Małgorzata Tracz est députée au parlement polonais depuis 2019 et est coprésidente de Partia Zieloni, le parti vert en Pologne depuis 2015.
Vous êtes députée à la Diète, à savoir la chambre basse du Parlement polonais depuis 2019 et ancienne coprésidente des Verts de Pologne. Quelle est la situation politique des écologistes dans votre pays ?
En 2019, pour la première fois, nous avons réussi à faire élire trois parlementaires au Parlement polonais. Ça a été une grande percée pour nous et aussi un grand changement. En effet, nous avons décidé d’aller aux élections en étant présent dans une coalition avec d’autres partis qui n’étaient pas issus de la gauche. En fait, nous avions essayé pendant de nombreuses années de monter cette coalition de gauche mais sans résultats. Nous avons donc décidé de changer d’attitude. Et en ce moment, pour la première fois de notre histoire, nous avons une représentation parlementaire.
Les Verts polonais ont été créés en 2003 en tant que parti très pro-européen. C’était juste avant la première élection européenne en Pologne en 2004. Nous n’avons pas eu beaucoup de chance pour ce scrutin toutefois, à cause de la loi électorale, qui est très contraignante en Pologne, plus que dans d’autres pays. Par exemple, juste pour se présenter aux élections, même en tant que parti établi, nous devons recueillir beaucoup de signatures de la part des citoyens. Ce n’est pas tout puisque le seuil électoral est établi à 5 %. Ces éléments sont deux gros obstacles.
Depuis 2003, nous sommes des pionniers sur les thèmes liés à l’écologie, aux droits de l’homme et à la justice sociale. Ces sujets du débat public sont plus visibles lorsque nous les mettons à l’agenda. C’est quelque chose de totalement nouveau en Pologne. Nous étions le premier parti politique à dire clairement que l’avortement est un droit des femmes. Nous soutenons la libéralisation de la loi sur l’avortement. Et puis bien sûr, les thématiques liées aux énergies renouvelables et bien d’autres sujets. Mais notre voix n’a longtemps pas été assez entendue, sans doute parce que la scène politique est majoritairement basée sur les grands acteurs et les grands partis politiques.
En ce moment, nous voyons cependant un énorme changement dans la société polonaise où des questions telles que l’avortement, les droits des LGBT, l’État de droit, l’écologie, la protection des forêts, etc. deviennent sujets du débat public. Par exemple, les droits des animaux. Il y a deux ans, nous avons eu une grosse crise gouvernementale en Pologne à cause du projet de loi sur ces droits des animaux. Petit à petit, nous voyons donc que les sujets sur lesquels nous sommes cohérents et très fiables montent en puissance et préoccupent même les autres partis.
“Beaucoup de partis politiques mettent la question environnementale dans leur discours mais ils ne la comprennent pas vraiment.”
Quelle est la spécificité de l’écologie politique en Pologne ? Vous parlez de sujets importants comme l’avortement mais existe-t-il une approche de l’écologie politique en Pologne ou voire même en Europe qui la distingue des autres ?
Le problème est que l’écologie n’est pas traitée en priorité. Le gouvernement actuel, mais aussi les gouvernements précédents ont toujours pensé qu’il fallait construire plus de routes, plus d’aéroports, qu’il fallait croître, qu’il fallait avoir plus d’entreprises. Ils n’ont pas vraiment fait attention ou ils ne font toujours pas attention aux aspects écologiques de base comme la protection des forêts, de l’eau, ou d’espaces comme les zones humides. C’est crucial pourtant à cause du changement climatique évidemment mais aussi parce que la diversité meurt. Beaucoup de partis politiques mettent la question environnementale dans leur discours mais ils ne la comprennent pas vraiment. Ils savent juste que c’est un sujet, un sujet à la mode, surtout pour les jeunes ou pour les personnes qui ont vécu à l’étranger pendant un certain temps et qui sont revenues en Pologne. Mais la protection de l’environnement n’est pas encore une priorité inscrite dans leur programme. Je pense donc que nous avons besoin de beaucoup de temps, de beaucoup d’éducation encore pour convaincre les gens et convaincre les politiciens d’autres partis que protéger la nature, c’est nous protéger, nous les humains.
