Penser l’état-providence post-croissant

Les cercles vertueux de la protection sociale durable

Sur cette page : Préface d’Eloi Laurent  | Article de Tuuli HIRVILAMMI



Etopia remercie la FEP pour son autorisation de publication de cet article

– Préface –
Comment construire un État social-écologique libéré de la croissance ?
Par Éloi LAURENT

Sous l’effet de l’accélération fulgurante de nos crises écologiques, deux agendas de réflexion et de réforme sont montés en puissance dans les sphères associative, académique et politique depuis une dizaine d’années. Le premier vise à articuler la question sociale au défi environnemental(1). Le second vise à dépasser la croissance économique comme horizon collectif. Deux nécessités sont à présent devant nous : d’abord faire converger ces deux agendas ; ensuite inventer des institutions susceptibles de les faire aboutir. C’est le double objet de la remarquable note de Tuuli Hirvilammi.
La réflexion qu’elle développe ici est d’autant plus importante qu’elle s’inscrit dans un cadre commun. La note qui suit a été initialement publiée sous forme d’article au sein d’un numéro spécial de la revue Sustainability(2) paru au début 2020, numéro que Tuuli Hirvilammi a co-édité avec Max Koch, qui fut l’un des premiers chercheurs à relancer au milieu des années 2010 les travaux sur la « protection sociale durable » (sustainable welfare), à la suite des travaux pionniers de James Meadowcroft, Ian Gough et d’autres sur l’articulation entre politiques sociales et changement climatique(3). Qui plus est, ce numéro lui-même s’inscrit dans le déploiement de deux programmes de recherche, finlandais et suédois, respectivement « Towards EcoWelfare State: Orchestrating for Systemic Impact (ORSI) » et « Sustainable Welfare for a New Generation of Social Policy ». Autrement dit, cette réflexion est à l’avant-garde d’un programme de renouveau écologique de l’État-providence qui est déjà engagé dans les pays nordiques.
La raison d’être de cette note peut être résumée en une phrase de l’autrice : « la croissance économique pose des risques pour le bien-être humain alors que tous les systèmes de protection sociale sont dépendants du paradigme de la croissance ». Il importe donc de mettre en lumière la dépendance à la croissance de l’État-providence avant de proposer des moyens de la dépasser parce que cette dépendance se révèle de plus en plus insoutenable. Dans un contexte conjoncturel où la pandémie de Covid-19 va tarir pour un certain temps la croissance économique dans les pays européens, ces réflexions ne sont que plus urgentes.
Tuuli Hirvilammi part de l’imbrication factuelle et institutionnelle entre croissance économique et État-providence et mobilise pour en convaincre les lecteurs le modèle du « cercle vertueux » de Gunnar Myrdal. Myrdal est bien ici la référence la plus judicieuse : né en 1898, l’année de la première loi de l’État-providence français, penseur et artisan des protections sociales suédoises, il est tout à la fois l’un des inventeurs de la macroéconomie moderne (dans sa version pré-keynésienne) et le meilleur économiste institutionnaliste européen. Sa théorie du « cercle vertueux » vise précisément à formaliser l’alliance entre protection sociale et croissance économique. Ce cercle est vertueux en raison de deux nœuds de rétroaction : le plein emploi et les politiques d’éducation et de formation qui relient le niveau des salaires et la productivité du travail. L’alliance sociale-économique est cumulative : la croissance économique alimentée par la hausse de la productivité du travail et de l’emploi nourrit en retour le progrès social via la réduction des inégalités et l’extension de la protection sociale à tous les domaines du cycle de vie (éducation, logement, emploi, retraites). Les attitudes et les comportements (confiance politique, aspirations au progrès social, etc.) propagent la dynamique structurelle.
Hirvilammi rappelle que ce que l’on pourrait appeler l’ancienne alliance sociale-économique, emblématique des décennies de l’après seconde guerre mondiale, a été déstabilisée par la montée en puissance du néo-libéralisme à partir de la fin des années 1970 (Myrdal partage son « Prix Nobel » d’économie avec Hayek à la lisière des deux mondes, en 1974). Mais le point le plus important qu’elle souligne à raison est que ces interactions plus ou moins contrariées entre croissance économique et protection sociale se jouent en circuit fermé, sans considération pour la Biosphère, alors même que les systèmes humains deviennent graduellement insoutenables.
Un système insoutenable est un système qui travaille activement à sa perte au lieu d’œuvrer à sa perpétuation. Il en va ainsi d’un système social-économique qui sape ses propres fondements en détruisant les écosystèmes qui le sous-tendent. Qu’il soit insoutenable ne veut pas dire, hélas, qu’il s’arrêtera de lui-même avant son autodestruction. Il peut précisément aller jusque-là, sous l’effet d’entraînement et de renforcement d’une causalité circulaire cumulative. C’est pourquoi il faut d’urgence, comme le propose Tuuli Hirvilammi, évoluer de l’ancienne alliance entre l’économie et le social qui a dangereusement ignoré l’écologie vers une nouvelle alliance entre le social et l’écologie qui remette l’économie à sa place.
Myrdal lui-même, en grand économiste qu’il était, était aussi un critique féroce de sa discipline et des prétentions scientistes de ses collègues et on le retrouve naturellement dans les années 1970 dans les rangs des contempteurs des illusions et des omissions du PIB et de la croissance. Dans un texte que Tuuli Hirvilammi ne mobilise pas, il écrit ainsi : « j’ai acquis la conviction que nous devons enfin reconnaître et nous préparer au fait qu’il existe des limites à une croissance dont les éléments constitutifs suivent tous une courbe exponentielle. Il nous faut envisager de prendre des mesures gouvernementales de planification à grande échelle pour défendre notre environnement. »(4 ).
Hirvilammi prend donc appui sur la vision myrdalienne pour réinventer un cercle que l’on pourrait qualifier de « durablement vertueux » qui entend réconcilier développement humain (avoir, faire, aimer et être) et préservation des écosystèmes terrestres. Cette note et la thèse qu’elle exprime sont tout simplement essentielles et elle ne peut pas mieux tomber dans le débat public européen et français. Elle appelle néanmoins des critiques constructives que je regroupe sous l’égide de deux questions adressées à l’auteure et aux lecteurs.

L’État-providence est-il vraiment dépendant de la croissance ?

