Guerre et paix avec la nature !
Comment apprendre à vivre avec le(s) virus ?
Nous serions en guerre, en lutte contre un virus qu’il nous faut éloigner ou éradiquer ; avec nos héros, le personnel médical, et nos armes : frontières fermées, masques, distanciation, confinement généralisé ou ciblé, traçage, sanctions et, in fine, soins intensifs pour celles et ceux qui auront été atteints par l’ennemi malgré les barrières érigées. Mais, s’il faut, logiquement, ralentir la contagion, gérer les malades, absorber le choc, repousser l’invasion, comment aboutit-on à la paix, comment retrouve-t-on l’équilibre ? Car nos sociétés et nos corps vont inéluctablement devoir apprendre à vivre avec le covid-19 comme avec tant d’autres virus…
Des mesures exceptionnelles ont été prises par les gouvernements dans une situation terriblement complexe. Mais il y a une tache quasi aveugle des discours et des pratiques: nous ne sommes pas égaux devant le virus. Il trouvera, selon les individus qu’il infecte, soit les portes grandes ouvertes pour y faire de gros dégâts, soit un terrain sur lequel il a peu de chances de se développer.
Ce à quoi nous aspirons, c’est la santé. Et ce qui nous sauve et nous sauvera, c’est la vitalité, ou plutôt le fonctionnement harmonieux1, de notre système immunitaire, notre capacité comme organisme vivant à développer une résistance aux virus, à trouver un équilibre, individuel et collectif, avec cet agent potentiellement pathogène, comme avec des millions d’autres. Si on le rappelle ici, c’est que les stratégies de lutte contre l’épidémie et de recherche de remèdes contre la maladie ne devraient pas occulter l’importance de ce que nous appelons les déterminants de la santé.
Attaquer le virus ou stimuler nos défenses ?
« Le coronavirus attaque prioritairement les personnes âgées » affirme la présentatrice du journal parlé. La formule illustre notre manière linéaire de penser ce qui devrait l’être de façon systémique. Car non, le virus ne « choisit » pas d’attaquer prioritairement les personnes âgées. Plus réalistement, les personnes à l’immunité fragile – globalement, partiellement ou ponctuellement – souffriront davantage du contact avec le virus en ne parvenant pas à lutter contre son invasion. Or, les aînés ont fréquemment un système immunitaire affaibli, par l’âge mais également par de multiples carences en nutriments essentiels et des médications parfois excessives. C’est aussi le cas de nombreuses personnes parmi les plus précarisées de notre population.
Nuance langagière futile en ce temps de crise ? Je ne le pense pas. Car si, fondamentalement, ce qui nous sauve, c’est notre immunité, le renforcement des déterminants de la santé est un chantier essentiel qui mériterait aussi de devenir une urgence.
Quel est le terrain favorable à la maladie ?
« Pour pouvoir mieux se protéger, il faut connaître le profil des personnes à risque », dit-on. Certes, mais inversons la thèse : pour mieux nous protéger contre un virus « toursiveux », il importe de comprendre pourquoi certaines personnes sont plus « à risque » et d’analyser les facteurs de comorbidité du mal qui nous guette. Cette compréhension progresse au fil des semaines mais nous en savons déjà plusieurs choses. Il existe probablement un facteur de risque génétique non négligeable lié au récepteur ACE2 d’expression variable selon l’origine des personnes. Mais on constate aussi que les personnes souffrant d’obésité représentent une proportion très élevée des patients atteints de formes graves du Covid-19 avec souvent hypertension artérielle et diabète en sus. Globalement, sur base de chiffres français (de fin mars), parmi les cas admis en réanimation, 61% au moins présentent une comorbidité et c’est le cas pour 90 % des personnes décédées. Les comorbidités les plus fréquentes sont les pathologies cardiaques (42%) et pulmonaires (27%) et le diabète (32%). Sur l’ensemble des décès certifiés covid-19, 3% seulement ne présentaient pas de comorbidité et étaient âgés de moins de 65 ans2. A contrario, les tests réalisés dans différents pays montrent que près de 4/5ème des transmissions se feraient via des personnes asymptomatiques3. Une partie importante de la population développe donc une immunité innée face au virus sans être malade ou en tous cas sans en souffrir.
Ce constat n’est certes pas propre aux coronavirus et la fragilité face à lui est forcément multifactorielle4 mais il est clair que si le covid-19 peut nous inquiéter toutes et tous, la gravité de l’infection virale est, le plus souvent, intimement liée à d’autres maladies qui rendent les personnes fragiles en perturbant leurs réactions immunitaires. Or, il n’échappera à personne que les pathologies évoquées ci-dessus sont quasi toutes en augmentation ces dernières décennies – liées à une alimentation de mauvaise qualité, à des troubles de comportement alimentaire générés par l’anxiété, à diverses pollutions et au stress… – et étroitement corrélées avec la précarité et les inégalités sociales.