Un des sujets importants de l’écologie politique est le pacifisme. Quel est votre point de vue dans le contexte international actuel ?
En tant que Verts, nous sommes évidemment des pacifistes. Nous souhaitons toujours qu’il n’y ait pas de guerre et nous insistons sur l’importance de la diplomatie et de la protection des droits humains en tant que priorité de la politique étrangère. Cependant, l’agression de la Russie contre l’Ukraine change les attitudes et ce aussi au sein des verts polonais. Pour être honnête, j’ai tout d’abord été un peu craintive des réactions quant à notre positionnement, en tant que Verts polonais, favorable à l’envoi d’armes en Ukraine. Nous avons des origines dans le mouvement non-violent qui remontent à la période communiste et aux manifestations pacifiques. Mais il y a eu une énorme compréhension du conflit actuel en Ukraine et de la nécessité que nous devions tout faire pour soutenir les Ukrainiens, en acceptant d’accueillir des réfugiés, en les aidant, et aussi en soutenant leur pays de manière militaire. Je pense que nous avons cette attitude car en tant que Polonais, et je suppose que mes collègues d’Europe de l’Est doivent avoir les mêmes sentiments, l’histoire a un grand impact au sein de nos mentalités. Nous nous souvenons encore ou bien nous avons les témoignages de nos parents à propos l’époque où nos pays n’étaient pas indépendants, quand il n’y avait rien dans les magasins, qu’il fallait faire la queue pour avoir du pain et que la vie était vraiment difficile en comparaison avec l’Europe occidentale.
Les représentants des divers courant politiques ont toujours souligné qu’il ne fallait pas faire confiance à Poutine. Son agenda est de revenir au statu quo d’avant 89. C’est son plan à long terme. Et pas à pas, il le fait. Nous avons déjà eu un bon exemple en 2014 avec l’annexion de la Crimée. À ce moment là, la réaction de l’opinion publique n’a pas suffit. Personne ne voulait être du côté de l’Ukraine, ce qui finalement revenait à donner un blanc-seing à Poutine pour annexer la Crimée. C’était un sujet qui revenait dans les médias pendant quelques jours peut-être, puis il s’est estompé et tout le monde est revenu au businness as usual avec Poutine. De notre point de vue, c’était une erreur. Nous avons mis en évidence, à l’époque, ce qui c’était déjà passé avec la Géorgie, l’intervention russe et l’occupation d’une partie du pays. Nous avions en face de nous tous les signes disant que Poutine a son propre programme et qu’il allait continuer à l’appliquer ailleurs. Pour nous, il nous restait environ dix ans pour que l’Europe se tourne vers les énergies renouvelables afin de rechercher d’autres approvisionnements énergétiques que ceux venant de Russie. Cela ne s’est pas réalisé. L’Europe n’a rien fait, se contentant de serrer la main et d’avoir des réunions avec Poutine. Les dirigeants occidentaux n’ont pas écouté la voix des dirigeants de l’Europe orientale, disant que Poutine est un homme dangereux et que son objectif est de troubler la paix que nous avions depuis un certain temps en Europe.
Comment analysez-vous la position du gouvernement polonais sur la politique d’accueil des réfugiés ukrainiens ?
Je ne suis pas un grand fan du gouvernement polonais, comme vous le savez probablement. Nous sommes dans l’opposition et nous sommes vraiment totalement, totalement opposés à ce gouvernement. Je dois toutefois reconnaître qu’il a proposé une loi destinée à soutenir les réfugiés ukrainiens très rapidement. Ce projet de loi a été amendé à quelques reprises parce que la situation était dynamique. Nous pensions que le flux de réfugiés ne durerait que quelques semaines, quelques mois.
