Le développement durable (DD) est classiquement représenté graphiquement comme l’intersection des trois cercles symbolisant les piliers du DD. Cette représentation ne décrit ni le problème ni l’état souhaité, elle ne décrit qu’imparfaitement les réponses à apporter. Il est illusoire de vouloir construire une seule et bonne représentation graphique du DD : elle serait trop complexe et buterait sur un problème d’incommensurabilité. Parmi plusieurs représentations disponibles, certaines doivent être écartées pour des raisons de cohérence interne. Les autres doivent être choisies en fonction de l’objectif communicationnel et peuvent être combinées.
Les membres de l’ONU (ONU, 2014) réaffirment régulièrement qu’il existe différentes visions pour atteindre le développement durable (DD), comme en témoigne une résolution adoptée en décembre 2014 « Réaffirmant le paragraphe 56 du document final intitulé “L’avenir que nous voulons” [Rio 2012], et sachant qu’il existe une diversité d’approches, de visions, de modèles et d’outils pour parvenir au développement durable, qui constitue l’objectif suprême. […] »
Les différences ne s’arrêtent pas aux chemins pour atteindre le DD, mais s’étendent à l’objet-même du DD. Dès sa genèse, le développement durable a été pensé de différentes façons (Zaccaï, 2002 ; Lafferty & Meadowcroft, 2000 ; Boutaud, 2005). Theys, du Tertre et Rauschmayer en ont explicité six (Theys et al, 2003). Certains n’ont pas hésité à affirmer la pluralité des DD dans le titre de leur livre (Debuyst et al, 2001). « L’objectif suprême » de l’ONU est peut-être plus diversifié et pluriel qu’annoncé !
Une étude de l’OCDE suggère que les différentes façons de penser le DD ont influencé le type d’institutionnalisation du DD, de même que le choix des instruments (OCDE, 2002).
Pourtant, dans la majorité des discours, il est fait mention « du » développement durable. Ce début d’article n’y échappe pas, il est bien écrit « le DD », pas « un DD », ou « un des DD ». Il y a donc volonté, consciente ou pas, d’avoir un concept de DD unifié et englobant. Il s’agit alors d’en expliciter le sens et de le communiquer, mais aussi de fédérer les acteurs autour de ce sens et de guider les comportements.
L’analyse des discours et des comportements induits par les discours est appréhendée par la théorie et la méthode des représentations (voir notamment Abric, 2011). Les discours sont néanmoins à considérer dans un cadre plus large que la seule expression verbale ou écrite, l’utilisation de schémas ou d’images faisant aussi partie de la production de discours.
Les schémas et les images ont la faculté d’être efficaces en temps et place pour transmettre un sens. C’est pourquoi, dans les documents qui ont pour but d’expliciter le DD, des schémas ou images vont être utilisés. On parlera de représentations iconographiques ou, plus simplement dans ce papier, de représentations. Encore faut-il trouver et utiliser une ou des représentations valables. Il existe peu ou pas d’étude sur les représentations du DD. Une première question à se poser est : les différentes représentations du DD sont-elles toutes des représentations concrètes incarnant une seule représentation archétypale, au sens platonicien que chaque table incarne l’idée « table », ou, au contraire, il n’est pas possible de les relier à une et une seule représentation archétypale ? Dans le premier cas de figure, quelle serait cette représentation archétypale ? Dans le second cas de figure (pour lequel il existe plusieurs représentations qui coexistent sans se confondre), peut-on créer une échelle qui permette de distinguer celles qui ont plus de valeur que d’autres ou la comparaison entre elles est-elle partiellement impossible ? Si un classement se révèle périlleux, doit-on les accepter toutes sans jugement ou peut-on les juger sur leur valeur intrinsèque ? Enfin, parmi celles qui ont une valeur intrinsèque, laquelle ou lesquelles choisir ? Et comment la ou les choisir ?
