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La semaine du 17 décembre 2018 a vu plusieurs parlements de Belgique adopter une résolution demandant de rehausser l’ambition en matière climatique, de façon à atteindre une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990. Compte tenu de la trajectoire effectuée par la Belgique depuis 1990, l’effort de réduction des émissions est fort important.

En 2016, les émissions totales de gaz à effet de serre en Belgique se sont élevées à 117,7 Mt éq CO2, ce qui constitue une baisse de 19,7% par rapport à 1990 ou de 19,2% par rapport aux émissions de GES de l’année de référence (1990). L’essentiel de ces réductions sont le fait de la fermeture des centrales à charbon et de la sidérurgie wallonne.


Source : https://www.climat.be/fr-be/changements-climatiques/en-belgique/emissions-belges/evolution-des-emissions

Cette analyse vise à donner quelques éléments de repère sur la hauteur des enjeux autour des défis relatifs aux bouleversements climatiques.

1. Wallonie

Le Comité des experts établi par le décret Climat wallon propose 7 actions prioritaires pour permettre à la Wallonie de respecter la résolution « climat » adoptée par le Parlement wallon en septembre 2017 [1].

Les sept actions prioritaires mises en avant par le Comité sont :

Priorité n°1 : Etablir une stratégie à l’horizon 2030 pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à la mobilité.

Priorité n°2 : Accélérer le déploiement du solaire photovoltaïque et de l’éolien.

Priorité n°3 : Adopter un ensemble de mesures visant à opérationnaliser la stratégie de rénovation des bâtiments.

Priorité n°4 : Aller au-delà des accords de branche et dissocier les politiques de soutien à la compétitivité des politiques de décarbonation de l’industrie.

Priorité n°5 : Encourager les modes d’alimentation durables.

Priorité n°6 : Utiliser l’ensemble des leviers fiscaux à disposition pour soutenir la décarbonation.

Priorité n°7 : S’assurer de la disponibilité des ressources nécessaires à la gouvernance bas carbone.

Détails sur les priorités :

Priorité n°1.

A l’instar de la « stratégie de rénovation des bâtiments » actée par le gouvernement wallon le 20 avril 2017, il convient d’élaborer une stratégie pour une mobilité pauvre en carbone. Cette stratégie comprendrait :

  • des objectifs généraux et spécifiques à court (2020) et moyen (2030) terme ;
  • une approche qui implique les principaux stakeholders, y compris les autres niveaux de pouvoir (local entre autres) ;
  • un lien/une cohérence avec le Schéma régional de mobilité (SRM) qui est dans les cartons du gouvernement wallon depuis plusieurs années. Cela se traduit entre autres par :
  • une rationalisation des besoins en mobilité. Il existe un lien entre croissance observée de la mobilité des personnes et étalement urbain. La fin de ce dernier est donc un préalable à toute stratégie de mobilité. Un ‘stop béton’ des campagnes doit donc être rapidement instauré. Les activités devront être localisées de façon à minimiser les besoins de mobilité. Cela devra s’accompagner de changement de comportement (télétravail, covoiturage,…).
  • L’encouragement des transferts modaux.
    • Promotion des transports fluvial et ferroviaire
    • réinvestissement dans les transports en commun
    • développement complémentaire des modes actifs (infrastructures vélo) et des véhicules partagés
    • rééquilibrage de l’espace public au détriment des véhicules lourds
  • Sortie progressive des véhicules individuels à moteurs thermiques, Wallonie sans diesel en 2030 et fin de la vente des véhicules essence en 2030. « Une façon d’atteindre cet objectif serait de définir une limite maximale d’émissions de 50 gCO2/km pour les nouvelles mises en circulation après 2030 (la détermination de la valeur finale devrait résulter d’une étude préalable). Cette limite permettrait de développer des motorisations alternatives sans pour autant favoriser une technologie en particulier. Des mesures de transition seront nécessaires afin de stimuler graduellement les motorisations alternatives et pénaliser les voitures à essence et au diesel déjà avant cette date (par exemple par une politique fiscale). » Un décret wallon est d’ailleurs à l’examen concernant l’interdiction progressive des véhicules les plus polluants – hélas seulement en matière de pollution de l’air et non d’émissions de gaz à effet de serre.
  • Le développement par les pouvoirs publics d’un cadre propice aux carburants alternatifs est essentiel. Ce cadre réglementaire devra faire en sorte que les véhicules fortement émetteurs soient progressivement éliminés du marché des ventes.
  • Verdissement de la flotte des véhicules de société et autres flottes captives.
  • Limitation des vitesses maximales pour réduire les émissions et améliorer la sécurité.
  • Développement de zones « basses émissions » et élargissement au développement de zones à faible danger (vitesse, masse et puissance des véhicules réduites).