Faire barrière mais aussi développer notre immunité
Les mesures de distanciation et de protection sont évidemment utiles pour ralentir la propagation de l’épidémie et permettre aux médecins de soigner dans des conditions correctes. Elles doivent être complétées par une capacité plus fine de test et d’analyse des situations personnelles pour déployer des actions plus ciblées. Mais, nous ne pouvons vivre durablement dans une société de confinement et de distanciation, où l’Autre est vécu comme une menace, où nous craignons nous-mêmes d’être contaminants.
Pour de nombreuses personnes, l’espoir d’une sortie de crise résiderait dans l’arrivée d’un vaccin susceptible d’enrayer l’épidémie. Pas si simple ! La variabilité singulière des coronavirus et l’inquiétant constat que certains malades se réinfectent rapidement rendra le développement de ce vaccin difficile et l’immunité qu’il conférerait restera probablement limitée. Et, à tout le moins, la création du vaccin pour le covid 19 n’empêchera pas un covid 20 de surgir… D’où l’importance d’un choix individuel et sociétal pour une amélioration globale de notre santé et donc de notre capacité à faire face aux coronavirus (mais aussi aux autres pathogènes connus ou nouveaux) en équilibrant notre réaction immunitaire à son égard.
A moyen terme, la crise sanitaire que nous traversons devrait donc nous inciter à développer de façon bien plus déterminée une médecine préventive visant à renforcer nos capacités d’auto-guérison et l’amélioration continue des déterminants fondamentaux de la santé5…
L’occasion d’un changement systémique de notre politique de santé ?
Le choc subi par notre société amène légitimement des questions et de la colère par rapport à la solidité et à la gestion de notre système de santé. L’absence d’un plan pandémie opérationnel, le manque de stock et de capacité de production d’un certain nombre d’outils indispensables comme les masques ou les réactifs pour tests, l’épuisement et la déconsidération du personnel médical, en particulier infirmières et aides-soignantes, en premières lignes… sont des réalités qui vont appeler des réactions politiques indispensables. Il serait toutefois regrettable que les rééquilibrages budgétaires soient exclusivement orientés vers des politiques curatives ou les infrastructures hospitalières alors que notre système est déjà fortement « hospitalocentré » et que la perversion des modes de gestion fondés sur la rentabilité est dénoncée de toute part. La prévention et la promotion de la santé sont les parents pauvres de notre politique de santé et le fédéralisme belge a renforcé ce déséquilibre en déliant l’intérêt de ces politiques et le budget de la Sécu alors qu’il est fréquemment démontré qu’un euro investi en prévention permet d’en économiser davantage dans le curatif.
Améliorer la qualité de notre alimentation et le bien-être, diminuer stress et inégalités, renforcer les liens sociaux, réduire l’exposition aux diverses pollutions (chimiques, atmosphériques, électromagnétiques)… autant d’objectifs qui nous rendront plus résistants aux viroses présentes et à venir. Il s’agira aussi de renforcer l’éducation sanitaire et de donner enfin des moyens aux programmes de Promotion de la Santé à l’Ecole (PSE) tellement peu développés en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il faudra également réorganiser les soins de première ligne, en coordination dynamique avec le réseau hospitalier, en valorisant les médecins généralistes mais aussi d’autres praticiens de la santé, via des pratique de groupes interdisciplinaires, par exemples, dans les maisons médicales6. Et enfin, faire vraiment place à la prévention de la santé physique et mentale dans les entreprises… Il s’agira, en fait, de déployer un système de santé plus holistique, efficient et efficace associant tous les secteurs de la société7.
Dans l’urgence aussi, penser à prévenir !
Ce sont là des politiques complexes et de long terme, sans doute, dont la nécessité est éclairée par la situation que nous vivons aujourd’hui. Mais quid de la crise en cours ? Revenons aux Maisons de repos qui vivent une véritable tragédie malgré l’engagement humain et l’inventivité d’un personnel bien trop peu considéré8. On y meurt du covid-19, on y meurt davantage parce que le stress, l’angoisse, la solitude affaiblissent les résidents, on y meurt aussi parce que l’absence de lien, l’isolement et l’infantilisation font glisser les personnes âgées vers le désespoir et une dépression qui les éteint. Notre société ne fait guère cas de la qualité de vie de ses aîné.e.s et la gestion de la crise actuelle aura manqué de prendre en compte les conditions humaines permettant le maintien en bonne santé physique et mentale des personnes âgées. Parmi celles-ci, la nécessité d’écouter leur parole et leurs volontés, le maintien du lien avec leurs proches et la valorisation de leur capacité d’agir et d’influer sur l’environnement dans lequel ils se trouvent pour neutraliser les phénomènes de peur et de dépression.