La plupart des auteurs qui utilisent des schémas pour expliciter le concept du DD, vont en utiliser un seul. Le chapitre 1 examine la prétention à construire et utiliser une et une seule représentation pour expliciter un concept et conclut que c’est un leurre de vouloir n’avoir qu’une représentation. Le chapitre 2 se penche sur la possibilité de déterminer des critères pour pouvoir déclarer qu’une représentation est meilleure qu’une autre et conclut qu’il n’existe pas de critères absolus qui permettraient de classer les représentations les unes par rapport aux autres. Mais il conclut également qu’il est possible de juger les représentations entre elles si elles ont la même visée, et qu’il est possible de juger une représentation par rapport à elle-même. Le chapitre 3 construit une grille d’analyse qui regroupe des représentations par visée et constate que la plupart des représentations utilisées se concentrent sur une des six visées : la réponse globale. Le chapitre 4 revient sur le jugement d’une représentation par rapport à elle-même et étudie les représentations qui comportent des problèmes de consistance et cohérence interne. Ces présentations-ci doivent être utilisées avec la plus grande circonspection. Les représentations qui ne souffrent pas de ces faiblesses peuvent être employées plus librement, mais leur utilisation peut gagner en efficacité en s’appuyant les recommandations prodiguées dans le chapitre 5. Ce chapitre suggère notamment de partir de la visée (veut-on représenter l’état initial problématique, veut-on représenter l’objectif à atteindre ou veut-on représenter le bon processus à utiliser ?) pour choisir sa représentation. Il examine également les possibilités et limites des différentes représentations Le chapitre 6 indique que, si une personne veut construire un discours assez complet et scientifiquement rigoureux sur « le » DD, il devra combiner différentes représentations et communiquer sur les limites de chacune de celles-ci. Le chapitre 7 rappelle qu’une représentation est avant tout sociale, qu’elle a aussi pour but de fonder une identité de groupe. Même rigoureuse et scientifique, elle n’est pas neutre.
L’idée d’une représentation unique du DD est un leurre
Dans la pratique, l’idée qu’il existe une seule et bonne représentation graphique du DD est communément admise. Par exemple, dans cinq MOCC dont l’objet principal est l’étude du développement durable, la seule représentation graphique existante est celle des 3 cercles en diagramme de Venn avec le DD à l’intersection (figure 11). Diemer constate la prédominance de cette représentation : « Alors, on peut représenter le DD sous la forme d’un schéma qui est devenu extrêmement classique, qui a connu une popularité telle qu’on va le retrouver dans tous les documents portant sur le développement durable, c’est cet emboîtement de trois pâtés, l’un portant sur l’économie, l’autre sur le social et le troisième sur l’environnemental » et annonce qu’en l’améliorant un peu il est possible d’en faire une représentation complète : « [..] Aujourd’hui il [ ] y a […] moyen d’intégrer tous les éléments que j’ai évoqués dans un schéma, alors bien sûr qui peut être complexe, mais très simple à comprendre. » (Diemer, 2015).
L’idée qu’il existe une et une seule représentation par concept, aussi appelé « idéal type », a été porté par le courant du réalisme métaphysique (par exemple avec Bernard Williams (Williams 2005 [1978], 2006 [1985])). Celui-ci postule qu’en partant d’une discipline scientifique, en observant des faits, en réalisant des expériences et en utilisant des standards d’acceptabilité rationnelle (en première approximation le respect de la logique mathématique), l’observateur va aboutir à un discours (une théorie, une représentation) sur le réel en soi. Il y aura donc bien un seul idéal universel qui sera indépendant du contexte et unique.
Or, en pratique, il persiste plusieurs discours possibles sur une même notion ! L’observation de l’être humain, par exemple, va mener à un discours biologique (les gènes), un discours psychologique… Il y a donc plusieurs représentations de l’être humain. Vouloir n’en garder qu’une au nom du réalisme métaphysique est réducteur, impérialiste et non-neutre.
Le courant phénoménologique (initié par Kant), s’opposant au réalisme métaphysique, ne reconnait pas l’indépendance du contexte. Nos sens ne nous donnent accès au qu’au réel empirique, le réel en soi étant inaccessible, totalement hors de portée. Dès lors, les différents observateurs vont produire de nombreuses représentations que l’on peut toutes tenir pour vraies dans la mesure où elles satisfont aux critères d’acceptabilité rationnelle. Ce courant permet la pluralité des discours mais produit par là une aliénation contextuelle : il perd le réalisme scientifique. De plus, il devient impossible de juger une représentation par rapport à une autre car, toutes vraies si elles respectent les critères d’acceptabilité rationnelle, le conflit entre représentations est impossible.
