Ce que les neurosciences peuvent apporter à l’écologie politique: Les travaux de George Lakoff sur le « cerveau politique »

George Lakoff (cc)Mikethelinguist

Introduction

L’urgence d’une transition écologique et solidaire n’a jamais été aussi pressante. Celles et ceux qui en ont une conscience aigüe perçoivent bien qu’au-delà des mesures radicales qui s’imposent, il s’agit aussi d’y associer l’adhésion positive des plus larges parts des populations. Le basculement de civilisation que représente cette transition se joue donc aussi « dans les têtes ». C’est précisément cette « bataille culturelle » que cet article entend explorer.

On va s’appuyer ici sur les travaux d’un anthropo-cognitivo-linguiste américain : Georges Lakoff, scientifique qui affiche son engagement dans le camp démocrate. S’il est relativement peu connu dans le monde francophone, ses réflexions ont pourtant guidé la politique de communication de la N-VA. Dans son livre, « La N-VA expliquée aux francophones », Luc Barbé explique bien comment ce parti s’est saisi des travaux de Lakoff pour construire, non pas ses « campagnes de communication », mais, plus en profondeur, ces cadrages (« frame »), c’est-à-dire, comme on va le voir, ses manières de définir et d’aborder les problèmes à affronter et comment il a réussi à les imposer dans le débat public politique en Flandre.[1] Avec l’efficacité que l’on sait…

A proprement parlé, il ne sera que bien peu question ici de communication[2], au sens que l’on donne à ce terme lorsqu’on parle de communication politique. Il sera davantage question d’anthropologie culturelle, d’approche cognitive du langage, de ce qui permet aux êtres humains de donner sens à leurs expériences et se coordonner entre eux. Il ne sera donc ici question de communication politique que comme « un produit dérivé », au moment de tirer, de toutes ces considérations, des perspectives de réflexion et d’action ainsi que des implications opérationnelles.

On identifie régulièrement un dilemme. Les écologistes présentent souvent leurs propositions en des termes complexes et nuancés : pour être entendus, il leur faudrait donc simplifier. Or, précisément, les propositions écologistes s’appuient sur la prise en compte des interdépendances, des chaînes de causalité circulaires, complexes : ce seraient donc les dénaturer que de les simplifier. Il pourrait sortir, des considérations qui vont suivre, une manière d’affronter ce dilemme.

N’en déplaise à celles et ceux d’entre nous qui aimeraient que l’espace public[3] soit le lieu privilégié de l’échange civil d’arguments exposés dans des formes procéduralement recevables, nous sommes sans doute loin du compte dans l’espace politico-médiatique et sans doute également lorsqu’il s’agit de rendre compte de ce qui préside à la formation des opinions des personnes appelées à voter, à guider leurs opinions, leurs comportements, leurs styles de vie et leurs décisions.

Les travaux menés au croisement de la psychologie cognitive, des neurosciences et de l’anthropo-linguistique permettent de rendre compte de manière plus adéquate des modes de raisonnement qui sont ceux des humains et qui sont relativement éloignés des idéaux d’une pensée cartésienne, désincarnée et rationnellement conduite.[4]

On va donc consacrer ici un certain nombre de pages à une présentation synthétique des travaux de Lakoff. Quoique ces matières puissent sembler quelque peu étrangères si pas étranges, il importe toutefois de ne pas en faire l’économie ou de se contenter d’une lecture superficielle. C’est en effet la compréhension en profondeur des « mécanismes mentaux » mis au jour par ces recherches qui peut ensuite fonder solidement les implications en matière de communication politique qui vont conclure cet article. 

L’itinéraire de Lakoff

Sans refaire l’histoire des courants théoriques et de recherches en anthropologie, en psychologie fondamentale, en intelligence artificielle, en mathématique pré-informatique,… il reste utile de situer Lakoff comme un des collaborateurs de Noam Chomsky. Dans les années ’50, Au MIT, Chomsky avait obtenu des financements pour élaborer une modélisation des compétences langagières du cerveau humain, présupposant l’existence d’un « système d’exploitation » commun au genre humain, sur lequel s’appuieraient toutes les langues naturelles. Ainsi est née sa proposition d’une « Grammaire Générative ». Dans les années ’70, Lakoff est associé à un projet de recherche visant à étendre l’hypothèse générative à la sémantique (le sens des mots, pour faire très court…), alors que Chomsky affirmait que sa proposition se limitait aux seuls aspects syntaxiques. A cette époque prévaut le paradigme « Cognitive Science », selon lequel il est possible de formaliser mathématiquement la communication humaine et ainsi perfectionner les interfaces « homme/machine »). La politique de subventionnement de la recherche en est très marquée. Il faut toutefois noter que Lakoff a suivi à cette époque un séminaire mené par Hubert Dreyfus, [5] consacré à Merleau-Ponty et Husserl !

Cette tentative d’extension à la sémantique de l’approche générative s’est assez vite heurtée à une difficulté : les instruments cognitivo-linguistiques dont nous nous servons pour rendre compte des états du monde, nous y repérer et nous coordonner entre humains à son propos sont orientés spatialement, du fait que nous avons un corps. Loin d’être contingent, cette inscription corporelle de l’esprit est au contraire constitutive de toute cognition et de tout entendement. Dans la suite de ses travaux, Lakoff va creuser ce sillon et en dégager de nombreuses implications.