La Pologne a été, je pense, l’un des premiers pays sinon le premier, à introduire des mécanismes comme l’égalité des droits pour les réfugiés d’Ukraine en termes de soins de santé, d’accès à l’éducation, d’accès au marché du travail et ce pendant 18 mois. Ce fut donc une véritable aide. Il y avait non seulement les actions du gouvernement mais aussi l’action de la société civile ou de simples citoyens qui ont accueilli des réfugiés dans leurs propres maisons. C’est d’ailleurs surtout la société civile qui a aidé les premiers réfugiés dès le début de l’invasion le 24 février. Après cela, nous avons assisté à un important exode d’Ukrainiens vers la Pologne. Les services de police essayaient de faire ce qu’ils pouvaient mais sans en avoir les moyens dans un premier temps. On a donc vu de nombreux citoyens se déplacer jusqu’à la frontière pour venir s’occuper des réfugiés. Ce n’est qu’après que des actions sont venues du gouvernement.
“En ce moment, il y a près de 5 millions de réfugiés ukrainiens en Pologne.”
Cet accès à l’emploi accordé aux réfugiés pour travailler est aussi un soutien aux autorités locales pour aider les réfugiés ukrainiens. D’autres moyens comme une certaine somme d’argent donnée à pour couvrir les frais de nourriture ont aussi été débloqués. Tout cela a été mis en place alors qu’il y avait des problèmes à la frontière. Des réfugiés arrivant en Pologne n’avaient pas de papiers, pas de passeport. Il a donc fallu leur permettre de traverser la frontière et d’obtenir assez rapidement un numéro personnel donnant accès à tous les droits sociaux.
En ce moment, il y a près de 5 millions de réfugiés ukrainiens en Pologne. Notre pays est une destination évidente parce que les flux existaient déjà avant le conflit et de nombreuses familles ukrainiennes étaient déjà établies ici. Nous avons donc des réfugiés qui veulent être avec leurs proches, ce qui amène donc certaines cités à avoir plus de réfugiés que d’autres. Par exemple, je viens de Wroclaw, ville à l’ouest de la Pologne et deuxième plus grande ville du pays. 25% de nos citoyens sont des Ukrainiens. Avec le conflit, ce nombre a probablement augmenté. Mais je ne vois pas de problèmes liés à cette situation. Wroclaw est une grande ville, de diversité, de culture, de rencontres, assez ouverte et occidentale je dirais. Alors bien sûr, nous voulons toujours aider les Ukrainiens autant que nous le pouvons et les soutenir. Mais il y a aussi une question à laquelle il va falloir être attentif dans les mois à venir : nous avons actuellement un taux d’inflation à 16%. Nous savons aussi que l’hiver qui arrive sera compliqué à cause de la crise énergétique. J’espère donc que la solidarité dont nous avons fait preuve en tant que nation polonaise après le 24 février perdurera. Et que dans ces temps difficiles à venir, nous maintiendrons la solidarité avec les réfugiés ukrainiens.
La Pologne a aussi été confrontée à des flux de réfugiés de Syrie, d’Afghanistan fuyant leurs guerres. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Quand la crise à la frontière polono-biélorusse a commencé, en tant qu’écologistes avons souligné l’importance de traiter tout le monde de la même manière. Nous devons accepter des réfugiés. Nous devons les aider. Les Syriens et les Afghans ont été trompés par Loukachenko. Notre obligation en tant qu’État est de les aider, de leur donner une protection internationale, de leur fournir des logements, une aide sociale, etc. Mais l’attitude de notre gouvernement a été totalement différente dans ce cas. Je suis contente que vous posiez la question à ce sujet, parce que beaucoup de gens en Europe ou dans le monde, en fait, voient la Pologne comme le pays qui a si bien accueilli les réfugiés ukrainiens. Cependant, nous ne pouvons pas oublier les personnes qui sont mortes ou qui meurent encore à la frontière polono-biélorusse. Ce sont des organisations qui aident ces réfugiés mais dans des conditions difficiles. Les citoyens polonais et les associations ne sont pas autorisés à aider les réfugiés venant de Biélorussie, mais il y a quand même des personnes courageuses qui le font. Ceux qui peuvent passer la frontière sont amenés dans des lieux fermés, des lieux d’asile qui ressemblent parfois à des prisons sans accès au monde extérieur. Beaucoup doivent attendre des semaines pour qu’un traducteur arrive et pour qu’ils puissent se battre pour leurs droits. Il y a des semaines d’attente pour la décision de l’office des étrangers avant qu’il puissent savoir s’ils peuvent rester en Pologne ou s’ils doivent partir. En tant que Verts, nous étions impliqués dans cette crise. Notre député, Tomas Nico, s’est engagé dans l’aide aux réfugiés qui se trouvent dans ces camps fermés. Nous nous sommes investis dans les questions juridiques et dans les aides à apporter pour les dossiers de protection internationale. Nous avons aussi mené plusieurs visites dans les centres fermés et écrit aux autorités pour de meilleures conditions de vie dans ces centres.
