Quel écologiste n’a pas, au cours des dernières années, été confronté à une « injonction » quand à se définir ? Quel écologiste n’a pas été pris dans une discussion où il devait se justifier par rapport à un terme, un concept ou une désignation qui faisait de lui un être politique catégorisé d’une telle manière, souvent péjorative faut-il d’ailleurs le reconnaître.
La force de l’écologie politique est que ce courant de pensées est précisément loin d’être une idéologie ou un dogme qui s’impose. La multitude des auteurs, des courants et des réflexions est un atout. C’est aussi une faiblesse au vu des regards suspicieux qui sont parfois jetés.
L’urgence climatique amène maintenant un nouveau regard sur l’engagement écologiste. À entendre chaque parti, chaque institution, chaque mouvement, chaque fédération, tout le monde serait devenu « écolo ». Brandissant un terme, un concept en étendard, chacun essaie de s’approprier la cause écologiste à son profit, pour des raisons parfois positives mais aussi simplement dans une logique opportuniste.
Les mots ont un sens. L’idée de ce texte est donc de se pencher sur certains d’entre eux et de se demander quelle forêt se cache derrière l’arbre qui nous est montré. Cette forêt, précisément, rejoint-elle les priorités défendues par l’écologie politique ? D’anticapitaliste à anarchiste en passant par écosocialiste et décroissant, l’objectif est d’interroger des termes parfois alléchants mais qui se révèlent parfois éloignés des priorités écologistes.
1. Anticapitalisme ou post-capitalisme?
Le premier terme à interroger est celui lié au capitalisme et à sa dénonciation. Les écologistes s’affirment comme étant résolument hostiles au système capitaliste, à la marche du monde qu’il impose et au sens de l’histoire qu’il donne. Maintenant, se définir comme anticapitaliste suppose aussi un certains nombre d’attributs souvent méconnus qu’il convient d’analyser.
Déjà, qu’est-ce-que le capitalisme ? Pour Cornelius Castoriadis, le capitalisme n’est pas seulement l’organisation économique d’une société marquée par un marché économique dérégulé et où la concurrence est libre. Le capitalisme ne se réduit pas non plus à la séparation entre possesseur des moyens de productions et travailleurs. Le capitalisme est plus profond et correspond à un projet de société spécifique, s’inscrivant dans une conception de l’organisation sociale, de l’homme, et de leurs buts et devoirs1. L’économique et le technologique deviennent les seules rationalités organisant le fonctionnement de la société, dans une vision quasi déterministe. Cette système techno-industriel s’impose sur le monde social vécu.
La nécessité de sortir rapidement du capitalisme ne fait aucun doute. La destruction en cours du milieu de vie par le privé et la marchandisation de masse, le tout largement soutenu par l’État, est largement imputable au système capitaliste et à sa recherche effrénée de profits.
Toutefois, il serait trop facile de considérer le capitalisme comme le seul bouc émissaire des dérèglements actuels. Le problème général est surtout lié à la manière dont nous extrayons, produisons et consommons les ressources de la planète. La logique en place depuis un peu plus de deux siècles est celle d’un système social, économique, politique et culturel ancré dans le productivisme. Ce productivisme s’est retrouvé dans d’autres systèmes économiques. Ainsi, l’économie des pays communistes n’a, à aucun moment, tenté de s’en éloigner malgré une approche anticapitaliste.
L’anticapitalisme reste aussi dans une dialectique, c’est-à-dire dans un dialogue entre deux interlocuteurs ayant des idées différentes et cherchant à se convaincre mutuellement. Cette lecture dialectique du capitalisme et de l’anticapitalisme est avant tout une attitude héritée du marxisme. Or, la pensée alternative ne se résume pas au choc de ces deux titans. L’opposition entre capitalisme et anticapitalisme enferme dans un monde où proposer d’autres pistes de sorties du capitalisme est perçu comme naïf ou illusoire. L’anticapitalisme reste, en outre, historiquement figé dans une lutte au sein de laquelle la récupération des moyens de production est considérée comme l’objectif à atteindre. Or, l’engagement écologique suppose un autre rapport à la fois à l’histoire et aux objectifs à atteindre. S’emparer des moyens de production sans changer le rapport à ce qui est produit ne résout pas le problème. Si la productivité et l’extractivisme reste dans la norme des coopératives à finalité sociale et solidaire, alors le changement est une illusion. Le but de la confrontation n’est donc pas seulement économique. Il est bien plus large et nécessite de transformer le rapport humain à la nature.