L’État-providence doit se libérer de la croissance, mais le peut-il ? L’État social-écologique doit viser des indicateurs de bien-être, mais en a-t-il les moyens ? Peut-on organiser la sortie de la croissance sans croissance ? Tuuli Hirvilammi semble en douter : elle commence son texte en rappelant que sans croissance, l’État-providence est menacé d’effondrement économique.
L’argument a été tellement ressassé qu’il a fini par s’imposer comme une évidence : nous pourrions vouloir nous passer de croissance pour des motifs de sobriété écologique mais nous ne pouvons pas nous en passer ici et maintenant si nous voulons « financer » nos politiques sociales. Nous faisons donc face dans les faits à un redoutable dilemme entre deux exigences contradictoires : la transition écologique et le progrès social. Ce lien prétendument consubstantiel entre État-providence et croissance économique n’a en réalité rien de robuste et il apparaît encore moins convaincant dans une approche sociale-écologique des politiques publiques(5).
Premièrement, dans une perspective historique, il importe de reconnaître que l’État-providence a vu le jour et s’est développé dans un contexte de croissance économique faible et instable, la fin du XIXe siècle européen, son périmètre financier étant considérablement étendu en Europe dans un régime de croissance tout aussi faible et instable, les années 1940. À l’inverse, les politiques d’austérité sociale qui ont grandement affaibli les États-providence européens depuis le début des années 1990 (avec des conséquences désastreuses sur le plan humain, comme le montrent le bilan sanitaire du Royaume-Uni, de l’Italie, de l’Espagne et de la France face à la pandémie de Covid-19) ont été déployées dans un contexte de croissance certes modérée mais soutenue. Le cas du Royaume-Uni notamment montre que ce n’est pas le niveau de la croissance économique qui préside au choix de « financer » ou non la politique sociale, mais des considérations d’ordre politique. Croissance et austérité font, c’est le cas de le dire, très bon ménage. Le cas du Japon montre au contraire que l’effondrement brutal et l’absence prolongée de croissance économique peuvent s’accompagner d’une très forte hausse des dépenses sociales (en l’occurrence un doublement de leur part en pourcentage du PIB entre les années 1980 et la fin des années 2010). On peut d’ailleurs montrer empiriquement, en élargissant la focale historique, que l’accélération sans précédent du développement humain au XXe siècle dépend beaucoup plus de l’amélioration fulgurante de la santé et de l’éducation que de l’augmentation du revenu par habitant(6).
Plus fondamentalement, l’argument consistant à soutenir que, sans croissance du PIB, les politiques de redistribution deviennent impossibles, est empiriquement très fragile. Une telle affirmation oublie d’abord que l’état des inégalités primaires et secondaires influe lourdement sur les capacités de production et donc de génération de croissance (les inégalités ne sont pas seulement injustes socialement, elles sont aussi inefficaces économiquement, comme le pensait Myrdal lui-même qui écrivait : « l’objectif d’égalité accrue est plutôt une condition qu’une gêne pour une croissance rapide et soutenue »(7). Mais cette vision méconnaît surtout le fait que la croissance du PIB ne pèse presque rien face aux paramètres structurels qui déterminent les dépenses sociales, comme le montre le cas français, dont la dépense sociale nette au sens de l’OCDE est la plus élevée au monde.
Dans un système de retraites par répartition comme l’est encore le système français, l’équilibre financier dépend en effet foncièrement d’un équilibre de nature démographique entre nombre de cotisants et nombre de retraités, qui dépend lui-même de la pyramide des âges, de l’allongement de l’espérance de vie à 60 ans, des comportements d’activité et de l’âge moyen de départ à la retraite, autant de paramètres qui ne sont influencés que marginalement par le taux de croissance du PIB. L’équilibre repose aussi sur l’augmentation, non pas du PIB, mais des revenus d’activité, c’est-à-dire principalement des salaires, qui dépend elle-même de la répartition de la valeur ajoutée et donc, à nouveau, de choix de répartition et non de production (d’enjeux d’équité et non d’efficacité). Même avec une croissance faible dans le contrecoup de la grande récession de 2009, les régimes sociaux ont pu revenir en France à l’équilibre (fait trop souvent méconnu, le régime général des retraites était revenu à l’équilibre en 2017).
De même, les dépenses de santé dépendent essentiellement de la rapidité du vieillissement démographique, de l’influence croissante des maladies liées à l’environnement sur les pathologies chroniques et transmissibles (pollutions, qualité de l’alimentation, etc.) et du coût des technologies médicales. Les dépenses afférentes aux politiques qui touchent à la famille, à l’éducation, au logement ou à la pauvreté dépendent également fondamentalement des structures démographiques et de l’état des inégalités sociales. Enfin, les perspectives d’évolution des dépenses sociales dépendent de paramètres structurels comme la démographie (solde migratoire, fécondité, mortalité) et les comportements d’activité et d’emploi beaucoup plus que de l’augmentation du PIB. Ce sont donc ces paramètres fondamentaux qu’il faut améliorer pour garantir la viabilité des dépenses sociales, si tel est bien l’objectif poursuivi.
Qui plus est, l’idée que la croissance est nécessaire pour « financer » les politiques sociales est une manière archaïque de concevoir ces politiques au siècle des défis environnementaux : il importe aujourd’hui, en matière sociale comme en matière énergétique, de passer d’une logique de dépense à une logique de sobriété. En effet, le prolongement écologique de l’État-providence – qu’imposent les risques sociaux qu’engendrent les crises environnementales – repose sur une logique d’économies et pas de dépenses gagées sur des prélèvements eux-mêmes assis sur des revenus. Le financement de l’État social-écologique peut ainsi être assuré par les économies colossales de dépenses sociales permises par l’atténuation des crises écologiques. Que l’on songe aux économies permises par un traitement rationnel, c’est-à-dire non-autodestructeur, des écosystèmes et de la biodiversité qui aurait permis d’éviter les épidémies de Sida, d’Ebola, de MERS, de SRAS et bien entendu de Covid-19. Que l’on songe aux économies de dépenses sociales permises par l’atténuation progressive de la crise de la couche d’ozone, qui a entamé sa régénération du fait d’une gouvernance globale efficace et ainsi permis d’éviter des dizaines de millions de cas de cancers de la peau sur la planète. Que l‘on songe aux économies de dépenses sociales qui pourraient être réalisées par l’atténuation du changement climatique ou de la pollution de l’air. Sans parler des conséquences sanitaires et donc financières de l’amélioration des pratiques d’alimentation, des pratiques sportives ou de mobilité urbaine (marche à pied, usage du vélo, etc.).
Même lorsque de nouveaux prélèvements doivent être introduits, comme la fiscalité carbone, celle-ci peut aisément aboutir, à condition d’être correctement calibrée, à des économies doubles, en termes de qualité de vie et de revenu pour la majorité de la population(8). Notons que pour mesurer ces bénéfices, il n’est nullement besoin de recourir à des méthodes fragiles et éthiquement douteuses de monétarisation de la vie humaine ou de points de croissance gagnés ou perdus par les politiques environnementales(9). Il existe quantité d’indicateurs de santé-environnement fiables (DFLE, DALY, AQLI, etc.).
Au fond, la pandémie de Covid-19 et son traitement par les pouvoirs publics à travers le monde signe la relégation de la croissance économique au rang d’indicateur de troisième ordre au XXIe siècle : les équilibres écologiques déterminent l’état sanitaire qui lui-même détermine les possibilités de croissance. Dit autrement, augmenter la croissance économique tandis que l’on dégrade les écosystèmes et donc par contrecoup la santé humaine est une stratégie de développement contre-productive. L’État social-écologique libéré de la croissance n’est donc pas un luxe post-matérialiste : c’est une nécessité économique. Comment formaliser ces interactions sociales-écologiques mutuellement avantageuses ?

Comment représenter un État social-écologique libéré de la croissance ?

Comme Kate Raworth, Tuuli Hirvilammi accorde à juste titre une attention particulière à la visualisation de sa pensée, au récit imagé de son analyse. Elle choisit de synthétiser graphiquement à la Figure 3 sa réflexion sous la forme de « deux cercles vertueux avec des rétroactions renforcées et équilibrées ». Mais comme chez Raworth, cette illustration n’est pas entièrement convaincante.
Puisqu’il s’agit d’articuler question sociale et défi écologique, il faudrait que les cercles se rejoignent (c’est le même problème que pose la représentation dite du « Doughnut » de Raworth qui dessine un plafond écologique et un plancher social sans les relier). L’image de cercles concentriques permettrait déjà de visualiser l’encastrement des systèmes économiques et sociaux dans la Biosphère. Mais on peut aller plus loin, en restant pleinement fidèle à la pensée circulaire de Myrdal, en esquissant une boucle de rétroaction sociale-écologique qui reproduit le symbole mathématique de l’infini mais évoque aussi un ruban de Möbius (figure qui a inspiré le logo du recyclage et par extension de l’économie circulaire).

 

Figure 1. La boucle sociale-écologique – Source : Laurent, 202110.

Cette représentation formelle, qui met en scène des synergies sociales-écologiques dynamiques, permet de préciser le fond de l’argument circulaire et cumulatif de la boucle sociale-écologique en insistant sur deux nœuds essentiels : le lien entre inégalités et crises écologiques, le lien entre santé des écosystèmes et santé humaine. Il y a là une évolution essentielle par rapport à l’argument social-économique de Myrdal : le passage du plein emploi à la pleine santé(11), autrement dit à la santé humaine comprise dans toutes ses ramifications et implications (santé physique, santé psychique, liens sociaux, inégalités sociales de santé, santé environnementale, inégalités environnementales).
Le tandem santé-inégalités prend alors le relais du tandem emploi-éducation pour alimenter la dynamique. La santé, plutôt que l’emploi, apparaît alors comme l’indicateur clé du développement humain sous contrainte écologique parce que c’est l’interface entre systèmes humains et écosystèmes. C’est tout le sens des travaux en santé-environnement développés depuis le début des années 1990 par l’OMS (Notre planète, notre santé, 1992), prolongé par les approches « One health » au milieu des années 2000 et « Planetary health » au milieu des années 2010(12). Nous sommes donc appelés à une double révolution : remettre la santé au cœur de nos politiques publiques, mettre l’environnement au cœur de nos politiques sanitaires. C’est la mission fondamentale de l’État social-écologique dans les années qui viennent.
Résumons pour finir l’enseignement décisif, si précieux, de cette note : les pays nordiques sont en train d’engager une métamorphose sociale-écologique de leur État-providence. Plutôt que d’attendre les dix années réglementaires avant de s’y intéresser puis d’y consacrer trois missions d’études parlementaires et dix articles académiques par mois, il serait utile qu’en France, en 2020, on s’empare sans tarder de cet enjeu essentiel.

Notes

1. C’est la question centrale de la note sur les inégalités environnementales en France publiée en 2014 par la Fondation de l’écologie politique : http://www.fondationecolo.org/activites/publications/Les-inegalites-environnementales-Par-Eloi-Laurent

2. «Sustainable Welfare beyond Growth», février 2020, dont les articles sont disponibles en libre accès à l’adresse suivante : https://www.mdpi.com/journal/sustainability/special_issues/sustainable_welfare_beyond_growth

3. Gough, I., Meadowcroft, J., Dryzek, J., Gerhards, J., Lengfield, H., Markandya, A. and Ortiz,R. (2008), ‘JESP symposium: climate change and social policy’, Journal of European Social Policy,18:4,325–44.

4. Myrdal, Gunnar, « Economics of an improved environment », World Development, 1973, 1, 1-2, 102.

5. Sur cette approche, on renvoie à Éloi Laurent, Le Bel avenir de l’État providence, Les Liens qui Libèrent, 2014.

6. Sur ce point, voir Éloi Laurent, Sortir de la croissance – Mode d’emploi, Les Liens qui Libèrent, 2019.

7. Against the Stream. Critical Essays on Economics, Pantheon Books/Random House Inc., New York. 1973. [Trad. française, Procès de la croissance : à contre-courant, Paris, PUF, 1978].

