I. Le Brexit

Le référendum organisé le 23 juin 2016, qui aura vu une légère majorité de citoyens britanniques (51,9%) voter pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, aura profondément malmené à la fois le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Alors que la sortie de Londres devait se réaliser le 29 mars 2019, le report du retrait aura rythmé l’actualité tout au long de l’année. Si le Parlement britannique parvient à ratifier un accord en-déans le 31 octobre, ce retrait sera enfin formalisé, ouvrant une période de transition allant jusqu’au 1er janvier 2021. En revanche, si l’accord de retrait n’est toujours pas ratifié le 31 octobre 2019, alors le scénario du « No Deal » s’appliquera à compter du 1er novembre 2019. Aucune période de transition ne sera mise sur pied et le droit de l’Union européenne cessera de s’appliquer au Royaume-Uni dès le 1er novembre 2019. Au-delà du chaos politique, l’instabilité économique semble poindre. Les relations commerciales se dérouleront alors sur la base des règles générales de l’OMC. Comment ces scénarios impacteront-ils la Belgique ?

II. Les impacts économiques du Brexit

Un premier élément est à mettre en avant. L’intensification du caractère incertain de l’environnement économique futur rend plus compliquée la prise de décision en matière de consommation, d’emploi ou d’investissements. Cette situation peut susciter un comportement d’attentisme et de prudence de la part des ménages et des entreprises et donc provoquer un ralentissement de l’activité économique. La possibilité pas si utopique de réorganisations et délocalisations des entreprises britanniques conduirait à une réorientation plus ou moins profonde de la nature et de l’intensité des relations avec les autres économies européennes. Dans ce contexte, les entreprises seraient amenées à reconsidérer leur mode d’organisation ou de financement. La livre sterling serait particulièrement impactée par rapport à l’euro. Cet affaiblissement est déjà une réalité. En effet, depuis 2016, l’euro a gagné près de 22 % par rapport à la livre. La dépréciation de la livre sterling a eu un effet à la hausse sur l’inflation, dont les conséquences pèsent sur le pouvoir d’achat des ménages britanniques ainsi que sur les importations du Royaume-Uni (et donc les exportations belges). Outre ces éléments fiscaux, le choix de réglementations et normes douanières différentes de celles existant au niveau européen risquerait d’engendrer des coûts supplémentaires pour les entreprises. Ces situations ne seraient pas sans répercussions sur la rentabilité et compétitivité de ces entreprises. De nombreux accords d’équivalence, en place dans le cadre de l’Union, prendraient fin du jour au lendemain, notamment sur le flux de données transfrontalières, pénalisant fortement les firmes britanniques et européennes. Le passage physique de la frontière deviendrait chaotique en raison de la mise en place de contrôles, avec un poids symbolique qu’il serait nécessaire de ne pas négliger.

Logiquement, ce retour d’une frontière dure toucherait la mobilité des personnes. Le Brexit sans accord devrait entraîner une augmentation des formalités administratives pouvant entraver la mobilité des personnes ainsi que des travailleurs (lois sur les contrats de travail, sécurité sociale et régime de retraite, permis de travail, conflits juridiques, détachement des travailleurs) et des étudiants (fin des frais de scolarité à tarif préférentiel pour les étudiants du programme Erasmus). La seule catégorie de la population qui resterait peu touchée par ces contraintes sur la mobilité sont les résidents européens au Royaume-Uni : en effet, le gouvernement du Royaume-Uni a adopté différentes mesures les autorisant à postuler jusqu’au 31 décembre 2020 pour un “Settled Status”. Créé à leur intention, ce statut leur accordera un permis de résidence permanent, sous certaines conditions. En octobre 2019, ce serait plus de 1,3 millions de personnes qui auraient agi en ce sens, parmi lesquels 10.700 Belges.

Inévitablement, la mobilité des marchandises serait tout autant touchée. Selon un document gouvernemental britannique nommé « Yellowhammer », qui recense les “hypothèses de planification des pires scénarios envisageables” en cas de « No deal », les conséquences d’un Brexit dur pour le Royaume-Uni pourraient être désastreuses. Le rapport pointe notamment le fait que l’Union Européenne imposera des contrôles obligatoires sur les biens dès le lendemain de la sortie sans accord. Le flux de marchandises passant par la Manche pourrait, en conséquence, être réduit de 40 % à 60 %, les poids lourds non préparés s’entassant dans les ports et bloquant les flux. Des retards de « deux jours et demi avant de pouvoir traverser la frontière » pourraient être enregistrés et ce durant un délai de 6 mois à 1 an avant d’espérer un retour à la normale. Le port de Douvres, principale porte d’entrée des marchandises provenant du sol continental, a notamment calculé que si le temps d’attente doublait (passant de 2 à 3 minutes à environ 6 minutes) pour les camions en raison des nouveaux contrôles douaniers, une file de 180 kilomètres de camions ne serait pas à exclure.Ces éléments liés à la mobilité des biens et des personnes ne sont cependant pas les seuls devant être pris en compte. Le Brexit dur pourrait également avoir des impacts en termes écologiques. De la qualité de l’air à la gestion des déchets, 80% des règles environnementales britanniques viennent aujourd’hui de l’UE. Les craintes existent ainsi que le gouvernement britannique ne se préoccupe guère des répercussions environnementales d’une sortie du bloc européen, que ce soit par manque de temps, accaparé par les problèmes économiques, que par manque d’intérêt politique. En cas de Brexit sans accord, le Royaume-Uni perdrait notamment les règles européennes sur la dangerosité des produits chimiques ainsi que celles de prévention de la pollution marine. Enfin, le pays étant l’un des plus gros exportateurs de déchets dans l’UE, l’absence d’accord pourrait également entraîner la constitution de piles d’ordures, enterrées rapidement ou brûlées dans des incinérateurs.