Si anti- et post- se retrouvent dans la critique du capitalisme, les projets proposés sont vraiment différents. Que propose l’anticapitalisme? Finalement un modèle dans lequel l’écologie politique ne se retrouve pas. De manière simple, l’anticapitalisme redonne de la force au tout à l’État et écrase la sphère autonome. De plus, le projet anticapitaliste se définit avant tout, et bien logiquement, par rapport au capitalisme. Or, c’est un combat à dépasser. C’est en ce sens que le post-capitalisme offre de nouvelles possibilités : nous avons besoin d’un nouvel imaginaire, qui sort du duel révolu opposant uniquement le marché et l’État.
2. Décroissance, croissance verte ou post-croissance?
Un autre débat qui agite la sphère écologiste est celui du rapport à la croissance. D’un outil de comptabilité publique mis en place au début des années 40, la croissance est devenue une promesse voire une religion autour de laquelle les politiques macroéconomiques s’organisent aujourd’hui2. La redistribution des « fruits de la croissance » reste un idéal à atteindre tandis que le « retour à la croissance » est une contrainte à réaliser.
Mais comme nous le remarquons, cet impératif de croissance détruit aujourd’hui à la fois notre qualité de vie et notre autonomie. Le « toujours plus » synonyme de progrès épuise les ressources et accroît la menace climatique. Tandis que la domination de la logique économique écrase toute alternative qui sortirait un tant soit peu de ce modèle devenu ultra-capitaliste. Enfin, en plus d’être une contrainte, la croissance est devenue une illusion, son déclin structurel se constatant à l’échelle de la planète3. Il est donc temps de passer à autre chose, une croissance même faible prolongeant un modèle devenu néfaste.
Quel projet cependant proposer ? S’il est évident que l’idée de la croissance verte n’est en rien une solution, la sortie de la croissance doit se réaliser autour d’un objectif clair et simple à appréhender. Le terme et ce qu’il sous-entend est donc important. Celui de décroissance apparaît comme le plus populaire, via l’image qu’il véhicule. Décroître apparaît comme la réponse la plus évidente face à un système extractiviste qui nous amène dans la situation catastrophique actuelle. Il faut produire moins, consommer moins.
Cependant, la décroissance, comme l’anticapitalisme, se définissent avant tout comme les contraires de ce qu’ils pointent comme cible. L’horizon peine à se définir, d’autant plus qu’il part à chaque fois d’un récit en négatif. Le projet ne doit pas être de décroître partout. S’il faut réduire la production des biens, il faut plus de soin de santé, plus d’éducation, plus de culture. Au-delà de la connotation négative que renvoie le terme de « décroissance », son usage laisse aussi de nombreuses questions ouvertes au regard des réalités vécues dans d’autres pays. Une décroissance n’amène pas nécessairement une société plus égalitaire et plus durable. Les exemples de la Grèce ou de sociétés subissant une décroissance mais restant dans un système productiviste le montrent. La question des pays en voie de développement misant sur une nouvelle forme d’industrialisation pour sortir de la précarité oblige aussi à poser le débat en-dehors d’un prisme européo-centré4.
Enfin, jusqu’où faut-il décroître ? Si le « toujours plus » de la croissance est une contrainte dont il faut se défaire, le risque n’est-il pas, en se basant sur ce même indicateur, en négatif, de s’enfermer dans la nouvelle contrainte du « toujours moins » ?
