Quel dispositif pour responsabiliser les multinationales ?
1. Introduction
Au mois de juin 2021, un rapport commandé par la députée européenne Saskia Bricmont estimait à cinquante milliards la valeur des biens fabriqués par des enfants et importés au sein de l’Union européenne[2]. Quelques années plus tôt, un reportage de la RTBF – basé notamment sur un rapport d’Oxfam – évoquait la prédominance du travail des enfants dans la récolte des fèves de cacao destinées à devenir du chocolat belge[3]. Ces deux exemples illustrent un phénomène bien connu de notre économie de marché : de nombreuses sociétés transnationales – également appelées multinationales – s’accommodent fort bien des violations des droits humains commises au sein de leur chaîne de production ou de distribution.
Chaque semaine semble effectivement être accompagnée de son scandale en matière de violation des droits humains par ou liée à des multinationales. Sur la seule semaine du 9 au 16 novembre 2021[4], des articles de presse dénonçaient : la collusion de Facebook avec les régimes autoritaires du Kazakhstan[5], un rapport sur le lien entre véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines de cobalt en République démocratique du Congo[6], un nouveau rapport d’Amnesty International sur les violations des droits humains des travailleurs construisant les infrastructures de la coupe du monde 2022 au Qatar[7], l’ouverture de poursuites en Suède à l’encontre du pétrolier Lundin Energy pour complicité de crimes de guerre au Soudan[8], ou encore la condamnation de l’entreprise britannique JCB en raison de l’utilisation de ses machines de construction dans la démolition de maisons palestiniennes et la construction de colonies israéliennes dans les Territoires occupés[9]. Certains de ces scandales concernent des formes de complicité active avec des régimes autoritaires et criminels, d’autres impliquent la participation directe de l’entreprise ou d’une de ses filiales aux crimes concernés, d’autres encore ne concernent qu’une forme de négligence, une absence coupable de vigilance. Pourtant, ces exactions partagent également un certain nombre de caractéristiques : leurs auteurs sont de grandes sociétés dont le siège est situé en Europe de l’Ouest ou aux Etats-Unis d’Amérique ; les violations des droits humains sont commises dans des États-tiers à l’encontre de populations précarisées ; les violations sont commises au travers de chaînes de production peu transparentes, destinées à diluer la responsabilité des sociétés-mères ; et la nature transnationale de ces entreprises leur permet d’échapper assez efficacement à la plupart des formes de mises en cause de leur responsabilité.
La question de la responsabilité des multinationales ne se résume pas à sa dimension juridique (…) Elle représente également un enjeu éthique : la lutte pour plus de justice et d’égalité passe par la contestation de l’impunité des multinationales.
Cette quasi-irresponsabilité des entreprises transnationales est actuellement au cœur d’un important débat politique, juridique, économique et social. Il se joue au sein du Parlement fédéral, qui entend légiférer sur la question, à la Commission européenne, qui prépare une directive sur la responsabilité des entreprises, ou dans les couloirs des Nations Unies où se négocie un projet de convention internationale à ce sujet. Il se déroule devant les tribunaux, lorsque des victimes de violations des droits humains ou des associations tentent de faire reconnaître la responsabilité des entreprises, dans des campagnes de boycott ou parmi les acteurs de la responsabilité sociale des entreprises. La question de la responsabilité des multinationales ne se résume pas à sa dimension juridique, quoique cette dernière tient une place prédominante dans l’analyse qui suit. Elle représente également un enjeu éthique : la lutte pour plus de justice et d’égalité passe par la contestation de l’impunité des multinationales.
Ce faisant, la responsabilisation – terme paradoxal tant il peut être empreint d’un fumet néolibéral – des entreprises nécessite également d’articuler une critique du productivisme. En effet, l’irresponsabilité des entreprises transnationales demeurera acceptable tant que les violations des droits humains d’individus pauvres vivant des États lointains et les dégradations de l’environnement seront « compensées » par la production à bas prix de biens de consommation à destination des consommatrices et consommateurs européens[10]. Sans admettre une remise en cause du modèle économique productiviste, les efforts de renforcement de la responsabilité des multinationales se heurteront aux résistances des consommatrices et consommateurs et à un surcroît d’efforts d’évasion de la responsabilité.
L’analyse présentée ci-dessous commence par la problématisation de la quasi-impunité des multinationales. Cette section débute par une définition de la notion de multinationales – et des raisons d’imposer une telle responsabilité – avant de s’intéresser aux obstacles à la responsabilité des entreprises pour les abus des droits humains commis par leurs filiales ou leurs fournisseurs (I). Sont ensuite examinées plusieurs propositions d’amélioration des devoirs des multinationales : les alertes de l’opinion publique, la responsabilité sociale des entreprises ; la création d’un régime prétorien, c’est-à-dire créé par les décisions de justice ; une proposition de loi actuellement à l’examen devant le Parlement fédéral créant un devoir de vigilance ; et enfin un projet de Convention internationale qui entend régler cette question au niveau des Nations Unies (II).
La responsabilité des multinationales pour les abus des droits humains commis par leurs filiales ou fournisseurs est une matière complexe. Par souci de brièveté, de nombreux aspects (rôles des ONG et des institutions publiques de protection des droits humains dans cette problématique[11], particularités de l’exploitation des groupes vulnérables[12], accès à la justice des victimes[13], etc.) sont absents de cette contribution.
2. La responsabilité des multinationales pour les faits de leurs filiales et fournisseurs
a. « Multinationale » : problématisation
Les multinationales sont des entreprises généralement constituées par le biais de la création de filiales, entités distinctes de la société-mère, disposant ou non de la personnalité juridique. La société-mère est dans cette situation à la fois la titulaire d’une forme de contrôle sur sa filiale – partiel ou complet – et la récipiendaire des bénéfices engendrés. Une multinationale est donc en premier lieu caractérisée par son unité économique, et non juridique[14]. Cette définition conduit donc à relativiser la distinction entre filiale et fournisseur. Quoique d’importantes différences existent, cette notion d’unité économique peut parfaitement s’appliquer à l’emprise d’une société-mère sur certains fournisseurs qui seraient en situation de dépendance vis-à-vis de celle-ci.
L’émergence de la question de responsabilité des multinationales témoigne de l’évolution remarquable de certaines conceptions des droits humains au cours de ces trente dernières années
Définir les multinationales par référence à leur unité économique permet de tenir certaines entreprises transnationales pour co-responsables des violations des droits humains commises par des entités juridiquement distinctes. Comme pour toute personne physique, la responsabilité d’une entreprise n’est pas limitée aux seuls actes qu’elle commet, mais également aux actions qu’elle fait faire par d’autres, et à ses omissions coupables ou négligentes. Établir cette responsabilité implique donc de démontrer l’existence d’un lien suffisant entre l’entreprise, d’une part, sa filiale ou son fournisseur de l’autre. Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour apporter une telle preuve :
- Constater l’existence d’une forme de contrôle sur les opérations de la filiale ou du fournisseur : la société qui contrôle les actions de son fournisseur, par exemple en lui imposant des méthodes précises de travail se rend responsable des abus commis en exécution de ses instructions ;
- Établir l’existence de bénéfices tirés des exactions à l’encontre des droits humains ;
- Ou enfin démontrer que la société-mère avait connaissance de ces violations ou, à défaut, qu’elle aurait dû en avoir connaissance, que son ignorance est négligente. Pour ce dernier cas de figure, nous pouvons par exemple imaginer l’exemple d’une entreprise se fournissant dans le secteur minier congolais sans inspecter la chaîne de production des minerais qu’elle acquiert, alors que de nombreux rapports ont déjà documenté des violations des droits humains.
D’autres pistes que l’unité économique existent également pour tenter de déterminer si une entreprise peut être tenue responsable des actions d’une filiale ou d’un fournisseur. Certains auteurs, par exemple, plaident en faveur de la reconnaissance de la notion de sphère d’influence pour déterminer sa responsabilité[15]. Ces différentes approches se rejoignent dans le refus de définir une entreprise transnationale par référence à ses « frontières » juridiques.
L’émergence de la question de responsabilité des multinationales témoigne de l’évolution remarquable de certaines conceptions des droits humains au cours de ces trente dernières années. En tant que telles, les entreprises transnationales ne sont pas des sujets de droit international : elles sont juridiquement territorialisées au sein d’un État, et ses filiales et fournisseurs relèvent de l’ordre juridique d’autres États, tout en étant économiquement « déterritorialisées ». Elles constituent donc un paradoxe considérable pour le droit pour lequel la souveraineté nationale demeure une référence : acteurs du droit international – par leur participation à la mondialisation mais aussi par la puissance et l’influence qu’elles acquièrent – sans en être sujet.
