Le résultat électoral du Vlaams Belang est la grande surprise des élections du 26 mai en Flandre. Que la N-VA soit restée le premier parti en Flandre n’a surpris personne, mais que le Vlaams Belang devienne le deuxième parti en Flandre avec un score de presque 20%, ça, personne ne l’avait vu venir. Après la cinglante défaite du parti en 2014, c’était le grand retour. Comment comprendre une telle victoire de ce parti d’extrême droite ? D’où viennent ses électeurs ? Quelles sont leurs motivations ? Nous n’avons pour l’instant pas encore d’étude scientifique sur les transferts de voix entre les partis et les motivations des électeurs, mais sur base d’une première étude universitaire, d’un sondage et d’une analyse des chiffres, on peut déjà tirer quelques conclusions intéressantes.

(cc) Thomas Rodenbücher

Les résultats des élections du 26 mai 2019
Regardons premièrement les chiffres. Pour la Chambre des Représentants, le VB est passé de 5.8% en 2014 à 18.6%, une augmentation de 12.8%. Son nombre de sièges à la Chambre a augmenté de 3 à 18. Au Parlement flamand, il est passé de 5.9% à 18.5%, une augmentation de 12.6%. Le parti avait obtenu six sièges en 2014, il en a dorénavant 23. Au Parlement européen, le VB est passé de 6.8% à 19.08%, une augmentation de 12.28%, passant de un à trois sièges. Au Parlement bruxellois, le VB est monté plus modestement : de 5.6% à 8.34%, gardant son unique siège.
Au Parlement flamand, la N-VA et le VB ont ensemble 58 sièges sur 124. Avec cinq sièges en plus, ils auraient la majorité. Dans un quart des communes flamandes, la N-VA et le VB ont à eux deux une majorité des voix (76 sur 300 communes). Le cordon sanitaire – j’y reviendrai à la fin de cet article – existe toujours, mais ce chiffre montre bien que, au cas où le cordon se rompait, on pourrait avoir en Flandre après les élections communales de 2024 plusieurs dizaines de majorités avec le VB.
Sans donner tous les résultats des autres formations politiques flamandes, je pointe ici quelques chiffres qui montrent bien les mauvais résultats des trois partis traditionnels. Le CD&V, l’Open VLD et le sp.a avaient ensemble lors des élections fédérales de 2003 presque 70%. Lors des élections du 26 mai, ils n’avaient plus ensemble que 38.5%. Les trois familles politiques traditionnelles, néerlandophones et francophones confondues, n’ont à la Chambre que 72 sur 150 sièges.
Lors des élections du 26 mai, les partis traditionnels, en Flandre comme dans le reste du pays, ont donc perdu beaucoup d’électeurs. La N-VA a perdu autour de 20% de ses électeurs, mais reste clairement le premier parti en Flandre. Le VB est sorti des élections comme grand gagnant, Groen et le PTB ont fait quelques progrès (avec à la Chambre respectivement une hausse de 8.6% à 9.8% et de 2.8% à 5.6%).

Les transferts des voix entre partis politiques
D’où viennent ces nouveaux électeurs du VB ? Spontanément, on dirait de la N-VA. Mais ce parti a perdu 6.9 % et le VB en a gagné 12.8% (chiffres pour la Chambre). En plus, on ne peut évidemment pas dire que tous les électeurs qui ont quitté la N-VA ont voté pour le VB. Les flux d’électeurs entre partis politiques sont souvent assez complexes.