Sortir de la croissance revient donc à proposer un autre projet, qui se défait de toute comparaison avec l’ancien monde. Nous sommes donc, en fait, post-croissants. Le terme post-croissance désigne un au-delà, une ère dans laquelle nous entrons et que nous ne parvenons pas encore à définir précisément. La post-croissance, c’est un horizon sortant de la poursuite de la croissance économique comme projet de société. Au duel entre le plus et le moins, il s’agit de substituer un autre terme: mieux. L’enjeu est celui de bâtir nos sociétés sur de nouveaux indicateurs, sortant du capitalisme et de la comparaison de nos résultats par rapport à lui. Même si le terme et ce qu’il suppose restent importants, la décroissance n’ouvre pas un nouvel imaginaire social, sortant du comparatif avec la société de croissance. Celui de post-croissance permet de renvoyer dans le passé un instrument devenu source de notre aliénation.
3. Technophobie ou technophilie?
La technologie va-t-elle nous sauver ? Ou, au contraire, faut-il la bannir et s’engager contre la société industrielle pour sauver l’humanité ? Ces deux questions apparaissent comme simplistes. Elles sont pourtant présentes au sein des mouvements écologistes.
Le rapport à la technologie est intimement lié à la manière dont nous produisons et consommons les biens et services.
Face à l’urgence climatique, l’idée d’une sortie de crise via le développement technologique durable est soutenu dans l’espace public. Grâce à un soutien financier massif du public et privé, provenant essentiellement des pays riches, la technologie basée sur renouvelable et les solutions vertes seraient l’objectif à défendre. Non seulement, cette promotion de la technologie verte permettrait de lutter contre les effets des changements climatiques (par la captation du CO2 par exemple), mais par les investissements massifs, ces nouveaux outils technologiques deviendraient vite très rentables dans la production d’électricité.
Si cette optique semble pertinente, elle cache cependant nombre de problèmes. Le premier d’entre eux est l’effet rebond. Quel est-il ? Il s’agit du phénomène par lequel l’amélioration de la qualité technologique d’un bien a pour conséquence l’augmentation de sa consommation. En clair, si nous prenons le cas des panneaux photovoltaïques, l’amélioration et l’installation à prix de plus en plus bas de panneaux n’a pas comme conséquence une baisse de la consommation électrique comme initialement recherché. Les économies réalisées libèrent du pouvoir d’achat pour des dépenses d’une autre nature. L’électricité produite en trop est également réinjectée dans de nouveaux biens de consommation plutôt que dans le réseau collectif. Quand ce n’est pas une nouvelle course à la consommation qui amène une production importante de panneaux, avec une relance de l’extraction des ressources.
Quid, dès lors ? Faut-il se passer de toutes technologies ? Non, évidemment. La technologie n’est pas mauvaise pour la protection de l’environnement. Tout dépend, en fait, de quelle technologie on parle et ce que l’on en fait. Déjà, l’écologie est essentiellement politique, elle n’est pas « scientifique ». La science est incapable, en tant que science, de fixer ses propres limites ou ses finalités. Dire que la technologie, et elle seule, peut résoudre tous les problèmes est un simplisme. Cette approche traduit un analphabétisme élémentaire, un enfermement unidimensionnel et une amnésie historique. Réussir une transition énergétique nécessite de penser autrement. Bref de changer les règles du jeu5.
La recherche et l’innovation scientifique, technologique et sociale participeront bien sûr à la transition écologique mais si nous voulons que les malades continuent à être soignés, que les professeurs continuent à enseigner, que les magistrats continuent à garantir un état de droit ou que les artistes puissent encore jouer leur rôle essentiel, il faut protéger et déployer les conditions d’une économie durable et régénérative. Il faudra donc inventer ensemble un modèle économique en rupture avec le précédent, garantissant à tous, présents et à venir, une vie digne dans des écosystèmes préservés, un modèle d’autant plus fort qu’il obéira aux lois de l’écologie.