Ce statut évolue toutefois progressivement, quoique, comme le note la professeure au Collège de France Mireille Delmas-Marty, « la révolution reste à faire »[16]. La reconnaissance de ces sociétés du point de vue du droit international a initialement été acquise à leur bénéfice, par le biais de la conclusion de nombreux accords bilatéraux d’investissement visant à leur conférer une protection[17], visant par exemple à confier tout litige qui naîtrait de leur activité économique à un tribunal arbitral plutôt qu’aux juridictions nationales. Progressivement, les multinationales sont associées à un mouvement de responsabilisation des acteurs agissant sur la scène internationale qui concernait, au premier chef, les Etats, notamment au travers de l’émergence de juridictions internationales appelées à arbitrer des violations des droits fondamentaux[18]. Il a ainsi été suggéré que la Cour pénale internationale puisse juger des personnes morales qui se seraient rendues coupables de graves violations du droit international[19].
b. Obstacles à la mise en œuvre de la responsabilité des multinationales
La régulation des multinationales est toutefois rendue difficile par trois difficultés associées à leur absence de définition légale, et de normes spécifiques qui s’y attachent :
- La complexité et l’opacité des chaînes de production et de distribution rendent difficile l’établissement des niveaux de responsabilités en cas de faute ;
- Le principe de la responsabilité uniquement associée à ses fautes propres ;
- Et les règles qui gouvernent la compétence territoriale des juridictions nationales[20].
Près de cinquante ans après les premières revendications d’un contrôle accru des entreprises transnationales au nom des droits humains (…) les tentatives de responsabilisation des multinationales sont encore largement un échec.
A ces trois obstacles juridiques s’ajoute un conflit politique opposant des organisations non gouvernementales et certains pays en développement à des pays industrialisés concernant la forme que devrait prendre ces régimes de responsabilité. Certains États – les États-Unis d’Amérique en tête[21], et, dans une certaine mesure, l’Union européenne[22] – apparaissent plus préoccupés par la sauvegarde des avantages concurrentiels de « leurs » champions économiques plutôt que par le respect des droits humains. Près de cinquante ans après les premières revendications d’un contrôle accru des entreprises transnationales au nom des droits humains, et malgré certaines initiatives louables[23], les tentatives de responsabilisation des multinationales sont encore largement un échec[24].
Le manque de transparence des chaînes de distribution est particulièrement problématique lorsque l’entreprise transnationale fait recours à de la sous-traitance et à des fournisseurs, plutôt qu’à des filiales. L’utilisation de techniques de sous-traitance « en cascade » peut engendrer une opacité presque totale, aussi bien pour les victimes des abus des droits humains qui peineront à déterminer l’entreprise ultimement responsable, que pour certains des acteurs de la chaîne de production elle-même[25].
Deuxième obstacle, un principe général de droit[26] interdit que la responsabilité d’une personne morale – fut-ce une société-mère – soit engagée en raison d’une faute commise par une personne morale juridiquement distincte (une filiale, un fournisseur), quand bien même la première aurait bénéficié des conséquences de cette faute ou exercé un certain contrôle sur l’entreprise responsable. Certaines exceptions à ce principe existent – la faute délictuelle sur le fondement de l’article 1382 du code civil[27], par exemple – mais elles correspondent mal aux relations particulières qui se nouent entre une société et ses fournisseurs ou ses filiales[28]. La plupart des tentatives de mise en cause de la responsabilité d’une société-mère ou d’une société-cliente sur la base de ces exceptions seront vouées à l’échec. Toutefois, à l’heure actuelle, ces exceptions sont la seule manière de mettre en cause des multinationales dans le droit civil belge[29]. Par conséquent, renforcer la responsabilité juridique des multinationales requiert un fondement légal nouveau, à l’instar du devoir de diligence raisonnable inspiré par la jurisprudence anglo-saxonne[30] (ci-dessous).
Enfin, la territorialité du droit signifie que la juridiction compétente pour examiner la violation des droits humains commise par une personne morale sera généralement celle du pays où la violation a eu lieu. Or, il peut être difficile d’attraire devant ces tribunaux des entreprises transnationales qui n’y ont pas leur siège, sont peu incitées à respecter les décisions de justice et bénéficient parfois de clauses d’arbitrage obligatoires prévues dans des conventions bilatérales avec l’État où siège l’entreprise concernée. En outre, ces juridictions peuvent parfois manquer d’indépendance, être sensible à des pressions politiques ou économiques.
L’affaire Chevron contre Équateur[31] illustre bien ces difficultés. Des citoyen·nes équatorien·nes portent plainte pour une pollution gigantesque commise par une filiale de Chevron, Texaco, devant les juridictions américaines – où se situe le siège de Chevron. Le tribunal américain refuse d’examiner l’affaire, s’estimant incompétent en raison de la territorialité du droit[32]. Lorsque l’Équateur se déclare compétent et prononce une condamnation, le jugement demeure lettre morte par l’interprétation d’un traité bilatéral qui oblige à avoir recours à un arbitrage et qui permet à Chevron de refuser de payer. En outre, Chevron porte plainte devant les tribunaux américains, en estimant que la procédure dont il a fait l’objet en Équateur viole ses droits à un procès équitable, et obtient gain de cause. Ce sont donc les plaignant·es qui se voient condamné·es et menacé·es de poursuites pénales. L’impunité de Chevron pour les violations des droits fondamentaux en Équateur est pratiquement complète[33]. D’autres affaires mettant en cause la responsabilité de certaines multinationales ont échoué en amont : les victimes et leurs ayants-droits de l’effondrement du Rana Plaza ont tenté en vain d’obtenir une condamnation devant les tribunaux des marques fabriquées dans les ateliers[34], faute de tribunal se déclarant compétent ; la plainte déposée en Suisse contre la société Argor Heraeus SA, soupçonnée d’avoir raffiné plus de trois tonnes d’or sale en RDC, a été classée sans suite en raison du manque d’éléments permettant d’affirmer que l’entreprise connaissait l’origine criminelle de l’or[35].
Devant les juridictions anglo-saxonnes, où sont situées un grand nombre de multinationales, des difficultés supplémentaires sont engendrées par une construction jurisprudentielle appelée forum non conveniens. Celle-ci permet aux juridictions nationales de renvoyer une affaire pour laquelle elle est pourtant compétente si elle estime qu’une autre juridiction – typiquement celle du pays où les exactions ont été commises – est mieux apte à apprécier la situation[36]. Avant 2020[37], aucune personne étrangère n’avait obtenu gain de cause devant les tribunaux canadiens pour une action en responsabilité à l’encontre d’une multinationale canadienne et plusieurs affaires introduites se sont conclues par un renvoi à une autre juridiction[38]. Enfin, la quasi-totalité des affaires rejetées par les juridictions américaines en raison d’incompétence territoriale ne sont jamais réintroduites devant les juridictions désignées comme compétentes, pour des motifs allant des importants coûts engendrés par la procédure américaine à l’absence de possibilité d’exécution de ces jugements[39].
La multiplication actuelle des obstacles à la mise en cause de la responsabilité des entreprises transnationales conduit à une certaine forme d’impunité, ou de quasi-irresponsabilité. Or, ces sociétés sont désormais titulaires d’une telle puissance publique qu’elles peuvent usurper certaines fonctions régaliennes (sécurité, santé, etc.) dans l’impuissance des organes de contrôle qui pourraient les tenir responsables de cette puissance. L’internationalisation du droit aboutit à un système d’irresponsabilité illimitée[40].
Faire émerger un régime de responsabilité pour les entreprises transnationales implique donc de pouvoir donner une réponse à ces différents obstacles : renforcer la transparence des chaînes de production ; clarifier les conditions qui doivent être réunies pour que la responsabilité des sociétés pour les actions de ses filiales ou fournisseurs puisse être engagée ; déterminer une juridiction compétente pour recevoir des plaintes et rendre ces procédures accessibles ; et prévoir des mécanismes de sanction appropriés. Plusieurs pistes de solution existent pour tenter d’adresser cette problématique : si certaines, telle la responsabilité sociale des entreprises, sont très peu convaincantes pour adresser cette problématique, d’autres méritent plus d’efforts dans le chef des autorités politiques.
3. Cinq pistes visant à responsabiliser les entreprises transnationales
Différentes pistes de solutions ont été suggérées pour renforcer les régimes de responsabilité des entreprises transnationales pour les violations des droits humains auxquelles elles sont associées. Leur enjeu est de lutter contre la dilution des responsabilités en trouvant un équilibre entre le pouvoir détenu par les entreprises transnationales et les mécanismes susceptibles de leur imposer de rendre des comptes[41]. Les solutions peuvent généralement être classées en cinq catégories :
- La première s’intéresse aux stratégies de mobilisation de l’opinion publique pour dénoncer certaines violations des droits humains.
- La deuxième repose sur l’autorégulation et l’autocontrôle des entreprises. Cette piste se conçoit principalement par référence à la responsabilité sociale de l’entreprise, dont l’objet est toutefois plus large que les droits humains.
