Le conflit en Ukraine fait rebondir le débat énergétique déjà particulièrement mouvementé ces derniers mois en Belgique. Alors que les débats houleux de 2021 portaient sur la sécurité d’approvisionnement, l’invasion russe attire l’attention sur le soutien que l’achat de gaz apporte au complexe militaire de la Russie de Poutine. Bien que la Belgique ne soit que peu directement dépendante du gaz russe, la perspective d’ouverture de nouvelles centrales au gaz suscite de nombreuses réactions…
Ce n’est pourtant pas seulement à l’égard du gaz russe que nous devons questionner notre dépendance. C’est également à l’égard du pétrole. La Russie est un mastodonte dans ce domaine. Second pays exportateur de pétrole, derrière l’Arabie saoudite, elle exerce une réelle domination sur le marché européen. La Belgique en est particulièrement touchée. Chaque année, notre pays, dont le pétrole importé est russe à 30 %, dépense 3,5 milliards € en combustibles fossiles russes, principalement autour du pétrole. Soit 9,5 millions d’euros chaque jour. Soit plus de 300 millions d’euros depuis le début de l’invasion de l’Ukraine.
L’inaction des vingt dernières années dans la transition énergétique nous met aujourd’hui dos au mur et face à nos responsabilités.
La géopolitique de l’énergie occupe l’avant-plan de notre actualité et va très certainement être l’enjeu de ce XXIème siècle. En ce sens, les débats ne portent plus seulement sur la sécurité d’approvisionnement mais bien sur la souveraineté énergétique de pays européens dépourvus de ressources propres.Osons l’affirmer: si l’UE était plus loin sur la voie de la décarbonation de son économie, cette dépendance serait différente. L’inaction des vingt dernières années dans la transition énergétique nous met aujourd’hui dos au mur et face à nos responsabilités. Si les démocrates souhaitent rester cohérents avec eux-mêmes, il est désormais nécessaire de couper les ponts avec le pétrole de Poutine.
Les énergies renouvelables et la transformation du système productif sont les éléments nous permettant de renforcer notre sécurité. Nous ne sommes pas dépendant des ressources énergétiques extérieures: nous y sommes soumis. Tout notre système actuel de production, de consommation et de vie repose sur cet apport énergétique extérieur, fossile. Se passer du pétrole de Poutine n’est pas impossible. Les solutions sont là : afin d’éviter de futures guerres pour les énergies fossiles ou les minerais d’uranium (pour lequel la Russie est un de nos principaux fournisseurs), nous devons accélérer la transition vers une économie basée sur les énergies renouvelables et la sobriété énergétique.
De nombreux scénarios de décarbonation à moyen et long terme existent mais également des pistes pour le court terme. A titre d’exemple fort, le 18 mars, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) communiquait une liste de mesures pour réduire nettement la consommation de pétrole en 4 mois.
La réduction de notre dépendance à la Russie peut passer rapidement par des gestes individuels comme le covoiturage, l’utilisation accrue des transports en commun et de la mobilité douce. Mais ces efforts positifs n’ont cependant qu’un impact limité. L’engagement doit être collectif, donc structurel. L’AIE propose donc que les États soutiennent des mesures comme le télétravail, la circulation alternée en ville, etc. Le plan de l’AIE a l’avantage de pouvoir être mis en oeuvre rapidement, d’ici l’été, tenant compte du prochain pic de la demande, avec les grandes vacances de juillet et août dans l’hémisphère Nord. Il est primordial d’engager ces mesures en intégrant une dimension forte de justice sociale et en limitant l’impact de la hausse des prix. En Belgique, par exemple, les ménages installés loin de leur lieu de travail ou dans des espaces mal desservis en commerces et services, sont captifs du fossile pour leur mobilité.
Mais notre dépendance collective au fossile est plus grande encore en matière de chauffage. Or, en 2017, 74 % de l’énergie consommée par les ménages belges a été utilisée pour le chauffage et le bâti dans notre pays est ancien et mal isolé. Plusieurs mesures écologiques et sociales doivent donc être mises en oeuvre, à la fois pour protéger les plus précaires et pour répondre aux enjeux environnementaux. Augmenter les revenus afin de faire face à la hausse des prix est la meilleure piste (chèques ciblés ou l’indexation des salaires). À ces mesures de court terme doivent être jointes des politiques de moyen terme. Diverses pistes à approfondir existent comme le budget carbone ou de nouvelles approches de la fiscalité axées sur les principes de justice et d’équité sociale et environnementale. De même, une nouvelle manière de soutenir l’isolation du bâti ancien, souvent occupé par les ménages précaires, doit être promue afin de réduire au maximum les dépenses énergétiques. Des propositions existent en ce sens via par exemple les prêts de très longue durée ou la mobilisation des fonds de pensions.
L’écologie est une perspective à la fois sociale et internationale.
Il reste que refonder notre sécurité impose également de repenser notre demande. Limiter cette question à la seule composante énergétique est une erreur. Nous sommes aussi particulièrement dépendant d’engrais et de matières premières venant de Russie. La hausse des prix des céréales ainsi que de matières métallurgiques met en évidence nos autres dépendances, donc l’étendue de nos fragilités vis-à-vis de Poutine. Le remplacement de nos équipements industriels, agricoles et de mobilité, ne pourra plus se faire à l’identique. Il nous faut transformer l’ensemble de notre système productif. En Wallonie, par exemple, ce sont 30% des céréales qui sont utilisées pour produire de l’énergie et 46% qui servent à nourrir des animaux le plus souvent élevés en batterie. La sobriété et la relocalisation sont donc les voies à suivre.
Le social, l’international et l’écologie ne peuvent plus être opposés. L’écologie est une perspective à la fois sociale et internationale. La Russie a créé un trésor de guerre en raison de ses exportations d’hydrocarbures, de ses engrais et de ses matières premières qui nourrissent notre système productif. S’opposer à Poutine, c’est s’en protéger et par là, construire notre avenir.