4. Ecoréalisme ou écologie ?
Face au discours ambiant, pessimiste, concernant l’urgence climatique, des contre-discours s’installent. Si le climato-septicisme reste important au sein des opposants au mouvement écologiste, celui des climato-rassureurs ou « écoréalistes » tend à monter en puissance6. Oui, une crise climatique serait présente. Mais, celle-ci ne serait pas aussi importante qu’affirmée. Des solutions existeraient. Les responsables seraient ailleurs. Il s’agirait, par conséquent, d’être « réaliste » par rapport à la situation et proposer des solutions censées et logiques.
Principalement portée par des partis de droite voire d’extrême-droite, cet écoréalisme cherche à rassurer et finalement à démobiliser des citoyens peu convaincus par l’ampleur de l’urgence climatique ou simplement conscientisés mais perdus face aux gestes à adopter. L’idée écoréaliste ne cherche en rien à proposer des situations alternatives. Le système techno-industriel actuel reste pertinent. La manière dont nous consommons n’a pas à être remis en question. La technologie, comme par exemple le nucléaire, sont des solutions d’avenir.
L’écolibéralisme repose largement sur la confiance dans les mécanismes de marché, aussi régulés soient-ils. Cette approche reste logiquement largement insuffisante et ne permet pas de repenser le modèle dans son ensemble. En proposant le concept d’écoréalisme, ces mouvements et partis cherchent simplement à noyer le poisson et éviter les vrais débats. Or, l’économie de marché, la dérégulation, le néolibéralisme sont autant d’aberrations, fonctionnant sur une perception d’un monde sans limites.
Le vrai écoréalisme est celui qui regarde avec lucidité la situation actuelle, en comprend les causes et propose un changement de société digne des défis à relever. La main invisible n’a jamais rien réglé. Il s’agit de sortir de ce système aliénant.
5. Écologie marxiste ou écologie politique ?
Face au néolibéralisme triomphant et à l’ampleur de ses dégâts sociaux, le projet marxiste revient en force. La lutte des classes est à nouveau un projet politique à défendre, caractérisé notamment par la désignation de la couche des plus riches comme responsable des maux vécus. Marx redevient une référence partagée par plusieurs groupes sociaux. La lutte contre les effets des changements climatiques est d’ailleurs désormais intégrée à l’engagement marxiste : « red is the new green ». Les principaux responsables de la déstabilisation sociale et environnementale du monde se trouvent dans les pays riches, au sein d’une classe possédant les moyens de production et ayant un mode de vie parmi les plus énergivores de la planète. L’enjeu social rejoint l’enjeu écologique. L’enjeu écologique, de son côté, ne peut être que social.
Alors certes, nombreuses sont les études ayant démontré la responsabilité des couches les plus élevées de la population dans les crises sociales et environnementales. Encore récemment, Oxfam, dans un graphique largement partagé, pointait la responsabilité des plus riches dans les émissions de gaz à effet de serre. L’action des 10% les plus riches pourrait donc réduire de 50% les émissions mondiales.
Maintenant, la désignation des seuls « riches » et « possédants » des dégâts environnementaux est un simplisme. Déjà, la désignation de 10 % de plus riches comme étant responsable de 50 % des émissions est réductrice. En effet, cette situation ne concerne que les émissions liée au style de vie et oublie de nombreuses autres émissions de CO2 particulièrement problématiques. Cette désignation des « plus riches » comme responsable des émissions permet de désigner un bouc-émissaire mais ne tient pas compte d’une réalité un peu dérangeante. Nombreux sont ainsi les fonds de pension, donc les travailleurs de la classe moyenne qui y épargnent qui, par leurs investissements, pèsent sur le devenir climatique de la planète7. On est donc loin du méchant bourgeois avec son cigare qui profite de sa rente.
Ensuite, cette attitude, qui collectivise les comportements d’un groupe dont les contours sont flous, enlève du poids aux efforts individuels pourtant nécessaires. Même si ces derniers ne changeront pas tout, la conscientisation du rôle et de la responsabilité des citoyens est primordiale pour impulser les politiques de changements. C’est l’action qui conscientise, et pas uniquement le discours. Si les citoyens changent, les politiques mèneront les changements nécessaires.
