Face à l’essor des nouvelles technologies et l’épuisement des ressources métalliques :

Proposition d’un indicateur de durabilité multicritère appliqué aux Technologies de

l’Information et de la Communication

Résumé

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont en train de connaître un essor sans précédent depuis cette dernière décennie, notamment avec l’émergence des smartphones, tablettes et écrans plats. Ces outils sont cependant de plus en plus gourmands en métaux de toutes sortes et même si les quantités par équipement sont parfois non significatives, l’explosion de leur demande pourrait être problématique sur le court-moyen terme. Les problématiques de la raréfaction des métaux portent sur des paramètres d’ordre géologique, énergétique mais aussi géopolitique. L’objectif de l’étude est de caractériser, via un indicateur, la durabilité du matériel technologique. L’indicateur se base sur des critères tels que la criticité des différents composants, la durée de vie du produit, mais aussi les quantités d’énergie utilisées lors de l’extraction des métaux et leurs réserves. L’impact se caractérise sous forme d’une note globale attribuée en fonction des impacts des différents critères.

Liste des symboles chimiques

Co : Cobalt

Dy : Dysprosium

Eu : Europium

Ga : Gallium

Gd : Gadolinium

Ge : Germanium

In : Indium

Li-ion : Lithium ion

Nd : Néodyme

Pd : Palladium

Pt : Platine

Pr : Praséodyme

Sb : Antimoine (du latin Stibium)

Ta : Tantale

Y : Yttrium

1. Introduction

Ordinateurs, smartphones, tablettes, écrans plats… Les technologies de l’information et de la communication (TIC) prennent un rôle de plus en plus considérable au sein de nos sociétés, que ce soit au niveau quantitatif (augmentation du nombre d’appareils vendus) mais aussi qualitatif (appareils toujours plus performants, moins denses et offrant toujours plus de nouvelles fonctionnalités). À l’heure actuelle, aucun pilier de nos sociétés “modernes” n’est épargné : agriculture, santé, éducation, transports, distribution de l’énergie (via les smart grids et smart pipes). Nos modes de vie contemporains dépendent de l’informatique et du numérique. Ces outils sont utilisés pour plusieurs activités quotidiennes telles que se divertir, communiquer, travailler, apprendre, approfondir ses connaissances…
Parallèlement à l’essor des TIC, des problématiques liées aux ressources métalliques sont mises en évidence : diminution de la teneur des minerais, gisements de moins en moins accessibles, réserves qui s’épuisent, augmentation de la consommation, faible taux de recyclage des éléments en fin de vie… L’augmentation de la consommation des TIC est liée à l’épuisement de ces ressources et notre système socio-économique est dépendant de ces outils.

Les TIC constituent-elles des outils durables ? Dans quelle(s) mesure(s) contribuent-elles à l’épuisement des ressources et quelles sont les problématiques associées à cet épuisement ? Quels sont les métaux les plus problématiques au sein des TIC ?

Pour répondre à ces questions, un indicateur multicritère est proposé, dans le but d’évaluer pragmatiquement ces outils technologiques. La méthodologie de conception de l’indicateur consiste tout d’abord à recueillir la liste exhaustive des métaux critiques composants l’outil informatique. Des critères corrélés à la durabilité sont déterminés et des impacts sont calculés en fonction des propriétés propres aux différents composants.

L’objectif est d’analyser et de déterminer les différents métaux qui ont le plus d’impact en termes d’épuisement des ressources d’une part et de caractériser l’équipement en matière de durabilité d’autre part.

2. Importance des nouvelles technologies et problématiques associées

Le terme de nouvelles technologies réunit des notions telles que les technologies de l’information et de la communication (TIC) mais aussi les technologies nécessaires à la transition énergétique comme par exemple les véhicules électriques ou encore les applications permettant le développement des énergies renouvelables.

2.1. Présentation des TIC

Trois technologies principales peuvent être brièvement présentées : le smartphone, la tablette, l’ordinateur personnel (PC).