Le bureau IVOX a fait entre le 26 et 28 mai un sondage (online) auprès de 8452 Flamands, commandé par Het Laatste Nieuws et VTM (marge d’erreur de 0.81%) 1.1 D’où viennent les électeurs du VB selon ce sondage :
⁃ 31% des électeurs qui ont choisi cette fois le VB avaient voté en 2014 pour la N-VA ;
⁃ 25% des électeurs avaient voté pour le VB en 2014 ;
⁃ 9% des électeurs n’avait pas encore le droit de vote en 2014 ;
⁃ 7% avait voté CD&V, 6% Open VLD, 4% sp.a, 1% Groen et autant pour le PTB.
Si on regarde les pertes des autres partis politiques, on a les chiffres suivants :
⁃ La N-VA a perdu 21% de son électorat de 2014 au profit du VB.
⁃ Le CD&V a perdu 8% de son électorat au profit du VB, 8% à la N-VA et 6% à l’Open VLD.
⁃ L’Open VLD a perdu 14% de son électorat au bénéfice de la N-VA et 9% au VB.
⁃ Le VB n’a perdu que 4% de son électorat de 2014 au profit de la N-VA.
Ces chiffres donnent des informations intéressantes :
⁃ les nouveaux électeurs du VB viennent surtout de la N-VA, puis du CD&V et de l’Open VLD. Le transfert des voix du sp.a vers le VB est très faible et les transferts des voix de Groen et du PTB vers le VB sont minimes.
⁃ Le CD&V et l’Open VLD ont perdu des électeurs partis à la N-VA.
⁃ Le VB n’a perdu que très peu d’électeurs au profit de la N-VA.
Je vous rappelle que ces chiffres font partie d’un sondage online, une méthode moins fiable qu’une méthode basée sur des interviews.  Nous verrons plus tard si ces chiffres sont confirmés par des études scientifiques.

Positionnement des partis politiques et motivation des électeurs
Nous disposons à ce stade-ci d’une première note sur base de l’étude RepResent, un consortium composé de politologues de cinq universités belges 2. Cette étude regarde notamment comment les principaux partis se positionnent les uns par rapport aux autres en termes de contenu, ceci selon deux axes : l’axe gauche-droite socio-économique et l’axe gauche-droite socio-culturel 3. La Figure 1 ci-dessous présente les résultats de cette analyse.

Montrer la position des partis dans le paysage politique belge

Figure1: Position des partis dans le paysage politique belge (source: consortium EOS RepResent -UCLouvain, ULB, UA, VUB, KULeuven)

 

En comparant le VB et la N-VA, nous constatons :
⁃ que les deux partis sont assez proches l’un de l’autre sur l’axe socio-culturel ;
⁃ que le VB est plus à gauche sur l’axe socio-économique. Ceci ne peut pas nous étonner, vu le fait que le parti a modifié les dernières années ses positions et a délibérément opté pour un programme électorale socio-économique qui contient quelques propositions de gauche importantes (retour de l’âge de la pension à 65 ans, augmentation de la pension à 1500 euros minimum, réduction de la TVA sur l’électricité et le gaz à 6%, facture maximum dans les maisons de repos etc.).

L’étude donne également les thèmes de politiques publiques importants pour les électeurs (voir tableau 2).A part le fait qu’il y a des écarts importants entre Wallons et Flamands, il est clair que l’immigration était le thème le plus important en Flandre (pour plus d’un électeur flamand sur trois). Le fait que la N-VA a quitté le gouvernement fédéral à la suite de la crise politique sur le Pacte mondial sur les migrations a confirmé toute l’importance de ce thème, dont la N-VA a parlé pendant toute la législature. Pendant la campagne électorale, les journalistes flamands étaient d’accord entre eux pour estimer qu’il n’y avait pas de thème dominant la campagne. C’était vrai pour ce qui concerne les médias, mais pour une partie importante des Flamands, c’était bien le thème de la migration qui était le plus important. Je signale que l’étude montre que l’immigration n’était que le 5ème thème pour les Wallons.
L’étude montre aussi toute l’importance pour les électeurs flamands des thèmes “sécurité sociale” et “fiscalité.” La question est de savoir pourquoi ce thème était tellement important pour ces électeurs. Parce qu’il faut renforcer la sécurité sociale ou parce que des gens ont peur de ne plus avoir une pension convenable ? Parce qu’ils estiment payer trop de taxes ou parce qu’ils estiment qu’il y a une injustice fiscale inadmissible ? Espérons que le consortium universitaire nous en dira davantage dans une deuxième publication.