Illustration

Lorsque nous entendons le mot « chaise », que se passe-t-il ? Ce mot évoque-t-il une pièce d’ameublement, un siège composé de quatre pieds, d’un plateau, d’un dossier et ne comportant pas d’accoudoirs ? Selon la théorie des prototypes telle que conceptualisée par Eleanor Rosch, il n’en est rien. L’image mentale qui se forme est celle, non d’une chaise abstraite, mais d’une chaise concrète, particulièrement représentative de la catégorie « chaise », manipulable, avec laquelle il est possible d’avoir des actions motrices. Bref, une « chaise », c’est « quelque chose pour s’asseoir » ! Au cœur de la catégorie « chaise » figure donc une « image » prototypique, particulièrement exemplative et qui permettra des comparaisons. Face à un objet particulier, on déterminera qu’il s’agit d’une chaise, non en raison du fait qu’il présente les traits définitoires de cette catégorie, mais en estimant qu’il présente un « air de famille »[6] avec le prototype et singulièrement… la possibilité de s’y asseoir !

Ne nous y trompons pas : cet exemple n’est pas trivial. Il rend compte des processus à l’œuvre lorsqu’on cherche à les aborder en croisant au moins les apports des sciences cognitives et de la philosophie du langage.

Les métaphores dans la vie quotidienne

Un premier livre de Lakoff fait date : « Metaphors We Live By »,[7] écrit avec le philosophe Mark Johnson[8]. On ne tente pas ici de résumer cet ouvrage mais bien d’en extraire des repères essentiels, qui seront utiles pour la suite de notre parcours. [9]

Basé sur une étude minutieuse des expressions du langage de la vie quotidienne, il montre que, loin d’être une figure littéraire qui dissimulerait un sens propre derrière un sens figuré, la métaphore est au contraire une opération de pensée fondamentale.

« L’essence d’une métaphore est qu’elle permet de comprendre quelque chose (et en faire l’expérience) en termes de quelque chose d’autre. » [10]

Le raisonnement que l’on peut alors légitimement tenir est le suivant : si une métaphore est une structure schématique imagée, dont le schéma de connaissance est projeté d’un domaine vers un autre, (du « domaine-source » vers le « domaine-cible »), de projection en projection, comment les « premières connaissances » se sont-elles constituées ? Prenons ici l’exemple du temps. Il est métaphoriquement appréhendé comme une chose, soit qui bouge (Le temps passe…), soit au sein de laquelle nous bougeons (On approche du grand jour). Or, soulignera Lakoff, nous ne disposons pas de capteurs sensoriels pour le temps. Et si les métaphores de base sont à composante spatiale, c’est que notre appareil cognitif est incorporé. Les premières catégorisations, pré-langagières, seraient construites sur les repères spatiaux que nous fournissent nos sens : haut/bas, devant/derrière, gauche/droite, intérieur/extérieur.

Ce livre est truffé d’exemples. Il serait alors utile de faire un relevé des métaphores conceptuelles que ses travaux ont permis d’identifier.[11] On peut toutefois, pour bien illustrer le propos, en reprendre ici quelques-unes, dont on peut supposer l’importance quant à la communication politique.

Métaphores Manifestations langagières
Le temps, c’est de l’argent –      Gérer son budget-temps

–      Cette crevaison m’a coûté une heure

–      Merci de nous avoir donné de votre temps

Le « plus » (bonheur, conscience, vertu, raison…) est en haut – Le « moins » (tristesse, vice, inconscience, émotion…) est en bas –      Cela m’a remonté le moral

–      Il est au trente-sixième dessous

–      Elle est tombée dans le coma

–      Un citoyen au-dessus de tout soupçon

–      Comment a-t-il pu s’abaisser à ça ?

Le changement est un déplacement –      Il en est arrivé à penser que…

–      Il va finir par se fâcher

–      Elle s’en sort sans trop de dommages

–      Un grand bond en avant

Les personnes sont des plantes –      Il est encore bien vert pour son âge

–      Elle a été fauchée à la fleur de l’âge

–      On ne redresse pas un vieux bonzaï

La société est un corps –      A la tête de l’Etat

–      Le corps électoral

–      L’indifférence est un cancer de nos sociétés

Plus (chaud) c’est mieux –      Réchauffement des relations diplomatiques

–      Il me glace le sang

–      …

 

Femmes, feu et autres choses dangereuses

Avec ce titre[12], provocateur à souhait, Lakoff signe un ouvrage fondateur, au croisement de la psychologie, la linguistique, l’anthropologie, et les travaux de modélisation des habiletés cognitives nécessaires au langage. Il reprend bien sûr les accents comme l’incarnation et le caractère imagé des raisonnements, y compris formels, mais il explore davantage encore les travaux déterminants d’Eleanor Rosch [13] sur la catégorisation humaine et nombre de travaux empiriques qui s’en sont inspirés. Ce qui lui permet de montrer que les catégories qui nous servent à organiser notre compréhension du monde et nous y orienter dépendent, pour l’essentiel, de deux facteurs : l’expérience corporelle de la personne qui catégorise et des processus d’imagination (métaphore, métonymie, imagerie mentale) qu’elle met en œuvre.

Ainsi conçue, la catégorisation représente la principale manière, pour les êtres humains, de donner sens au monde. Et cette pensée est incorporée, c’est-à-dire fondée sur l’expérience que nous avons de notre propre corps et de nos compétences de manipulation, elle est imaginative, c’est-à-dire qu’elle est capable d’aller au-delà de la stricte représentation de la réalité et elle présente une structure écologique, c’est-à-dire qu’elle ne se réduit pas à de la manipulation de symboles discrets, mais aborde une situation comme un ensemble intégré.

D’un point de vue paléoanthropologique, on pourrait alors présenter les choses en ces termes : le développement des zones corticales telles qu’héritées de l’évolution a permis une architecture cérébrale dans laquelle les aires plus récentes prennent appui sur les aires plus anciennes dédiées à la perception et la motricité. Quoi de plus normal, dès lors, que les mécanismes à l’œuvre dans les raisonnements abstraits soient fondés sur des concepts spatiaux et moteurs. Quoi de plus normal aussi que le langage soit métaphorique, puisqu’il n’est que la manifestation de cette compétence : penser métaphoriquement. D’où le sous-titre de ce livre : « Ce que les catégories révèlent au sujet de l’esprit ».[14]

La thèse qu’expose Lakoff dans cet ouvrage est que nous organisons notre connaissance grâce à des structures appelées modèles cognitifs idéalisés (ICM). Les structures que présentent les catégories et les effets prototypiques (Rosch) sont des sous-produits de cette organisation. Nous reviendrons sur cette notion d’ICM.