2.1.1. Le smartphone

Que ce soit pour envoyer des sms/mms, appeler, lire ses mails, surfer sur le web, prendre des photos, regarder des vidéos ou encore utiliser son gps, les smartphones sont aujourd’hui grandement utilisés. Le premier smartphone apparaît en 2007, avec l’iPhone d’Apple. Depuis fin 2011, deux acteurs principaux se partagent le marché : Samsung et Apple, qui se démarquent par leur quantités vendues. Dans le même temps et pour la première fois, les ventes de smartphones commencent à dépasser celles des PC, avec 494,5 millions de smartphones vendus, contre 364 millions d’ordinateurs. Le marché du smartphone croît de manière exponentielle, avec un taux de croissance annuel moyen de près de 31% de 2009 à 2017. Le nombre d’unités vendues mondialement sur 2017 s’estime à plus d’1,46 milliards de smartphones. Leur durée de vie moyenne ne dépasserait pas les 2 ans (Raghavan & Ma cités par Belkhir & Elmeligi 2018, p.455).

2.1.2. La tablette tactile

La tablette tactile, tablette électronique ou numérique est un ordinateur portable ultraplat qui permet l’accès à du contenu multimédia. Elle peut être considérée comme un outil à la croisée d’un smartphone et d’un laptop. Les dimensions de l’écran varient de 5 à 10 pouces selon le modèle. Les modèles récents pèsent entre 300 et 500 g selon la dimension, poids qui a diminué depuis le début des années 2010 (35% de poids en moins pour les 9,7 pouces, 12% pour les 7 pouces). Leur durée de vie moyenne varie entre 3 et 8 ans (Digital Home, cité par Belkhir & Elmeligi 2018, p.454).

2.1.3. L’ordinateur personnel (PC)

Plus de 364 millions d’unités se sont vendues en 2011, soit 11 appareils par seconde (dont 209 millions de laptops et 155 millions de pc fixes). Néanmoins, depuis cette même période, le marché connaît une baisse des unités vendues, avec une diminution moyenne de près de 5% de 2011 à nos jours. Cette baisse pourrait s’expliquer via la substitution des ordinateurs par la consommation de smartphones, ces derniers connaissant une croissance du nombre d’unités vendues. Les smartphones permettent en effet d’avoir accès aux mêmes fonctions de bases offertes par les PC (internet, multimédia…). La durée de vie moyenne d’un ordinateur (fixe et portable) s’estime entre 5 et 7 ans (National Energy Foundation & Apple Inc cités par Belkhir & Elmeligi 2018, p.453).

2.2. Présentation des concepts et problématiques liés aux ressources métalliques

Le secteur des nouvelles technologies est responsable de plusieurs impacts dommageables à l’environnement, que ce soit lors de l’extraction des ressources minières (acidification des cours d’eau), la fabrication ou l’utilisation du produit (consommation énergétique, pollution du sol, de l’air et de l’eau) et la fin de vie du produit (D3E). Différentes notions géologiques et problématiques liées aux ressources métalliques sont présentées ici.

2.2.1. Épuisement et raréfaction

On parle d’épuisement des ressources pour qualifier le fait que les quantités de matières premières et de substance utiles vont en diminuant (Van der Voet, cité par Oers & Guinée 2016, p.7). Ce constat semble logique étant donné que nous vivons sur une planète aux ressources finies et que les rythmes de consommation sont croissants (une diminution des ressources a lieu même en présence d’un taux de consommation fixe ou décroissant, l’épuisement évoluant à un rythme plus lent). Les ressources métalliques étant non renouvelables, les stocks existants (et exploitables) au sein de la lithosphère décroissent. La raréfaction désigne une ressource utile à la société dont la quantité disponible ne peut (ou ne pourra) satisfaire l’offre (Van der Voet, cité par Oets & Guinée 2016, p.7).