Figure 2: Différences d’importance relative accordée aux thèmes de politique publique par les électeurs flamands et wallons (source: consortium EOS RepResent -UCLouvain, ULB, UA, VUB, KULeuven)


La colère des pauvres

Le journal “De Standaard” a fait sa propre analyse des résultats des élections 4. Il a comparé les résultats de différents partis avec une série de chiffres objectifs (comme le revenu moyen par commune) et subjectifs (dans quelle mesure les habitants d’une commune ont-ils confiance dans les pouvoirs publics ?) 5. Voici quelques conclusions concernant le VB :
⁃ le VB a de meilleurs résultats dans les communes pauvres que dans les communes riches et la N-VA a de meilleurs résultats dans les communes riches que dans les communes pauvres. Dans les 20% de communes flamandes les plus riches, la N-VA a perdu 3% de son électorat. Dans les 20% de communes flamandes les plus pauvres, la N-VA a perdu presque 10% de son électorat.
⁃ Le VB a de meilleurs résultats à la campagne, alors que la N-VA a de meilleurs résultats dans les villes.
⁃ La N-VA a de bons scores dans les communes où les habitants ont beaucoup de confiance dans les pouvoirs publics, les services de police et la presse. C’est l’inverse chez l’électorat du VB.
⁃ Le VB a de meilleurs résultats dans des communes avec peu d’immigrés.
⁃ Les résultats du VB dans des communes avec un taux de criminalité plus élevé sont les mêmes que le résultat moyen du parti en Flandre.