Mais il est une autre dimension essentielle de cet ouvrage, plus immédiatement en lien avec notre projet : la dimension culturelle. La couleur est donnée dès le titre puisqu’il fait référence à une langue aborigène australienne, le Dyirbal, qui dispose d’« …une catégorie, balan, qui comporte les femmes, le feu et les choses dangereuses. Et cette catégorie comporte également les oiseaux qui ne sont pas dangereux, ainsi que des animaux exceptionnels comme le platypus, le bandicoot et l’echidna. » [15]

Cet exemple montre bien que la catégorisation humaine, telle qu’elle se manifeste dans le langage, ne procède pas selon l’approche objectiviste classique (qui privilégie l’examen de propriétés communes des traits qui définiraient une catégorie), mais d’autres processus dont Lakoff entend bien rendre compte. Il y a plus : si le processus de catégorisation est universellement humain, il reste que l’on n’habite sans doute pas le même monde si l’on utilise, pour lui donner sens et s’y orienter, des catégories à ce point différentes. Ces catégories constituent autant de schèmes d’interprétation, de raisonnement et d’argumentation. Ces catégories sont largement socialisées, c’est-à-dire qu’elles font l’objet d’un apprentissage et sont partagées par les membres d’une communauté culturelle, pour qui ces catégories constituent les évidences d’un savoir partagé. En ce sens, elles sont propres à chacune culture, qui se distinguent donc aussi les unes des autres de ce point de vue.

On est donc fondé à se poser cette nouvelle question : si des communautés linguistiques se caractérisent par un ensemble de catégories partagées, pourrait-on considérer que des sous-cultures au sein d’un même ensemble linguistique (classes sociales, sous-cultures d’âge, professionnelles, convictionnelles…) puissent aussi disposer d’un ensemble d’instruments cognitifs partagés et qui les caractériseraient, en tant que sous-culture ? Cette question vaut-elle également pour les modèles cognitifs idéalisés (ICM), que Lakoff finira par nommer des « Frames » ?

Penser dans/avec des cadres (« frames »)

Lakoff continuera ensuite à creuser ce sillon en travaillant sur la compréhension de la poésie ou l’origine des mathématiques par exemple. Cependant, dès la fin des années ’90, il publiera une série de travaux et de livres sur la politique américaine, examinée au crible de son approche anthropo-cognitivo-linguiste… c’est ce qui va maintenant nous occuper.

Lakoff a régulièrement recours à la notion de « Framing », que l’on pourrait traduire, de manière quelque peu insatisfaisante, par la notion de « cadrage ». Il importe donc d’emblée de préciser ce terme, afin d’en cerner précisément la portée, dans la mesure où toutes ses contributions reposent sur cette notion. Ce terme « frame » entend rendre compte du processus mental par lequel un champ d’expérience est abordé à partir d’un schéma imagé, très largement non conscient, propre à une culture et partagé implicitement par les locuteurs et locutrices concernés. Ces structures mentales façonnent notre façon de voir le monde. Elles relèvent des couches profondes de notre fonctionnement cérébral et peuvent être activées inconsciemment, par des phrases toutes faites ou de simples mots. Ces cadres façonnent notre façon de voir le monde et par conséquent les objectifs que nous poursuivons, les plans que nous faisons, la façon dont nous agissons et ce qui nous permet d’évaluer les conséquences de nos actions. De telles structures mentales relèvent de processus non conscients et dont nous ne percevons que les manifestations apparentes. Ainsi, ce que nous qualifions si facilement de « bon sens » n’est en fait que la manifestation d’inférences automatiques, réalisées à partir de ces « cadrages », très largement non conscientes et activées sans effort.

Ainsi, une « école » peut être un cadre, c’est-à-dire un modèle cognitif imagé, qui comprend des rôles comme élève, professeur∙e, direction… des lieux, comme classe, cour de récréation, salle de gymnastique,… des objets comme cartable, tableau, cahier,… des règles, comme programmes scolaires, examens, discipline,… ou encore des relations comme l’autorité, parents/enseignant∙es, l’inspection,… et même des émotions, des sensations, associées à nos expériences dans des contextes scolaires,… Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que toutes ces associations correspondent à des structures qui sont physiquement présentes dans nos réseaux neuronaux et qui s’activent lorsque le terme « école » est utilisé.

Ces cadrages :

  • Présentent un structure propositionnelle (ils peuvent d’énoncer avec des mots…)
  • Ont une structure schématique et imagée
  • Procèdent par cartographie métaphorique et métonymique.

Pour illustrer le propos, prenons immédiatement un exemple hors champ politique. Si des formulations comme « J’aimerais faire un bout de chemin avec toi », « Nous sommes à un carrefour », « Notre relation aboutit à un cul-de-sac »… sont intelligibles, c’est parce qu’elles activent le cadre du voyage pour concevoir, par exemple, une relation amoureuse. C’est l’existence de ce cadrage « l’amour-est-un-voyage » qui peut expliquer que des phrases comme celles-ci soient appropriées.[16]

Ceci étant dit, le terme « frame » lui-même, si l’on veut bien en saisir la portée, doit être associé aux usages que l’on peut faire de ce mot en anglais, sans qu’il existe de réel équivalant satisfaisant en français. Ainsi, en anglais, on parlera de « frame » pour parler de l’encadrement d’un tableau, du squelette d’un animal, de la charpente d’un bâtiment, du cadre d’un vélo, la structure d’un récit, d’une tournure d’esprit, etc. Ce cadrage suppose donc l’existence d’un schéma construit et invariant, que différentes formes langagières viennent en quelque sorte habiller, dans une large variété d’apparences extérieures.