2.2.2. Terminologies

La raréfaction peut se distinguer selon 3 différentes formes (Hagelüken cité par EcoInfo, 2012):

– la raréfaction structurelle : concerne certains métaux (métaux secondaires) qui sont des sous-produits de grands métaux. Une augmentation de la demande de ces métaux secondaires entraînera une hausse de prix sans toutefois influer sur la production du métal principal. Leur rareté est ainsi directement corrélée à la demande du métal principal. Tant que cette dernière n’augmentera pas, le sous-produit métallique restera rare, en raison de sa production qui demeurera inférieure à la demande. L’indium par exemple est un sous-produit du zinc. Il n’y a ainsi pas de mines d’indium, la production étant métallurgique et réalisée à partir de concentrés de zinc ;

– la raréfaction relative : concerne une production minière inférieure à la demande pendant une période en raison de la baisse de la production et/ou d’une augmentation brutale de la demande. Cette notion de raréfaction relative est corrélée au terme de criticité. On peut par exemple citer certaines ressources comme le cobalt ou le lithium qui sont des métaux grandement exploités à l’heure actuelle pour la production de batteries rechargeables ;

– la raréfaction absolue : concerne la déplétion des réserves, c’est-à-dire la décroissance définitive du volume d’extraction d’une ressource après une période de croissance (Cochet cité par EcoInfo, 2012). Il s’agit du cas où la demande dépasse la production minière et que les gisements ont été grandement exploités. On peut citer par exemple l’or, qui a franchi son pic de production et dont le taux d’extraction est à la baisse.

Il n’y a pas un réel risque d’épuisement des métaux à proprement parler (en tout cas pas au sein de la lithosphère). La question de la raréfaction concerne plutôt la possibilité d’exploitation de ressources de moins en moins accessibles et/ou de moins en moins concentrées en substance utile. Leur exploitation deviendra donc de plus en plus énergivore et chronophage, ce qui impactera le prix des métaux.

Par ailleurs, certaines productions minières sont relativement concentrées au sein d’un ou quelques pays. La Chine par exemple est la 1e productrice mondiale de terres rares (95%),d’antimoine (87%), de tungstène (84%), de gallium (83%) et de germanium (79%) pour ne citer que les 5 premières ressources (WMD, World Refining Production & USGS cités par Bihouix & De Guillebon 2010, p.106). L’Union Européenne est très dépendante des productions minières chinoises.

Les problématiques concernant l’épuisement des ressources non renouvelables viennent du fait que ces dernières diminuent un stock limité et qui ne se réapprovisionne pas. Certaines matières premières extraites sont définitivement perdues, dispersées et/ou détériorées. Leur disponibilité est également menacée par la demande croissante d’une société disposant de plus en plus de ressources financières (Andersson & Rade cités par le PNUE, 2010). De plus, les ressources sont réparties de manière hétérogène, certains pays ayant l’exclusivité de la production de certains éléments (Nagasaka et al. cités par le PNUE, 2010).

Plusieurs facteurs peuvent par ailleurs expliquer l’épuisement des réserves de métaux. La production métallique mondiale connaît une importante croissance depuis quelques années, et même si le taux de production de certains métaux stagne, les quantités annuellement produites demeurent toutefois non négligeables. Alors que dans les années 70, nos sociétés consommaient globalement moins d’une vingtaine de métaux de la table de Mendeleïev, elles en consommeraient une soixantaine depuis les années 2000 (Bihouix & De Guillebon 2010, p.25).

La population mondiale a certes augmenté, mais pas dans les mêmes proportions que la consommation des ressources. Ainsi, au XXe siècle, même si la population a été multipliée par 3,6, l’extraction de minerais et minéraux a été multipliée par 27 (EcoInfo, 2012). Plusieurs raisons peuvent en partie expliquer cet accroissement : l’amélioration des techniques d’extraction aurait entraîné une baisse des coûts de production, des prix et par conséquent une hausse de la demande (PNUE cité par EcoInfo, 2012). Par ailleurs, les zones d’extraction ont été transférées des pays développés vers les pays émergents, où la main d’œuvre y est sous payée, ce qui a également contribué à la diminution des prix et influencé la demande à la hausse (EcoInfo, 2012).