Analyse & réflexions
Est-ce que les électeurs du VB ont voté pour ce parti parce qu’ils veulent l’indépendance de la Flandre ? Probablement pas, ou seulement une petite partie. La réforme de l’Etat n’était que le 9ème thème des électeurs flamands dans cette campagne et depuis des décennies, des études montrent que maximum 10% des Flamands sont en faveur de l’indépendance 6. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler brièvement les résultats d’une étude du CRISP de 2011 sur l’électorat de la N-VA aux élections fédérales du 13 juin 2010 7:
⁃ 9.59 % des électeurs de la N-VA souhaitaient que l’Etat belge unitaire soit rétabli et 4.10% que l’Etat fédéral belge ait davantage de compétences.
⁃ 6.03 % étaient pour le statu quo.
⁃ 63.44% souhaitaient davantage des compétences pour les entités fédérées.
⁃ Seulement 16.84% souhaitaient la scission de la Belgique.
Le succès électoral du VB me semble lié à une série de facteurs, d’une part au contexte politique et socio-économique et à la manière dont le VB a saisi certaines opportunités dans ce contexte, d’autre part au fait que le parti a adapté son programme politique et son style, ceci dans le cadre d’une stratégie de normalisation.
Regardons premièrement quelques éléments importants du contexte :
⁃ La politique socio-économique du gouvernement fédéral et du gouvernement flamand a été perçue par une partie de la population, comme par certains journalistes, observateurs et acteurs de la société civile, comme une politique de droite, plus favorable aux riches qu’aux pauvres. Le VB aurait, selon l’analyse du Standaard, eu davantage de succès dans des communes plus pauvres. La N-VA a-t-elle perdu des électeurs car elle passait trop comme un parti qui regardait surtout les intérêts des classes moyennes (supérieures) ? 8
⁃ Comme la N-VA était montée en 2014 au gouvernement fédéral, elle est devenue pour certains électeurs un parti traditionnel (nominations politiques, jeux politiques entre partis de la majorité…), ternissant l’image du “parti qui parle au nom du peuple flamand” et qui ne fait pas partie du landerneau politique. Certains électeurs ne semblent pas avoir apprécié cette « trahison ». Ils ont voulu voter contre l’establishment politique.
⁃ Certains médias flamands ont, surtout les six derniers mois, consciemment traité le VB comme les autres partis. Pour donner un exemple : deux jours avant les élections, la VRT a organisé un débat sur l’immigration entre Tom Van Grieken, le président du VB, et Theo Francken, un débat lors duquel Van Grieken a pu bien se profiler vis-à-vis de son public cible.
⁃ Les thématiques de migration et la politique d’asile ont été très importantes les dernières années, d’une part parce qu’il y avait des grands enjeux internationaux comme la guerre en Syrie et la situation en Afrique, d’autre part parce que Theo Francken et la N-VA en ont fait une des grandes priorités de la politique gouvernementale et qu’un discours très ferme a été utilisé. En plus, la N-VA a fait des liens avec d’autres dossiers, comme le terrorisme, la défense de nos frontières et l’islam. La question est de savoir si cette politique et ce discours, parfois flirtant avec un discours d’extrême droite, n’a pas créé une belle opportunité pour le VB. Autrement dit, la N-VA aurait inquiété pendant des années les gens, mais ne serait pas venue avec des solutions rassurantes, ce qui les aurait motivés de à voter pour le VB, un parti plus ferme en la matière. La crise gouvernementale sur le Pacte sur les migrations fin décembre 2018 n’a fait que confirmer toute l’importance de ce thème. Lors d’un débat avec Tom Van Grieken, Theo Francken lui-même a d’ailleurs explicitement reconnu l’importance du programme du VB ; « Je lis vos textes et votre programme électoral et j’essaie de m’inspirer de votre programme. » 9 Léonie De Jonge, une académicienne et experte sur le populisme et la droite, estime que la ligne politique de la N-VA des dernières années a créé une belle opportunité pour le VB pour se relancer. 10
⁃ N’oublions pas le sentiment de “déclin” chez une partie des flamands. Il y a dans la presse flamande depuis des années des informations inquiétantes sur les énormes difficultés à payer les pensions dans l’avenir. Depuis un an, rapport après rapport, se confirme la diminution de la qualité de l’enseignement. Il y a les dernières années des économies dans les services publics, surtout à la campagne. Un autre thème est la délocalisation d’emplois vers l’Europe de l’Est et la Chine. La digitalisation et la robotisation sont perçues par certains comme une menace pour l’emploi. Dans beaucoup de communes flamandes, il y a des pages Facebook sur le passé de la commune où des gens mettent des photos « du bon vieux temps » et des commentaires pleins de mélancolie sur le passé. Nous savons bien que ce « bon vieux temps » n’était pas du tout si bon que présenté mais pour ces gens, c’est bien le cas. Ce bon vieux temps est en train de disparaître, sans qu’on sache faire quelque chose, sans que nous l’ayons décidé, et ce qui vient à la place n’a rien de bon, estiment-ils. La capacité de ces gens de se projeter dans un avenir et de coconstruire un autre avenir est proche de zéro. Il n’y a que la maigre consolation de partager entre eux des sentiments de mal-être et de temps en temps s’indigner de la classe politique. L’isoloir est un lieu qui donne une belle opportunité pour traduire ce mélange de mélancolie, de déception et de rage dans l’acte concret du vote.
⁃ Un autre élément est le fait que la définition traditionnelle des rôles des hommes et des femmes est sous pression et que ces rôles sont en train de changer, ce qui ravit certains, mais ce qui semble mettre mal à l’aise d’autres et faciliter un vote pour des partis de droite et d’extrême droite populistes. 11
⁃ Ce qui revenait souvent pendant la campagne et après les élections dans des analyses de journalistes, c’est le fait que beaucoup de Flamands se plaignaient de leur situation personnelle (emploi, revenu, quartier,..) et / ou des politiques (des mandataires politiques qui n’écoutent pas, des corrompus), en soulignant aussi le fait que d’autres (des immigrés, des réfugiés politiques..) recevaient des allocations ou un logement, et ceci d’une façon totalement injuste. Ces gens exprimaient un profond sentiment d’être lésés et d’être victimes d’une injustice structurelle, des sentiments qui ont été exploités habilement par le VB.
⁃ Le CD&V n’avait les dernières années ni de narratif ni de ligne stratégique claire. L’Open VLD a souligné de nombreuses fois les belles opportunités de la mondialisation, ce qui n’a parlé qu’à une partie de l’électorat flamand. La concurrence électorale pour le VB était donc plutôt faible.
⁃ Un dernier élément important dans le contexte sociétal entre décembre 2018 et les élections de mai 2019 est l’importance du dossier climat dans l’actualité. On peut se poser la question de savoir comment le VB – et la N-VA – a géré ce dossier, tellement loin de son “core business.” Ma thèse est que ces deux partis se sont profilés comme des “climato-rassureurs”, ce qui a bien plu à une partie importante de l’électorat flamand. Les climato-rassureurs n’ont pas nié, mais relativisé l’importance de la problématique climatique, renvoyé la responsabilité à d’autres pays comme la Chine et souligné le fait que les Flamands n’en sont pas responsables, qu’ils ne doivent pas se sentir coupables et qu’ils ne doivent pas changer leur comportement (alimentation, voyages, transport..), et qu’un parti comme Groen est une grande menace pour leur prospérité et leur manière de vivre (“rage taxatoire”, diminution de la consommation de viande, etc.). 12 De cette manière, le VB et la N-VA ont pu éviter que cette thématique devienne trop importante dans la campagne et une menace électorale pour eux.