Ce qu’il s’agit de bien comprendre, c’est que ce cadrage ne renvoie pas seulement à des manières de parler, à des « licences poétiques » plus ou moins heureuses. Il s’agit bien du processus cognitif de base et profond, par lequel nous donnons sens au monde, nous nous le représentons, nous faisons des anticipations, nous organisons notre action à son endroit… Comme on l’a vu, ces « cadrages » sont généralement partagés entre les membres d’une même culture et leur permettent de se comprendre et de se coordonner.

Des cadres politiques

Arrivons-en maintenant au champ politique. Comment cette vigilance aux « cadrages » peut-elle conduire à décoder les positions que prennent les un∙es et les autres, à identifier la cohérence les lignes que tiennent les personnalités et les formations politiques ? C’est à ces questions que Lakoff a entrepris de travailler dans une série d’ouvrages et de contributions.[17] Certes, il est inspiré par les discussions, les pratiques et les acteurs politiques américains, contexte particulièrement bipolarisé et peut-être de ce fait particulièrement éclairant. Toutefois, dans leur portée générale, ses analyses peuvent être transposées à d’autres contextes.

Passant au crible les visions du monde qu’expriment les rhétoriques des libéraux et les conservateurs, Lakoff en montre les divergences radicales autant que la remarquable consistance de leurs conceptions respectives de la moralité politique et d’autres conflits idéologiques majeurs. Loin de se contenter de ce type d’analyses, il se consacre également à élaborer des recommandations aux Démocrates, tant pour éviter des erreurs, dans leurs réponses défensives aux Républicains, que pour construire et présenter leurs propres propositions. Examinons cela.

Les « cadrages » préexistent à l’usage politique qui peut en être fait. Toutefois, s’ils font partie de la culture, ils n’induisent pas tous le même regard sur les réalités collectives, l’appréciation qu’on en a et les mesures qu’il y a lieu de prendre. Dès lors, les choisir quand on s’exprime sur des options politiques revêt la plus grande importance. Dans « Don’t Think of an Elephant »[18], Lakoff insiste par exemple sur l’importance de ne pas rappeler les cadrages de l’adversaire, en faisant usage du même vocabulaire qu’eux et cela, même si c’est pour les critiquer ! En effet, le simple fait d’évoquer les cadrages auxquels on s’oppose vient remplir l’espace de compréhension en activant la vision que l’on cherche pourtant à contester. « Essayez, écrit-il, de ne pas penser à un éléphant ! » A l’inverse, il s’agit d’utiliser les cadrages culturellement disponibles, en les attachant aux valeurs progressistes et humanistes. Il est contreproductif de s’opposer par exemple aux allégements fiscaux ou aux réglementations envahissantes. Il s’agit au contraire de recadrer la discussion pour valoriser la fiscalité comme un mode de financement des infrastructures publiques et les lois comme un moyen d’assurer la protection des consommateurs, l’enseignement, la sécurité sociale et de l’assurance-maladie…

Un domaine prégnant est celui de la famille, des conceptions de l’éducation et des rôles parentaux. Il contraste deux modèles, l’un qui met en avant l’autorité d’un père répressif et l’autre qui met en avant l’autonomie de l’enfant, qui grandit en faisant des expériences sous l’œil bienveillant et protecteur des parents. Loin d’être anecdotique et de se cantonner à la sphère privée, c’est au contraire un cadrage des plus puissants qui soient pour concevoir les rapports entre un pays et ses dirigeants. L’un ou l’autre de ces modèles est convoqué pour justifier les lignes à tenir en matière de lutte contre la criminalité et la politique pénitentiaire, la prévention la pauvreté ou la protection sociale par exemple. En conséquence, c’est moins de faits bruts et objectifs dont il faut parler, mais davantage des valeurs mobilisatrices, invitant à un regard bienveillant, soucieux, avec efficacité, du bien-être et de la liberté.

Et s’il est une valeur canonique de la culture politique américaine, faisant l’objet d’une importante controverse, au cœur d’une bataille culturelle majeure divisant les États-Unis, c’est bien celle de la liberté. C’est dès lors le lieu de bien se rappeler le propos de notre auteur : il s’agit pour lui, au premier chef, non d’éclairer les contenus de ce débat, sous l’angle de la philosophie politique, mais davantage de montrer comment ce que nous savons des processus cognitifs humains permet de rendre compte de ce qui est à l’œuvre lorsqu’on débat. Nous raisonnons à partir d’outils d’entendement intrinsèquement tributaires de notre condition d’êtres incarnés, incorporés. Nos modes de raisonnements, largement non conscients, procèdent par métaphores et métonymies et sont chargés d’émotions. En effet, de nombreux circuits-cadres ont des liens directs avec les régions émotionnelles du cerveau. Les émotions font donc partie intégrante de la pensée normale et l’on ne peut être rationnel sans émotions. Sans émotions, il serait par exemple très difficile voire impossible de déterminer ce qui est désirable. Ces processus cognitifs et biologiques déterminent la façon dont nous abordons, notamment, ces questions morales, sociales et politiques. Il est donc de première importance, pour qui veut intervenir politiquement, de prendre en compte ce qui vient d’être décrit comme le « fonctionnement » normal de l’esprit.

Une de ses dernières publications, « Le petit Livre Bleu »[19], prend quasi la forme d’un « manuel » à l’usage des Démocrates, fort du constat qu’ils et elles ont le plus souvent échoué à présenter leurs propositions de façon attractive. Les Républicains exhibent des valeurs, les Démocrates proposent des politiques. Et ça marche… pour les Républicains ! Il s’agit donc pour les Démocrates d’apprendre à parler en référence à leurs valeurs fondamentales, celles qui en font des démocrates. Truffé de conseils éclairants, ce guide expose comment présenter et discuter les questions centrales de notre temps : l’économie, la politique énergétique et environnementale, les rapports sociaux de sexe, l’éducation, la santé, l’alimentation, l’éducation, etc. C’est précisément ce que nous allons examiner maintenant.