Le philosophe pragmatique Hilary Putnam (1981, 1999, 2012) tente de sortir de ces approches antagonistes. Il postule que nos sens nous donnent accès au réel en soi, moyennant une correction de ceux-ci par des schèmes conceptuels corrects. Putnam rejette le postulat commun des deux approches précédentes qui prétend que « le réel en soi est inaccessible ». Néanmoins, le réel en soi étant approchable par nos sens, l’observateur n’échappe pas à la dépendance des représentations à l’égard du contexte. Guillermin (2016), dans la suite des travaux de Putnam, a montré la double dépendance au contexte :
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ce que l’observateur cherche à décrire, ce qu’il vise. Concernant l’observation de l’être humain, vise-t-on ses comportements, son fonctionnement métabolique, sa résistance…
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la discipline que l’observateur va mobiliser (les schèmes conceptuels) pour construire la représentation : va-t-on utiliser la chimie, la physique, la statistique, la philosophie…
Guillermin en déduit les conditions de validité de confrontation des représentations. Si plusieurs observateurs ont les mêmes visées et utilisent la même discipline, l’aboutissement à des représentations différentes pose problème. Dans les 3 autres cas (visées différentes et/ou disciplines différentes), les observateurs pourront aboutir à des représentations différentes, légitimes et complémentaires. Les représentations seront peut-être fausses, mais pas au regard les unes des autres.
Le DD peut être approché par différentes disciplines (l’économie, la sociologie, la politique, l’écologie…). Il peut également être l’objet de plusieurs visées : description, évaluation, prescription… A l’intérieur de la visée descriptive, l’observateur peut viser l’état du système, sa dynamique ou les réponses apportées. Dans ce contexte, vouloir construire une seule représentation du DD est illégitime et serait réducteur. On verra plus loin que n’en utiliser qu’une est appauvrissant.
L’idée qu’une représentation du DD soit plus performante qu’une autre, indépendamment du contexte, est un leurre
Avant de chercher à savoir si une représentation est supérieure aux autres, il faut évaluer sa qualité ou sa performance intrinsèque. L’évaluation des représentations possède la même typicité que toute autre évaluation de discours (incluant des théories scientifiques). On peut dès lors reprendre les travaux de McMullan (2008) qui a étudié les critères d’acceptabilité rationnelle pour juger une bonne théorie. McMullan distingue trois grandes catégories de critères d’acceptabilité rationnelle :
2.1 Les critères internes
Une représentation sera de bonne qualité s’il y a une bonne adéquation empirique entre la représentation et les phénomènes observables. Par définition, il faut que la représentation soit pertinente, c’est-à-dire qu’elle ait un bon pouvoir explicatif. Il faut également qu’elle ait une consistance interne faute de quoi elle mènerait à des prédictions aberrantes. Enfin, il faut qu’elle ait une cohérence interne, c’est-à-dire qu’elle n’ait pas besoin de facteurs ou éléments ad-hoc pour la faire correspondre à la réalité.
Certains estiment que la simplicité est également un élément important d’une bonne représentation. La simplicité est certainement un avantage pour répondre à l’objectif de communication de sens de la représentation. Par contre, la complexité peut faire mieux correspondre la représentation à la réalité. Ce critère peut s’opposer aux précédents.
2.2 Les critères contextuels
Une représentation n’est pas isolée, elle se situe dans l’ensemble des représentations, et, plus particulièrement, elle est en relation ou confrontation avec toutes celles d’une problématique proche. Elle doit dès lors être consistante (consonante) avec d’autres représentations qui ont démontré leurs qualités. Elle doit aussi être consistante avec des principes biens établis comme des principes généraux (conservation de l’énergie) et des principes métaphysiques (principe de causalité). Enfin, elle doit être éventuellement consistante avec des principes moraux.
La nécessité de consistance avec des principes moraux est problématique, car il peut y avoir un conflit avec le critère d’adéquation empirique. Dans le cadre du développement durable, cette discussion est d’importance. D’une part, une représentation peut avoir pour fonction de guider les comportements, et c’est le cas des représentations du DD étant donné le caractère normatif du concept (Theys J., 2001 : 273 ; Sachs J., 2014 : chapitre 1). Une telle représentation à visée normative sera rédigée en fonction de principes moraux. D’autre part, le contenu de la représentation à visée normative est susceptible de s’opposer à la visée descriptive des représentations, visée qui doit s’accorder avec l’adéquation empirique.
2.3 Les critères diachroniques
Une représentation n’est pas intemporelle, elle s’inscrit dans l’histoire les faits sociaux (la diachronie étant l’évolution historique des faits sociaux). Il y a dès lors lieu de s’intéresser à l’apport d’une représentation dans la compréhension générale de l’évolution du monde. Deux critères sont mobilisables : la fertilité, c’est-à-dire la capacité à donner du sens à de nouveaux résultats, à expliquer des exceptions, à créer de nouvelles relations de cause à effet et la consilience, c’est-à-dire le pouvoir d’unification qu’une représentation peut avoir par rapport à l’ensemble des représentations.