- La troisième prévoit la réinterprétation jurisprudentielle de certaines normes juridiques afin de les appliquer aux comportements des entreprises transnationales. Cette solution s’intéresse particulièrement aux règles permettant de déterminer une juridiction applicable, et les règles sur le fondement desquelles une entreprise pourrait être tenue responsable des actions commises par une autre entité juridique.
- Quatrièmement, certaines propositions législatives tentent de mettre au point un devoir de responsabilité des entreprises vis-à-vis de leurs fournisseurs. A cet égard, est particulièrement discutée une proposition de loi actuellement examinée par la Chambre des représentants qui viserait à intégrer une telle obligation de vigilance en droit belge.
- Enfin, sont rapidement examinées les négociations en cours vers un instrument juridique international contraignant. Nombre des propositions de loi actuellement examinées s’appuient sur une initiative – les Principes directeurs des Nations-Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme – mise au point sous l’égide des Nations-Unies, qui allie recommandations pour les entreprises et promotion de mécanismes de recours effectifs. Des négociations sont actuellement en cours pour transformer ces Principes directeurs en une convention internationale contraignante. Les discussions à ce sujet progressent, quoique lentement, mais doivent faire face à une importante hostilité provenant des pays les plus fortunés.
a. Les alertes de l’opinion publique
Une première méthode fréquemment utilisée pour tenter de responsabiliser certaines entreprises consiste à apporter une certaine publicité sur leurs abus au travers de stratégies de mobilisation de l’opinion publique. La plupart des marques présentes dans les sociétés riches veillent à conserver une image de marque aussi positive que possible, et tout scandale peut conduire une entreprise à réagir rapidement pour étouffer la polémique. Par exemple, un reportage consacré à l’utilisation de travail par des singes dans des plantations de noix de coco, réalisé par l’organisation non-gouvernementale PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) a conduit plus de 33 000 magasins aux Etats-Unis à se débarrasser des marques mises en cause[42].
Les avantages de cette méthode sont nombreux, en particulier en comparaison d’actions judiciaires : elle ne nécessite pas de démontrer l’existence d’une complexe responsabilité de l’entreprise-mère ou utilisatrice pour la faire réagir. Cette méthode a également le mérite de pouvoir obtenir des résultats positifs rapidement, sans systématiquement exiger d’importants investissements financiers de la part des victimes de ces abus.
Les défauts sont toutefois plus nombreux encore. Une telle méthode repose sur l’accès aux médias, et donc sur l’accès aux gardiens de l’information – selon la théorie des médias comme gatekeepers[43] – qu’il s’agisse des journalistes, des éditeurs et éditrices, des influenceurs et influenceuses, etc[44]. Or, l’accès à ces acteurs et actrices est profondément inégalitaire et complexes pour des victimes individuelles de violations de leurs droits humains, nécessitant d’avoir recours à des tiers (associations, personnalités, etc.) plus ou moins disponibles et à l’agenda plus ou moins concordant avec celui des victimes concernées. Cette méthode a donc tendance à attribuer un rôle relativement passif aux victimes d’abus, et à conférer un rôle actif – et plus visible – à leurs représentant·es consenti·es ou contraint·es, rôle qu’endosseront en général des personnes plus privilégiées.
Cette critique en rejoint une autre : en reposant sur la réaction de l’opinion publique des pays industrialisés, les alertes supposent une certaine coïncidence entre les valeurs et les intérêts des victimes des abus et de ceux de l’opinion publique concernée. Par conséquent, cette méthode fonctionnera mieux lorsque les scandales touchent aux intérêts de l’opinion belge – par exemple, si l’enjeu concerne l’approvisionnement de la population – ou charrient un vision européo-centrée de l’importance des droits violés.
Il semblerait également que cette méthode d’alerte de l’opinion publique soit relativement peu efficace pour obtenir des changements structurels, qui exigerait une attention plus soutenue de l’opinion publique. En outre, l’alerte de l’opinion publique ne fonctionne que pour des enjeux relativement simples, aisément présentables, et est peu propice à une critique plus systématique de certains modèles économiques, comme le productivisme ou l’extractivisme. Enfin, les entreprises transnationales doivent aujourd’hui composer avec des opinions publiques parfois diamétralement opposées, ce qui complexifie l’effet des alertes de l’opinion publique.
Reposer exclusivement sur des stratégies d’alerte de l’opinion peut donc être relativement périlleux et se révéler en définitive peu efficace.
A titre d’exemple, en 2020, suite à la publication de plusieurs rapports dénonçant l’utilisation d’esclaves ouïghours dans la récolte du coton au Xinjiang[45], plusieurs entreprises européennes – H&M, Adidas, Calvin Klein, etc. – ont annoncé renoncer à se fournir dans cette région. En réaction, les réseaux sociaux chinois ont vu se multiplier des appels au boycott et plusieurs grands distributeurs chinois – Alibaba, JD.com, Pinduoduo – ont retiré les articles de ces marques de leurs sites[46]. Certaines marques ont immédiatement réagi en insistant sur leur dimension apolitique (Nike), en réaffirmant leur soutien au coton du Xinjiang (Hugo Boss[47]) ou en insistant sur leur refus d’acheter le coton du Xinjiang (H&M)[48].
Reposer exclusivement sur des stratégies d’alerte de l’opinion peut donc être relativement périlleux et se révéler en définitive peu efficace. En effet, dès la fin de la phase d’intérêt public, les abus peuvent reprendre dans l’indifférence générale, et de très nombreuses violations des droits humains se poursuivent faute d’intérêt public suffisamment fort pour contraindre les entreprises à adopter de nouvelles pratiques. Développer d’autres stratégies de responsabilisation des entreprises transnationales est donc indispensable pour combattre l’impunité de certaines entreprises responsables de violations des droits humains.
b. L’autorégulation par la responsabilité sociale des entreprises
D’importants efforts entrepris pour responsabiliser les entreprises transnationales ont favorisé et favorisent l’adoption de systèmes d’autorégulation et d’autocontrôle, correspondant à la notion de responsabilité sociale[49] de l’entreprise. Celle-ci vise à promouvoir la responsabilisation des entreprises « vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société »[50]. Une définition internationale de la responsabilité sociale de l’entreprise – celle de la norme ISO 26000 – évoque la maîtrise des impacts d’une organisation à tous niveaux de celle-ci, par l’adoption de comportements éthiques, transparents et durables respectant les lois et les normes internationales de comportement[51]. Un grand nombre de décisions et d’actions de l’entreprise sont donc susceptibles de relever de sa responsabilité sociale, en ce compris les contrôles qu’elle effectue auprès de ses fournisseurs et des normes qu’elle leur impose, ainsi que son comportement vis-à-vis de ses filiales. Toutefois, les principes de la responsabilité sociale ne prévoient ni de contrôle public ni de mécanisme de sanction, reposant généralement sur le contrôle que la société exerce sur elle-même ou sur des initiatives élaborées au niveau sectoriel.
le modèle de la responsabilité sociale de l’entreprise reste fondé sur l’autorégulation et l’autocontrôle
L’efficacité de ce système pour assurer le respect des droits humains est contestée. A son crédit, elle représente une importante évolution de la conception de l’entreprise, d’un modèle « purement » actionnarial – selon lequel l’intérêt des actionnaires est l’unique préoccupation à défendre – à une conception plus solidaire de l’entreprise. Ce concept a également le mérite d’avoir créé une large coalition rassemblant des acteurs aussi bien étatiques que privés, et de nombreuses organisations internationales, intéressés par la question de la responsabilité de l’entreprise. Toutefois, le modèle de la responsabilité sociale de l’entreprise reste fondé sur l’autorégulation et l’autocontrôle, et est donc incapable de mettre réellement fin à l’irresponsabilité de certaines entreprises qui souscrivent pourtant à ses principes[52], en l’absence d’un organe de contrôle indépendant et public, et de moyens de sanctions en cas de violation. En outre, une importante marge d’appréciation est laissée aux multinationales pour déterminer les actions qu’elles entreprennent sous le couvert de leur « responsabilité sociale ». Pour certaines, la responsabilité sociale semble relever d’une simple opération symbolique de communication[53]. Enfin, il est également questionnable de confier exclusivement aux entreprises une forme de régulation qui relève incontestablement de l’intérêt général. La responsabilité sociale de l’entreprise, seule, conduit à une impasse et n’est pas susceptible de répondre aux défis qu’elle prétend relever[54].