8. Voir Audrey Berry et Éloi Laurent, 2019. « Taxe carbone, le retour, à quelles conditions ? », Documents de Travail de l’OFCE, 2019-06, Observatoire Francais des Conjonctures Economiques (OFCE). https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/OFCEWP2019-06.pdf

9. À nouveau, voir Sortir de la croissance – Mode d’emploi.

10. Éloi Laurent, « From the welfare state to the social-ecological state » in Éloi Laurent and Klara Zwickl, The Routledge Handbook of the Political Economy of the Environment, Routledge, 2021.

11. Ce qui ne veut pas dire que l’enjeu de l’emploi et du travail disparaissent, l’accélération de la transition énergétique est fortement créatrice d’emplois et doit s’appuyer sur une réinvention du travail.

12. Sur ce point, voir Éloi Laurent et Amanda Janoo, « Five Principles for Health-environment policy in a Wellbeing economy », WellBeing Economy Alliance Policy Paper, forthcoming 2020.

 

penser l’état-providence post-croissant.

Les cercles vertueux de la protection sociale durable
Par Tuuli Hirvilammi

1/ Introduction

Dans les États-providence basés sur la croissance, une croissance économique de niveau zéro entraîne forcément des conséquences négatives au niveau du bien-être [1] (pp. 74–75). Lorsque les investisseurs perdent confiance dans les investissements et que la demande de consommation baisse, les faillites se multiplient, le chômage augmente et la demande de prestations sociales augmente en flèche. La baisse des recettes fiscales contraint à diminuer la dépense publique pour éviter que l’État ne se retrouve en situation de déficit. Dans une économie qui n’est ni en croissance, ni en décroissance, le revenu d’une catégorie sociale ne peut s’accroître qu’aux dépens d’une autre, situation qui conduit à des conflits distributifs [2,3,4].

Les cercles vicieux de ce type qui font suite aux récessions économiques sont souvent à l’avant-plan des débats politiques dans les États-providence et il est permis d’affirmer qu’ils sont un des vecteurs du « fétichisme croissanciste » [2] (p. 565). Celui-ci est alimenté par les peurs des citoyens, qui craignent une dégradation de leur bien-être, mais aussi des responsables politiques inquiets de voir leurs soutiens s’éroder. La peur de ce cercle vicieux est logique dans les États-providence qui se sont développés en parallèle avec une croissance économique capitaliste [1]. Historiquement, la dépendance à la croissance est allée de pair avec une conception de l’action publique basée sur un cercle vertueux, en ce sens que politiques sociales et économiques sont interdépendantes et que les mesures de politique sociale ne sont pas en contradiction avec la croissance économique. Cette vision a contribué à justifier les mesures de politique sociale et permis le développement de systèmes de protection sociale globaux et financés par l’impôt. [5].

Récemment, il est toutefois apparu que « quand ils sont alimentés par la croissance, les cercles vertueux pouvaient se révéler pervers à plus d’un titre » [6] (p. 33). La croissance économique, un des moteurs de la « grande accélération », a généré une inégalité sociale croissante et une dégradation de l’environnement aussi bien au niveau mondial qu’au niveau local [7,8,9]. Bien que les États-providence aient obtenu de nombreux résultats positifs en matière de bien-être, ils ont aussi dépassé les limites biophysiques [10]. En raison de la surconsommation, les écosystèmes se dégradent et la biodiversité décline « plus rapidement qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire humaine » [11] (p. 3), ce qui génère des risques permanents pour le bien-être humain. Les impacts écologiques sont étroitement liés à la croissance du produit intérieur brut (PIB), par exemple [12,13], ce qui remet en question la dépendance dominante à la croissance des États-providence. Pour restaurer la nature, selon la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), il faudrait s’engager sur une voie durable qui nous détournerait du paradigme actuel de la croissance économique [11] (p. 10).

Ces conclusions appellent à la décroissance, à une transformation de la société où « croissance et développement ne sont pas des métriques ou des signifiants centraux » [14] (p. 432), mais où l’accent serait placé sur la redistribution des richesses et sur la nécessité de vivre à l’intérieur des limites planétaires. La décroissance se traduirait par une réduction d’échelle démocratique et redistributive de l’économie comme des retombées sur l’environnement, notamment dans les États-providence riches [3,15]. Étant donné que la décroissance remet en cause l’idée hégémonique de la croissance, elle est également problématique pour les fondements mêmes des États-providence dépendants de la croissance. Il est par conséquent crucial de revisiter ces fondements et de se confronter aux imaginaires prévalents, piégés dans la croyance d’une « spirale ascendante » positive [16] entre croissance économique et institutions de protection sociale.

Dans cette note, j’affirme que la transformation vers une société post-croissance nécessite une nouvelle conception de l’action publique, une vision politique fondée sur le cercle vertueux de la protection sociale durable [17]. Je m’appuie sur l’institutionnalisme historique, qui insiste sur le rôle des idées politiques dans les changements institutionnels, par exemple [18,19], pour soutenir que ce nouveau concept pourrait fonctionner à la manière d’une feuille de route et fournir un dispositif narratif convaincant et séduisant pour l’État-providence post-croissant. J’utilise le concept du cercle vertueux à la façon d’un outil heuristique afin de fournir un cadre symbolique à la transformation et pour la définir comme quelque chose qui pourrait être convaincant et séduisant. Les idées politiques sont des cartes mentales et des cadres normatifs qui constituent normalement l’arrière-fond de la conduite des politiques, mais elles ont une fonction de pivot en ce qu’elles fournissent des principes directeurs et la légitimité à des instruments politiques plus tangibles ou en ce qu’elles contraignent l’action en limitant l’éventail des alternatives politiques acceptables [18,20]. Les responsables politiques se réfèrent également aux idées politiques lorsqu’ils élaborent des alternatives politiques pour élargir le soutien populaire et pour les « vendre au grand public tout en construisant la nécessité de réformer » [21] (p. 6). Pour toutes ces raisons, il est vital de comprendre comment le concept du cercle vertueux a légitimé la priorité de la croissance économique dans un premier temps et, dans un second temps, comment elle pourrait être utilisée dans un contexte neuf.

Cette note vise à contribuer aux changements institutionnels et à la recherche sur la protection sociale durable en explorant le potentiel transformatif de lidée politique du cercle vertueux. J’y examine comment ce concept a justifié des politiques sociales de grande envergure et affirme qu’une version révisée de cette idée politique séduisante pourrait se révéler précieuse dans la recherche d’une légitimité et d’un soutien politiques pour la protection sociale durable post-croissance. Lorsqu’on envisage des changements politiques, il vaut la peine de revisiter l’idée originelle du cercle vertueux en raison de sa capacité à produire des effets positifs et à relier entre eux différents objectifs politiques (voir aussi [16]). Je suggère également qu’un recadrage de l’idée politique originelle qui s’arrête sur la mise en lumière de ses conséquences non souhaitées et de ses contradictions internes peut ouvrir la voie à une alternative plus durable.
Cette note conceptuelle allie différents éléments : la recherche sur les politiques sociales et les États-providence, la théorie de la causalité cumulative [22], le concept du cercle vertueux et la recherche sur la protection sociale durable et la décroissance. Dans les section 2 et 3, j’aborde les origines historiques de l’idée politique du cercle vertueux ainsi que le rôle qui a été le sien pendant l’expansion de l’État-providence et dans des débats plus récents sur les investissements sociaux et « l’Économie du bien-être ».[23]. Dans la section 4, je développe la nécessité de recadrer la politique traditionnelle du cercle vertueux, mais depuis une perspective écologique. Dans la section 5, je décris la nouvelle conception politique du cercle vertueux de la protection sociale durable et j’explique plus en détail les raisons pour lesquelles ce concept mérite d’être développé plus avant. Quel type de vision politique pourrait vaincre les peurs ressenties face aux cercles vicieux et rendre la transformation à la fois plus convaincante et plus séduisante ?

2/ Le cercle vertueux traditionnel de l’État-providence: rétroaction et autorenforcement positifs

Les éléments attestant des bénéfices que s’apportent mutuellement l’égalité, les États-providence et la croissance économique étaient visibles dès les années 1930, époque où les politiques sociales devaient être justifiées par rapport à une tradition libérale établie de longue date qui résistait avec acharnement aux interventions étatiques. Selon Kettunen [5] (p. 28), si la vision du cercle vertueux a modifié le discours politique au cours de cette décennie, c’était parce qu’elle était en mesure d’élargir les point de vue – jusqu’alors limités aux intérêts économiques au sens étroit – à l’intégration systémique. L’Organisation internationale du travail (OIT) a joué un rôle significatif dans la promotion d’une société « où les objectifs de l’égalité et de la sécurité sociales, d’une part, et l’efficacité économique, la compétitivité et la croissance, de l’autre, étaient censés se renforcer mutuellement » [5] (p. 27).

Depuis les années 1950, le concept du cercle vertueux a été étayé par la théorie de la causalité cumulative et circulaire (la CCC en anglais, pour theory of circular cumulative causation) développée par Gunnar Myrdal [24]. La CCC traite les éléments des processus sociaux et économiques comme fortement imbriqués, à telle enseigne que la détérioration de l’un de ces éléments influence forcément les autres [22]. Dans la mesure où tant la théorie de la CCC que l’analyse du cercle vertueux produisent de la connaissance sur les interconnexions entre mesures politiques, retombées positives et concessions mutuelles potentielles, ils montrent des similarités avec la pensée systémique [25,26,27].