Enfin, et là se trouve le problème principal de la lecture marxiste de l’environnement, c’est que cette théorie politique entre en contradiction avec l’écologie politique. Ni Marx, ni aucun des penseurs socialistes importants n’ont mis au centre de leur considération le parallèle entre la préservation de la société et la préservation du milieu dont elle vit. Le mythe fondateur du socialisme est en quelque sorte le même que celui des libéraux : celui d’une transformation fonctionnelle de la Terre au bénéfice de l’humanité pour apporter l’émancipation collective. Même s’il constate les dégâts de l’industrialisation sur l’environnement, Marx n’est pas un proto-écologiste. Au XIXème siècle, l’écologie ça ne veut pas dire grand-chose. Marx est d’ailleurs très hostile aux mouvements paysans qui luttent contre les appropriations aussi bien par le privé que par le public. Il ne peut pas admettre qu’un mouvement de protection légitime des rapports à la terre est une composante du cahier des charges socialistes. Surtout, Marx écrit que l’exploitation de toutes les variétés du climat, de toutes les espèces de plantes, d’animaux, de sols, peut être une réussite pour l’homme et que la pellicule vivante qui entoure la planète sera complètement incorporée à un marché global sans limites. Il faut bien comprendre qu’il ne dit pas cela pour le déplorer ! C’est pour lui une simple question de tendance historique.
Le marxisme est, finalement, une théorie également productiviste. La lutte des classes ne peut aboutir que dans la société d’abondance. Pour faire simple, l’idée reste celle d’une redistribution des biens qui permet d’abolir les distinctions entre les classes. Pas de changer de mode de production ou de s’engager dans une société plus sobre.
La passion du productivisme a été portée, bien sûr, par les libéraux et les conservateurs… mais aussi par le marxisme qui a lui aussi été fasciné par le progrès technique et la production de masse. C’est cela qui nous amène aujourd’hui dans l’impasse. Libéraux et marxistes doivent être renvoyés dos à dos.
6. Écosocialisme ou écologie?
« L’écologie ne serait plus l’apanage des seuls partis verts » entend-on de divers endroits8. Cette idée est partagée dorénavant au sein de la social-démocratie, qui se promeut comme « écosocialiste9 ».
L’écosocialisme plaît à nombre de militants verts et rouges par le fait qu’il assurerait la fusion entre enjeux sociaux et écologique. Cet objectif est une nécessité, d’autant plus que l’actualité des Gilets jaunes met en évidence le fait de réconcilier fin du monde et fin du mois.
Maintenant, de quel écosocialisme parle-t-on ? Le principal problème de l’écosocialisme est son lien historique avec le marxisme, la lutte des classes, le rapport avec l’État et la défense des moyens de productions par les travailleurs. Comme nous l’avons vu plus haut, le marxisme, s’il représente encore un outil d’analyse puissant de rapports de force, est inopérant à cause de son rapport au productivisme.
L’écosocialisme reste profondément marqué par le rôle important que doit jouer l’État. Or, cette approche verticale oublie le rôle positif joué par les mouvements autonomes, se dégageant à la fois de l’État et du marché, et proposant un autre modèle d’échange. Cette prééminence de l’État favorise aussi l’essor d’un dirigisme économique, d’une planification rigide et étalée dans le temps alors que la souplesse et l’adaptation deviennent des éléments indispensables face aux contraintes de l’urgence climatique.
Finalement, au regard des partis sociaux-démocrates gestionnaires qui le prônent, l’écosocialisme est plus un terme de marketing politique qu’un réel courant porteurs d’innovations et de ruptures avec le modèle actuel. La social-démocratie, même verte, repose toujours sur l’idée de la croissance et de l’extractivisme. En outre, le poids de l’État reste constant dans l’organisation de la société, ce que les écologistes contestent au nom de l’essor de la sphère autonome. Le fétichisme de la collectivisation et du dirigisme n’amènent pas à la transition: les sociétés communistes étaient tout autant des régimes écocides que les régimes capitalistes.