Une possible piste d’amélioration de la responsabilité sociale des entreprises pourrait donc consister en un encadrement de cette pratique par une loi ou une convention internationale. Il s’agirait alors de s’appuyer sur la responsabilité sociale des entreprises pour faire accepter une responsabilité pleinement juridique[55]. Une telle responsabilité permettrait de convenir d’objectifs communs aux entreprises concernées et de leur rendre opposables par la création d’un organe de contrôle indépendant susceptible d’imposer des mécanismes de mise en conformité en cas de faillite des mécanismes d’autocontrôle[56], voire de déterminer une juridiction judiciaire compétente. La responsabilité sociale de l’entreprise sortirait alors du droit « souple » pour devenir un mécanisme hybride, fortement influencé par l’autorégulation et l’autocontrôle mais prévoyant également des voies de recours externes indépendantes. Une première étape vers cet objectif a été accomplie par la révision d’un certain nombre de traités internationaux – celui de l’OCDE, celui de l’OIT[57] – pour y intégrer les acquis de la responsabilité sociale des entreprises dans le courant des années 2000. Toutefois, ces mécanismes demeurent actuellement d’application facultative et sont donc encore d’une efficacité limitée pour lutter contre l’impunité.
c. Faire reconnaître la responsabilité des entreprises devant les tribunaux : la voie judiciaire
Une troisième piste consiste à se servir des outils juridiques qui existent déjà pour tenter d’obtenir une condamnation des entreprises transnationales devant les juridictions judiciaires. Concrètement, cela signifie que des personnes physiques ou morales – idéalement les victimes des abus des droits humains elles-mêmes – prennent l’initiative d’introduire une action devant une juridiction à l’encontre d’une entreprise transnationale, en raison d’abus commis par une de ses filiales ou de ses fournisseurs. La personne à l’origine de cette procédure devra convaincre la juridiction saisie qu’elle est bien compétente pour traiter de sa plainte, puis prouver un lien fort entre l’entreprise mise en cause et la filiale ou le fournisseur concerné, et enfin démontrer l’existence de la violation des droits humains et la responsabilité de l’entreprise dans celle-ci. Ceci n’est évidemment possible que pour autant que le requérant ait les moyens humains et financiers d’introduire cette procédure, l’expertise nécessaire au développement de ses arguments, et le courage de la mener à bien malgré un rapport de force – qui se traduit notamment en termes de moyens financiers – profondément défavorable.
De nombreux obstacles limitent donc le succès des procédures judiciaires intentées à l’encontre d’une société-mère. Pourtant, la jurisprudence contient d’intéressantes décisions qui ont conclu à des formes nouvelles de responsabilité permettant la condamnation d’une entreprise transnationale. Une partie de cette jurisprudence se fonde sur la violation d’un devoir de vigilance (duty of care), notion qui est rapprochable de celle de diligence raisonnable évoquée dans les Principes directeurs des Nations-Unies (infra)[58]. Cette construction issue de la jurisprudence est principalement d’inspiration anglo-saxonne et se fonde sur le cumul de trois critères appréciés par le juge – la prévisibilité, la proximité et le caractère juste et raisonnable de la vigilance attendue – pour déterminer si une société-mère est susceptible d’être tenue responsable des violations des droits humains commises par une de ses filiales. L’arrêt de référence – Chandler v. Cape du 25 avril 2012[59] – évoque une situation pourtant relativement circonscrite : la société-mère mise en cause a été condamnée parce qu’elle savait que le système de travail de sa filiale aurait de graves conséquences sur la santé des employés, et qu’elle était mieux équipée que sa filiale pour évaluer ces risques et s’est pourtant abstenue d’intervenir. Cette inaction coupable a constitué une faute propre de la société-mère[60]. Ce raisonnement a été avalisé par la Cour suprême du Royaume-Uni dans une autre affaire, en élargissant le devoir de vigilance en faveur des tiers victimes de violations de leurs droits, en l’occurrence des individus empoisonnés par la pollution des eaux engendrées par une filiale[61].
D’autres actions entendant mettre en cause la responsabilité d’une société pour ses filiales, voire pour ses fournisseurs, ont été tranchées dans un sens tout aussi innovant. Dans l’affaire Erika, la justice française a estimé le pétrolier Total co-responsable des dégâts provoqués par la marée d’un navire affrété par une de ses filiales. La chambre criminelle de la Cour de cassation française a considéré que la faute de Total était notamment caractérisée du fait que ses propres règles de sécurité, qui était également applicables à ses filiales, avaient été bafouées[62]. Cette décision a donc conféré une certaine valeur juridique aux codes de bonne conduite qu’adoptent des entreprises transnationales au nom de leur responsabilité sociale. A contrario, la société française Areva – concernant le cancer contracté par un employé d’une mine d’uranium au Niger – n’a pas été jugée responsable de la maladie malgré les fautes dans la protection des travailleurs et travailleuses de sa filiale[63]. Une troisième affaire, plus intéressante encore, a opposé la société Shell à 4 fermiers nigérians devant les juridictions néerlandaises pour de graves dégâts de pollution commis par une de ses filiales au Nigeria. La Cour d’appel de La Haye a conclu à la responsabilité de Shell et l’a condamnée à dédommager les 4 plaignants et à installer un système de détection des fuites au sein de sa filiale[64]. Plusieurs affaires canadiennes, Choc v. Hudbay Minerals[65] et Araya et al. v. Nevsun Resources Ltd.[66] ont également reconnu la responsabilité des sociétés-mères en matière de violences et de travail forcé.
Cependant, la piste jurisprudentielle, seule, ne suffit pas à résoudre le problème de l’impunité des multinationales[67]. Si certains succès ont incontestablement été atteints par cette voie, la jurisprudence demeure trop aléatoire pour en attendre le développement d’une théorie de la responsabilité communément admise qui permettrait de sanctionner les infractions aux droits humains commises par les fournisseurs ou les filiales de sociétés transnationales[68]. Chaque décision est susceptible de définir des principes légèrement différents les uns des autres, ce qui complexifierait encore la possibilité de poursuivre les entreprises transnationales responsables. Rien n’oblige non plus une cour ou un tribunal à suivre les conclusions d’une autre juridiction équivalente, du moins dans nos pays de droit civil. Ainsi, plusieurs juridictions supérieures – la Cour de cassation française[69], la Cour suprême américaine[70] – ont fait preuve de la plus grande réticence à admettre une forme de responsabilité juridique pour les faits des filiales.
Le rôle que la jurisprudence peut être appelé à jouer doit donc être plus modeste tout en demeurant essentiel pour le succès de toute réforme de la responsabilité des multinationales : définir certaines notions, telle celle de « sphère d’influence » ou d’ « unité économique » ; déterminer les conditions endéans lesquelles les sociétés-mères peuvent être tenues responsables pour les actions de leurs filiales et fournisseurs ; offrir une voie de recours efficace ; voire, enfin, inspirer le législateur à agir.
d. la voie législative : d’importants progrès
Si les méthodes militantes, d’autorégulation et judiciaires se révèlent insuffisantes pour adresser la question de la responsabilité des entreprises transnationales pour les faits de leurs filiales et fournisseurs, les deux pistes qui restent à examiner semblent plus prometteuses. La première consiste en l’adoption de législation à l’échelon national, qui permettrait de déterminer clairement les principaux enjeux de cette responsabilité : dans quelles conditions une entreprise transnationale est responsable, comment un tribunal national peut-il être compétent et pour quelles infractions, quelles sont les modes de preuve exigés des demandeurs et demanderesses, quelles sont les sanctions envisageables, etc. Il est légitime de s’interroger sur la pertinence de l’échelon national pour régler cette question (voir ci-dessous) mais ces solutions apparaissent a priori plus efficaces.
A cet égard, il est intéressant de noter que plusieurs pays voisins de la Belgique se sont récemment dotés d’une législation prévoyant un devoir de vigilance dans le chef de certaines entreprises : la France, l’Allemagne, les Pays-Bas. Parallèlement, la Commission européenne travaille également sur cette question, notamment suite à l’adoption d’une résolution du Parlement européen[71]. Un projet de directive est attendu pour la fin de l’année 2021 à ce sujet[72].
En Belgique, un Plan d’action national « portant exécution des Principes directeurs (des Nations Unies) relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme » a été adopté en juillet 2017 sous l’impulsion des institutions européennes par les gouvernements fédéral et régionaux[73].
Ce plan a pour objectif de faire souscrire, au travers de 33 mesures, les entreprises belges à une approche de droits humains. Ces mesures comprennent, par exemple, la rédaction d’une Charte sur les objectifs de développement durable, l’organisation de campagnes de sensibilisation à destination des entreprises, le partage de bonnes pratiques, etc.[74]. À quelques exceptions près, les mesures ne sont donc pas des principes contraignants qui s’imposeraient aux entreprises visées.
Le Plan d’action national est donc moins une démarche contraignante qu’une éventuelle préparation vers un instrument juridique plus contraignant. D’autres acteurs incitent également le législateur à adopter une telle législation : en octobre 2020, un mémorandum signé par un grand nombre d’organisations de la société civile – dont tous les syndicats – appelait le législateur à consacrer une obligation forte et contraignante vis-à-vis de certaines entreprises[75]. En février 2021, une coalition de soixante entreprises ont plaidé pour un cadre contraignant en matière de droits humains et d’environnement auprès du gouvernement fédéral[76]. Ces démarches ont rencontré un certain écho : au mois d’avril, pour la première fois, une proposition de loi a été déposée par trois parlementaires socialistes[77]. Elle est actuellement à l’examen au Parlement fédéral et vise à instaurer une telle obligation pour les entreprises qui exercent une partie de leur activité économique en Belgique[78].
