D’un côté, il y a celles et ceux qui osent de plus en plus lutter pour l’égalité: femmes, minorités de genre, personnes victimes de racisme… Et de l’autre, ceux qui semblent se sentir menacés par ce nouveau monde qui se dessine, observe Sophie Wustefeld, conseillère à la prospective chez Etopia.

 

Cette carte blanche à d’abord été publiée sur le site d’information Le VIF le 6 juillet 2023

Les écologistes et les progressistes de tous bords, luttant pour une égalité effective au-delà de l’égalité de droit font, de plus en plus, face à un front qui déforme leurs propositions et agite des épouvantails pour défendre un statu quo désespérant.

Autrement dit, l’air du temps exhale des senteurs contradictoires. D’un côté, le souffle de vie venu d’un renouveau joyeux des luttes pour l’égalité de toutes et tous trace le visage d’un monde à venir plus juste et plus heureux. Les revendications de ces mouvements divers invitent à prendre au sérieux l’effet de nos espaces publics, de nos mots, de nos institutions, de nos attitudes et de nos réflexes, sur la permanence d’injustices que nos idéaux humanistes condamnent.

De l’autre côté, en réaction à ces mouvements, certaines et certains préfèrent préserver l’odeur poussiéreuse entretenue par la défiance à l’égard de tout ce qui n’est pas identique à soi. Un florilège de néologismes vient accentuer cette amertume contre les différences : « communautarisme », « wokisme », « cancel culture »… Le débat public se perd dans un brouillard de mots stigmatisants qui cache mal la peur de sortir de la monoculture, et de s’ouvrir à un véritable pluralisme démocratique.

Briser l’épouvantail « woke »

Dès qu’une personne habituée à être écoutée doctement est surprise par une contradiction, elle se met à crier à la censure. Un autre se voit privé du poste qu’il convoitait par une concurrente qualifiée et issue d’une minorité ? Voici que surgit le spectre de la « discrimination » inversée. Un ou une élue défend le droit d’un groupe minorisé à vivre comme il l’entend (qu’il ou elle appartienne ou non à ce groupe), c’est l’accusation  « d’électoralisme communautariste ». Pourtant, de nombreuses études démontrent que la discrimination à l’emploi et au logement est criante, lorsqu’on n’a pas la bonne couleur de peau, par exemple. N’est-ce pas là la réalité de l’injustice à l’œuvre chez nous ?

Mais pourquoi ne voit-on pas surgir ce procès en communautarisme face à aux mobilisations des dirigeantes et dirigeants de PME, de la FEB, des syndicats, ou des enseignantes et enseignants ? Les membres de ces groupes ne forment-ils pas, à leur tour, des communautés ? Qu’est-ce qui effarouche tellement dans la variété des modes de vie ou des expériences qui se côtoient sur nos terres ? Avons-nous oublié que notre société belge est fondée sur une « pilarisation » qui consacre la légitimité des différentes convictions, telles les perspectives laïque et catholique ? Rencontrer des expériences différentes, n’est-ce pas là une multitude d’occasions d’apprendre, de mieux se comprendre soi et de s’améliorer, dans la comparaison bienveillante avec autrui ?

Mesdames, messieurs, qui tanguez entre ces senteurs, délectez-vous de la première : les mouvements pour l’égalité et la justice effectives ne cherchent pas à contraindre qui que ce soit. Ceux-ci visent à permettre le déploiement de la liberté d’agir, de créer, grâce à des conditions justes et honnêtes. Ils se nourrissent de l’avancée des sciences sociales pour apprendre à déjouer les ressorts de mœurs anciennes qui nous asservissaient et créer, dès à présent, un futur aligné sur notre recherche de justice et de dignité pour toutes et tous.

Des efforts pour le réconfort

Le défi posé par la volonté de reconnaissance et d’égalité est semblable à l’effort qui rend fier un ou une enfant qui apprend à marcher, un ou une professionnelle qui affine la maîtrise de son art : l’exercice du cadre que l’on se choisit plutôt que l’entrave de la contrainte imposée.

Interroger ses réflexes et ses pensées spontanées, c’est permettre de nouer le dialogue et de nouvelles relations, de nouvelles amitiés plus riches, y compris avec des personnes qui subissent le racisme, le sexisme, le validisme quand notre situation nous en préserve.

Renouveler le nom de certaines rues, statues et plaques qui ornent l’espace public, c’est honorer la mémoire d’ancêtres, femmes et hommes, redécouverts à la faveur de nouvelles archives ou récits, plus en accord avec nos valeurs et aspirations actuelles.

Veiller à une meilleure représentation des minorités dans nos arts et nos médias, c’est ouvrir la création et l’information à une pluralité de voix. C’est aussi offrir aux enfants de nouveaux rôles-modèles, faciliter le remplacement d’anciens stéréotypes racistes et sexistes par une réalité bien plus réjouissante.

Choisir l’égalité face aux résistances

Certes, l’adhésion à cet horizon harmonieux n’est pas unanime. Certaines personnes préfèrent préserver voire renforcer les inégalités – soit qu’ils et elles pensent y voir « la nature », soit qu’ils ou elles privilégient leur égoïsme. C’est lorsque les aspirations à l’égalité se font pressantes, grandissantes, et réjouissantes que ses détractrices et détracteurs se font plus vindicatifs et usent du néologisme cité plus haut : « wokisme » ! Autant d’épouvantails pour tenter de renverser le sens des menaces dans l’esprit du grand public.

Dispersons ce brouillard de mots et renforçons le cadre que nous nous choisissons : chercher à mieux comprendre et défaire les mécanismes, individuels ou institutionnels, qui créent les injustices que nous voulons combattre. Il s’agit d’honorer des mémoires plurielles, respecter chacune et chacun dans ses modes de vie, mélanger les identités multiples, soigner les blessures historiques infligées à des populations entières, mettre en place les mécanismes qui garantissent plus de justice et facilitent les bonnes volontés…

Aujourd’hui, la parole des femmes, des minorités de genre, des personnes qui subissent le racisme et celles en situation de handicap se libère. Choisissons notre voie ! Les entendre, les écouter et dialoguer ne censure et ne menace personne, cela équilibre au contraire le débat public.

Veiller à ce que ces minorités puissent continuer à s’exprimer et agir est un acte de justice et de démocratie. Ces voix consolident notre volonté de vivre ensemble et d’inventer les formes d’un débat riche en variations indispensables à la démocratie. Si leurs revendications effrayent celles et ceux qui défendent un statu quo injuste, elles nourrissent un présent joyeux et pluriel. N’ayons pas peur : poursuivons la joyeuse voie de l’égalité !

Sophie Wustefeld 
Sophie est conseillère à la prospective et anime le réseau de chercheurs-associés

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