Hypocognition environnementale : un tragique manque de cadre

Dans un article, globalement assez désespérant, faut-il le dire, Lakoff s’interroge sur la façon dont nous « cadrons » l’environnement.[20] Il y évoque notamment une recherche linguistique, remise en 2003 à l’administration Bush et intitulée : « Gagner le débat du réchauffement mondial ». Une des recommandations de ce rapport est celles-ci : parler de changement climatique est moins effrayant que de parler de réchauffement de la planète. Justification avancée par ce rapport : le terme de climat évoque agréablement l’image des palmiers qui se balancent au bord de la mer tandis que le terme de changement, une chose finalement assez normale pour le climat, exclut toute cause humaine. Le climat est juste en train de changer, il n’y a donc personne à blâmer ! C’est depuis lors la ligne de communication tenue par les administrations républicaines qui ont suivi ce rapport.

Au nombre des conclusions à tirer de cette donnée, il y a notamment celle-ci : depuis des dizaines d’années, les Républicains prennent appui sur de telles recherches pour concevoir la cohérence de leurs communications, tandis que les Démocrates considèrent qu’il faut exposer les faits, faire appel à la raison en expliquant les mécanismes en jeu dans le réchauffement climatique. Selon cette conception, si suffisamment de gens sont exposés à cette « vérité qui dérange », [21] le monde devrait changer. On voit combien cette approche est insuffisante à susciter les changements espérés… Et Lakoff de poser cette question, dans laquelle nous nous reconnaîtrons sans peine :

« Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les conservateurs peuvent communiquer facilement en quelques mots, tandis que les libéraux ont besoin de longs paragraphes? La raison en est que les conservateurs ont consacré des décennies, jour après jour, à la construction de cadres dans le cerveau des gens, et la construction d’un meilleur système de communication pour faire passer leurs idées auprès de l’opinion publique. » [22]

De plus, écrit-il, comprendre correctement les termes de l’impasse environnementale que nous devons affronter n’est qu’une partie du problème : il reste surtout à savoir quelles sont les politiques à mener. Et ici aussi Interviennent les cadres qui permettent d’aborder la politique elle-même. On a abordé ce point dans les sections précédentes : le contraste entre les modèles d’éducation, l’omniprésence du raisonnement économique, la monétarisation de l’évaluation coûts/bénéfices, par exemple, sont des cadrages qui semblent envahir tout le champ de la compréhension du politique ; concevoir les choses autrement prend alors les formes d’une bataille culturelle à armes bien inégales.

Le terme d’environnement lui-même est problématique, puisqu’il charrie l’image d’une entité séparée de l’humanité, d’une nature essentiellement différente, un réservoir de ressources qu’il s’agit, dans le meilleur des cas, de ne pas épuiser. Voici donc le nœud : nous ne disposons pas de cadre pour concevoir l’humanité, tant en général que chacun∙e d’entre nous, êtres humains, comme partie prenante de ce que, faute de mieux, nous appellerons la nature. Faute de mieux en effet, puisque ce terme lui aussi évoque immanquablement la distinction nature/culture, héritée des Lumières.[23] Telle est la tragédie des écologistes : il n’y a pas de cadre, entendu comme modèle schématique et imagé, culturellement partagé, pour aborder les questions environnementales et leurs traitements politiques. La conclusion s’impose : il est d’une extrême urgence et importance de consacrer des moyens à l’élaboration de tels cadres, à la hauteur des enjeux que cela représente. Et la plus grande erreur serait de considérer qu’il s’agit seulement d’élaborer des slogans et des « punch lines »… Il s’agit au contraire, à côté d’une politique « matérielle », de consacrer des moyens à une réelle « politique cognitive ».

Des raisons de tout de même d’espérer ? Lakoff note que des mouvements sociaux ont réussi à se doter d’un cadrage cohérent, à se fédérer autour de lui et à l’imposer comme grille de lecture dans le débat public. Ainsi du mouvement féministe. Un cadrage simple peut être extrêmement mobilisateur : les femmes ont été reléguées à des positions inférieures dans la société et elles méritent l’égalité dans ces domaines. Un mouvement social est idéaliste par nécessité et c’est précisément cet idéalisme qui mobilise.

Oui, mais en Europe ?

Lakoff écrit depuis la côte Ouest américaine, dans un contexte de bipolarisation politique très marquée. Il est donc temps d’examiner comment ces considérations pourraient trouver leurs échos de l’autre côté de l’Atlantique et plus spécifiquement encore dans un contexte belge. On propose ici l’examen d’une interview, par un journaliste radio de service public, d’une personnalité affichant des convictions politiques, ce qui devrait tout à la fois illustrer encore ce que l’on entend par « cadre », et renforcer la compréhension générale du concept, autant que sa pertinence dans le champ politique. [24] C’est ici le thème de la sécurité sociale qui fait l’objet de l’interview. Prenons-le comme une brève illustration de ce vers quoi ouvre une vigilance aux « cadrages ».

En premier lieu, la retranscription des parties de l’interview relatives à la sécurité sociale permet d’isoler, tant les passages durant lesquels l’invité a l’occasion d’exposer sa pensée sur le sujet que les questions du journaliste et la manière dont ce dernier les formule. Il est ensuite possible d’isoler les mots-clés, les expressions-phares et les images qui caractérisent l’essentiel des interventions retenues. Sur cette base, on peut alors dégager les soubassements, les structures schématiques et imagées, les modèles cognitifs imagés sur lesquels reposent ces interventions. C’est ce dont rend compte le tableau suivant.