Plus largement, considérant que le stress est connu comme facteur de comorbidité dans toutes les situations pathologiques où il a été étudié9, la gestion politique de cette crise aurait gagné à prendre bien mieux en compte les facteurs psychosociaux de notre résilience collective : nous protéger des annonces catastrophistes assénées à longueur de journée, éviter de générer une ambiance de terreur renforcée par des comportements de délation, intégrer la nécessité de rituels de deuil et d’accompagnement de fin de vie, considérer les difficultés particulières des catégories sociales les plus précaires10, renforcer les sentiments de solidarité et de justice, prévenir les problèmes de santé mentale inhérents à la situation…
Valoriser et confronter la diversité des pratiques de terrain
Sur le terrain, des citoyen.ne.s, des médecins et d’autres praticien.ne.s de la santé cherchent et expérimentent en intégrant davantage les dimensions préventives que les autorités de référence. Cette expérience de terrain devrait aussi être davantage intégrée dans les stratégies de gestion et de sortie de la crise du coronavirus. Je vous partage ici deux anecdotes d’actualité.
Une jeune fille présente des engelures aux mains qui font partie des symptômes associés au Covid-19. Consulté sur base de photos le médecin généraliste prescrit une crème aux corticoïdes. Heureusement, un pharmacien attentif déconseille le traitement. Les références scientifiques sont claires : les corticoïdes sont inutiles et même nuisibles en cas d’infection virale.
Une médecin généraliste partage sur une plateforme rassemblant plusieurs milliers de collègues son expérience positive de prescription de compléments en Zinc à ses patients présentant des symptômes associés au coronavirus. Le fait que la carence en zinc soit associée à une baisse de la réaction immunitaire est relativement étayé dans la littérature scientifique. Pourtant, ce partage suscite un tollé d’indignation accusant son auteur de charlatanisme.
La science n’est pas toujours du côté de l’habitude et les pratiques empiriques du terrain sont d’autant plus intéressantes à répertorier pour valoriser ou susciter les études cliniques.
Peut-on soutenir globalement nos défenses immunitaires ? La question est controversée au sein du corps médical et aucune solution simple ne peut répondre à la virulence, parfois surprenante, observée chez le Covi-19. Mais la réponse est positive pour certains spécialistes11 et de nombreux généralistes qui se préoccupent attentivement de l’état nutritionnel de leurs patients malades12. Les personnes âgées sont connues pour être fréquemment carencées en oligoéléments et en vitamines indispensables à une bonne marche de l’immunité et qui jouent un rôle important d’antioxydant permettant de contrôler les processus inflammatoires. Le zinc, par exemple, est un oligoélément qui semble fortement mobilisé par la réponse immunitaire 13 et sa carence rendra cette dernière insatisfaisante. Certains auteurs évoquent en outre des symptômes liés à la carence en zinc fort semblables à ceux de la covid-19 comme une perte de l’odorat et du goût, des diarrhées et des lésions des muqueuses. Alors, si s’assurer d’un état nutritionnel suffisant s’avérait hautement souhaitable pour faciliter la réponse immunitaire chez certaines personnes, n’est-il pas temps d’accorder un beaucoup plus grand intérêt à la qualité de l’alimentation proposée dans les institutions et aux ressources que peuvent constituer des compléments alimentaires comme le Zinc et la vitamine D ? Bricolage dérisoire non scientifique que ces gélules en temps de guerre, diront certains. Pourtant, un article de 2017 du British Medical Journal14, par exemple, conclut que la supplémentation en vitamine D réduit de près de moitié les infections aiguës des voies respiratoires et tout récemment, des chercheurs de l’université Northwestern nous apprennaient que les patients souffrant d’une carence en vitamine D ont deux fois plus de risque de développer une forme grave de Covid-19 que les autres.15
D’autres médecins – ou les mêmes parfois – sont particulièrement attentifs à l’équilibre de la flore intestinale, ces milliards de bactéries qui vivent en symbioses avec nous. Ce microbiote contrôle le système immunitaire dès la naissance et la qualité de nos défenses immunitaires va dépendre de la diversité et du nombre de bactéries différentes. Les personnes âgées ou obèses ont un déséquilibre dans le microbiote intestinal les exposant naturellement à un risque accru de tomber malade. Geneviève Héry-Arnaud, qui dirige le groupe Microbiota au sein de l’Inserm à Brest confirmait récemment dans le journal Monde ; « Le microbiote est un acteur important dans les infections pulmonaires, notamment virales, et on sait qu’il est capable de contrecarrer l’installation d’un virus ou d’une bactérie pathogène. »
Je ne me prononcerai pas sur la validité de ces différents traitements médicaux mais constate des pratiques de terrain, par des généralistes convaincus, loin d’être marginales mais peu référencées et enseignées, qui convergent avec certaines publications scientifiques.