Bref, l’écosocialisme essaie surtout de jouer sur la nostalgie, sur les affects et sur la volonté de restaurer une dernière fois un socialisme qui apparaît bien dépassé au regard des enjeux actuels.
7. Communalisme libertaire ou écologie ?
Si le tout au marché et le tout à l’État sont les responsables de la situation actuelle, alors se passer d’eux devient la seule issue à défendre. L’approche radicale est le nouvel horizon et l’éco-anarchisme le moyen d’y arriver.
Le constat est clair. Les dérives hiérarchiques, anti-égalitaires et autoritaires à la fois du marché et de l’État ont écrasé la capacité d’action des individus et des collectivités alternatives. D’autres espaces d’innovation et de transformation existent, permettant de passer à un nouveau système économique. Droit, mondialisation, etc. sont des blocages à dépasser. Il faut donc refonder la démocratie en créant de nouvelles formes d’auto-gouvernement et en organisant autrement les luttes. Les ZAD (zones à défendre) sont emblématiques de cet engagement ainsi que la lutte par « Nous sommes la nature qui se défend ».
Si l’éco-anarchisme ouvre une dimension radicale et pertinente du débat à la fois sur le rôle du marché et de l’État dans la dégradation environnementale actuelle et dans les solutions à trouver, il laisse toutefois beaucoup d’interrogations en place sur « le monde d’après ». La critique économique, sociale et politique porté par l’éco-anarchisme propose de nombreuses réflexions pertinentes. Le problème reste, cependant, dans la concrétisation des propositions, notamment du point de vue des institutions.
Le modèle communaliste est évidemment pertinent pour relancer la démocratie au niveau local et la participation directe des citoyens. Il n’est toutefois pas le meilleur pour prendre en compte les intérêts des générations futures et des espèces/espaces non représentés. La focalisation sur les enjeux locaux et présents, le risque de compétition, de concurrence et de récupération sont présents. Le clientélisme n’est pas loin, autour de la défense des seuls intérêts locaux ou de l’instrumentalisation, par un sous-groupe, d’un ensemble plus large. Sans compter sur le fait que la sortie du capitalisme et la mobilisation des moyens de transition demande l’activation de moyens colossaux que seul un État est en capacité de faire.
Si le tout à l’État et le tout au marché sont à combattre, le tout aux cellules autonomes est à pareillement critiquer. C’est plutôt dans la recherche d’un équilibre entre l’autonome, le privé et le public qu’une alternative peut se dégager. L’articulation entre ces trois sphères présente une nouvelle forme de société à encore approfondir et faire émerger. Cela suppose, néanmoins, de renverser la manière actuelle dont fonctionne l’État et le marché. L’État gestionnaire, au service de la sphère privée, n’a plus sa place. De même qu’un marché dominé par la recherche du profit à tout prix est un ennemi à combattre. C’est un engagement certes beaucoup plus ardu car nécessitant des mobilisations sur divers front. Mais c’est une réalisation qui permet d’inclure beaucoup plus d’acteurs de changements et de respecter la diversité des collectivités humaines, notamment des plus précaires dont beaucoup peinent à s’engager dans ce nouvel horizon.
8. …Finalement, que sont les écologistes ?
Si les écologistes ne sont pas écosocialistes, écomarxistes, anticapitalistes, anti-etc., alors, que sont-ils ?
Être écologiste, c’est d’abord simplement avoir le souci d’un milieu de vie des humains organisé autour de la qualité à la fois de la vie et de la civilisation. C’est un engagement qui pèse sur le ici et le maintenant mais aussi sur le temps long et sur des espaces multiples. Il est nécessaire de comprendre qu’autour des écologistes existent des communautés qui restent hermétiques aux propositions vertes et à leur vision du monde. Mais cette attitude ne leur enlève en rien le droit d’être toujours considéré dans la sphère humaine. Désigner des boucs-émissaires est toujours la forme d’action la plus facile. Mais cette approche ne montre pas la réalité du monde actuel. En outre, cette attitude force à toujours rechercher un responsable et donc à ne jamais connaître la paix.