Déclarations Mots-clés,

Images

Cadrage
Jean-Pascal Labille
…qui ne se sentent plus protégés par la protection sociale

…repolitiser la sécurité sociale, réexpliquer à quoi sert la sécurité sociale, faire de la pédagogie et de l’éducation permanente. Une sécurité sociale, ça sert à intégrer, à socialiser, à émanciper et à protéger.

Protéger

Expliquer, éduquer, intégrer, socialiser, émanciper

Un Etat doit prendre en charge, de manière bienveillante, la sécurité et l’épanouissement de sa population
Il y en a quand même quatre sur dix, ce n’est pas la majorité, mais il y en a quand même quatre sur dix qui disent « Moi, je veux bien être solidaire, au sein de la sécurité sociale historique ». Et puis les autres, qui se sentent fragilisés dans la société dans laquelle on est, qui disent « Je veux bien être solidaires mais avec ma famille, ma tribu, ou en tout cas les quelques personnes qui m’avoisinent ». Et donc, c’est ce travail-là qu’il faut faire, de pédagogie, de dire : « On doit faire aventure humaine commune, et donc protéger tout le monde, sans laisser personne au bord du chemin ». Solidarité, fragilité, aventure humaine commune, tout le monde, personne au bord du chemin La sécurité sociale doit inclure tout le monde
Thomas Gadisseux
Les réponses sont sans appel : les gens sont prêts à être solidaires mais seulement uniquement, en tout cas davantage, mais uniquement pour leurs proches. Est-ce que là aussi, par rapport aux valeurs que « Solidaris » veut prôner, est-ce que là aussi il n’y a pas une remise en question ? Les gens pensent ceci, vos valeurs sont remises en question Les valeurs de Solidaris ne correspondent plus aux valeurs de la population : Solidaris est dépassé.
Et de limiter les exportations, certains parlent du coup d’un régime « soviétique » mis en place dans le système des soins de santé. Système de santé soviétique. Un Etat qui intervient comme régulateur est un Etat totalitaire

 

Ce simple tableau permet de formuler quelques observations. Tout d’abord, s’agissant de la conception de l’Etat et de son rôle protecteur défendue par Jean-Pascal Labille, on ne peut qu’être frappé du parallèle qu’il est possible d’établir avec ce que Lakoff nomme par ailleurs le « modèle du parent nurturant »[25], c’est-à-dire le modèle d’éducation correspondant aux valeurs démocrates. Attention, cela n’a rien d’anecdotique : ce « cadre » est particulièrement exemplatif de ce qu’a étudié Lakoff quant à la puissance que revêt le mécanisme cognitif de compréhension par projection. C’est cette structure relationnelle, celle qui régit les rapports entre les parents et les enfants, qui est ainsi projetée sur les rapports entre les autorités publiques et la population. C’est cette structure relationnelle qui est activée, par un mécanisme largement non conscient, par l’usage du vocabulaire utilisé par l’invité.

Pour sa part, le journaliste n’évoque pas le modèle qui y est opposé, dans la culture politique américaine, celui du « père strict », qui accorde une grande valeur à la discipline et la figure de l’autorité. Il convoque plutôt deux cadrages puissants.

Le premier d’entre eux vise à disqualifier son interlocuteur, qui ne serait pas aligné sur les valeurs du temps : l’opinion publique pense ceci et ce n’est pas votre cas, vous êtes donc déphasés. On pourrait bien sûr évoquer cette posture qu’affectionnent des journalistes : je sais mieux, je comprends mieux et je me fais le meilleur relais des attentes de la population et c’est pourquoi vous devez me rendre des comptes, face à ce micro. Mais il y a plus : la conception implicite de la politique, qui qui consisterait à suivre l’opinion publique.[26] L’univers qui fait profession de suivre les tendances est celui des annonceurs publicitaires. La cadre que semble donc activer l’intervention du journaliste définit les rapports entre les acteurs du champ politique et la population sur le mode de la consommation marchande. Le cadrage pourrait donc se formuler abruptement ainsi : le citoyen/électeur est un client à satisfaire.

Le second cadrage associe l’intervention de l’Etat à une restriction totalitaire des libertés, en l’occurrence, la liberté de commercer. Il importe de noter que le seul usage du terme « soviétique » suffit à l’activer. Pour en manifester la portée, il s’agit ici de faire référence à une autre publication de Lakoff, dans laquelle il traite de cette notion la plus controversée sans doute de la culture politique américaine : la liberté. [27] Si, pour les démocrates, la responsabilité de l’Etat est d’être le garant des possibilités concrètes de chacun∙e de mener librement la vie qui a ses préférences, (via des politiques d’éducation, de santé par exemple), la conception des néo-conservateurs est toute différente. Si des personnes se retrouvent dans des situations de pauvreté, elles n’ont qu’à se blâmer elles-mêmes, puisqu’elles n’ont pas exercé leur liberté de s’en sortir. En revanche, la liberté est incarnée par l’entrepreneur qui, selon eux, doit pouvoir agir sans être bridé par des contraintes fiscales ou des règlementations sanitaires et environnementales. Ce cadrage pourrait donc se formuler ainsi : L’Etat doit laisser faire la bien connue « main invisible du marché ».

Ce petit exercice illustratif permet encore d’insister sur un point : un cadrage réussi n’est pas celui qu’un parti parvient à faire consciencieusement répéter par ses « activistes », c’est celui qui fait partie du stock où puisent les journalistes pour mener leurs interviews ! Et rappelons ici encore qu’il ne sert à rien, dans un débat, de discréditer rationnellement un tel cadre : d’une part parce que, en l’évoquant, on le renforce encore, d’autre part parce qu’un simple exposé des faits, en appelant à une capacité de jugement rationnel, est une stratégie qui ne fonctionne pas. Pourquoi cela ? Parce que la force de tels cadres tient précisément dans leur capacité à rejeter les faits qui n’y correspondent pas. L’antidote se trouve davantage dans la nécessité de relier l’émotionnel et le viscéral au rationnel.