Gunnar Myrdal a conçu la théorie de la causalité cumulative et circulaire pour critiquer l’équilibre stable et la stabilité posée comme postulat général dans l’économie néoclassique. Lorsqu’il définissait les changements économiques et structurels, Myrdal [22] (p. 13) affirmait qu’aucune tendance n’était en mesure de stabiliser le système social de façon automatique et que c’était même tout le contraire. Si un changement se produit, il accélère les changements qui vont dans le même sens plutôt que les changements compensateurs, ce qui déplace l’ensemble du système dans la même direction que celle du premier changement, mais beaucoup plus rapidement encore. Selon Myrdal, ce processus social de causalité circulaire « tend à revêtir une forme cumulative et prend souvent de l’ampleur à un rythme accéléré » [22] (p. 13). Myrdal s’intéressait donc aux causes cumulatives, aux enchaînements causaux et aux dépendances au sentier, discutés depuis lors dans le contexte de l’institutionnalisme historique [20].

Selon Myrdal, le changement social apparaît dans un processus d’interactions réciproques entre différents éléments présents dans la société. Tous les facteurs sont interdépendants, aussi bien dans les cercles vicieux que dans les cercles vertueux. Un processus cumulatif d’interactions mutuelles est un changement dans lequel « le changement dans un facteur sera soutenu en permanence par la réaction de l’autre facteur et ainsi de suite, de façon circulaire » [22] (p. 16). Alors qu’il étudiait ce processus dynamique, Myrdal a compris progressivement que les problèmes sociaux étaient liés à des changements imbriqués et complexes.

À l’instar de la macroéconomie keynésienne, Myrdal a insisté sur le rôle de l’État dans la régulation de l’économie de marché pour atteindre le plein emploi. Myrdal [22] affirmait également que les processus économiques s’inscrivent toujours dans des processus sociaux et, qu’à ce titre, la planification économique se doit d’envisager les diverses catégories du système social telles que les conditions de production, les niveaux de vie, les attitudes et les politiques. Il a aussi rappelé de façon claire que cette approche englobait des prémisses en termes de valeurs, qui justifieront forcément les caractéristiques souhaitables et possibles du système. Les préférences de Myrdal allaient aux valeurs de l’égalité démocratique, comme le montraient clairement les inquiétudes qu’il nourrissait par rapport au cercle vicieux des inégalités internationales croissantes. Pour lui, la CCC était un outil permettant de rompre le cercle vicieux de la pauvreté, causé par les inégalités économiques, sociales et politiques, agissant individuellement et s’influençant l’une l’autre [26].

C’est pendant l’entre-deux-guerres et après la Seconde guerre mondiale que ces idées sur les effets cumulatifs positifs entre sphères économique et sociale furent structurées avec succès pour générer le cercle vertueux de l’État-providence. Le cadre de la séduisante combinaison formée par l’égalité, l’efficacité et la solidarité a modifié le discours politique en faveur des institutions de protection sociale, en particulier dans les États-providence nordiques orientés vers la social-démocratie [5] (pp. 28–30). Les compromis politiques ont été construits sur l’hypothèse que croissance économique, emploi et politiques sociales se renforçaient mutuellement. Les politiques sociales ambitieuses et l’augmentation des dépenses sociales sont devenues légitimes lorsque les forces politiques ont dégagé des compromis entre les intérêts des travailleurs et ceux des capitalistes. C’est ce raisonnement économique qui a poussé la frange riche de la population à soutenir l’État-providence et la redistribution des revenus, en même temps que la classe ouvrière s’est mise à soutenir la croissance économique dans la mesure où elle entretenait un lien évident avec le bien commun et apportait des avantages à la société [28]. Dans le cadre de ce « compromis historique », les gouvernements sociaux-démocrates se devaient de garantir le plein emploi et une fiscalité progressive pour réduire l’inégalité économique et soutenir les services publics, tandis que le capital restait intact et que la croissance économique capitaliste était encouragée [28] (pp. 124–129).

Comme l’expliquent les travaux de Myrdal, la notion du cercle vertueux était étroitement liée à des valeurs et à des normes éthiques. La confiance dans le « cercle vertueux formé par l’économie, la politique et l’éthique » s’est révélée particulièrement forte dans les pays nordiques où elle a acquis un statut idéologique dans le sphère politique, jusqu’à conjuguer « l’esprit du capitalisme » avec « l’utopie socialiste » et « la tradition idéalisée de l’agriculteur indépendant » [29] (pp. 158–159). Tout ceci démontre que la notion du cercle vertueux était fondée à la fois sur la théorie économique et sur les croyances idéologiques, qui la soutenaient dans sa fonction d’idée politique puissante.

Si nous examinons de plus près les développements historiques en Finlande, nous pouvons observer que les promesses du cercle vertueux ont été utilisées pour concevoir des réformes sociales. Dans son livre Social Policy for the Sixties: A Plan for Finland, le spécialiste en politiques sociales Pekka Kuusi [30] a défendu avec vigueur l’idée d’un autorenforcement positif par une description éloquente du soutien que les politiques sociales apporteraient à la croissance économique. Kuusi s’attaquait à la critique communément répandue de la dépense publique et à la « vision traditionnelle » qui considérait que les politiques sociales ne pouvaient qu’entraver la croissance économique [30] (p. 72). Dans le fil des idées de Myrdal [22] et de Keynes [31], Kuusi a imaginé comment démocratie, égalité sociale et croissance économique pouvaient interagir de façon heureuse : « La théorie de la croissance cumulative de Myrdal conduit à une vision totalement renouvelée de la fonction des politiques sociales dans la société moderne » [30] (p. 74). Son ouvrage a joué un rôle de premier plan dans le développement de l’État-providence finlandais [32] parce qu’il est parvenu à justifier le rôle central de la croissance économique : pour éviter le cercle vicieux de la pauvreté, le bien des citoyens a été étroitement associé à la croissance du revenu national, lui-même présenté comme « l’objectif unificateur, général, des politiques publiques » [30] (p. 48). Dès lors que le grand public de la « société croissanciste » [30] (p. 94) s’est nourri de l’espoir d’améliorer en permanence son propre bien-être et celui de ses enfants, la croissance économique s’est imposée comme une nécessité.

S’appuyant sur la théorie keynésienne de la demande globale, Kuusi considérait les politiques sociales comme une institution importante pour l’accroissement de la consommation. Les politiques sociales étaient justifiées par l’argumentaire selon lequel la redistribution des revenus pouvait augmenter aussi bien la productivité que la consommation, étant donné qu’il était acquis que la « propension à consommer » était plus élevée chez les ménages à faible revenu [31] (p. 120). Les prestations sociales destinées aux ménages à faible revenu pouvaient donc sauvegarder et relancer le pouvoir d’achat et, par conséquent, accroître « la consommation globale de la population totale » [30] (p. 85). Dans cette perspective, les politiques sociales sont devenues des éléments au service de l’économie : un de leurs objectifs explicites était de favoriser la croissance économique en mobilisant les ressources humaines et en stabilisant l’activité économique [30] (p. 86). En conséquence, les États-providence sont devenus partie intégrante des constellations d’acteurs croissancistes qui ont introduit la production et la consommation de masse, ce qui a entraîné l’augmentation de l’utilisation des combustibles fossiles et des ressources naturelles [33] (p. 52).

3/ Le cercle vertueux traditionnel et ses défis

Les idées fournissent non seulement des feuilles de routes mais aussi des symboles et un « schéma discursif dont les acteurs peuvent se servir pour rendre ces feuilles de route séduisantes, convaincantes et légitimes » [34] (p. 381). J’affirme que le cercle vertueux formé par les objectifs sociaux et économiques mutuellement bénéfiques a précisément constitué une telle conception politique : un symbole considérant l’État-providence comme un projet politique séduisant et légitime. Le cercle vertueux était une notion politique séduisante à laquelle les responsables politiques pouvaient recourir pour légitimer le pouvoir coercitif dont l’État se sert pour accroître certaines interventions telles que la redistribution et la régulation de l’économie de marché. Par conséquent, les politiques sociales se fondaient sur l’hypothèse que l’accumulation capitaliste accroîtrait la dépense publique nécessaire pour élargir la redistribution des prestations sociales.

La figure 1 illustre les éléments clés du concept traditionnelle du cercle vertueux tout en soulignant les interconnexions supposées entre divers objectifs politiques et diverses institutions. Dans le cercle, la croissance du PIB assume la fonction de la dynamo : elle met le cercle en mouvement, entraînant un développement social favorable qui se répercute ensuite positivement sur la croissance économique. Étant donné que l’État-providence repose sur le plein emploi et sur les revenus générés dans le secteur marchand, la condition préalable à l’État-providence, et partant à l’objectif politique nécessaire, est effectivement un accroissement de la prospérité économique. [30]. La croissance du PIB requiert et génère la production et la consommation de masse tout en privilégiant les valeurs d’échange au détriment des valeurs d’usage, éléments que renforce encore une culture orientée vers le salariat et le plein emploi. Obtenir un taux d’emploi aussi élevé que possible est un objectif politique essentiel parce que ce facteur influe aussi sur la demande de dépense publique et sur le montant des recettes fiscales. Lorsque les ménages gagnent les revenus dont ils ont besoin à travers un emploi, des investissements ou la recherche de rentes, les besoins en prestations sociales restent faibles, en particulier pour les prestations ciblant la population en âge de travailler (par exemple l’assurance chômage et les prestations sociales sous condition de ressources). Grâce à l’amélioration des recettes fiscales, l’État peut investir de façon adéquate dans les services publics et les prestations sociales. [35] Même si l’imposition des revenus et des richesses réduit le revenu brut de certains ménages, son impact global sur la consommation et la croissance reste positif. Lorsque que le pouvoir d’achat accru des ménages à faible revenu accroît la demande des consommateurs, l’économie – telle que mesurée par le PIB – croît. La redistribution réduit également l’inégalité [16]. Le cercle vertueux conduit à un surcroît de bien-être (par une élévation des niveaux de vie) et à une société plus égalitaire, ce qui profite à l’économie à travers la stabilité et les profits générés par la production et la consommation [30].

