompte de l’encours auprès des quatre banques du pays mené par l’agence Belga

[3] Selon les dernières données de la Banque nationale de Belgique (BNB)

[4] NewB, rapport d’activité 2021

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