Conclusions : l’importance de poursuivre

Ramassons le propos. Les travaux menés par des chercheurs en science cognitive du langage, aussi intéressants et subtils que George Lakoff, sont bien sûr passionnants dès lors qu’on s’intéresse à la condition humaine et à la communication, au sens anthropologique du terme. Dans cette approche, les expressions du langage sont la partie émergée d’un iceberg dont la partie immergée correspond au fonctionnement du cerveau humain qui se caractérise, non par des procédures computables appliquées à des symboles correspondant à la « réalité », mais par la métaphore, la métonymie, la projection de structures schématiques et imagées, caractérisées par une composante émotionnelle et déterminée par son incorporation. Si ces « cadres » décrivent le fonctionnement du cerveau humain, ils portent donc sur tous les sujets concevables mais peuvent aussi varier d’une culture à l’autre. Fort de ses travaux, Lakoff a entrepris de transposer les résultats de ses recherches aux imaginaires, aux cultures et aux pratiques politiques américaines. Et il en retire, non seulement des analyses, expliquant la supériorité du camp républicain, mais aussi des recommandations générales et très pratiques aux Démocrates pour faire valoir leurs visions.

Les urgences écologiques sont plus pressantes que jamais et les mesures qui s’imposent tardent à se concrétiser. Toutefois, la conscience de cette urgence est sans doute insuffisamment partagée. Mais on peut aussi douter que cette seule augmentation de la conscience « environnementale » suffise à provoquer rapidement les indispensables réorientations qu’exige la situation de la planète. De plus, à mesure que s’accumulent les éléments qui documentent les dérèglements climatiques et les pertes affolantes de biodiversité, on voit surgir des opposants qui ne reculent devant aucun moyen pour défendre leurs intérêts irréalistes. Bruno Latour[28] en a bien décrit les termes par cette opposition entre les « terrestres » et les « hors sol ».

Toutes ces considérations ne peuvent qu’interpeller celles et ceux qui ont une sensibilité écologique et qui sont convaincu∙es que changer les modes d’organisation de la société et la métamorphose que cela exige nécessite aussi de solides changements de comportements, à tout niveau. Ces changements de comportements, à leur tour, doivent avoir du sens, dans la mesure où ils seront positivement associés à un monde désirable. C’est à ce niveau de profondeur qu’il faut souligner l’importance cruciale de la « bataille culturelle » déjà évoquée. Nous ne partons pas de rien : les valeurs dont se revendiquent l’éco-féminisme, la permaculture, l’écologie populaire, décoloniale… peuvent venir alimenter la construction de tels cadres, aux prévaudraient des notions comme cycle, diversité, soin, etc.

Cet article se veut donc un appel : il importe que celles et ceux qui, dans leurs champs respectifs, œuvrent aux transformations qui s’imposent, prennent la mesure des analyses et éléments de réflexion avancés ici et concluent à la nécessité d’unir leurs intelligences, leurs forces et leurs moyens pour relever ce défi de taille : gagner l’adhésion de très larges parts de l’opinion publique, pour rencontrer des exigences incommensurables : rien moins que d’assurer la continuité de la vie humaine sur terre.

 

*          *

[1] BARBE Luc, (2019), « La N-VA expliquée aux francophones », Editions Etopia. Voir spécifiquement les pages 267-280.

[2] Le terme de « communication » est particulièrement polysémique. Pour y voir clair, Dominique Wolton a proposé cette distinction, identifiant trois sens possible à ce terme.

  1. Sa dimension anthropologique. L’être humain est un animal social dit-on.
  2. Sa dimension technique. On insiste ici sur les moyens de communication, de la gazette à l’internet 2.0, en passant par la radio, la télévision et les omniprésents réseaux sociaux.
  3. Sa dimension fonctionnelle. La communication est devenue une nécessité fonctionnelle dans nos sociétés interdépendantes. Gestion d’image, publicité corporate, communication de crise, spin doctors… sont autant de signes de son importance. La communication politique ressort de cette troisième acception.

WOLTON Dominique, (1997), Penser la communication, Flammarion, Paris.

[3] HABERMAS Jürgen, (1993), L’espace public, Payot, Critique de la politique, Paris.

[4] L’ouvrage canonique de Damasio décrit le cas d’un homme victime d’un accident de travail, dont une partie du cerveau avait été endommagée. Après sa guérison, il se montre capable d’une série de choses et pas d’autres. Ce cas clinique bien documenté permet d’illustrer une chose. Des sous-systèmes neuronaux, impliqués dans le raisonnement et la décision, mettent également en jeu des dimensions socio-affectives et émotionnelles. Voir : DAMASIO Antonio R., (2001), L’erreur de Descartes, Odile Jacob, Paris.

[5] On notera qu’Eleonor Rosch, qui a proposé la théorie de prototypes, pour rendre compte des compétences de catégorisation humaines, a également suivi ce séminaire.

Dreyfus a écrit à contrecourant de ce main stream cognitiviste. Voir notamment : DREYFUS Herbert, L., (1972) « What Computers Can’t Do : a Critique or Artificial Reason », Harper and Row, New York.

[6] L’expression est de Ludwig Wittgenstein, philosophe, mathématicien, préoccupé de logique et de langage.

[7] LAKOFF George, JOHNSON Mark, (1985) « Les métaphores dans la vie quotidienne », Ed. de Minuit, Propositions, Paris. (Ed. originale en anglais : « Metaphors We Live By », 1980, University of Chicago Press, Chicago.

[8] Il est notamment l’auteur d’un livre qui met en lumière tout ce que ces travaux conduisent comme remise en cause de la philosophie occidentale, en ce qui concerne la signification, la rationalité, l’objectivité… en soulignant le caractère central de l’expérience corporelle comme fondement de tout entendement  : JOHNSON Mark, (1987), « The Body in the Mind. The Bodily Basis of Meaning, Imagination, and Reason », The University of Chicago Press, Chicago and London.