2.3. Conséquences de l’augmentation de la consommation mondiale de ressources

2.3.1. Diminution de la teneur des gisements métallifères

La hausse de la consommation entraîne une baisse de la concentration moyenne de métaux dans les minerais. Par exemple, la concentration du minerai de cuivre est passée de 1,8 à 0,8% de 1930 à 2010 (Bihouix & De Guillebon 2010, p.29). La diminution de concentration impacte également les minerais d’or, de plomb, de zinc, d’uranium (Mudd cité par EcoInfo, 2014b). La teneur des gisements va en diminuant, de même que le nombre de gisements, malgré d’importants investissements réalisés dans les années 2000. Entre 2002 et 2007, 2 à 10 milliards de dollars auraient été annuellement investis dans la recherche de nouvelles réserves ; il n’y a cependant pas eu de découvertes géologiques majeures, peu de gisements ayant été décelés (Bihouix & De Guillebon 2010, p.35).

2.3.2. Des minerais de moins en moins accessibles

La profondeur et la difficulté d’extraction interviennent également : les gisements de surface ayant été explorés en premier, il faudra par la suite creuser plus profondément pour trouver de nouveaux gisements métallifères. Il existe une interaction entre la quantité d’énergie utilisée par rapport à la quantité de métaux extraite (Bihouix & De Guillebon 2010, pp.31-32). Dans un premier temps, il faut dépenser une quantité plus importante d’énergie pour aller extraire les métaux situés plus profondément (la quantité d’énergie dépensée est proportionnelle à la profondeur). Les énergies fossiles étant également moins accessibles, il devient nécessaire d’utiliser plus de métaux pour leur extraction. Ces métaux serviront entre autre à construire des machines telles que des excavatrices à godets servant à extraire le charbon, des plate-formes gazières et pétrolières pour les ressources énergétiques offshore. Ces machines, utiles à l’extraction des ressources nécessitent des milliers de tonnes d’acier (13,5 kt pour une excavatrice, jusqu’à 100 kt d’acier pour une plateforme gazière). Cette interdépendance avait déjà été constatée à la fin des années 70 par l’économiste Georgescu-Roegen. Il remettait en cause le développement industriel reposant sur les ressources fossiles et les matières premières nécessaires aux outils qui serviront à extraire ces ressources (Georgescu-Roegen cité par EcoInfo, 2012).

2.3.3 Un faible taux de recyclage des éléments en fin de vie

Les taux de recyclage de nombreux métaux en fin de vie sont relativement modestes. Aux débuts des années 2010, sur 60 éléments, plus de la moitié ne sont recyclés qu’à moins de 1% (Graedel et al. 2011a, p.19). Par ailleurs, le recyclage de certains métaux de base tels que le cuivre et le zinc contribue à la raréfaction d’autres métaux, sous-produits du cuivre et du zinc. Le recyclage du zinc entraîne par exemple la diminution de l’offre d’indium et de germanium, ces derniers étant des sous-produits du zinc (Van Hoecke & Leroy 2011, p.29).

Le recyclage des métaux rares porte surtout sur ceux ayant de la valeur (métaux précieux tels que l’or, l’argent et le platine) mais aussi le cobalt (Hocquard & Samama 2012, p.10). Même si d’importantes améliorations ont été apportées grâce à la recherche dans les domaines de la métallurgie et du recyclage, les éléments dans les TIC demeurent difficilement recyclables en raison des nombreux alliages métalliques qui composent le hardware, mais aussi de la complexité des composants électroniques miniaturisés. Une autre limite du recyclage : la dégradation de la qualité du métal, suite à de nombreux processus de recyclage.

2.4. Le cas emblématique des terres rares

Les terres rares sont un groupe de 16 métaux que l’on retrouve dans le tableau périodique, parmi lesquels figurent : le lanthane, le cérium, le praséodyme, le néodyme, le prométhium, le samarium, l’europium, le gadolinium, le terbium, le dysprosium, l’holmium, l’erbium, le thulium, l’ytterbium, le lutétium et l’yttrium. En 2014, la production minière a été d’environ 144 kt, comptées en oxydes de Terres Rares (OTR), pour une consommation mondiale de l’ordre de 120 kt (BRGM 2015, p.3).