Figure 1. Le cercle vertueux traditionnel des États-providence.

Voici comment, grosso modo, le cercle vertueux traditionnel des États-providence a pu opérer dans les mécanismes de l’économie réelle, en particulier pendant son « âge d’or », soit les trois décennies qui ont suivi le second conflit mondial jusqu’à la fin des années 1970 [36]. Grâce à la croissance du gâteau économique national, il a été possible pour chacun de recevoir quelque chose.
Mais depuis la fin des années 1970, l’idée politique du cercle vertueux a été remise en cause par un changement de paradigme d’ordre macroéconomique. Dès le moment où le paradigme monétariste a pris la place du paradigme politique keynésien de la régulation économique orientée vers le plein emploi, la dépense publique a été perçue comme inacceptablement élevée pour la croissance économique [37], entraînant la remise en question de la légitimité des politiques sociales allant au-delà du strict minimum. Plutôt que d’être autorenforcée positivement par les dépenses sociales, la croissance économique a été présentée comme menacée par ces dépenses et par des États-providence devenus beaucoup trop « gros ». Le nouveau paradigme macroéconomique a pu s’imposer quand il est parvenu à fournir un dispositif narratif séduisant aux groupes d’intérêts politiquement influents, apportant une fois encore la démonstration de l’interaction existant entre idées, intérêts et institutions [36,37].

Bien que le paradigme néolibéral ait remis en cause l’idée du cercle vertueux et des avantages mutuels, il n’a pas déstabilisé la dépendance des États-providence à la croissance, bien au contraire. La croissance économique et les profits du secteur privé restent considérés comme des conditions préalables importantes aux dépenses publiques : dans les États-providence, les budgets publics sont fortement dépendants de l’argent généré par les banques commerciales et par les recettes fiscales versées par les entreprises privées. En parallèle, les inquiétudes des responsables politiques face au gonflement des dettes et des déficits publics se sont renforcées. La dépendance à la croissance est également visible quand les responsables politiques justifient des politiques de croissance accordant la priorité à la croissance et aux opportunités commerciales en les présentant comme des solutions aux problèmes sociaux et écologiques. La formule incantatoire de la sphère politique semble être : « Sans croissance, pas de développement durable, mais pour le bien de la croissance, pas de politique de développement durable » [2] (p. 562). En outre, la critique néolibérale du cercle vertueux ne s’est concentrée que sur la relation entre politique économique et politiques sociales, omettant d’examiner – et donc de mentionner – les répercussions de la croissance sur l’environnement.
Les idées favorables aux investissements sociaux et aux cercles vertueux ont suscité récemment un regain d’intérêt dans le discours politique public. Les avocats de « l’État investisseur social » et de diverses politiques « de la troisième voie » ont soutenu et justifié des politiques sociales en affirmant que les investissements sociaux ne portaient pas préjudice à la croissance économique et qu’ils se révéleraient profitables à plus long terme [28] (pp. 235–237). Le concept du cercle vertueux est utilisé dans le document d’information de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) en vue de la conclusion du Conseil de l’UE sur « L’Économie du bien-être » (adopté le 24 octobre 2019). Cette approche « chercher à établir et à soutenir un «cercle vertueux» dans lequel les deux éléments – croissance économique et bien-être durable – se donnent la main au bénéfice des personnes et de la société » [23] (p. 4). L’ordre d’importance et l’objectif des investissements sociaux sont clairement énoncés : « En veillant à la soutenabilité du bien-être dans la durée, les responsables politiques peuvent maximiser le potentiel de la croissance économique à long terme et mieux protéger leurs économies contre des chocs négatifs » [23] (p. 4). Malheureusement, le cercle vertueux néglige les limites biophysiques dans ce contexte également. La pérennité de l’environnement n’est mentionnée qu’à une seule reprise et le concept de « croissance économique durable » est formulé pour faire référence au maintien des niveaux de croissance actuels et non pas en envisageant sa transformation de manière à ce qu’elle soit durable sur les plans de l’utilisation des ressources ou des émissions de carbone.

4/ Recadrer le cercle vertueux dans une perspective écologique

Face à l’inégalité mondiale et aux crises écologiques, il est permis de se demander si le cercle vertueux des États-providence est effectivement vertueux. Je vais à présent me concentrer sur les fondements non pérennes et sur les contradictions internes du cercle vertueux traditionnel dans le but de recadrer ce concept politique. En m’appuyant sur l’institutionnalisme historique, j’affirme que la reformulation peut être une source de changement politique si elle met au jour les contradictions qui sapent la reproduction institutionnelle [20,21]. La fixation sur la croissance économique est une contradiction que la recherche sur la décroissance a abordée depuis des perspectives diverses, telles que la justice [38], les espaces économiques alternatifs [39] ou encore le bien-être [1]. Je me concentre ensuite sur la perspective écologique. J’identifie trois mises en garde à l’adresse du concept et démontre que le cercle vertueux traditionnel s’insère en réalité dans un cercle vicieux menant à l’effondrement écologique.

La première mise en garde porte sur l’objectif politique de la croissance économique en tant que tel. Comme l’illustrent les recherches sur la décroissance, la croyance voulant que la croissance économique cumulative est bénéfique au bien-être humain s’est avérée obsolète. Depuis les années 1970, les économistes écologiques avertissent du fait que notre base de ressources écologiques est incapable de soutenir une croissance illimitée et que poursuivre dans la voie de la croissance économique peut entraîner des dommages irréversibles causés par les impacts cumulés de différents polluants [40]. Ces dommages, ces changements cumulatifs et ces cercle vicieux formés par le changement climatique et l’effondrement écologique sont clairement mis en évidence dans des recherches récentes sur les limites planétaires, l’utilisation des matières, les émissions et la biodiversité [7,11,12,41,42]. La décarbonation et la dématérialisation pourraient être possibles dans le cadre d’orientations politiques bien conçues [43]. Toutefois, même si un découplage absolu entre PIB et émissions s’est avéré possible dans certaines régions, « ce scénario a peu de chances de se déployer assez rapidement pour respecter les budgets carbone d’un réchauffement de 1,5 ou 2 degrés dans un contexte de croissance économique permanente » [12] (p. 12). Les recherches en cours apportent une base de connaissances scientifiques sur les limites concrètes, les objectifs de développement durable et les niveaux à atteindre en termes d’utilisation de matières et d’émissions, ce qui ôte aux responsables politiques toute excuse valable pour ignorer le cercle vicieux ou prétendre qu’il n’existe pas assez d’information sur une solution alternative durable.

Deuxièmement, l’idée politique du cercle vertueux contient un ordre de priorité non durable entre objectifs économiques et objectifs sociaux. Comme le montre l’analyse historique ci-dessus, les objectifs sociaux parmi lesquels le bien-être humain et l’égalité ont été gommés (du moins implicitement) par la croissance du PIB. Censé être un moyen de créer du bien-être, le PIB est devenu une fin en soi. Le bien-être a été relégué au rang de note de marge intéressante [23] (p. 7), séparée pour l’essentiel de l’environnement naturel. Cette vision des choses est remise en cause par la recherche sur les systèmes socio-écologiques et par l’économie écologique, où l’économie est vue comme un sous-système de la société. L’économie devrait être exploitée pour améliorer le bien-être humain à l’intérieur des limites planétaires [8]. Dans cet ordre d’idées, les institutions de protection sociale devraient être insérées dans le contexte écologique et les politiques économiques devraient être subordonnées aux objectifs sociaux.

La troisième mise en garde majeure à l’encontre de l’idée politique du cercle vertueux porte sur son ignorance historique du contexte écologique, comme si le cercle flottait dans l’air sans énergie provenant des combustibles fossiles ou sans les autres ressources naturelles que fournit la planète. L’idée politique d’un cercle vertueux a permis d’établir un compromis entre objectifs sociaux et financiers sans accorder d’attention aux répercussions écologiques négatives de la croissance économique. Cette contradiction interne est illustrée dans la figure 2, où le cercle vertueux traditionnel est connecté à des répercussions écologiques négatives.

 

Figure 2. Le cercle vertueux traditionnel des États-providence encastré
dans le cercle vicieux de l’effondrement écologique.