[9] Pour en savoir plus, on peut toujours se référer à deux publications sur le site : https://gerardpirotton.be:

https://gerardpirotton.be/wp-content/uploads/2020/12/metaphores-gp-communication.pdf

https://gerardpirotton.be/wp-content/uploads/2020/12/metaphore-formation-gp-communication.pdf

[10] LAKOFF George, JOHNSON Mark, (1985), « Les métaphores dans la vie quotidienne », Minuit, Propositions, Paris. Page 15.

[11] Le département des sciences cognitives de Berkeley a longtemps tenu à jour une telle liste, les ordonnant par ordre alphabétique, et les distinguant par domaine, source ou cible, chaque item étant illustré par divers exemples manifestant l’usage de cette métaphore dans des expressions de la vie quotidienne.

[12] LAKOFF George, (1987), « Women, Fire, and dangerous Things. What categories Reveal about the Mind », The University of Chicago Press, Chicago-London.

[13] On lui doit une véritable révolution copernicienne dans la compréhension des processus cognitifs de catégorisation quand, jusqu’alors, dominait l’approche traditionnelle héritée d’Aristote selon laquelle une catégorie se définit comme un ensemble, dont les éléments qu’il contient présentent tous une série de traits spécifiques.

[14] Lakoff se montre largement conscient des implications philosophiques de ces travaux, notamment quant à sa critique de l’objectivisme. Il y consacre d’ailleurs la moitié de pages théoriques de son « pavé ». On se souviendra que c’est avec le philosophe Mark Johnson qu’il a écrit « Metaphors We Live By » en 1980. Et c’est avec ce même Mark Johnson qu’il écrit, quelque vingt ans plus tard, « Philosophy In The Flesh: the Embodied Mind and its Challenge to Western Thought », en 1999. Dans l’intervalle, Mark Johnson aura aussi publié, en 1987 : « The Body in the Mind. The Bodily Basis of Meaning, Imagination, and Reason. », The University of Chicago Press, Chicago and London.

[15] LAKOFF George, (1987), « Women, Fire, and dangerous Things. What categories Reveal about the Mind », The University of Chicago Press, Chicago-London. Page 5. (C’est nous qui traduisons)

[16] Une relation amoureuse peut bien sûr être « cadrée » autrement que par le voyage, (l’amour-est-une-folie, par exemple) tout comme « le voyage » peut encadrer d’autres champs d’expérience (une discussion, un programme de recherche, ou chacune de nos vies par exemple)

[17] Citons-en quelques-uns :
(1996), « Moral Politics, What do conservatives know that liberals don’t? » University of Chicago Press.

(2004), « Don’t Think of an Elephant. Know Your Values and Frame the Debate ». Chelsea Green.

(2006), « Whose Freedom? The Battle over America’s Most Important Idea », Farrar, Straus and Giroux.

(2012) Avec Elisabeth Wehling, « The Little Blue Book. The Essential Guide to Thinking and Talking Democratic », Free Press.

(2016), « Moral Politics. How Liberals and Conservatives Think », Third Edition, University of Chicago Press

[18] Pour une présentation de ce livre, voir : https://gerardpirotton.be/politique/elephant-de-lakoff/

[19] Rappelons que le « bleu » est la couleur du Parti Démocrate américain…

[20] LAKOFF, George, (2010), “Why it Matters How We Frame the Environment”, Environmental Communication, 4:1, 70-81, DOI: 10.1080/17524030903529749. Link to this article: https://doi.org/10.1080/17524030903529749 – Published online: 17 Mar 2010

[21] Selon la stratégie d’Al Gore

[22]Why it Matters How We Frame the Environment”, Op. Cit. (p 73). C’est nous qui traduisons.

[23] On pourrait signaler ici le récent ouvrage de Corine Pelluchon sur cette question. Voir :

PELLUCHON, Corine, (2021), « Les lumières à l’âge du vivant », Seuil, Paris.

[24] Jean-Pascal Labille, Secrétaire Général de Solidaris, interviewé par Thomas Gadisseux, le 04 février 2021. Matin-Première, RTBF. Cet interview est disponible au lien suivant :
https://www.rtbf.be/auvio/detail_l-invite-de-matin-premiere-jean-pascal-labille?id=273248

[25] Du verbe « to nurture », qui signifie autant nourrir qu’élever, éduquer. Le modèle du « parent nurturant » considère que les enfants sont censés pouvoir explorer leur environnement, sous la protection bienveillante de leurs parents. Les enfants savent ce dont ils ont besoin et le rôle des parents consiste à autoriser ces explorations, tout en les conseillant et en les protégeant, y compris contre eux-mêmes. Lorsqu’un enfant pleure, il sera pris en charge, consolé, nourri. C’est même sur cette confiance en ce que ses besoins seront rencontrés par celles et ceux qui ont à veiller sur lui que se construit chez l’enfant la confiance en soi, c’est-à-dire sa capacité à rencontrer les défis qu’il aura à affronter dans son existence.

Voir : https://gerardpirotton.be/politique/elephant-de-lakoff

[26] Une autre conception est pourtant possible : un parti se doit de formuler un projet, de rassembler autour de lui un nombre suffisant des votes et d’être capable de mettre en œuvre des mesures pour le concrétiser.

[27] LAKOFF George, (2007), “Whose Freedom? The Battle Over America’s Most Important Idea”, Picador/Farrar, Straus and Giroux, New York.

[28] LATOUR Bruno, (2017), « Où atterrir ? Comment s’orienter en politique », La Découverte, Paris. On peut lire une mise en perspective de ce livre à l’adresse suivante : https://gerardpirotton.be/atterrir/autour-de-latour

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