“Un paramètre déterminant de la criticité des terres rares tient dans le fait que la production mondiale est assurée presque exclusivement par la Chine, qui se trouve donc en situation de monopole vis à vis de cette ressource”

Ces éléments sont principalement utilisés dans le secteur des aimants permanents. Ces derniers sont l’application la plus consommatrice de terres rares à l’échelle mondiale, représentant plus de 20% des usages, et près de 53 % de la valeur totale du marché des Terres Rares. Les aimants permanents sont surtout utilisés dans les moteurs et générateurs électriques. Leur performance magnétique permet des gains de poids et une miniaturisation significative (génératrices d’éoliennes, micromoteurs électriques dans l’automobile, défense, micro-ordinateurs …) (BRGM 2015, p.5).

Un paramètre déterminant de la criticité des terres rares tient dans le fait que la production mondiale est assurée presque exclusivement par la Chine, qui se trouve donc en situation de monopole vis à vis de cette ressource (90% de la production mondiale). Cette situation monopolistique lui permet d’influer directement sur la viabilité de nouveaux projets (BRGM 2015, p.147).

Face à ces constats, il apparaît nécéssaire de mettre en oeuvre des moyens permettant d’une part de prendre conscience de ces problématiques et d’autre part d’apporter des pistes de solutions concrètes.

3. Conception d’un indicateur d’évaluation de durabilité (IED) applicable aux nouvelles technologies

Les problématiques évoquées ci-dessus pourraient être mises en lumière via la création d’un indicateur, qui permettrait de prendre en compte le caractère critique de certains composants des équipements technologiques.

3.1. Conception de l’indicateur

Un indicateur de durabilité est proposé en prenant en compte les critères de criticité mais également d’autres paramètres tels que les réserves, la production et la durée de vie du produit, entre autres. L’IED est un outil d’évaluation destiné aux produits technologiques et se base sur la présence des 13 principaux métaux critiques présents au sein d’un laptop, à savoir le cobalt, le tantale, l’indium, le palladium, le platine, le gallium, 3 éléments de la famille des TR légères (le néodyme, le praséodyme et le cérium) et 4 éléments de la famille des TR lourdes (le dysprosium, l’yttrium, le gadolinium et l’europium).

La criticité est un indicateur pertinent mais qui ne prend pas en compte certaines variables telles que les critères d’ordre géologiques (abondance / rareté du métal), énergétiques (consommation à l’extraction) ou encore la production et les réserves dans son calcul.

3.1.1. Objectifs et intérêts

Du côté de la consommation, l’objectif de l’IED serait de permettre aux personnes de faire un choix plus “responsable” lors de leurs achats, l’indicateur pouvant être un critère entrant en jeu lors de la prise de décision tout comme le prix ou la qualité du produit (dans des proportions certes différentes).

Parmi les fournisseurs, une saine concurrence peut s’établir pour celui qui proposera le produit le plus “durable” et qui prendra en compte la problématique de l’épuisement des métaux. L’indicateur peut alors se présenter comme un avantage compétitif en terme de marketing, tout comme le marché du bio ou celui de la seconde main.

Au niveau des concepteurs, un tel indicateur pourrait permettre de cibler les métaux les plus problématiques et mettre en avant des pistes d’amélioration à la durabilité du produit, telles que la substitution des métaux les plus problématiques ou tout autre mesure d’écoconception. L’IED apporte en outre une visibilité directe et exhaustive sur les composants du produit (les différents métaux, leur quantité, leur criticité…) et permet d’adopter un regard critique sur certains biens tels que les nouvelles technologies.

Les critères relatifs aux aspects sociaux tels que les conditions de travail des mineurs, la pénibilité, le taux de mortalité, le respect de législations ou encore la prise en compte du travail des enfants ont volontairement été éludés dans l’étude. L’étude retient des critères exclusivement basés sur des paramètres d’ordre environnementaux.