Expliquer le succès électoral d’un parti politique ne nécessite pas uniquement d’analyser la concurrence électorale, le contexte et la manière dont un parti a saisi d’éventuelles opportunités, mais demande aussi une analyse du parti lui-même. Le Vlaams Belang a changé beaucoup ces dernières années. Le programme socio-économique a été réécrit et orienté davantage vers le centre ou même la gauche, afin de pouvoir parler aux gens avec un revenu modeste ou bas et faire la différence avec la N-VA, qui s’adresse davantage aux classes moyennes supérieures et cadres. Les cadres ont été renouvelés, avec une nouvelle génération au top du parti, dont le président Tom Van Grieken. Le parti a utilisé comme ligne de conduite externe “radicaal, maar niet marginaal.” Le parti n’a pas adopté un programme moins radical en matière de migration et d’Islam, mais a bel et bien décidé de faire tout pour sortir de la marge de la vie politique (ce que le parti aimait bien jusqu’ici). Le VB a utilisé un discours moins provocateur que celui martelé pendant de nombreuses années sous le règne de Filip De Winter. On pourrait parler d’un polissage de leur discours. Les ténors du parti sont toujours très bien habillés. Fini les skinheads et des vêtements paramilitaires. Est-ce que Dries Van Langenhove, l’ancien fondateur du mouvement « Schild en Vrienden » et tête de liste du VB en Brabant flamand, ne perturbe pas cette nouvelle image du parti ? Je pense que Van Langenhove avait et a son rôle dans la polyphonie politique du VB. Van Langenhove comme le rebelle qui « ose dire les choses », qui n’a pas peur d’être « politiquement incorrect », et qui pourrait maintenant être renvoyé devant le tribunal, car il dérange l’establishment, estime le VB. Le parti espère qu’il sera un modèle pour des jeunes 13 admirant son franc-parler, ses propos xénophobes et son style provocateur.

Un élément important dans la “normalisation publique” du VB fut la publication en mai 2017 du livre de Tom Van Grieken, “Toekomst in eigen handen” 14. Jonathan Holslag, professeur à la VUB, en avait écrit l’introduction et avait décrit Van Grieken comme un jeune homme talentueux. Ce livre était disponible dans les librairies, une nouveauté pour un livre d’un mandataire du VB. La couverture dans la presse était vaste et plutôt neutre. Le livre porte sur ce que Van Grieken appelle la résistance des électeurs contre l’establishment, responsable de la politique d’immigration actuelle et la mondialisation néfastes. Les élites n’écoutent plus le peuple, écrit Van Grieken. Il faut donc une alternative de droite forte. A nous de prendre notre avenir en mains, ceci dans le cadre de l’état-nation, estime-t-il. Le livre contient 394 pages et termine avec 318 notes de bas de page, apparemment pour le présenter comme un ouvrage réfléchi et sérieux.
Un dernier élément qui explique probablement le succès du VB est un investissement énorme dans les réseaux sociaux. Le parti a 400.000 abonnés sur Facebook, ce qui est le chiffre le plus élevé de tous les partis flamands. Le parti a investi des montants très importants dans la publicité sur Facebook, avant et pendant la campagne électorale. La presse flamande a cité un montant de 400.000 euros ou même plus (uniquement pour la campagne électorale 2019). La dernière semaine de la campagne électorale, le parti a dépensé 125.000 euros pour des publicités sur Facebook. Le parti diffuse sur des réseaux sociaux des messages que les uns trouvent très simples, clairs, compréhensibles et pédagogiques et d’autres populistes et manipulateurs. Leur approche fait penser aux méthodes d’alt-right et de Steve Bannon aux États-Unis. Pour l’instant, il n’y a pas encore d’étude sur la manière dont le VB a utilisé les réseaux sociaux dans sa campagne électorale. A-t-il été juste assertif, habile et créatif ou le parti a-t-il franchi certaines lignes déontologiques et / ou légales ?