Ces critères qui permettent de juger de la performance d’une représentation nous permettent-ils de discriminer différentes représentations pour élire une représentation supérieure aux autres ? Non, car plusieurs représentations d’un même concept, le DD par exemple, peuvent remplir tous les critères. Et, si toutes les vertus ne sont pas atteintes, certaines représentations peuvent satisfaire quelques critères et d’autres représentations en satisfaire d’autres… Comme il n’y a pas de classement des critères, la discrimination sur la seule base théorique n’est pas possible.
Chaque représentation doit donc être évaluée en fonction de la visée et de la discipline mobilisées, et pas les unes par rapport aux autres. Cette conclusion ruine la prétention d’avoir une représentation meilleure que les autres de manière générale.
Ce cadre conceptuel fixé, nous allons élaborer au chapitre 3 une grille d’analyse de représentations graphiques du DD issues de la littérature scientifique.
Six catégories de représentations du DD
Afin d’évaluer les représentations graphiques du DD, nous allons construire une grille d’analyse de celles-ci en nous inspirant de la littérature scientifique.
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Dans son travail pionnier, Zaccaï a classifié les descriptions du DD en deux catégories : les descriptions générales pour lesquelles une compréhension précise n’est pas nécessaire, par opposition à des contenus plus « experts » et plus formalisés (Zaccaï, 2001 :19). Nous reprenons cette distinction en construisant un axe de la précision de la description du DD qui va de l’intuition globale (vision intégrée / intuitive) à une précision partielle (combinaison de caractéristiques / expertise précise).
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D’autre part, des organismes officiels ont tenté de décrire le DD d’un système (d’une société, d’un territoire…) en utilisant des indicateurs. Pour structurer leurs présentations, ces organismes ont été amenés à classer leurs indicateurs. Partant des travaux d’Anthony Friend sur les indicateurs environnementaux (Zuinen, 2004 : 11), l’OCDE a repris la classification pressions, états (state) et réponses sous l’acronyme anglophone P-S-R. Ensuite la Commission du développement durable des Nations Unies a transformé ce cadre conceptuel de 1995 “en (D-S-R) la fonction “pression” P devenant “forces directrices” ou “driving force” D (UNO, 1995 : 20). La Commission européenne (Dom, 1998 : 10) a elle aussi fait évoluer le cadre conceptuel en D-P-S-I-R en ajoutant la description des impacts “I”. Ce cadre a été utilisé par le Bureau fédéral du Plan dans le rapport fédéral sur le développement durable de 1999. Zuinen reconnaît qu’ « il est parfois difficile de classer certaines variables (et donc certains indicateurs) dans une fonction plutôt que dans une autre. » (Zuinen, 2004 : 13). Les forces directrices et pressions sont fortement imbriquées de même que le sont l’état et les impacts, ce qui amène à retenir 3 classes : état (S), pression (P) et réponses (R). Ce travail de classification des indicateurs dévoile que la description du DD peut porter sur l’état du système, sur sa dynamique ou sur les réponses apportées, éléments que nous appelons les niveaux de la description et nous en faisons un axe d’analyse : l’axe du niveau de la représentation.
Nous avons ainsi construit une grille d’analyse des représentations du DD en deux axes : celui de précision de la représentation (intuitif global / précis partiel) et celui du niveau de la représentation (état / pression / réponse). Cela crée un tableau de six cases (tableau 1). Nous avons placé dans ce tableau toutes les représentations iconographiques du DD que nous avons trouvées dans la littérature scientifique, inventaire réalisé de proche en proche par une veille documentaire ainsi que par une recherche par mots clés sur Internet.
Reconnaissons d’entrée de jeu que le positionnement des différentes représentations dans les différentes cases du tableau n’est pas nécessairement une tâche aisée à accomplir. Certaines représentations pourraient se retrouver dans deux cases. Ces ambiguïtés ne nuisent néanmoins pas à l’analyse.
Ce qui est d’emblée remarquable sont les deux cases vides du tableau (en hachuré). Le constat est logique pour la case précis/réponse. En effet, cette case est constituée de politiques précises, donc sectorielles : celles-ci ne sont pas représentées dans des documents scientifiques traitant du développement durable puisqu’elles le sont dans des documents d’analyse de politiques sectorielles. Par contre, l’explication sur l’absence de représentation iconographique de la case global/pression est moins évidente.