Il est toutefois important de souligner que certains métaux, et notamment le cobalt provenant de la République Démocratique du Congo (près de la moitié du cobalt mondial), sont extrait dans des conditions ne respectant pas de législation en matière de normes de sécurité et de droit du travail.

En effet, les mines artisanales de cobalt sont exploitées par environ 150 à 200.000 congolais (BRGM 2014b, p.64). Parmi ces mineurs, on recense environ 40.000 enfants (Amnesty International). Plus de la moitié du cobalt commercialisé dans le monde provient du Congo, dont 20 % provient de mines non officielles (Amnesty International).

De nombreux mineurs ne possèdent ainsi pas de contrats de travail et les conditions d’extraction sont très contraignantes et dangereuses : inhalation de poussière, risque d’effondrement des mines ou des puits non consolidés, tri et tamisage des résidus miniers, creusement de puits de plusieurs dizaines de mètres de profondeur avec des outils manuels… (Amnesty International).

L’inhalation des poussières de cobalt peut causer des fibroses pulmonaires, une affection mortelle aux poumons. Par ailleurs un contact cutané prolongé avec le cobalt peut aboutir à des cas de dermatite – des éruptions chroniques. Pourtant, les enfants et les autres mineurs n’ont ni masques ni gants pour se protéger (Amnesty International).

3.1.2. Inventaire

Une étude de 2012 effectuée par l’Institut d’Ecologie Appliquée (Öko-Institut) d’Allemagne portant sur le recyclage des matières premières critiques dans les D3E (Déchets d’équipements électriques et électroniques) présente de manière complète les masses moyennes de métaux critiques au sein d’un laptop. Etant donné le degré de détail et de pertinence, cet inventaire a été retenu pour établir l’indicateur. Il s’agit d’un notebook de 2010.

8 composants principaux constituent le hardware : la carte mère, l’écran, la batterie, le lecteur CD/DVD, le disque dur, le ventilateur, le clavier et le châssis (façade en plastique ou en aluminium selon le modèle).

La batterie (lithium-ion) est composée de cobalt ; les axes de moteurs de disques durs de néodyme ; les bobines acoustiques de néodyme, praséodyme et dysprosium ; les haut-parleurs de néodyme et praséodyme ; les condensateurs de tantale ; les circuits imprimés de tantale, d’argent, d’or et de palladium ; la carte mère d’or, d’argent et de palladium ; les plateaux de disques durs de platine ; l’écran (affichage et rétro-éclairage) d’indium, d’yttrium, de gallium, de gadolinium, de cérium et d’europium (Öko-Institut 2012, p.30).

Métal

Co

Nd

Ta

Pr

Dy

In

Pd

Masse (mg)

65.000

2136

1700

274

60

40

39

En % du total

93.85%

3.08%

2.45%

0.4%

0.09%

0.06%

0.06%

Métal

Pt

Y

Ga

Gd

Ce

Eu

Total

Masse (mg)

4

1.6

1.6

0.75

0.1

0.03

69.257

En % du total

0.01%

0%

0%

0% 0% 0%

100%

Tableau 1 : Contenu moyen des métaux critiques dans un notebook
Source : Öko-Institut 2012, p.30

3.1.3. Méthodologie de calcul de l’IED

Les critères se distinguent en catégories qui prennent en compte les aspects critiques, géologiques et énergétiques des métaux. D’autres critères intrinsèques au produit sont aussi pris en compte (durée de vie moyenne du laptop).

Les différents critères doivent être soumis à des poids (coefficients) différents, en fonction de leur niveau d’adéquation avec l’aspect de durabilité. Les critères d’ordre géologiques sont relativement plus importants que d’autres aspects comme la consommation d’énergie ou l’importance économique par exemple.