Bien qu’ils permettent un développement humain « vertueux », les États-providence sont profondément prisonniers du cercle vicieux de l’effondrement écologique et du changement climatique. Des politiques sociales et économiques mutuellement bénéfiques renforcent des changements systémiques dans les écosystèmes. Dans les deux cercles, la croissance économique est une courroie de transmission à l’origine de rétroactions positives, mais en quelque sorte à l’envers : elle fonctionne dans la direction qui a été bénéfique aux systèmes de protection sociale et dans la direction qui porte préjudice aux écosystèmes.

Les États-providence se doivent par conséquent de traiter les nouvelles et plus existentielles « configurations des risques, des préjudices et de l’inéquité » causées par le changement climatique et le recul de la biodiversité [44] (p. 113). L’utilisation croissante des ressources naturelles génère des quantités croissantes de déchets, sans même parler des émissions de carbone. La surconsommation, le changement climatique, l’exploitation abusive des terres et la pollution contribuent aux reculs dramatiques de la biodiversité [11] qui mettent d’ores et déjà en péril les conditions préalables au bien-être humain. Le cercle ostensiblement vertueux nous place sur une trajectoire nous conduisant vers une « serre terrestre », dans des conditions inhospitalières non seulement pour les sociétés humaines actuelles mais également pour beaucoup d’autres espèces [45] (p. 8253).

J’affirme qu’il est nécessaire de recadrer l’idée politique du cercle vertueux pour surmonter le paradoxe actuel : la croissance économique pose des risques pour le bien-être humain alors que tous les systèmes de protection sociale sont dépendants du paradigme de la croissance. Cette contradiction interne exige de reconsidérer les connexions actuelles entre les différents éléments des rétroactions positives et des changements cumulatifs. Les idées politiques ne sont réalisables qu’à condition d’être en mesure de fournir une feuille de route pour le futur [18]. Ce n’est pas le cas de l’idée politique traditionnelle du cercle vertueux parce qu’elle ne propose pas de dispositif narratif solide sur la manière de créer du bien-être humain à long terme. Au fond, les États-providence n’ont pas atteint leurs objectifs, qui étaient de garantir la sécurité et d’améliorer le bien-être.

Selon Pierson [20] (p. 134), le recadrage d’une idée politique par l’identification des mécanismes qui génèrent des contraintes au niveau des politiques peut révéler des indications intéressantes sur les changements institutionnels à mettre en œuvre. Par conséquent, un cercle vertueux recadré pourrait créer une échappatoire à cette impasse où l’objectif du d’une protection sociale durable est, d’une part, largement admis et cela alors que des alternatives politiques existent, mais que le courage politique et la capacité de transformation restent faibles, d’autre part. De nombreux décideurs politiques ont déjà fortement conscience des limites à la croissance et défendent des objectifs de développement durable. Mais, malgré le regain d’intérêt pour les débats sur le développement durable et la décroissance, il semble que les seules alternatives politiques réputées dignes de louanges soient celles restant fidèles au paradigme de la croissance [46,47], apparemment en raison de la croyance sous-jacente de ce qu’un PIB en croissance est indispensable pour générer le financement des institutions de protection sociale telles que l’éducation, les soins de santé et la sécurité sociale universelle, entre autres biens publics. Cela montre très concrètement comment les idées politiques, à côté des blocages institutionnels, peuvent aussi imposer « des solutions que les responsables politiques perçoivent comme instrumentalement utiles » [34] (p. 392). Aucun décideur politique responsable ne peut se permettre de prendre des risques susceptibles de violer les services de base tant que fait défaut toute idée politique convaincante sur la mise en place d’un cercle vertueux durable.

5/ Vers le cercle vertueux d’une protection sociale durable

Je vais à présent creuser l’idée politique du cercle vertueux dans l’objectif d’une protection sociale durable post-croissante. Comment procéder pour développer plus avant cette conception et la dépoussiérer ? Historiquement, l’idée du cercle vertueux a été utilisée pour faire référence aussi bien aux relations existantes que pour anticiper les éléments normatifs de la société en vue de changements futurs et de réformes potentielles [5]. Le recours au concept du cercle vertueux, dans cette note, est un acte de « conversion » à travers lequel je confère de nouvelles significations à une couche historique d’institutions existantes (voir [48] (p. 7)).

Même si le concept original de Gunnar Myrdal était étroitement liée à l’accumulation capitaliste et à une économie publique en croissance, j’affirme que le concept du cercle vertueux peut être redéfini et reformulé dans le contexte des États-providence post-croissance. L’idée fondamentale d’un changement systématique, cumulatif, et de rétroactions qui se renforcent ou se compensent, reste valide et peut également être appliquée à une économie stationnaire. Je vois deux raisons cruciales – et avantageuses – de s’appuyer sur le concept politique de départ. Premièrement, le concept de cercle vertueux place l’accent sur des bénéfices mutuels et sur un développement favorable, ce qui lui donne le potentiel nécessaire pour rassurer les responsables politiques, les parties prenantes et le grand public concernant les impacts positifs de la transformation. Il peut donc rendre plus séduisants les changements politiques nécessaires. Grâce à une métaphore positive, les responsables politiques peuvent formuler des politiques en les rendant plus acceptables aux yeux des électeurs [18] (p. 26).

Deuxièmement, la vision du cercle vertueux détourne le projecteur des politiques au sens individuel pour le braquer vers les interconnexions entre différents objectifs politiques. Elle permet de passer « de la mécanique linéaire à la dynamique complexe » [8] (p. 112). À l’époque où il a élaboré la théorie de la CCC, Gunnar Myrdal [22] (p. 14) a écrit : « l’essence d’un problème social réside dans le fait qu’il touche à un ensemble de changements interconnectés, circulaires et cumulatifs ». Cette affirmation s’applique également aux problèmes écologiques tels que le changement climatique, qui est sans conteste possible un problème politique d’une haute complexité [44].
Idée politique dynamique, le cercle vertueux dispose du potentiel nécessaire pour illustrer des changements politiques et pour traiter les dépendances au sentier, les interconnexions et les réseaux complexes formés par les politiques fiscales, les politiques d’emploi et les prestations sociales, c’est-à-dire des politiques qu’il y a lieu de repenser et de reconstruire pour atténuer le changement climatique et réduire l’utilisation des ressources naturelles tout en préservant le bien-être. L’accent placé sur les processus d’enchaînements cumulatifs vient nous rappeler que si une amélioration est obtenue, par exemple, en matière de chômage ou de fiscalité verte, ce changement, au final, produira également un impact sur d’autres secteurs politiques. Le même principe s’applique à l’élaboration de nouvelles politiques.

Le cercle vertueux est par conséquent une idée politique intégrative qui s’inscrit dans la démarche des politiques écosociales intégrées (voir [44]). Il englobe l’interrelation entre les trois objectifs de la protection sociale durable que résume la formule « le bien-être et la justice sociale à l’intérieur des limites planétaires » [44] (p. 37) et possède le potentiel pour surmonter les conflits politiques et construire des synergies. Il fournit un cadre élargi aux diverses alternatives politiques ayant été élaborées précédemment dans différents domaines de recherche, mais sans que des liens clairs aient été établis entre elles[1]. La liste des politiques publiques alternatives suggérées pour réformer les États-providence est déjà longue dans les travaux sur la décroissance ainsi que dans les débats de recherche sur la protection sociale durable, par exemple [1,3,44,49,50,51], mais il leur manque un dispositif narratif partagé. De nouvelles visions politiques peuvent ouvrir la voie à la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques alternatives grâce à la nature dialogique des idées et des mesures d’action publique [21] (p. 9). D’une part, l’élaboration de politiques publiques alternatives possède la capacité de soutenir l’idée plus générale du cercle vertueux en montrant que des alternatives existent bel et bien et qu’un changement cumulatif peut intervenir dès lors que sont mis en place des instruments d’action publique plus durables. D’autre part, des politiques publiques alternatives peuvent s’avérer plus praticables lorsqu’il est possible de les inscrire dans le cercle vertueux.

L’idée politique étayant la protection sociale durable post-croissance doit fournir un dispositif narratif convaincant et séduisant qui explique à la fois comment satisfaire les besoins humains à l’intérieur des limites écologiques et comment générer les moyens de financer les institutions de protection sociale. Pour surmonter la peur de perdre du bien-être, la conceptualisation renouvelée du cercle vertueux de la protection sociale durable se devra de traiter simultanément la crise fiscale, la crise climatique et l’inégalité sociale croissante. Tous les États-providence ont traditionnellement poursuivi trois objectifs généraux partagés : la redistribution, la consommation sociale et l’investissement social [44]. Il n’y aucune raison de ne plus poursuivre ces objectifs durant la transformation vers un État-providence durable post-croissance. Le nouveau système de protection sociale sera redistributif et ne violera pas les droits sociaux et économiques à un revenu décent et à des services sociaux, qui seront garantis par la législation dans les États-providence développés.