La proposition de loi actuellement examinée par le Parlement prévoit l’introduction d’un cadre exigeant et très large visant à introduire une telle obligation en droit belge[79]. Les termes de la loi sont particulièrement ambitieux : toutes les entreprises actives en Belgique seraient concernées – de la plus petite à la plus grande. Cette responsabilité est toutefois différenciée, tant l’étendue de l’obligation de vigilance varie en fonction de la taille de l’entreprise. Les grandes entreprises[80] et celles travaillant dans un secteur à risque doivent établir un plan de vigilance, prévoyant notamment une cartographie des risques, des procédures d’évacuation et un mécanisme d’identification des différents acteurs – filiales et fournisseurs – qui agissent dans la chaîne de valeur (ou chaîne de production) de l’entreprise. Cette dernière doit également prévoir une évaluation régulière des risques, prendre des actions d’atténuation, recueillir les signalements et prévoir un mécanisme de plainte et de réparation[81].
Cette proposition de loi a de nombreux mérites, parmi lesquels celui d’exister. S’agissant de la première initiative législative en ce sens, elle a engendré un passionnant débat parlementaire sur cette question.
La question de la compétence des juridictions belges est également traitée par la proposition de loi : il est proposé que les tribunaux belges puissent être compétents dès lors que l’entreprise « est active en Belgique tandis que la violation est survenue à l’occasion de l’exécution de l’une ou plusieurs chaînes de valeur à l’étranger. »[82]. Les victimes d’abus peuvent introduire une demande devant les juridictions belges, mais également les organisations non gouvernementales et les syndicats, à qui est confiée la possibilité de représenter et d’agir en justice au nom des victimes de ces abus[83]. Une charge de la preuve plus favorable aux victimes des abus est également prévue[84]. Les réparations seront quant à elles basées sur le droit ordinaire de la responsabilité, nécessitant donc d’évaluer le montant du dommage, et le législateur prévoit une possibilité pour la société-mère de se retourner contre les filiales ou ses fournisseurs pour récupérer une partie de ce montant en fonction de la responsabilité de chacun dans le dommage causé[85].
Cette proposition de loi a de nombreux mérites, parmi lesquels celui d’exister. S’agissant de la première initiative législative en ce sens, elle a engendré un passionnant débat parlementaire sur cette question. Elle crée également – un avantage indéniable sur certaines normes adoptées par des États voisins – un lien entre droits humains et environnement, et a un champ d’application très large. Toutefois, cette proposition n’est pas non plus sans défauts : il est notamment possible que ce champ d’application soit trop large, et représente une charge importante pour de petites entreprises. Par ailleurs, la notion d’activité en Belgique est relativement peu claire. Un des piliers des plans de vigilance – la transparence – est absente de la proposition de loi, et il aurait été intéressant de prévoir une application du droit à l’aide juridique pour les victimes étrangères.
Ces questions semblent concerner des points de détails. Toutefois, il est essentiel que la future loi en matière d’entreprises et de droits humains détaille les obligations créées de manière aussi précise que possible, pour éviter que la responsabilité instaurée ne soit purement déclarative. La loi française sur le devoir de vigilance[86], par exemple, est fermement condamnée pour son ineffectivité : nombreuses sont les entreprises qui n’ont pas adopté le plan de vigilance prévu par la loi sans craindre des sanctions, et les mesures proposées se sont révélées peu efficaces[87]. Enfin, il est relativement peu vraisemblable que cette proposition de loi soit adoptée par le Parlement : elle émane de trois parlementaires, et pas de l’initiative du gouvernement, et fait face à une importante opposition de la part de certains partis, y compris appartenant à la majorité politique. Il est donc peu probable que la proposition actuelle soit adoptée sans modification majeure.
e. La voie internationale
A défaut de l’adoption d’une loi belge sur le devoir de vigilance des entreprises, et en attendant le projet de directive rédigé par la Commission européenne, il est également intéressant de se pencher sur les efforts destinés à l’adoption d’une convention internationale relative aux obligations des entreprises en matière de droits humains.
Les Principes directeurs des Nations-Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme sont une norme, adoptée en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, qui précise les attentes vis-à-vis des Etats et des entreprises au sein de leur sphère d’influence. Ils prévoient un cadre juridique conçu en trois piliers formés par l’obligation des Etats de protection des particuliers contre les violations des droits humains[88], l’obligation de respect de ces droits qui repose sur les entreprises de par leur nature[89], et enfin la nécessaire introduction de voies de recours effectives pour sanctionner les violations des deux premiers piliers[90]. Ces principes s’appliquent à toutes les entreprises – indépendamment de leur caractère transnational – et à tous les États. Les Principes, qui s’inspirent de la responsabilité sociale des entreprises, ont plusieurs mérites: les entreprises doivent faire une déclaration de principe clarifiant la nature des obligations existantes en cas de violation des droits fondamentaux[91] ; ils proposent des solutions à l’épineuse question de la détermination de l’État compétent territorialement[92][93] ; enfin, ils contraignent également les États à adopter des plans d’action en matière de droits de l’homme et de démocratie pour exécuter les principes directeurs. Les Principes directeurs ont rapidement obtenu une reconnaissance mondiale, la Commission européenne évoquant même un cadre de référence « universellement accepté »[94].
Les Principes directeurs demeurent toutefois non contraignants, et dès 2014, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies constate le manque d’empressement des États pour les mettre en œuvre[95]. La Belgique fait d’ailleurs figure de mauvais élève, conduisant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels à lui rappeler, le 20 mars 2020, son obligation d’adopter un Plan national d’action « Entreprises et droits de l’homme » qui « prévoit que les entreprises soient tenues responsables en cas de violations des droits économiques, sociaux et culturels » et qui « permet aux victimes, y compris aux victimes de représailles, de demander réparation par des voies judiciaires ou non judiciaires. »[96], ce que ne prévoyait pas le plan d’action national belge.
L’intérêt des Principes directeurs ne s’arrête pas à ses fonction d’harmonisation des pratiques et d’interprétation des traités existants, ou aux initiatives législatives qu’ils inspirent. En effet, depuis 2014, un groupe de travail des Nations-Unies, à l’initiative de l’Équateur, prépare la rédaction d’un instrument juridique international contraignant visant à réguler les activités des entreprises transnationales en matière de droits humains[97]. La deuxième version provisoire de cette future convention, prévoyant notamment des règles impératives en matière d’élection de juridiction et de lois applicables, a été publiée en août 2020[98]. Elle fait actuellement l’objet de négociations interétatiques au sein des Nations-Unies.
La proposition de convention prévoit la plupart des mécanismes essentiels pour la protection des droits fondamentaux : possibilités de recours aux victimes, création d’une obligation de prévention et de vigilance, règles déterminant la compétence des tribunaux judiciaires, règles de coopération entre États, etc. Un certain nombre de points demeurent cependant non tranchés et font l’objet d’âpres négociations, tels les mécanismes d’identification des entreprises qui seront tenues au devoir de vigilance, ou la portée des condamnations judiciaires. D’autres éléments du projet de traité sont plus controversés. Par exemple, le projet de convention demande que soit faite la preuve du contrôle ou de la négligence de l’entreprise pour l’exaction commise par une de ses filiales ou de ses fournisseurs[99]. Cette preuve serait complexe à démontrer pour une victime individuelle[100]. En outre, la complexité et le manque de transparence des chaînes de production sont susceptibles d’être d’importants obstacles pour les victimes individuelles, et la Convention n’impose pas d’obligation générale de transparence dans le chef des entreprises, se contentant d’exiger que les États soient transparents pour se préserver du plaidoyer de certaines entreprises[101].
Les deuxième et troisième versions provisoires du traité contiennent déjà de nombreuses concessions aux entreprises transnationales et aux nations industrialisées qui les soutiennent[102]. Les obligations des sociétés-mères sont réduites par rapport aux premières propositions émises au sein de l’Organisation des Nations-Unies, et le projet de Convention demeure vague sur certains points importants, tels que la transparence des entreprises ou les modes de preuve de la responsabilité de celles-ci. Malgré ces concessions, l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique continuent à exprimer de nombreuses réticences vis-à-vis du projet de convention[103]. Le résultat des négociations de cette convention est donc encore difficile à imaginer à l’heure actuelle.