L’organisation AVAAZ a publié le 22 mai un rapport 15 sur la manière dont l’extrême droite et des groupes anti-européens utilisent Facebook pour diffuser leurs messages. AVAAZ a découvert 500 pages et groupes suspects, suivi par presque 32 millions de gens. Ces pages et groupes font se poser beaucoup de questions : du contenu faux, des informations haineuses, etc. Suite à la publication du rapport, Facebook a fermé beaucoup de ces pages. Le rapport ne parle pas du VB, mais comme les partis et groupes d’extrême droite échangent des bonnes pratiques entre eux, il faudrait regarder la manière dont le VB – et éventuellement des groupes ou associations proches du parti – ont utilisé des techniques similaires. Un débat de société sur les abus des réseaux sociaux par des partis politiques et des organisations en campagne électorale semble s’imposer. L’analyse me semble être difficile, les réponses encore plus, car il faut évidemment éviter des mesures de censure.

Le cordon sanitaire
Le cordon sanitaire autour du Vlaams Belang (dans le temps le Vlaams Blok) date de 1992. Tous les partis, sauf évidemment le VB, ont décidé de ne pas former de majorités avec le VB, à aucun niveau de pouvoir. Le cordon a toujours été respecté. Cela ne veut pas dire que des partis politiques n’ont pas repris certaines idées et propositions du programme du VB. C’est malheureusement le cas.
Le cordon ne portait pas sur les médias. Il y a eu pendant de nombreuses années un cordon sanitaire dans les médias, sur base d’un accord informel dans le secteur, mais cet accord s’est évaporé après quelques années. Même si le VB n’est pas considéré par les médias flamands comme un parti politique comme les autres, il y passe régulièrement, dans les journaux comme à la télé, et encore plus pendant cette dernière campagne électorale.
Est-ce que le cordon sanitaire va tenir ? Je le pense. L’ancien député Luc Van Biesen de l’Open VLD a immédiatement après les élections plaidé pour revoir le cordon sanitaire, mais Gwendolyn Rutten, la présidente du parti, a confirmé explicitement qu’elle ne le rompra jamais. Au CD&V, le bourgmestre de Ham (Limbourg), Dirk De Vis, a également dit qu’il faut supprimer le cordon sanitaire, mais Wouter Beke l’a lui confirmé. Ces deux partis ne vont pas bouger les prochaines années. Cela provoquerait une crise existentielle en leur sein. Le sp.a et Groen n’y pensent même pas.

Que fera la N-VA ? La N-VA et le VB n’ont pas de majorité au parlement flamand. Même s’ils se mettaient d’accord pour essayer de former un gouvernement, ils ne trouveraient pas un troisième parti politique pour le faire. Bart De Wever a dit de nombreuses fois, également pendant la campagne, qu’il n’était pas “fan du cordon” – la N-VA ne l’a d’ailleurs jamais signé mais qu’il ne voyait pas comment il pourrait gouverner avec un parti qui a un tel programme. En même temps, la N-VA a lancé depuis les élections du 26 mai une série de communications et d’actions afin de montrer que l’électorat du VB doit être respecté. Plusieurs mandataires, dont Theo Francken et Zuhal Demir, ont dit que le cordon sanitaire en soi n’a pas de sens et qu’il faut parler avec le VB. Bart De Wever, formateur de facto du nouveau gouvernement flamand, a rencontré Tom Van Grieken comme les autres présidents de parti, donnant le signal que le VB est un parti comme les autres. 16Le fait que le Roi a reçu le président du VB au Palais royal a aidé le VB à sortir de la marge politique. A première vue, les communications de la N-VA et le fait que De Wever ait rencontré, dans le cadre de la préparation des négociations électorales, Van Grieken à plusieurs reprises, sont juste tactiques, dans le sens où la N-VA veut donner le signal à l’électorat du VB qu’elle le respecte. Ou bien la N-VA est-elle en train de préparer un virage politique important ? Elle pourrait aller étape par étape : en parler dans la presse, banaliser le parti, faire des majorités de rechange avec le VB lors d’un vote moins important au Parlement flamand et finalement essayer de faire passer une nouvelle résolution sur le cordon sanitaire au Parlement flamand, rendant possible des coalitions avec le VB à certaines conditions. Mais l’Open VLD et / ou le CD&V vont-ils accepter une telle nouvelle résolution ? Pour l’instant, cela semble très improbable, mais cela me semble mériter un suivi attentif. Il reste le risque que certains partis politiques reprennent des idées et des propositions du programme du VB, espérant récupérer une partie de l’électorat du VB.