Une dernière question. Dans un an, des élections importantes se tiendront en Pologne. Quelle sont vos priorités dans ce cadre ?
Le principal problème, c’est que nous ne connaissons toujours pas la date des élections. À l’automne 2023, nous sommes censés avoir des élections législatives et des élections locales. Il n’est jamais arrivé auparavant dans l’histoire polonaise que des élections aussi importantes soient si proches les unes des autres dans le temps. Or, il sera probablement impossible d’un point de vue juridique et d’un point de vue organisationnel d’avoir deux campagnes en même temps pour deux niveaux si différents, au niveau local et au niveau national. En ce moment, nous attendons de savoir si l’élection locale aura lieu avant ou après l’élection nationale ? Sans oublier combien de temps avant l’élection européenne. De l’automne 2023 jusqu’à la fin du printemps 2024, nous allons connaître un cycle de trois élections très importantes en Pologne, probablement d’abord les élections nationales, puis locales et enfin européennes.
En tant qu’écologistes, tous ces scrutins sont importants. Bien sûr, les élections nationales sont extrêmement importantes car elles permettent d’avoir des députés au parlement national ainsi que de recevoir un financement public, ce qui est crucial pour un parti politique. Mais les élections locales ne doivent pas être minimisées. Nous avons beaucoup de militants impliqués dans de nombreuses villes polonaises et dans la politique locale. L’ambition est d’être présent dans ces villes, aussi bien avec des conseillers élus qu’en faisant vivre les idées vertes. Enfin, les élections européennes sont personnellement extrêmement importantes pour moi parce que je suis en ce moment aussi une membre engagée du Parti Vert Européen. Notre objectif principal sera donc d’avoir autant de députés européens que possible après 2024 et de travailler dur pour soutenir tous les pays d’Europe.
Enfin, en ce qui concerne l’élection nationale en Pologne, c’est difficile à dire pour l’instant. Nous avons suivi ce qui s’est passé en Hongrie avec une opposition à Orban qui est allée au scrutin en formant un seul bloc. Cette formule n’a pas fonctionné. Je pense que la situation en Pologne est différente et n’est pas aussi mauvaise qu’elle ne l’était en Hongrie. Je veux dire, Orban a fait beaucoup de mauvaises choses. Le PIS en Pologne suit cette voie mais n’y est pas encore complètement. À cause du système électoral compliqué, il semble qu’il aurait été logique d’aller au scrutin en tant qu’un seul énorme bloc de l’opposition. Mais il y a aussi des positionnements différents qui peuvent faire émerger deux blocs. Je pense donc que tout cela doit être considéré par les dirigeants des partis politiques d’opposition en Pologne. Et je crois fermement en leur sagesse car nous avons un seul objectif, même si nous avons un positionnement différent sur l’avortement, sur l’attitude à avoir vis-à-vis de l’environnement, etc. Nous pouvons toujours trouver des points qui nous rassemblent comme sur l’Union européenne et l’état de droit. Je pense que nous avons tous à coeur l’avenir de la Pologne plutôt que le succès de notre propre formation politique.
Propos recueillis par Jonathan Piron et Szymon Zareba pour Etopia
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