Ce paquet de mesures en matière de mobilité est conséquent et vise très clairement la voiture individuelle. Notons que le régime des voitures de société n’est pas abordé, car de compétence fédérale.

Priorité 2

Le comité prévoit le désinvestissement des énergies fossiles et in fine un objectif 100% renouvelable en 2050. Les mécanismes de soutien devront être revus et adaptés. Les conditions de développement de l’éolien en particulier devront être assurées.

Priorité 3

Le Comité recommande d’opérationnaliser la stratégie rénovation :

  • Réduire la consommation d’énergie du parc immobilier wallon et le rendre passif d’ici 2050 en adoptant un certain nombre de mesures parmi lesquelles :
    • des instruments visant à augmenter la rentabilité des investissements et/ou contraindre leur réalisation (primes, tarification carbone (voir aussi la Priorité n°6 plus bas) et normes de performance énergétique des bâtiments) ;
    • la mise en place au plus tôt de l’obligation, pour les bâtiments neufs, d’atteindre des niveaux de performance énergétique compatibles avec l’objectif de 2050 pour la moyenne du parc. Les nouvelles constructions devraient ainsi consommer moins de 85 kWh/m².an, afin d’échapper à l’obligation de les rénover d’ici 2050 pour les mettre en conformité avec l’objectif ;
    • la mise en œuvre rapide d’une obligation de performance énergétique minimale à atteindre, pour le bâti existant, en cas de rénovation profonde ;
    • des mesures visant à atteindre l’objectif, contenu dans la stratégie, d’un phasing-out des énergies fossiles dans le bâtiment avant 2050. Ces mesures devraient permettre d’assurer la transition des systèmes de chauffage fonctionnant au mazout, au gaz naturel ou au charbon vers des systèmes basés sur les sources d’énergie renouvelables
    • Enfin, en raison des liens qui existent entre les politiques du logement/bâtiment et les politiques d’aménagement du territoire, le Comité appuie la volonté du Parlement wallon (résolution du 28/9/2017) de « limiter progressivement l’étalement urbain » de façon à limiter les consommations énergétiques supplémentaires induites par un bâti dispersé

Priorité n°4

Le Comité ne soutient pas l’entièreté de la mesure relative aux accords de branche évoquée dans la résolution : [1.12. de continuer la mise en œuvre de la dynamique d’accords de branches, de développer l’initiative des accords de branches simplifiés aux PME et TPE en vue de réaliser des économies d’énergie et de réduction de gaz à effets de serre et de développer une politique industrielle favorable au climat]. Il appuie par contre la mise en place d’autres politiques de soutien aux entreprises ainsi que la mise en place d’un prix carbone pour les secteurs non soumis à des risques de perte de compétitivité. Le comité insiste sur la nécessité de favoriser, dès maintenant, de véritables ruptures technologiques dans l’industrie. Ceci requiert le renforcement des mesures visant à soutenir la recherche, développement et démonstration (RD&D).

Priorité n°5

Le comité constate qu’il s’avère difficile de mobiliser des leviers ‘techniques’ pour la réduction des émissions non-CO2. La mobilisation des leviers comportementaux est alors essentielle. Les mesures visant à faire évoluer les modes d’alimentation devront alors s’inscrire dans le cadre d’une approche large en matière de politique agricole et s’inscrire en continuité avec celles visant à favoriser l’agriculture biologique, l’agroécologie et, plus largement, la permaculture.

Priorité 6

Sur le plan de la fiscalité, le Comité recommande, entre autres :

  • la mise en place d’une tarification du carbone, de manière coordonnée entre les Régions et l’Etat fédéral pour les secteurs non couverts par l’ETS. Cette tarification doit être conçue de manière à favoriser l’atteinte des objectifs de la stratégie wallonne de rénovation des bâtiments, en établissant une trajectoire de taxation croissante pour les émissions de CO2 liées au secteur du bâtiment. Ceci doit encourager les investissements dans la rénovation énergétique du bâti wallon, en rendant ces investissements plus rentables et décourager la poursuite de l’utilisation des combustibles les plus carbonés. Elle doit aussi favoriser l’usage des formes de mobilité les moins émettrices en CO2 et encourager les investissements « bas carbone » dans l’industrie. Une partie des recettes de la taxe carbone pourrait permettre le financement de politiques de transition bas carbone dans les secteurs du bâtiment et de la mobilité, y compris au niveau wallon.
  • Une réforme de la taxe de mise en circulation automobile (TMC) en prenant en compte l’impact environnemental des véhicules, à l’instar d’autres régions. Cet outil devrait être utilisé pour orienter les achats de véhicules neufs vers des modèles moins polluants, moins puissants et plus légers, dans une approche qui aurait également des bénéfices en termes de réduction des accidents sur les routes.
  • partant de l’analyse des effets du prélèvement kilométrique pour les camions, une étude des impacts (et le cas échéant la mise en place) d’une tarification kilométrique pour les voitures et les camionnettes sur la congestion, la pollution de l’air, la dangerosité (directement liée à la masse et à la puissance du véhicule) et, si elles ne sont pas l’objet d’une tarification via un autre instrument (cf. le premier point ci-dessus), les émissions de CO2.