4. Conclusion : quelle solution pour responsabiliser les multinationales ?
Agir à l’encontre des violations des droits humains commises par des entreprises transnationales présente une difficulté particulière. Le prisme intellectuel traditionnellement adopté par la législation et ses commentateurs favorise la régulation de ces entreprises par l’État, une approche qui apparaît pourtant critiquable dans un contexte mondialisé où de nombreuses sociétés transnationales peuvent s’exclure du champ d’application légal de l’État concerné par leur mobilité ou la flexibilité de leur modèle organisationnel[104]. En outre, ce modèle intellectuel conçoit les entreprises transnationales comme des objets de droit, plutôt que comme étant des sujets d’obligations, ce qui réduit essentiellement les formes de régulation envisageables aux mécanismes hiérarchiques couramment employés par les États, tels que la loi ou l’arrêté[105].
Pourtant, la responsabilisation des entreprises transnationales exige une réflexion qui associe formes traditionnelles de régulation avec d’autres méthodes de gouvernance reposant sur la participation d’acteurs différents, parmi lesquels les entreprises transnationales elles-mêmes. Aucune des méthodes de régulation évoquées – la sensibilisation du public, l’autorégulation, la jurisprudence, la loi ou la Convention – ne sont individuellement susceptibles de résoudre le problème de l’impunité des multinationales. Par conséquent, une approche associant plusieurs régimes de régulation, alliant des normes plus hiérarchiques avec certains mécanismes de contrôle plus horizontaux , parait indispensable pour consacrer la responsabilité des entreprises, les droits des victimes des violations et l’efficacité des sanctions prononcées.
Une telle approche suppose que soient poursuivis et encouragés les efforts des victimes individuelles, des associations, de certains États et organisations internationales pour obtenir un régime ambitieux de responsabilisation des multinationales. Elle implique de rendre publiques les exactions commises par certains fournisseurs et certaines filiales de sociétés bien connues et d’en demander publiquement des comptes ; de créer des standards exigeants et ambitieux en matière d’autorégulation et de responsabilité sociale des entreprises ; de soutenir des victimes de violations des droits humains dans leurs efforts judiciaires contre les sociétés-mères dont les filiales ont commis des violations des droits humains ; de renforcer les efforts nationaux pour l’adoption d’une loi ambitieuse pour adresser la responsabilité des sociétés qui ont une partie de leur activité au moins en Belgique et la remobilisation du rôle régulateur étatique ; et enfin de mener à terme la négociation d’une convention ambitieuse et efficace en matière de responsabilité.
Les syndicats et les associations ont ainsi un rôle commun à jouer, qui appelle à leur coalition sur cette question, malgré certaines divergences mineures d’intérêts ou de priorités.
Mais plus encore, cette stratégie requiert des alliances et des synergies entre différents groupes d’acteurs et d’actrices qui partagent cette exigence de responsabilisation, quand bien même les approches préconisées ou vécues différeraient fortement. Les syndicats et les associations ont ainsi un rôle commun à jouer, qui appelle à leur coalition sur cette question, malgré certaines divergences mineures d’intérêts ou de priorités. Cette mission doit en outre être partagée avec les forces politiques progressistes et les entreprises qui se prétendent exemplaires sur cette question. Enfin, il est indispensable de poursuivre l’éducation du grand public sur cette question et de critiquer la vision productiviste sur laquelle reposent les modèles de responsabilité des multinationales.
Face aux multiples violations des droits humains commis sur les chaînes de production d’entreprises transnationales, il est temps d’agir. Les débats à ce sujet ont, depuis près de cinquante ans, principalement favorisé une approche de droit souple, visant avant tout à renforcer les mécanismes d’autorégulation et d’autocontrôle au sein des groupes d’entreprises et par secteur. Cette démarche a notamment été largement diffusée via les concepts associés à la responsabilité sociale des entreprises et a connu certains succès mesurés. Toutefois, elle a également montré d’importantes limites : la régulation de la mondialisation et de ses conséquences pour le respect des droits humains ne peut se faire uniquement en recourant exclusivement à la bonne volonté et à l’honnêteté des multinationales, alors que leurs intérêts économiques y sont parfois contraires. Le rôle des États – individuellement comme collectivement – comme producteurs de normes demeure incontournable pour créer des régimes de responsabilité permettant le contrôle et la sanction publique des violations des droits humains commises par des acteurs relevant de la sphère d’influence des multinationales. L’appui jurisprudentiel pour préciser la portée de ces régimes est également essentiel. Enfin, la communauté internationale doit aussi permettre de répondre aux aspects de cette problématique qui dépassent le cadre d’action étatique.
[1] L’auteur tient à remercier Sophie Wustefeld pour son aide – et son insistance – dans la rédaction de cet article. Tous les propos tenus le sont à titre strictement personnel.
[2] C. BAYER, C. BRIGHT, et al., « 50 Billion Euros : Europe’s Child Labour Footprint in 2019 », report prepared for Saskia Bricmont and the Greens/EFA European Parliament Group, Development International, 10 juillet 2021.
[3] RTBF, Le chocolat belge est fabriqué par des enfants-esclaves, 12 février 2010.
[4] Article achevé de rédiger le 17 novembre 2021.
[5] Business and Human Rights Resources Center, « Kazakhstan : Facebook grants government access to its internal content-reporting system, raising fears about censorship and prosecution », 9 novembre 2021. Meta, la companie-mère de Facebook, a toutefois contesté cette information du gouvernement kazakh.
[6] Business and Human Rights Resources Center, The Road to Ruin ? Electric vehicles and workers’ rights abuses at DR Congo’s industrial cobalt mines, 9 novembre 2021.
[7] Amnesty International, Reality Check 2021 : A year to the 2022 World Cup – The State of Migrant Workers’ Rights in Qatar, 16 novembre 2021.
[8] Lundin Energy, Lundin Energy challenges the legal basis of Swedish Prosecution Authority’s criminal charges in relation to Company’s past operations in Sudan, 12 novembre 2021.
[9] P. WINTOUR, JCB failed to do checks over potential use of equipment in Palestine, The Guardian, 12 novembre 2021. L’article se base principalement sur un rapport publié par un organisme public britannique, le UK National Contact Point, qui a pour mission de vérifier la conformité des entreprises britanniques avec les Principes directeurs de l’OCDE en matière de multinationales et de droits humains (voir également la note de bas de page n° 23 sur ceux-ci).
[10] Olivier Maurel et Isabelle Daugareilh parlent à cet égard de l’existence d’un « compromis productiviste » qui fait obstacle à la responsabilité des entreprises transnationales. Voir O. MAUREL, I. DAUGAREILH, « La responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme », Les études de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, La Documentation française, Paris, 2009, p. 20.
[11] E. VAN DEN BROECK, « Le rôle des INDH dans la lutte contre l’impunité des sociétés transnationales pour les atteintes aux droits humains. Questions choisies d’actualité », Institute for Interdisciplinary Research in Legal Sciences, CRIDHO Working Paper 2020/5, septembre 2020.
[12] L. PERONI, A. TIMMER, « Vulnerable groups, the promise of an emerging concept in the European Human Rights Convention law », I-CON, vol. 11, n°4, 2013, pp. 1056-1085.
[13] Sur une dimension spécifique de cette problématique, voir L. LOPEZ, « L’action en justice des parties prenantes dans le cadre de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise », Thèse de doctorat, dir. Blandine Rolland, Université Jean Moulin (Lyon 3), 2016.
[14] A ce sujet, Institut de droit international Justitia et Pace, « Les entreprises multinationales », résolution adoptée lors de la session d’Oslo, Annuaires, vol. 57 (II), 1977. L’Institut propose la définition suivante : « les entreprises formées d’un centre de décision localisé dans un pays et de centres d’activités, dotés ou non de personnalité juridique propre, situés dans un ou plusieurs autres pays, devraient être considérés comme constituant, en droit, des entreprises multinationales. ».
[15] S. COSSART, R. LAPIN, « La sphère d’influence des groupes de sociétés et les principes directeurs des Nations-Unies », La Revue des droits de l’homme [en ligne], 15 juin 2016, consultable sur http://journals.openedition.org/revdh/2106.
[16] M. DELMAS-MARTY, « Une boussole des possibles. Gouvernance mondiale et humanismes juridiques », éditions du Collège de France, Paris, 2020, p. 43.
[17] J. E. VINUALES, « L’Etat face à la protection internationale de l’entreprise : regards sur le droit international des investissements contemporains », in A. SUPIOT (dir.), « L’entreprise dans un monde sans frontières : perspectives économiques et juridiques », Dalloz, Paris, 2015, p. 105.
[18] M. DELMAS-MARTY, A. SUPIOT, M. FRIEYRO, “L’internationalisation du droit, dégradation ou recomposition ? », Esprit, 2012/11 (novembre), p. 41. Voir aussi le guide élaboré en 2010 par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme : « Entreprises et violations des droits de l’Homme : un guide sur les recours existants à l’attention des victimes et des ONGs », version actualisée de 2012, disponible sur https://www.fidh.org/fr/themes/mondialisation-droits-humains/responsabilite-des-entreprises/Entreprises-et-violations-des.