III. Les liens économiques entre la Belgique et le Royaume-Uni

Quel serait l’impact d’un tel scénario sur l’économie de la Belgique et de ses régions ?

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que le Royaume-Uni est le 4ème plus gros importateur de produits belges derrière l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Dans l’autre sens, le pays accueille près de 9% des exportations belges. Cinquième fournisseur de la Belgique, le Royaume-Uni est un partenaire commercial important.

Maintenant les approches sont différentes selon les régions. Sur la période 2014-2016, en moyenne, la Wallonie a exporté pour 2,5 milliards d’€ de marchandises par an vers le Royaume-Uni, ce qui représente 6% de ses exportations de marchandises. Pour la Flandre, le marché britannique a plutôt représenté une part proche de 8% du total de ses exportations de marchandises sur la période d’intérêt. A noter que, pour la Wallonie, les exportations du secteur pharmaceutique (500 millions) représentent à elles-seules près de 20% des exportations de la Région vers le Royaume-Uni. Environ 2% de la valeur ajoutée belge est créé par la demande britannique (demande intérieure et réexportation de produits transformés), principalement dans les secteurs de la chimie et les activités des services aux entreprises. La valeur ajoutée wallonne dépend à hauteur de 1,1 milliard d’euros des exportations régionales vers le Royaume-Uni (1,6%). Ce montant s’élève à 5,4 milliards d’euros en Flandre soit 2,5% du total de la valeur ajoutée flamande pour 600 millions à Bruxelles (0,9%). En terme d’emplois domestiques, les exportations de la Wallonie vers le Royaume-Uni génèrent un peu moins de 20.000 postes de travail dans la région, 72.000 en Flandre et 6.000 à Bruxelles. Près de 100.000 emplois en Belgique dépendent donc du commerce avec le Royaume-Uni.

IV. Les conséquences économiques d’un hard Brexit sur la Belgique et ses Régions

En cas de Brexit dur, comment la croissance belge serait affectée ? D’après la Banque nationale de Belgique, à long terme, un « hard Brexit » amputerait le PIB belge d’une fourchette allant de 0,5 % pour un scénario optimiste à 2,3% du PIB dans le pire des cas. Pour bien mesure l’ampleur de l’impact, un comparatif est utile avec la crise financière de 2008. Celle-ci s’était matérialisée, pour la Belgique, par un recul du PIB de 2,6 % en 2009. Dans le scénario d’une sortie sans accord, la Belgique pourrait perdre plus de 28.000 emplois. ILa Flandre serait relativement plus impactée que les deux autres régions. Au total, cette dernière perdrait 0,7% de sa valeur ajoutée et accuserait un recul de 0,8% de l’emploi, soit un peu plus de 20.000 postes de travail. La Wallonie de son côté accuserait, en termes relatifs, des pertes à peu près moitié moindres que la Flandre, à hauteur de 0,4% tant de sa valeur ajoutée que de son niveau d’emploi (soit l’équivalent d’un peu plus de 5.000 postes perdus). Les secteurs pharmaceutiques, des produits frais (fruits et légumes) ou encore celui du textile seront parmi les plus touchés. Bruxelles verrait sa valeur ajoutée diminuer 0,3 % et pourrait perdre 1.700 emplois.

Il est cependant important de noter que cette analyse relative à l’emploi ne prend pas en compte les exportations de services, par manque d’information statistique sur la destination de ces exportations au niveau régional. D’autre part, force est de constater qu’une baisse de la demande britannique impacterait également bon nombre d‘autres pays européens, partenaires commerciaux essentiels de la Belgique. Une autre estimation, réalisée par une équipe de la KU Leuven et qui prend en compte ces facteurs, indique que la Belgique pourrait perdre jusque 43.000 emplois en cas de Brexit dur. Sur un autre sujet, à savoir celui des droits de douane dont les entreprises devraient s’acquitter, la BNB a estimé que les entreprises ayant des clients au Royaume-Uni devraient se départir d’un montant de 1,6 milliard d’euros.