Tandis que le cercle vertueux traditionnel plaçait l’accent sur la satisfaction des besoins matériels et sur l’augmentation du niveau de vie, les politiques publiques pensées de manière durable pourrait s’appuyer sur les théories des besoins, qui considèrent les besoins comme pluraux et non substituables, par exemple, [44,52]. Les personnes doivent être en mesure de satisfaire leurs besoins et de s’épanouir dans tous les dimensions du bien-être : avoir (subsistance de base), faire (des activités porteuses de sens), aimer (relations conviviales et compassionnelles) et être (auto-actualisation et sens de la présence) [49,52]. Si un État-providence durable parvenait à soutenir un bien-être multidimensionnel et à produire des résultats plus égalitaires, la demande de prestations et de services financés par l’État pourrait même décroître. Au final, le cercle vertueux a le potentiel de prévenir les problèmes sociaux et sanitaires liés à la pauvreté et à la croissance tels que le chômage, le stress et l’angoisse (climatique).
À quoi pourrait ressembler cette conception renouvellée d’un cercle vertueux de la protection sociale durable ? Quels sont les éléments susceptibles de remplacer le cercle vertueux alimenté par la croissance et son « enracinement » dans le cercle vicieux de l’effondrement écologique ? Comment amener des changements cumulatifs conduisant à une protection sociale durable ? La figure 3 montre une illustration provisoire de deux cercles vertueux avec leurs rétroactions renforcées et équilibrées. Cette nouvelle idée politique d’une protection sociale durable considère les deux cercles comme interconnectés. Le cercle intérieur d’un système de bien-être durable pourrait être conforme aux processus écosystémiques durables si les idées et les pratiques orientées vers la croissance étaient remplacées par les objectifs du bien-être durable, l’égalité, le suffisant, le travail partagé et la sécurité sociale. En identifiant le suffisant, il pourrait être possible de réduire de façon spectaculaire le niveau d’utilisation des ressources associé à la satisfaction des besoins. Le suffisant peut être défini en différenciant les produits indispensables des produits de luxe et en définissant des « couloirs de consommation » entre des normes minimum permettant une vie décente pour tous et des normes maximum qui soient conformes aux limites biophysiques [53].

Figure 3. Deux cercles vertueux avec des rétroactions renforcées et équilibrées.

Je décris dans cette note l’idée politique du cercle vertueux de la protection sociale durable en me servant du dispositif narratif suivant, basé sur les changements cumulatifs et les rétroactions. Le voici : quand la production et la consommation sont toutes les deux basées sur la suffisance, les ménages peuvent être certains de se procurer tous les produits indispensables tandis que les ressources naturelles ne sont utilisées qu’à un niveau que la biocapacité peut régénérer, soit environ sept tonnes par tête par an [10]. Des investissements durables ainsi que des niveaux limités de production et de consommation permettent des baisses des émissions, conformément au budget carbone mondial [42]. La demande de matières et les quantités de déchets générées sont réduites lorsque la production et la consommation s’inscrivent dans une pensée de recyclage permanent et axée sur l’économie circulaire, où les nutriments à la fois biologiques et techniques sont utilisés de nombreuses fois à travers des cycles de réutilisation et de renouvellement [8]. Les impacts humains sur la terre restent à l’intérieur des limites planétaires, ce qui est bénéfique à l’objectif politique du bien-être durable. Malgré des niveaux de production et de consommation plus faibles, une économie régénérative et distributive [8] sera créatrice d’emplois et fournira un niveau de vie décent. Elle ouvre sur des possibilités d’emplois non seulement sur le marché de l’emploi conventionnel, régi par des notions de l’emploi étroites et basées sur l’utilité économique, mais aussi dans les économies communautaires [54] et les économies du care [55], susceptibles de s’épanouir lorsque d’autres indicateurs que le PIB sont utilisés pour mesurer la réussite. Les institutions de protection sociale peuvent fonctionner sans croissance du PIB quand l’assiette fiscale est relativement prévisible et stable. Des investissements publics et privés durables et une consommation basée sur la suffisance génèrent des recettes fiscales adéquates que l’État et les municipalités peuvent utiliser pour financer des services sociaux et des prestations sociales, y compris pour les personnes âgées. La redistribution des revenus et des richesses renforce l’égalité, mais peut également soulager les pressions sur la biodiversité et l’utilisation des terres puisque des communautés plus égalitaires peuvent réduire la demande de consommation en réduisant la nécessité – et les avantages – de la consommation de statut [56]. La redistribution trouve également une légitimité dans le fait que les revenus les plus élevés se révèlent des incitants nocifs pour l’environnement. Par conséquent, un système de protection sociale inséré dans une économie régénérative et distributive peut garantir un bien-être durable pour tous et, en parallèle, limiter les impacts écologiques à un niveau durable.

C’est donc ainsi que pourrait opérer le cercle vertueux durant la transformation vers un État-providence durable post-croissance. L’objectif de cette idée politique réside dans le fait que les changements qui lui sont associés mènent à des situations gagnant-gagnant, où problèmes sociaux et écologiques sont traités simultanément. Il peut donc atteindre les objectifs politiques suggérés dans la littérature sur la décroissance : une réduction de l’impact écologique, la redistribution des revenus et des richesses et la « transition d’une société matérialiste à une société conviviale et participative » [51] (p. 330). Cet objectif requiert de la gouvernance et une régulation des rétroactions renforcées et équilibrées portant sur un éventail de changements institutionnels ; il nécessite des interventions étatiques.

Le cercle vertueux traditionnel de l’État-providence défendait et légitimait un État fort et l’interventionnisme étatique, davantage que n’auraient pu l’anticiper la tradition libérale et l’économie néoclassique. Je puise dans cette histoire et constate – à l’instar de Gough [44] (p. 145) – que une conception de l’action publique reposant sur un cercle vertueux de la protection sociale durable préfère un « État actif et interventionniste « novateur » où l’investissement public joue un rôle substantiel et davantage orienté vers la régulation et la planification ». Cet « État vert » joue un rôle pivot dans la décarbonation de l’économie [57] en même temps qu’il facilite la transformation vers la décroissance [15,51]. Comme l’a montré Koch, des politiques écosociales mises en œuvre par l’État peuvent vaincre l’impératif de la croissance économique si elles sont « intégrées dans une stratégie globale » [46] (p. 13). Actuellement, une limite systémique, baptisée « le plafond de verre de la transformation » par Hausknost [47], entrave les perspectives de transformation vers un État-providence durable. Les États qui s’efforcent d’introduire des politiques durables tendent à se heurter à ce plafond de verre ; seules sont réalisables des politiques qui ne limitent pas la croissance économique et mettent en danger le bien-être des citoyens [47] (p. 14).

Pour briser ce plafond de verre, le nouveau cercle vertueux des États-providence durables devra adopter une position plus ambivalente à l’égard de la croissance du PIB. Même si l’attitude vis-à-vis de la croissance a été très positive dans les États-providence, la nouvelle idée politique du cercle vertueux envisagera la croissance avec plus d’ouverture : celle-ci ne sera pas uniquement positive, négative ou neutre, mais elle pourra être les trois à la fois, en différentes occasions [4,8,9]. La priorité politique devra aller à la durabilité écologique et au renforcement de l’égalité sociale plutôt qu’à la croissance économique. L’économie régénérative, par conséquent, devient un moyen, un vecteur qui médiatise objectifs sociaux et écologiques.

Les États-providence durables ont nécessairement besoin d’une nouvelle économie politique et d’une gestion macroéconomique, par exemple, [8,46]. Traditionnellement, le concept du cercle vertueux avait les faveurs du paradigme politique keynésien et était attaquée par le paradigme politique néolibéral, dont les racines plongent dans le monétarisme et les théories économiques néoclassiques. Ces deux paradigmes étaient largement axés sur la croissance économique, tandis que l’idée politique du cercle vertueux durable cherche justement à échapper au paradigme de la croissance. Quelles théories économiques pourraient informer optimalement cette échappée et accompagner cette idée politique ?
Un débat de recherche animé sur l’économie hétérodoxe favorise d’ores et déjà le développement de ce concept politique. Qu’il s’agisse des analyses économiques écologique et postkeynésienne, de l’économie du care [55], de la théorie économique du Donut [8], de l’approche marxiste de la macroéconomie de la décroissance et des recherches sur les économies communautaires [54], tous ces courants ont en commun certaines des caractéristiques liées aux éléments susmentionnés du cercle vertueux durable.

Bien que le développement d’un paradigme politique macroéconomique dépasse le cadre de cette note, je ferai brièvement référence au débat de recherche sur la relation entre macroéconomie postkeynésienne et économie écologique [58,59] en raison du lien historique entre le paradigme keynésien et le cercle vertueux. Il s’avère que l’économie écologique s’est montrée efficace pour mettre en évidence les limites biophysiques des activités économiques, mais faible dans le traitement des questions macroéconomiques. À l’inverse, les postkeynésiens ont concentré leurs efforts sur la compréhension du rôle de la monnaie et des marchés financiers, du chômage, de l’inflation et de la demande effective, mais sans tenir aucun compte du contexte écologique ou des limites à la croissance [43].