[19] Cette proposition a notamment été formulée par A.-L. CHAUMETTE, « Les personnes pénalement responsables » in H. ASCENSIO, E. DECAUX, A. PELLET (dir.), Droit international pénal, Pedone, Paris, 2012, pp. 477-487.
[20] I. DAUGEREILH, « La responsabilité sociale des entreprises en quête d’opposabilité », in A. SUPIOT, M. DELMAS-MARTY (dir.), « Prendre la responsabilité au sérieux », Presses universitaires de France, Paris, 2015, p. 184.
[21]Voir, pour un exemple de cette problématique, l’affaire Chevron c. Equateur où le Département d’Etat américain a exercé d’immenses pressions sur l’Equateur pour qu’une affaire mettant en cause la firme texane Texaco soit écartée des tribunaux américains. L’affaire est discutée ci-dessous dans le cadre de l’illustration de la problématique des limites de la territorialité du droit pour les litiges opposant à des entreprises transnationales. Par ailleurs, il n’est pas clair que l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis puisse conduire à un changement politique en matière de responsabilité des entreprises pour la violation des droits humains.
[22] Dont le manque d’empressement à élaborer des mécanismes de contrôle et de recours effectifs sont critiqués par M. SANT’ANA, « La responsabilité des entreprises en matière de droits humains : complexité et perspectives », in La Ligue des droits humains, « Etat des droits humains en Belgique, rapport 2019 », janvier 2020, consultable sur https://www.liguedh.be/etat-des-droits-humains-en-belgique-rapport-2019/, pp. 53-54. Une nuance peut toutefois être apportée : le Parlement européen ayant récemment adopté une résolution enjoignant la Commission de proposer un plan ambitieux sur cette question. Voir ci-dessous.
[23] Une des premières initiatives sur cette question, les Principes directeurs des entreprises multinationales adoptés par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) le 21 juin 1976, ont été accompagnés en 2000 d’un mécanisme de contrôle renforcé. L’Organisation internationale du travail (OIT) a également adopté une Déclaration tripartite de principes sur les entreprises multinationales et la politique sociale dès novembre 1977, qui a notamment connu un certain succès en faveur de la liberté syndicale. Ces instruments juridiques sont non contraignants.
[24] On peut par exemple attribuer à ce conflit politique l’échec du projet de code de conduite des sociétés transnationales préparé en 1992 sous l’égide des Nations-Unies, dû principalement à un important désaccord entre pays industrialisés et pays en développement relatif à l’exercice du contrôle sur les sociétés.
[25] M.-C. CAILLET, « Le droit à l’épreuve de la responsabilité sociétale des entreprises, étude à partir des entreprises transnationales », doctorat en droit soutenu à l’Université de Bordeaux, 2014, consultable sur https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01127610.
[26] Plus précisément, les principes de l’autonomie de la personne juridique et de la responsabilité pour le fait personnel.
[27] Citons également la théorie de l’apparence, selon laquelle naît une obligation lorsqu’une personne physique ou morale a, par son comportement, laissé raisonnablement croire qu’elle était bien responsable.
[28] N. MAZIAU, « La responsabilité des entreprises multinationales en matière de droits de l’homme », op. cit, pp. 6-9.
[29] S. DEMEYERE, « Liability of a Mother Company for Its Subsidiary in French, Belgian and English Law », European Review of Private law, 2015/3, p. 411.
[30] Voir ci-dessous dans la partie II b) relative aux développements jurisprudentiels.
[31] Business & Human Rights Resource Centre, “Texas/Chevron Lawsuit (re Ecuador), consultable sur https://www.business-humanrights.org/en/latest-news/texacochevron-lawsuits-re-ecuador/.
[32] Et du principe de droit forum non conveniens, qui permet à une juridiction de se déclarer incompétente si elle estime qu’un tribunal dans un autre pays est mieux placé qu’elle pour décider de la plainte.
[33] M. DELMAS-MARTY, A. SUPIOT, M. FRIEYRO, “L’internationalisation du droit, dégradation ou recomposition ? », op. cit., p. 48.
[34] C. PERKEL, “Loblaws off the hook for Rana Plaza disaster; Bangladeshi lawsuit fails”, CBC, 8 août 2019, consultable sur https://www.cbc.ca/news/politics/rana-plaza-disaster-loblaws-supreme-court-1.5240493, consulté le 31 octobre 2020.
[35] J. TÉ-LÉSSIA ASSOKO, « RD Congo: la justice suisse abandonne les poursuites contre le raffineur Argor-Heraeus », Jeune Afrique, 2 juin 2015, consulté le 30 octobre 2020.
[36]A. MELEHIADE MANIRABONA, « La responsabilité civile des entreprises pour complicité aux violations des droits humains à l’étranger : au-delà de l’exception du forum non conveniens en droit québécois », Journal européen des droits de l’homme, 2013/3, pp. 436 et suiv.
[37] On peut également mentionner l’arrêt Araya et al. v. Nevsun Resources Ltd de la Cour suprême canadienne (voir infra).
[38] Les chiffres datant toutefois de 2015. Voir I. TCHOTOURIAN, A. LANGEFLED, « Impunité des grandes entreprises en matière de droits de l’homme : la RSE au risque de la gestion des règles de procédure », Revue internationale de Management et de Stratégie [en ligne], p. 10 consultable sur https://www.revue-rms.fr/.
[39] I. TCHOTOURIAN, A. LANGEFELD, op. cit., p. 14.
[40] Je reprends ici une formule de Pierre Calame (voir P. CALAME, « Petit Traité d’Oeconomie », Ed. Charles Léopold Meyer, Paris, 2018, p. 44), également citée par M. DELMAS-MARTY, « Conclusion », in A. SUPIOT, M. DELMAS-MARTY (dir.), « Prendre la responsabilité au sérieux », presses universitaires de France, Paris, 2015, p. 395.
[41] M. DELMAS-MARTY, ibid.
[42] PETA, Monkeys Chained, Abused for Coconut Milk, consultable sur https://investigations.peta.org/monkeys-abused-coconut-milk/. K. TYKO, « Kroger Joins Costco, Target in dropping Chaokoh coconut milk over PETA allegations of monkey Labor », USA TODAY, 17 juin 2021, https://eu.usatoday.com/story/money/shopping/2021/06/17/kroger-coconut-milk-chaokoh-costco-target-peta-monkey-labor/7691111002/.
[43] P. SHOEMAKER, T. VOS, « Media Gatekeeping », in D. STACKS, M. SALWEN (éds.), An Integrated Approach to Communication Theory and Research, Routledge, New York, 2008, 592 p.
[44] K. WELBERS, M. OPGENHAFFEN, « Social media gatekeeping : an analysis of the gatekeeping influence of newspapers’ public Facebook pages », New Media & Society, 2018, vol. 20, n°12, pp. 4728-4747.
[45] Voir notamment ici : https://www.nytimes.com/2021/03/29/style/china-cotton-uyghur-hm-nike.html.
[46] France 24, « En Chine, le boycott des marques opposées à l’utilisation de coton du Xinjiang prend de l’ampleur », 26 mars 2021, consultable sur https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210326-en-chine-le-boycott-des-marques-oppos%C3%A9es-%C3%A0-l-utilisation-du-coton-du-xinjiang-prend-de-l-ampleur.
[47] T. GRUNDY, « Hugo Boss tells Chinese customers it will continue to purchase Xinjiang cotton whilst own website says it has never used it », Hong Kong Free Press, 26 mats 2021, consultable sur https://hongkongfp.com/2021/03/26/hugo-boss-tells-chinese-customers-it-will-continue-to-purchase-xinjiang-cotton-months-after-telling-us-news-outlet-it-has-never-used-it/.
[48] « H&M Group statement on due diligence », https://hmgroup.com/sustainability/fair-and-equal/human-rights/h-m-group-statement-on-due-diligence/, consulté le 27 septembre 2021.
[49] Le terme « responsabilité sociétale » est également utilisé.
[50] Commission européenne, « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 », Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Commission Européenne, Bruxelles, COM(2011) 681 final, 25 oct. 2011, cité dans M.-C. CAILLET, « le droit à l’épreuve de la responsabilité sociétale des entreprises : étude à partir des entreprises transnationales », doctorat en droit soutenu le 24 novembre 2014, Faculté de droit de l’Université de Bordeaux, 2014, p. 12.
[51] Organisation internationale de normalisation (ISO), « ISO 26000, Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale », dernier examen en 2017, consultable sur https://www.iso.org/fr/standard/42546.html.
[52] Cette affirmation peut être critiquée en soulignant que la jurisprudence donne également une valeur croissante aux codes éthiques adoptés par les entreprises dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises. Voir ci-dessous la discussion de l’affaire Erika.
[53] Voir V. MERCIER, « De la transparence à la vigilance ou le renforcement des obligations en matière de RSE », in V. MERCIER (dir.) « RSE et Médiation – Regard croisé France-Canada », Presses universitaires d’Aix-Marseille, Marseille, 2018, p. 23.