Autre impact financier pour la Belgique, quelque peu sous-estimé. En cas de départ précipité du Royaume-Uni de l’UE, la Belgique se retrouverait avec une quote-part de plus de 500 millions d’euros de plus à verser par an au budget commun, selon l’économiste de l’université de Gand (Ugent) Herman Matthijs. Cette possibilité est néanmoins nuancée par plusieurs spécialistes, le Royaume-Uni semblant être prêt à s’acquitter de ses obligations financières envers l’Union européenne après sa sortie. Le pays contribuera notamment au budget européen jusqu’à la fin du programme 2014-2020 (et continuera d’ailleurs, en retour, à bénéficier des fonds et subventions européennes). Il continuera également à verser sa part au Fonds européen de développement, ainsi qu’à la Facilité pour les réfugiés en Turquie. Il assumera, enfin, ses responsabilités financières envers la Banque européenne d’investissement jusqu’en 2030. En revanche, la Banque centrale européenne remboursera à la Banque d’Angleterre le capital versé.

Il reste qu’une sortie sans accord obligera la Belgique à remettre sur pied un service des douanes afin de faire face au retour de la frontière. Selon Kristian Vanderwaeren, administrateur général des douanes, environ cent douaniers doivent encore être recrutés afin d’absorber la charge de travail supplémentaire. Les contrôles devront notamment être effectués sur les bagages des personnes qui sortiront de l’Eurostar à Bruxelles-Midi. Une attention particulière est aussi portée au port de Zeebruge, parmi les plus concernés. Ainsi, 46% du trafic à Zeebrugge a pour origine ou destination la Grande-Bretagne, assurant ainsi 5.000 emplois (essentiellement du textile, de l’alimentaire et des voitures). La douane belge estime sur la base d’un modèle théorique que, suite au Brexit, le nombre de déclarations d’importation augmentera de 14% et le nombre de déclarations d’exportation de 47%.

V. Dispositifs mis en place par le fédéral et les Régions

Face à ces divers scénarios, le fédéral et les régions ont mis en place divers dispositifs pour permettre au pays de gérer le potentiel choc. En juin 2016, le gouvernement fédéral a ainsi lancé le « Brexit High Level Group ». Celui-ci, soutenu par le service des études de la Banque Nationale, le SPF Economie et en collaboration avec les fédérations patronales, a publié deux rapports comprenant 50 recommandations politiques. Ces recommandations visent à minimiser les changements juridiques, à renforcer la sécurité des entreprises, à renforcer les services de contrôle frontalier et à profiter de l’opportunité du Brexit pour attirer des investissements étrangers. Si le gouvernement fédéral a bien annoncé le recrutement de 100 douaniers supplémentaires, il n’est toutefois pas évident de suivre la mise en œuvre des autres recommandations.

De son côté, fin 2018, le SPF Économie a mis en ligne le « Brexit impact scan » afin d’aider les entreprises à évaluer l’impact du Brexit sur leurs activités. Le gouvernement belge a également évoqué un recours au Fonds européen d’ajustement à la mondialisation pour faire face au Brexit, soit un fonds d’urgence disponible pour aider les personnes ayant perdu leur emploi, par exemple lorsqu’une grande entreprise ferme ou que la production est délocalisée. Difficile cependant, à ce stade, de voir en quoi la situation post-Brexit pourrait être éligible à l’aide de ce fonds, dont la capacité totale est plafonnée à 150 millions d’euros. Le gouvernement belge a également créé un groupe de travail comprenant les représentants des douanes, de l’Agence pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca), de la BNB et de l’Agence des médicaments pour faire le point sur les préparatifs du « No Deal ».

Du côté des régions, il semble que la Région wallonne n’ait pas mis en place de mesures particulières pour faire face au Brexit ou pour attirer les entreprises privées qui sont parfois contraintes de rester implantées dans l’union douanière pour poursuivre leurs activités, surtout si elles sont fort réglementées par l’Union européenne. L’Awex indique ne pas avoir de politique délibérée ou de promotion ciblée insistant sur le fait qu’il « est malsain de profiter d’une situation qui est difficile pour tout le monde » mais qu’il existe « des démarches individuelles spécifiques vers certaines entreprises » (notamment les data centers). Bruxelles, elle, a tenté d’attirer sur son sol l’Agence européenne des médicaments (EMA), qui se basera finalement à Amsterdam. Au-delà de cet échec, la région verra pourtant plusieurs entreprises s’installer sur son sol. Le consultant EY (Ernst&Young) et l’assureur Lloyd’s, ont ainsi décidé de rejoindre la capitale européenne. Mais, jusqu’ici, il n’y a pas foule pour ouvrir une filiale à Bruxelles ou s’y délocaliser contrairement à Amsterdam, Luxembourg, Paris, Dublin et Francfort qui ont créé de véritables task force dans ce but. Outre le fait que Bruxelles semble moins attirer, il est nécessaire de reconnaître qu’il n’y a eu aucune réelle concertation ou coordination au niveau national pour développer une stratégie pour attirer les entreprises en partance du Royaume-Uni.

VI. Principales sources

Analyse de la BNB :
https://www.nbb.be/fr/articles/survey-long-term-impact-brexit-uk-and-eu27-economies
Analyse de l’IWEPS :
https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2018/09/WP26-final-3.pdf
Rapport du Brexit High Level Group Belge – “Towards a Belgian Economic Brexit Strategy”
https://economie.fgov.be/fr/publicaties/rapport-du-brexit-high-level

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