La transition monétaire: Pour une monnaie au service du bien commun

Cette analyse est publiée par Etopia en partenariat avec L’Institut Veblen pour les réformes économiques

Par Jézabel Couppey-Soubeyran & Pierre Delandre (mai 2021)

La transition monétaire Note Veblen mai 2021V2

 

RÉSUMÉ

Plus que jamais, la société a besoin que la monnaie soit (re)mise à son service.

Le paysage monétaire est agité. À côté de nouveautés monétaires comme les cryptomonnaies ou les monnaies locales se développent différentes propositions visant à réformer ponctuellement ou structurellement le système monétaire. Ce sont des propositions comme l’hélicoptère monétaire, l’annulation des dettes publiques détenues par les banques centrales, le don monétaire ou la théorie monétaire moderne. Les banques centrales, de leur côté, en réponse aux crises financière et pandémique, poursuivent des « mesures non conventionnelles », qui transforment leur mode d’action, consistant à fournir des montants sans précédent de monnaie aux banques et aux marchés financiers.

Par certains aspects, ces turbulences monétaires ressemblent à l’effervescence du XIXe siècle pendant lequel les innovateurs de l’époque, hérauts du banking principle, réclamaient un système monétaire adapté aux besoins d’une économie en forte croissance, libéré de la contrepartie en or de la monnaie, alors que les conservateurs, défenseurs du currency principle, s’accrochaient à la traditionnelle définition métallique de la monnaie.

Pour les critiques actuels, la dégradation des conditions de vie, les dégradations sociales et environnementales sont les conséquences de l’hypertrophie de l’ordre marchand et financier soutenu par le système monétaire. Dans le prolongement de ce constat, leurs propositions visent à mettre la monnaie de la banque centrale au service du bien commun, de la transition écologique et sociale ou de l’investissement public.

Au-delà de leurs différences, la plupart des propositions de réformes du système monétaire se rejoignent pour affirmer la nécessité de créer un nouveau mode d’émission monétaire, dans lequel c’est la banque centrale – ou un institut d’émission – qui décide, dans le cadre d’une gouvernance démocratique, d’émettre les quantités de monnaie centrale nécessaire pour atteindre les objectifs fixés en l’attribuant à un secteur particulier (l’État, les ménages, les entreprises) et en l’affectant à une fin déterminée (le soutien au revenu des ménages, à l’activité des entreprises, aux investissements publics, à la transition écologique…). Nous l’appelons dans cette note « mode volontaire de création de la monnaie centrale » et désignons par « transition monétaire » le passage à ce nouveau mode d’émission.

Cette émission monétaire serait différente de celles qui existent actuellement, en deux points essentiels :
– elle ne serait associée ni à un crédit ou prêt remboursable, ni à un achat de titres revendables, elle serait donc « sans contrepartie » ;
– et puisque aucune contrepartie exigible sous forme de remboursement n’amènerait à ce que la monnaie créée retourne vers la banque centrale, elle serait « permanente » au lieu d’être temporaire.

Le débat s’ouvre. Selon nous, il s’inscrit dans une régularité historique qui veut que chaque fois que la société en a eu besoin, elle a transformé le système monétaire pour l’adapter à ses besoins. Ainsi, le « mode bancaire de création monétaire », issu du banking principle, a supplanté « le mode féodal de création monétaire » et a répondu, en son temps, à l’installation de l’ordre marchand. Les temps ont changé. Réparer l’injustice sociale, accélérer la transition écologique, garantir l’emploi, assurer un minimum vital sont autant de priorités et de besoins auxquels l’ordre marchand ne saura pas répondre. Pour les partisans de cette réforme, la transformation du mode d’émission de la monnaie, en revanche, le pourrait.

la monnaie pourrait être mise au service du bien commun, orientée vers les besoins de dépenses de l’économie réelle, ceux des ménages, ceux des entreprises, ceux des États tout particulièrement pour les accompagner et leur permettre de réaliser les investissements indispensables à la transition écologique.

Selon notre analyse, cette transformation en est à son commencement. Elle a débuté avec l’assouplissement quantitatif, l’une des mesures non conventionnelles de la politique monétaire qui consiste en des rachats d’actifs financiers par les banques centrales. À l’heure actuelle, c’est davantage en rachetant des titres financiers qu’en prêtant aux banques que la banque centrale crée sa monnaie. Cette transformation répond avant tout à l’ordre financier et renforce son pouvoir en financiarisant la monnaie. La frontière entre la monnaie et les titres n’a jamais été aussi ténue, car les émetteurs de titres savent à présent qu’en émettant des titres, ils émettent de la quasi-monnaie. Mais l’élargissement quantitatif a cependant démontré que l’on peut sortir du mode bancaire de création monétaire, que la dette n’est pas nécessairement la contrepartie inéluctable de la monnaie.

C’est en étant totalement libérée de cette contrepartie que la monnaie pourrait être mise au service du bien commun, orientée vers les besoins de dépenses de l’économie réelle, ceux des ménages, ceux des entreprises, ceux des États tout particulièrement pour les accompagner et leur permettre de réaliser les investissements indispensables à la transition écologique. Ce nouveau mode volontaire d’émission monétaire n’aurait pas vocation à remplacer mais à compléter les modes actuels de création monétaire par octroi d’un prêt (mode bancaire) ou achat de titres (mode acquisitif). Cette coexistence permettrait de mieux partager le pouvoir monétaire et de se protéger contre son accaparement.

Nous soulignons que cette proposition de réforme impliquerait également d’adapter certaines règles de la comptabilité de banque centrale afin de permettre l’enregistrement précis et le contrôle des « contributions définitives de la banque centrale aux objectifs publics ». De même, ce nouveau mode de création monétaire devrait s’accompagner de nouveaux outils monétaires qui permettraient de gérer le volume de monnaie en circulation et l’absence de reflux. Enfin, selon nous, ce mode d’émission amènerait à transformer plus ou moins radicalement la banque centrale indépendante et technocratique en une institution monétaire démocratique, dont la gouvernance impliquerait toutes les parties prenantes.

En conclusion, les transformations des sociétés ont toujours impliqué des transformations du système monétaire. De notre point de vue, cela revient à dire que la société ne réalisera pas ses nouveaux objectifs au premier rang desquels la transition écologique et sociale sans une transition monétaire. Plus que jamais, la société a besoin que la monnaie soit (re)mise à son service.

 

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