Priorité 7

Le comité attire l’attention sur le besoin de renforcer l’expertise de l’administration en matière de transition climatique.

2. Belgique

Le service Climat du SPF Santé-Environnement a réalisé une étude sur les scénarios pour décarboner la Belgique [2].

Un scénario sans mesures complémentaires nous mène à -13 % en 2050 par rapport à 1990. Pour rester en dessous d’une augmentation de 1,5°C, nous devrions parvenir à une baisse de -95 %.

Un scénario pour ce faire a été établi, ainsi que les moyens nécessaires [3].

On peut relever (non exhaustif) parmi les mesures envisagées (et combinées) :

  • une densification des villes avec un objectif de 77 % des habitants en appartements en 2030 (aujourd’hui la proportion est plutôt inversée) ;
  • une diminution de la demande de chauffage et d’eau chaude
  • à partir de 2020, seules des maisons passives en neuf, le reste isolé en très basse énergie ;
  • fin du chauffage au mazout au profit des pompes à chaleur avant le gaz ;
  • idem pour les bâtiments professionnels ;
  • demande de mobilité par personne en baisse de 20 %, augmentation du remplissage des bus de 50 %, des trains de 33 %, des voitures de 15 %
  • 80 % des voitures sont électriques ;
  • modes actifs : 6 %, bus 25 %, rail 13 %, voitures 55 %. Aujourd’hui respectivement : 4 %, 4, 9 %, 83% ;
  • transport routier en baisse et passage au diesel-hybride et CNG (gaz compressé, méthane fossile ou renouvelable de synthèse ;
  • Utilisation de techniques de capture et stockage du carbone dans l’industrie ;
  • une très grande augmentation des capacités de production d’énergie renouvelable [4]
  • diminution de la consommation de viande ;
  • fin du nucléaire et équipement des centrales au gaz à la capture et stockage du carbone ;
  • augmentation générale des prix de l’énergie.

Les mesures ne sont pas détaillées mais dans son étude sur la tarification carbone [5], la question du prix du carbone est un levier essentiel pour activer toutes les autres mesures.

3. Conclusions

Réussir à atteindre les objectifs climatiques fixés dans les textes législatifs demande de grandes modifications sociétales et requiert de s’attaquer simultanément à une série de difficultés :

  • la toute puissance de la voiture dans l’espace public et dans la représentation de la liberté ou de la réussite sociale
  • la question de la fiscalité dite environnementale et de sa calibration
  • la consommation d’espace et donc de demande de mobilité
  • la question du juste prix de l’alimentation durable

Les bénéfices sont immenses et justifient amplement de prendre ces mesures. Santé (air, température), emploi (mais il y aura des gagnants et des perdants), qualité de vie en société (davantage de collaboration dans un monde très individualiste)… [6]

La remise en cause de nos modes de vie permet d’envisager une réorganisation plus profonde de notre société et d’en régler les problèmes les plus aigus, les situations les plus injustes. Mais il faut convaincre, faire tomber les réticences et recueillir un assentiment large.

[1Les priorités de la politique climatique wallonne. Identifications de priorités issues de la résolution « climat » adoptée par le Parlement wallon en septembre 2017. Réponse du Comité des experts établi par le décret Climat wallon à une demande du Ministre du Climat. 11 juin 2018. http://www.awac.be/images/Pierre/Actualit%C3%A9s/2018%2006%2004%20-%20Avis%20no4_ResolutionClimat.pdf

[2CLIMACT & VITO pour SPF Environnement – service Climat. Scénarios pour une Belgique bas carbone à l’horizon 2050

http://www.climat.be/2050/files/2513/8625/2687/Low_Carbon_Scenarios_for_BE_2050_-_Final_Report.pdf

[3
On peut élaborer son propre scénario en jouant avec toutes les mesures. Cependant, un seul parvient à -95% d’émissions. http://2050-calculator-tool.climat.idweaver.com/pathways/20444404444400444420440444204224142414242444442414041bbbbp00p101130f104444440z002/primary_energy_chart

[4Voir aussi Nollet J-M & Vandeburie J (2018) Terre-Mer-Soleil, 3 scénarios verts pour quitter l’énergie nucléaire en 2025 et fossile en 2050. https://www.etopia.be/spip.php?article3225

[6Voir Vandeburie J. (2018) Faire de la transition climatique une opportunité pour réformer notre société https://www.etopia.be/spip.php?article3298 et Vandeburie J. (2016) La seule grève à lever, celle de la transition https://www.etopia.be/spip.php?article3072

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