Les deux théories recèlent pourtant des points communs intéressants qui pourraient favoriser l’idée politique d’un nouveau cercle vertueux. Toutes deux se soucient de la chronologie et des sentiers historiques des économies. Elles insistent également sur les éléments d’incertitude, accordent de l’importance à l’économie politique et admettent l’importance des institutions dans la détermination des résultats économiques. Les deux approches se concentrent sur des systèmes complexes et partagent les mêmes doutes sur la capacité des forces de marché à produire un équilibre déterminé (à l’instar de Myrdal lorsqu’il a développé la théorie de la CCC). Elles s’intéressent à la dépendance aux sentiers et à l’irréversibilité. L’approche postkeynésienne peut fournir les moyens d’analyser les régimes socio-écologiques et la relation entre changements environnementaux et institutions économiques. Les deux courants se rejoignent sur la nécessité d’une guidance politique active des marchés pour éviter une crise économique ou écologique, et défendent la régulation de diverses rétroactions, telles que celles existant entre les niveaux d’emploi, les taux d’intérêt et les flux de matières [53,56]. Les postkeynésiens plaident aussi en faveur de l’importance des investissements financés par l’État, indispensables pour une transition rapide vers des États-providence décarbonés. Une approche postkeynésienne pourrait contribuer à atténuer la peur d’un déficit public qui, en l’état actuel des choses, contraint lourdement la dépense sociale et les investissements durables en général [59,60]. Une augmentation de la masse monétaire à travers les programmes du New Deal Vert risque néanmoins d’accroître la demande de consommation globale et, par conséquent, de produire des impacts écologiques indésirables. Des recherches complémentaires sont donc nécessaires pour explorer la possibilité de construire un paradigme politique postkeynésien authentiquement écologique, capable d’étayer la conception d’une politique publique basée sur un cercle vertueux de la protection sociale durable.

6/ Discussion et conclusions

« La difficulté réside non pas dans les idées nouvelles, mais dans notre capacité à nous extirper des anciennes qui, pour ceux qui ont été élevés comme la plupart d’entre nous l’ont été, se ramifient jusque dans les moins recoins de notre esprit ». [31] (p. viii)
J’ai affirmé dans cette note qu’une nouvelle conception de l’action publique sur un cercle vertueux de la protection sociale durable pourrait avoir le potentiel transformatif nécessaire pour concevoir une transformation vers une décroissance planifiée et socialement durable. J’ai inscrit le concept traditionnel du cercle vertueux dans le nouveau contexte de la protection sociale durable post-croissance. De la même manière que le cercle vertueux a légitimé la transformation durant l’expansion de l’État-providence, il peut être utilisé comme un cadre symbolique porteur d’un dispositif narratif convaincant pour aller vers un État-providence durable. Au rebours de la discussion contemporaine sur la protection sociale, où la croissance du PIB est perçue comme une condition préalable au bien-être et, partant, comme un objectif à part entière, le cercle vertueux de la protection sociale durable se fonde sur une soutenabilité écologique posée comme condition préalable fondamentale à toutes les politiques publiques. Ce raisonnement construit la légitimité de la protection sociale durable et ouvre l’espace politique pour des mesures écosociales visant à atteindre des objectifs à la fois sociaux et écologiques. Le concept du cercle vertueux souligne qu’une approche holistique est nécessaire pour éviter les compensations mutuelles et les contradictions entre politiques sociales, environnementales et économiques.

Je suggère que le cercle vertueux peut être utilisé aussi bien dans des processus d’action publique que dans la recherche sur la protection sociale durable. Pour les responsables politiques, il constitue un cadre séduisant de promotion de réformes institutionnelles interdépendantes et de changements cumulatifs positifs entre des changements institutionnels et des propositions politiques différentes. Actuellement, le soutien politique aux systèmes de protection sociale et la peur de pertes en matière de bien-être semblent entraver les changements politiques. Tant que le financement des systèmes de protection sociale n’aura pas été découplé du paradigme de la croissance, toute décarbonation rapide restera un objectif éloigné. La question urgente est de savoir comment conserver des sociétés égalitaires et démocratiques tout en transitionnant vers des États-providence post-croissants. Pour surmonter les peurs suscitées par les cercles vicieux et les pertes en matière de bien-être, la vision transformative du cercle vertueux de la protection sociale durable peut faire office de proposition capable de briser le statu quo politique et idéologique, et d’élargir les imaginaires politiques, voir [15] (p. 379).

Pour les spécialistes de la recherche sur la protection sociale durable, le concept du cercle vertueux peut fournir un cadre heuristique, unificateur, permettant de comprendre des changements systémiques et d’envisager des stratégies de transformation cohérentes. Par exemple, elle pourrait servir de cadre dynamique pour la modélisation par équation structurelle de différentes politiques publiques et de leurs résultats, ou pour simuler des scénarios impliquant des combinaisons de politiques publiques (voir par exemple [16,59]), dans le cadre d’une étude sur la façon dont diverses mesures politiques sur les revenus minimum et maximum, la réduction du temps de travail et les réformes monétaires agissent sur l’idée d’une politique publique basée sur le cercle vertueux. De futurs agendas de recherche pourraient aussi inclure des études de cas de divers pays pour examiner plus avant l’utilité du concept des cercles vertueux. Par ailleurs, nous ne savons pas quels types d’acteurs ni de communautés épistémiques pourraient effectivement diffuser cette idée de politique publique dans l’arène de l’action publique, ni quels types de filtres institutionnels devraient être « détruits » pour laisser la place à l’adoption de nouvelles politiques publiques.
Pour acquérir de la légitimité et devenir transformatives, les idées politiques ont besoin du soutien d’acteurs et de groupes d’intérêts puissants. Quelles sont les possibilités de divers groupes d’intérêts de rompre les « silos » politiques et de mettre en œuvre de nouvelles idées d’action publique ? Quels acteurs pourraient porter l’idée du cercle vertueux durable dans les débats politiques ? Des chercheurs peuvent permettre à des acteurs éventuels d’aller de l’avant en leur montrant comment le cercle vertueux revisité répond à leurs inquiétudes.

Notes
Cette note est basée sur l’article de Tuuli Hirvilammi, « The Virtuous Circles of Sustainable Welfare as a Transformative Policy Idea», paru en janvier 2020 dans la revue académique Sustainability, https://doi.org/10.3390/su12010391 .
Traduction française : André Verkaeren (https://www.metaphrasis.be/)

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[17] L’idée originale de revisiter le concept traditionnel du cercle vertueux a été publiée pour la première fois dans l’article finlandais «Ympäristösosiaalipolitiikan lähtökohtia» [Les prémisses de la politique sociale environnementale] (Hirvilammi & Massa 2009) et développée dans un autre article finlandais, «Se pyörii sittenkin! —Kohti ekologisesti ja sosiaalisesti kestävää hyvinvoinnin kehää »[Ça tourne! – Vers un cercle vertueux du bien-être écologique et durable] (Laatu, Helne et Hirvilammi 2011). Elle a également été brièvement mentionnée dans l’ouvrage Talous kasvun jälkeen [L’économie post-croissance] (Joutsenvirta, Hirvilammi, Ulvila et Wilen 2016). Je remercie tous mes co-auteurs et je les remercie pour leur soutien dans le développement de cette idée.
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[24] L’économiste suédois et chercheur en politique sociale Gunnar Myrdal a été très influent dans la conception du « folkhem », l’État-providence suédois, avec son épouse Alva Myrdal, des années 1930 aux années 1960. Je suis consciente qu’ils ont également préconisé des politiques douteuses d’ingénierie sociale et de contrôle de la population. Dans cette note, cependant, je ne m’appuie que sur la théorie CCC de Myrdal et l’idée du cercle vertueux [22].
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[27] La théorie de la causalité cumulative et circulaire (CCC) ressemble également au « diagramme de flux circulaire » que l’économiste Paul Samuelson a développé dans les années 40. Dans ce «diagramme le plus emblématique de la macroéconomie» [8] (p. 54), Samuelson a souligné que les flux circulaires des revenus sont basés sur l’interdépendance de la production et de la consommation et que les gouvernements réinjectent les impôts en tant que dépenses publiques.
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[32] Cependant, la relation entre les plans et les implications empiriques est plus faible que ce qui est attendu la plupart du temps. Lorsque Juho Saari (1997) a comparé les développements que Kuusi avait prévus avec les réformes qui ont réellement eu lieu dans l’État-providence finlandais après la publication du livre de Kuusi, il a constaté que «des facteurs autres que les plans ou les universitaires ont déterminé la structure de la politique sociale dans les pays en voie d’industrialisation »(Ibid., 150). Saari, J. « Sur les traces de Gunnar Myrdal: Pekka Kuusi et la vision de la planification scientifique » in Models, Modernity and the Myrdals, 1er éd.; L’Institut Renvall d’études régionales et culturelles; Kettunen, P., Eskola, H., Eds .; Université d’Helsinki: Helsinki, Finlande, 1997; pp. 129-152.
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L’autrice
Tuuli Hirvilammi est docteure en sciences sociales. Experte en analyse des politiques publiques, elle s’est spécialisée sur les questions de bien-être soutenable.
Elle est actuellement chercheuse senior à la faculté des sciences sociales de l’Université de Tampere en Finlande. Ses sujets de recherche incluent la conceptualisation du bien-être durable, les théories des besoins, l’État-providence écologique, les politiques publiques social-écologiques, la post-croissance et l’économie écologique.
Elle est l’autrice de nombreux articles dans des revues académiques et a co-écrit plusieurs ouvrages sur l’économie de la post-croissance et le bien-être durable en Finlande où elle est également activement impliquée dans le débat public sur les perspectives de futurs soutenables.
Elle vient d’éditer, en coordination avec Teppo Eskelinen et Juhana Venäläinen, l’ouvrage Enacting Community Economies Within a Welfare State (2020) aux éditions MayFly.

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