 

1 https://nieuws.vtm.be/politiek/vlaams-belang-haalde-nieuwe-kiezers-vooral-bij-n-va?referrer=https://www.google.be/

2 Les Flamands et les Wallons ont voté pour des partis différents le 26 mai – mais leurs avis divergent moins sur les politiques publiques qu’ils souhaitent – Une étude réalisée dans le cadre du programme EOS, financé par le FNRS et le FWO. Projet RepResent (UCLouvain, ULB, UA, VUB, KULeuven); https://www.fnrs.be/docs/NewsRecherche/Flamands_et_Wallons_ont_vote_differemment.pdf

3 Je reprends la définition de l’étude: “L’axe gauche-droite socio-économique fait référence à l’intervention de l’Etat dans le processus économique, et au degré suivant lequel l’Etat doit assurer une égalité sociale. L’axe gauche-droite socio-culturel fait quant à lui référence à un nouveau clivage, qui est souvent conçu comme articulé autour d’une opposition ‘identitaire’ – autour de thèmes comme l’immigration, l’Europe, la criminalité, l’environnement, l’émancipation, etc.”

4 De Standaard, 8 juin 2019; http://www.standaard.be/cnt/dmf20190607_04449590

5 L’administration de la Région flamande publie régulièrement pour chacune des 300 communes un rapport avec ces données. Voir https://www.vlaanderen.be/gemeenten-en-provincies/organisatie-en-werking-van-gemeenten/gemeentemonitor

6 Les chiffres les plus fiables viennent des études de l’IPSO, un institut à la KULeuven. En 2003, 7.8% des Flamands étaient en faveur de l’indépendance, en 2007 c’était 9.4% et en 2014 6,4%.

7 Courrier hebdomadaire n° 2125, “Les électeurs de la N-VA aux élections fédérales du 13 juin 2010”, Marc Swyngedouw et Koen Abts.

8 De Standaard a également analysé les résultats électoraux en Wallonie. Le PS et le PTB ont des meilleurs résultats dans les communes pauvres que dans les communes riches. Leurs résultats dans les communes les plus pauvres sont le double de leur résultat moyen en Wallonie. Cette analyse confirme la perception que le PS a pu maintenir des électeurs que le sp.a a cédé depuis longtemps au VB. Le PS a perdu le 26 mai une partie de ces électeurs au profit du PTB.

9 Débat organisé par le “Debatclub”, une organisation de droite radicale, le 22 novembre à Edegem. Il y avait 700 personnes.

10 De Morgen, 17 juin 2019

11 “The politics of social status: economic and cultural roots of the populist right”, de Noam Gidron  et Peter A. Hall; https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1468-4446.12319

12 Voir ma carte blanche dans le Soir du 5 juin 2019: https://plus.lesoir.be/228940/article/2019-06-05/carte-blanche-la-victoire-electorale-de-la-n-va-et-du-vlaams-belang-les-climato

13 Dans quelle mesure les jeunes Flamands ont-ils voté pour le VB? Ne disposant pas d’études pour l’instant, c’est difficile de répondre à la question. Sur base de vote dans des écoles après les débats électoraux, on pourrait dire qu’ils ont voté surtout pour Groen et pour le VB.

14 “Notre avenir dans nos propres mains.”

15 Far right networks of deception Avaaz investigation uncovers flood of disinformation, triggering shutdown of facebook pages with over 500 million views ahead of eu elections. https://avaazimages.avaaz.org/Avaaz%20Report%20Network%20Deception%2020190522.pdf?slideshow

16 Ce n’est pas une première. En 1936, après la grande victoire électorale du VNV, parti d’extrême droite flamand , l’Union Catholique Belge a parlé avec le VNV. En 2004, Yves Leterme a comme informateur rencontré le top du Vlaams Belang une fois.

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