L’écologie politique oblige donc à penser le conflit autrement. Il est nécessaire de reconnaître que la société humaine, et ce de tout temps, est marquée par une division entre des valeurs qui sont parfois irréductibles. Penser que la suppression de ces conflits est à la fois possible et est un bien revient à s’enfermer dans un système finalement totalitaire et artificiel.
Certes, l’urgence climatique devient une contrainte qui s’accroît de plus en plus en fonction du temps qui se réduit peu à peu. Mais perdre de vue que le fait que la démocratie (élargie) est indissociable de l’engagement environnemental ne peut qu’amener à la perdition.
L’écologie politique propose ainsi un élargissement maximal de la notion de justice, incluant tous les habitants de la planète ainsi que leurs générations futures. Une nécessité sera donc d’éviter le piège de la sacralité de l’idée de nature. L’écologie politique ne peut devenir un « écologisme », à savoir un dogme, une idéologie.
Pour conclure, tout ceci doit obliger les écologistes à se regarder dans le miroir et à s’interroger avant tout sur eux-mêmes et sur leur capacité d’être compris du plus grand nombre. Un point essentiel n’est pas seulement contre quoi luttent-ils mais pour quoi luttent-ils ? Si les écologistes passent encore du temps à se définir par rapport à ce qu’ils ne sont pas, c’est peut-être simplement parce qu’ils n’ont pas encore trouvé ce grand récit qui leur permet de dire, avec force et conviction, ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent. Ce grand récit reste encore à écrire et à mettre en route en considérant l’humanité comme un « Un ». Tout ces éléments se mettront en mouvement quand un sens collectif sera donné à ces engagements.
« C’est le sens, et non la rationalité qui compte dans l’organisation sociale10 ».
1« Castoriadis – L’imaginaire hétéronome du capitalisme », in Labyrinthes, 15 février 2013, [en ligne], https://labyrinthes.wordpress.com/2013/02/15/43/.
2Olivier de Schutter, « La cage et le labyrinthe : s’évader de la religion de la croissance », in Vers une société post-croissance. Intégrer les défis écologiques, économiques et sociaux, Isabelle Cassiers et alii (dir.), La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2017, p. 181.
3Kim Fredericq Evangelista, Le déclin structurel de la croissance, Etopia, 2018, [en ligne], https://etopia.be/le-declin-structurel-de-la-croissance/.
4Collectif, Quêtes d’industrialisation au Sud, Alternatives Sud, XXVI – 2019, n°2, Louvain-la-Neuve, Cetri, Syllepses, 2019.
5Patrick Dupriez, Luc de Brabandere, « À quand un prix Nobel d’écologie ? », in Le Vif, 4 mai 2019, [en ligne], https://www.levif.be/actualite/environnement/a-quand-un-prix-nobel-d-ecologie/article-opinion-1132191.html.
6Luc Barbé, La N-VA et le Vlaams Belang, ces “climato-rassureurs”, Etopia, juin 2019, [en ligne], https://etopia.be/la-victoire-electorale-de-la-n-va-et-du-vlaams-belang-ces-climato-rassureurs/
7« Ces fonds de pensions qui “ignorent complètement le risque climatique” », in Siences et Avenir, 5 mai 2016, [en ligne], https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/developpement-durable/ces-fonds-de-pensions-qui-ignorent-completement-le-risque-climatique_18444.
8Jurek Kuczkiewicz, « Nominations européennes: les quatre leçons à retenir », in Le Soir, 2 juillet 2019, [en ligne], https://plus.lesoir.be/234334/article/2019-07-02/nominations-europeennes-les-quatre-lecons-retenir.
9David Coppi , Maxime Biermé, « Elio Di Rupo tourne la page du socialisme «productiviste» », in Le Soir, 24 février 2019, [en ligne], https://plus.lesoir.be/208702/article/2019-02-24/elio-di-rupo-tourne-la-page-du-socialisme-productiviste.
10Harrison C. White, Identité et contrôle. Une théorie de l’émergence des formations sociales, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011, p. 195.