[54] I. DAUGEREILH, « La responsabilité sociale des entreprises en quête d’opposabilité », op. cit., p. 187.
[55] M. DELMAS-MARTY, « Une boussole des possibles. Gouvernance mondiale et humanismes juridiques », op. cit., p. 45.
[56] Voir à ce sujet M. DELMAS-MARTY, « Jalons pour une reconnaissance du principe de responsabilité à l’échelle mondiale, introduction », in A. SUPIOT, M. DELMAS-MARTY (dir.), « Prendre la responsabilité au sérieux », presses universitaires de France, Paris, 2015, p. 334 et suiv.
[57] Voir la note de bas de page n° 21 ci-dessus.
[58] N. BUENO, « Diligence en matière de droits de l’homme et responsabilité de l’entreprise : le point en droit suisse », Schweizerische Zeitschrift für internationales und Europäisches Recht (SZIER), 29/3, 2019, p. 348. Sont principalement visés les principes 17 et suivants.
[59] Court of appeals for England and Wales, arrêt du 25 avril 2012, EWCA 525 (2012), www.bailii.org.
[60] N. MAZIAU, « La responsabilité des entreprises multinationales en matière de droits de l’homme », op. cit., p. 8.
[61] United Kingdom Supreme Court, arrêt Vedanta Resources Plc and Konkola Copper Mines Plc v. Lungowe and others du 10 avril 2019, UKSC 20, www.bailii.org
[62] Cass. crim. (France), arrêt n° 10-82.938 du 25 septembre 2012, Bull. crim., 2012, n° 198. A contrario, dans une affaire ultérieure, la chambre civile de la Cour de cassation française a considéré que les principes tirés de l’arrêt Erika n’étaient pas applicables en matière civile (voir Cass. civ. (France), 1er chambre, arrêt n° 13-10.788 du 25 juin 2014).
[63] N. BUENO, « Diligence en matière de droits de l’homme et responsabilité de l’entreprise : le point en droit suisse », op. cit., p. 351.
[64] Gerechtshof Den Haag, arrêt du 29 janvier 2021, affaires 200.126.849 et 200.127.813, consultable sur https://uitspraken.rechtspraak.nl/inziendocument?id=ECLI:NL:GHDHA:2021:134.
[65] Ontario Superior Court of Justice, arrêt Choc v. Hudbay Minerals, inc., 2013, ONSC 1414, introduit le 28 mars 2011, instance en cours, www.canlii.org.
[66] Supreme Court of Canada, arrêt Nevsun Resources Ltd. v. Araya du 28 février 2020, 2020 SCC 5, www.canlii.org.
[67] S. DEMEYERE, « Liability of a Mother Company for Its Subsidiary in French, Belgian and English Law », op. cit., pp. 405-407.
[68] Voir B. BUENO, « Diligence en matière de droits de l’homme et responsabilité de l’entreprise : le point en droit suisse », op. cit., p. 6
[69] Cass. (France), arrêt n° 94-16380 du 2 avril 1996, Bull., 1996, n° 113.
[70] United States Supreme Court, arrêt United States v. Best Foods du 8 juin 1998, n° 524 U.S. 51.
[71] Résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises, 2020/21219.
[72] Responsible Working Group [du Parlement européen], Présentation and discussion with Commissioner for Justice Didier Reynders on Due Diligence Study, webinaire du 29 avril 2021. Accessible ici : https://responsiblebusinessconduct.eu/wp/2020/04/30/european-commission-promises-mandatory-due-diligence-legislation-in-2021/.
[73] Plan d’action national « entreprises et droits de l’Homme », consultable sur https://www.sdgs.be/sites/default/files/publication/attachments/20170720_plan_bs_hr_fr.pdf;
[74] Ibidem.
[75] CGSLB, CSC, FGTB, etc., « Fondements essentiels pour une loi belge sur le devoir de vigilance », octobre 2020.
[76] Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l’Homme, « Belgique : soixante entreprises demandent au gouvernement un cadre législatif contraignant sur le devoir de vigilance en matière de droits de l’homme et d’environnement », 12 février 2021, https://www.business-humanrights.org/fr/derni%C3%A8res-actualit%C3%A9s/belgique-60-entreprises-demandent-au-gouvernement-un-cadre-l%C3%A9gislatif-contraignant-sur-le-devoir-de-vigilance-en-mati%C3%A8re-de-droits-de-lhomme-et-denvironnement/.
[77] Christophe Lacroix (PS), Vicky Reynaert (Vooruit), Malik Ben Achour (PS).
[78] Doc. Parl. Chambre, Proposition de loi instaurant un devoir de vigilance et un devoir de responsabilité à charge des entreprises tout au long de leurs chaînes de valeur, 2 avril 2021, DOC 55 1903/001.
[79] Plus précisément, dans le Code de droit économique (art. 3, proposition de loi instaurant un devoir de vigilance et un devoir de responsabilité à charge des entreprises tout au long de leurs chaînes de valeur, op. cit.).
[80] Définies comme comprenant au moins 250 personnes avec un chiffre d’affaire d’au moins 50 millions d’euros.
[81] Art. 8, proposition de loi instaurant un devoir de vigilance et un devoir de responsabilité à charge des entreprises tout au long de leurs chaînes de valeur, op. cit.
[82] Art. 28, ibid.
[83] Art. 20, ibid.
[84] Art. 24, ibid.
[85] Art. 25, ibid.
[86] Loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, J.O.R.F., 28 mars 2017. Toutefois, le mécanisme de sanction – par le biais d’amendes civiles – prévue dans la loi a été censuré par une décision du Conseil constitutionnel, celui-ci estimant que les manquements punis n’étaient pas définis en des termes suffisamment clairs et précis (décision 2017-750 du 23 mars 2017).
[87] Voir notamment A. DUTHILLEUL, M. de JOUVENEL, « Evaluation de la mise en œuvre de la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », rapport à Monsieur le ministre de l’économie et des finances, janvier 2020. Voir aussi M. DELMAS-MARTY, « Une boussole des possibles. Gouvernance mondiale et humanismes juridiques », op. cit., pp. 43-44.
[88] Principe n°1 et suiv., Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer », résolution n° 17/4, approuvée le 16 juin 2011.
[89] Principe n°11 et suiv., Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, Principes directeurs, op. cit.
[90] Principe n° 25 et suiv., Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, Principes directeurs, op. cit.
[91] Principe n°16, Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, Principes directeurs, op. cit.
[92] Notamment principe n° 2, Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, Principes directeurs, , op. cit.
[93] M. SANT’ANA, « La responsabilité des entreprises en matière de droits humains : complexité et perspectives », in La Ligue des droits humains, « Etat des droits humains en Belgique, rapport 2019 », op. cit., p. 53.
[94] Commission européenne, Commission Staff Working Document on Implementing the UN Guiding Principles on Business and Human Rights – State of Play, Bruxelles, 14 juillet 2015, SWD (2015) 144, p. 3.
[95] Voir notamment Conseil des droits de l’homme, « Elaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme », Résolution A/HRC/RES/26/9 du 14 juillet 2014.
[96] Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la Belgique, 26 mars 2020, E/C.12/BEL/CO/5, p. 3.
[97] Le mandat de ce groupe de travail a été fixé par la résolution A/HRC/RES/26/9 du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, op. cit.
[98] Open-Ended Intergouvernemental Working Group (OEIGWG), Legally Binding Instrument to Regulate, in International Human Rights Law, the Activities of Transnational Corporations and Other Business Enterprises, Deuxième version provisoire révisée, 6 août 2020.
[99] Art. 8.6, Legally Binding Instrument to Regulate, in International Human Rights Law, the Activities of Transnational Corporations and other Business Entreprises, OEIGWG Chairmanship third revised draft, 17 août 2021.
[100] P. THIELBORGER, T. MANANDHAR, « Bending the Knee or Extending the Hand to Industrial Nations ? A Comment on the New Draft Treaty on Business and Human Rights », EJIL : Talk ! [en ligne], 23 août 2019, consulté le 5 septembre 2021.
[101] Art. 6.8, Legally Binding Instrument, op. cit.
[102] P. THIELBORGER, T. MANANDHAR, « Bending the Knee or Extending the Hand to Industrial Nations ? A Comment on the New Draft Treaty on Business and Human Rights », op. cit.
[103] ITUC, UN Treaty on Business and Human Rights – US and EU must Step Up [en ligne], 5 novembre 2021, consulté le 5 novembre dernier.
[104] J. A. Zerk, « Multinational and Corporate Social Responsibility: Limitations and Opportunities in International Law », Cambridge University Press, 2006, pp. 10-14
[105] N. FROST, « Out with the ‘Old’, in with the ‘New’ : Challenging Dominant Regulatory Approaches in the Field of Human Rights », European Journal of International Law, vol. 32, n°2, mai 2021, pp. 506-536.