Le score final s’établit sur une échelle de 0 à 10, 0 étant la note qui représente une marchandise durable (impact d’épuisement des ressources peu élevé, excellent taux de recyclage des métaux en fin de vie, peu de métaux précieux utilisés…) et une note de 10 pour les produits les moins soutenables (utilisation d’éléments très rares et critiques, pas de substitution possible…).

In fine, une moyenne pondérée est calculée sur l’ensemble des impacts des différents critères pour obtenir le score final de durabilité qui caractérisera l’IED.

Les différents critères doivent être soumis à des poids (coefficients) différents, en fonction de leur niveau d’adéquation avec l’aspect de durabilité. Les critères d’ordre géologiques sont relativement plus importants que d’autres aspects comme la consommation d’énergie ou l’importance économique par exemple.

Critères

Pondération

1) Epuisement des ressources

30%

2) Importance économique

10%

3) Risque d’approvisionnement

30%

4) Réserves / Production

15%

5) Durée de vie du produit

10%

6) Energie

5%

Tableau 2 : Critères et pondération

3.2. Résultats et scénarios de substitution

Cette partie expose les résultats de l’étude, l’indication du score ainsi que les métaux les plus problématiques identifiés au sein de l’ordinateur.

La conception d’un laptop nécessite 69 g de métaux critiques. Le laptop obtient ainsi un score de 8,26/10 selon la prise en compte des 6 critères.

Parmi les métaux critiques présents au sein du laptop, 4 sont mis en évidence : le cobalt, le tantale, l’indium et le palladium.

Il est possible d’améliorer le score de l’outil en substituant ces éléments par des métaux non critiques ou dont les problématiques liées à l’accès sont moindre.

3.2.1. Le palladium

Le palladium est utilisé en électronique en raison de sa forte conductivité électrique (CRM-InnoNet 2015, p.67). Il est employé dans les cartes-mères, les circuits imprimés et les condensateurs et peut se substituer en partie avec des métaux de base tels que le cuivre ou le nickel (BRGM 2014a, p.79).

3.2.2. Le tantale

La substitution du tantale n’est pas possible sans perte de performance (à savoir la miniaturisation des composants). Les propriétés de ce métal en font un élément difficilement substituable en électronique.

C’est en effet un bon conducteur thermique et électrique ; il est aussi résistant à la température (BRGM, 2012a). Dans les condensateurs, le tantale est employé sous forme de poudre, ce qui permet leur miniaturisation. 2 éléments non critiques offrent une possibilité de substitution : l’aluminium et la céramique. Les condensateurs en aluminium sont cependant sensibles à la chaleur. Les condensateurs en céramique multi-couches (MLCC) seraient l’alternative la plus optimale, même si les propriétés du matériau sont globalement moins intéressantes que le tantale (BRGM 2012b, p.29 ; CRM-InnoNet 2015, p.87).

3.2.3. L’indium

Certaines études indiquent que des revêtements en nanotubes de carbone pourraient être employés comme alternative aux ITO (oxyde d’indium-étain) utilisés dans les écrans plats et tactiles. Le carbone est une ressource qui n’est ni rare, ni critique. Il existe par ailleurs d’autres substituts non critiques : le poly (3,4-éthylènedioxythiophène) (PEDOT) est un composé organique conducteur et transparent qui a aussi été développé comme substitut de l’indium dans les écrans tactiles (CRM-InnoNet 2015, p.48).

3.2.4. Le cobalt

Le cobalt présent dans la batterie rechargeable du notebook peut partiellement se substituer. Il existe plusieurs types de batteries Li-ion, caractérisées par des quantités variables de cobalt. Les batteries principalement utilisées dans les notebooks sont des batteries dont la cathode est composée d’oxyde de lithium-cobalt, ou cobaltate de lithium (LCO). La cathode est composée de 60% de cobalt et offre une grande capacité de puissance et d’énergie. D’autres types de batteries ayant des caractéristiques différentes possèdent une cathode avec des quantités de cobalt moins élevés. Les cathodes composées d’oxyde de lithium-nickel-manganèse-cobalt (NMC) contiennent de 40 à 48% de cobalt en moins que les cathodes en LCO. Les cathodes en NMC contiennent en effet 12 à 20% de cobalt, et malgré leur capacité de puissance et d’énergie plus faible, elles peuvent quand même être employées dans les batteries d’équipements portables. Leur coût est également moindre que celui des LCO et elles ont une durée de vie plus longue (BRGM 2014b, p.38).