Alors, si on admet que ni l’hypothétique vaccin, ni aucun médicament-miracle n’apporteront de réponse suffisante et durable face au covid-19, ne pourrait-on porter davantage d’attention aux soignants qui développent des pratiques préventives et font, par exemple, régulièrement usage de prescriptions de compléments alimentaires16 ? Pourquoi ne pas tester ces prescriptions préventivement vers des groupes ciblés particulièrement carencés ? Ou organiser l’évaluation de leur utilisation par les médecins qui y recourent, développer de larges études transdisciplinaires analysant l’efficacité singulière des pratiques thérapeutiques17 qui passent aujourd’hui sous les radars des recherches médicales, voire qui sont méprisées par le prisme de la culture scientifique dominante ? Il y a là matière à de nombreuses recherches cliniques, selon les meilleurs standards scientifiques, inspirées ou mobilisées à partir d’échanges ouverts sur la diversité des pratiques des médecins qui doivent être invités à partager leurs observations. Voilà une mission de développement de protocoles scientifiques participatifs et d’études que Sciensano devrait pouvoir réaliser avec les budgets nécessaires.
Nous n’éliminerons sans doute pas totalement le covid-19, ni, évidemment, l’ensemble des virus pathogènes. Nous avons besoin de solutions curatives diversifiées. Mais, complémentairement aux diverses recherches thérapeutiques en cours, l’objectif d’amélioration globale de notre santé ne devrait-il pas être au coeur de notre réponse collective à la pandémie, y compris de façon expérimentale ? C’est peut-être aussi la nécessité d’un changement de paradigme médical que la crise du coronavirus éclaire : passer de la posture guerrière, évoquée au début de ce texte à une approche plus systémique, fondée aussi sur les équilibres biologiques et les déterminants de la santé.
De la lutte à la réconciliation
L’émergence du Covid-19, après d’autres virus et avant d’autres certainement, est directement liée à la dégradation des espaces naturels et à la perte de la biodiversité, sauvage et dans les élevages industriels. Les scientifiques tiraient depuis plusieurs années le signal d’alarme, expliquant que la destruction de la nature, augmente considérablement les risques de zoonoses et de pandémies, sans qu’ils ne trouvent oreille attentive. On peut espérer que l’alerte soit cette fois entendue : la dégradation de l’environnement et la diminution des espaces naturels nuisent à la santé humaine ! Faire la guerre à la nature, c’est nous perdre nous-mêmes. Pour vivre bien, pour vivre mieux, au temps des coronavirus, nous n’avons d’autre solution que maintenir les équilibres complexes et fragiles du vivant dont nous faisons partie. Aucune barrière physique, aucun médicament miracle ne peut remplacer cette nécessité. La nature, n’est ni bonne, ni mauvaise. Nous en sommes partie et la prise de conscience de nos interdépendances est une source de progrès inestimable.
Cette crise a mis à l’épreuve notre système de santé et éclairer ses déficiences. Face à elle, nous n’étions pas égaux en termes de capacités de défense et de facteurs de risques. Alors, pour éviter dans le futur les effets délétères (en particuliers pour nos aînés et personnes fragiles) des mesures appliquées, nous devrons progresser dans notre capacité à repérer celles et ceux qui ont une immunité innée, à tester, dépister et cibler les plus à risques de perte de défense, etc. Mais cette crise sanitaire nous invite aussi à renforcer les politiques, les pratiques et les comportements globalement favorables à notre santé et donc à notre système immunitaire. Ceux-là sont susceptibles de nous aider à réaliser le plus efficacement possible l’équilibre complexe entre nous, humains, et l’infinie diversité des micro-organismes qui nous constituent et nous entourent. Pour reprendre la métaphore initiale de ce texte, la guerre n’est jamais vraiment terminée si les liens qui soudent une société et les relations avec les autres nations ne sont pas réinventés sur une base équilibrée…
Les valeurs de diversité et d’interdépendances complexes de l’écologie portent donc des solutions pour éviter d’autres pandémies autant que pour sortir plus forts de celle-ci… Alors, si à court terme, nous sommes obligés d’utiliser des armes défensives contre un agresseur extérieur, à long terme c’est bien la recherche globale de l’équilibre de l’être humain avec l’ensemble du vivant qui doit nous guider. « Apprendre à cohabiter avec le virus nécessite de réapprendre à vivre avec les risques, alors même que la modernité a tout fait pour chasser ce compagnonnage, à raison d’ailleurs. Il y a la vie, et il y a la valeur de la vie. », explique Cynthia Fleury. Nos sociétés modernes ont relevé ce défi. Il se repose sans cesse à nous, naviguant dans les incertitudes, et ce n’est ni plus ni moins qu’un projet de société…