3.2.5. Scénario combiné de substitution

Après avoir vu l’influence de la substitution de chaque métaux sur le score final, ce scénario propose une substitution simultanée des 4 éléments.

L’hypothèse retenue est la suivante : le notebook est désormais équipé d’une batterie composée d’une cathode en oxyde de lithium-nickel-manganèse-cobalt (NMC) composé de 12% de cobalt (contre 60% pour la batterie LCO d’origine composée de cobaltate de lithium). La batterie LCO contient 60% de cobalt soit 65 g. Par application d’une règle de 3, une batterie NMC ayant une teneur en cobalt de 12% contient 13 g de cobalt. La carte mère ne contient plus “que” 85% du palladium d’origine, 15% ayant été remplacé par du cuivre. Des condensateurs en céramique multicouche remplacent 10% des condensateurs au tantale. L’indium est substitué à 100% par des revêtements en nanotubes de carbone dans l’écran. Par ailleurs, des recherches ont permis une amélioration du taux de recyclage du cobalt, qui passe de 50 à 60%.

Les substitutions prises en compte ont permis de diminuer le score final de 1,46 point, soit une amélioration de près de 18%, passant de 8,26 à 6,80/10. En remplaçant partiellement ces 4 métaux par des substituts moins critiques, le notebook sera probablement un peu plus lourd, un peu plus lent à recharger et/ou un peu plus cher à produire, mais contribuera dans de moindres proportions à l’épuisement des ressources métalliques.

4. Conclusion

De par l’exploitation de métaux rares et de par leur composition, les TIC n’apparaissent pas comme des outils dont la durabilité à terme semble possible. En ce qui concerne la problématique de l’épuisement, il faut bien comprendre que la raréfaction des métaux n’est pas vraiment due à un épuisement au sens propre du terme (la croûte terrestre regorge de ressources), mais plutôt à une diminution des ressources facilement accessibles et économiquement exploitables.

L’indicateur a permis de mettre en évidence le caractère plus problématique de certains métaux au sein des TIC tels que le palladium, le tantale et l’indium en raison de leur réserves relativement basses. Le cobalt, même s’il dispose de réserves relativement importantes (7,1 Mt) est utilisé dans les batteries en quantité relativement importante. Malgré leur dénomination, les terres rares contribuent à la raréfaction dans de moindres proportions. Elles pourraient faire l’objet d’une augmentation de la demande, en raison de leur utilisation dans les technologies vertes. Leurs productions minières sont par ailleurs très concentrées.

Des substituts de matériaux non critiques existent et pourraient se présenter comme une réelle opportunité pour le futur de ces technologies. Toutefois, l’amélioration de la durabilité des technologies passera probablement par un sacrifice partiel de leur performance technique, à savoir la rapidité, la miniaturisation, la faible densité et le nombre d’applications et d’options proposées. La course à la performance est ce qui permet pourtant l’avantage concurrentiel des grandes entreprises du secteur numérique. Le domaine des technologies de pointe se caractérise par des investissements massifs dans la recherche pour proposer des produits toujours plus performants. D’ailleurs, il est de nos jours peu probable que la demande renonce à la performance technique induite par les TIC au profit d’outils plus durables.

La résolution de la question liée à la raréfaction des ressources passe avant tout par une remise en cause de certains « besoins » matériels, induits par la société de consommation. La sobriété matérielle couplée à la substitution de certains métaux et donc au renoncement de la performance à tout prix seraient des solutions potentielles.

Une étude complémentaire pourrait également être réalisée en prenant en compte certains critères sociaux tels que, par exemple, les conditions de travail des mineurs, le taux de mortalité ou encore la présence d’enfants sur les sites d’extraction.

5. Bibliographie

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