Un autre élément notable est le côté très symbolique et conceptuel des représentations issues de la littérature scientifique : des cercles, des lignes, des triangles…
Enfin, en supposant que notre inventaire soit complet, on peut observer que la grande majorité des représentations se situent dans la catégorie « réponse », ce qui indique une centration importante des représentations iconographiques du DD sur l’aspect normatif du concept. Décrire le DD par l’image pour en transmettre le sens, c’est surtout et avant tout décrire ce qu’il convient de faire.
Dans le chapitre 4, nous allons examiner la valeur des représentations en fonction des critères d’acceptabilité rationnelle vus au chapitre 2 et nous en profiterons pour donner un historique des représentations. Dans le chapitre 5, nous verrons l’adéquation entre les représentations et les contextes.
Les critères d’acceptabilité rationnelle les plus difficiles à atteindre pour des représentations du DD : la consistance et la cohérence interne
Passer en revue caque représentation au regard de l’ensemble des critères d’acceptabilité rationnelle allongerait inutilement cet article. C’est pourquoi, ayant effectué ce travail, nous nous limiterons à livrer ici nos remarques les plus importantes, à savoir la difficulté de certaines représentations du DD à performer sur les critères de la consistance et de la cohérence interne.
Dans la figure 1, le DD semble être à équidistance des 3 pôles. Les notions d’équidistance par rapport à un pôle se traduit graphiquement mais n’a pas de traduction par un indicateur réel et commun entre les pôles : il y a incommensurabilité. Cela ruine toute possibilité de mesurer des distances et donc de le représenter graphiquement. De la même manière, la notion d’équilibre entre l’économique, l’environnement et le social est une notion problématique (De Kraker, 2006). La représentation se heurte ainsi à un problème de consistance.
La figure 2, appelée « the SCENE model », a été proposée par Rotmans (1998) et reprise par le Bureau fédéral du Plan dans son rapport intitulé « Un pas vers le développement durable ? » de 2002. Ici également, le DD semble correspondre à la répartition équivalente des surfaces dans le triangle, les surfaces représentant le stock de capital : « The size of each corner of the triangle is a visual indicator for the strength (or capital value) of that domain. » (Grooskurth and Rotmans, 2005 : 141). Pour les mêmes raisons que dans le cas de la figure 1, il y a incommensurabilité entre les capitaux, ce qui rend impossible de les comparer par des surfaces, dès lors la représentation souffre elle aussi d’un problème de consistance.
La métaphore des surfaces représentant la quantité de capital dont dispose une société a été utilisée de manière comparable par Bednar (communication privée). Il a pris des volumes pour symboliser les capitaux et a repris une définition du DD se fondant sur l’obligation de maintien dans la transmission du capital (« maintenance of capital » (Goodland & Daly, 1996 : 1004) ce que Ballet exprime ainsi : « Il faut que les générations futures détiennent au moins autant de ressources, sous la forme de capital ou de potentialités diverses, que la génération actuelle » (Ballet et al, 2004)). C’est la métaphore de l’héritage qui est utilisée : la génération actuelle reçoit de la précédente un capital et devrait transmettre à la génération suivante un capital supérieur. Le nombre de types de capitaux et leur contenu diffèrent selon les auteurs. Pour conserver la cohérence avec les trois piliers du développement durable, certains auteurs ne considèrent que 3 capitaux, comme le fait, par exemple, le Bureau fédéral du Plan (BFP, 2005 : 26).
La substitution plus ou moins forte entre les capitaux qu’un acteur admet indique le niveau de durabilité forte ou faible qu’il envisage.
La représentation graphique en est la suivante :
Figure 3 : situation finale des capitaux en durabilité faible La durabilité est atteinte si l’ensemble du capital est conservé d’une génération à l’autre, quel que soit la répartition entre les capitaux, pouvant aller jusqu’à la disparition du capital environnemental. |
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Figure 4 : situation initiale des capitaux |
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Figure 5 : situation finale des capitaux en durabilité forte Trois principes (Roegen G., 1979 ; Daly H., 1991) sont à la base de la durabilité forte :
Dans cette hypothèse, le stock de capital naturel ne doit pas baisser. Daly soutient que capital naturel et capital artificiel sont complémentaires et non substituables1 (Leininger-Frezal C., 2009). |
Ici encore les représentations symbolisent le contenu des capitaux par des volumes, et considèrent ceux-ci comme identique entre les capitaux. Or comment comparer la perte d’un kilo d’énergie fossile, avec l’accroissement de connaissance et d’infrastructures par exemple ? Cette représentation crée un leurre qui fait croire qu’en effectuant un transfert d’une quantité X d’éléments du capital environnemental vers les autres capitaux sociaux et économiques, ces derniers vont s’accroître d’une quantité X1 + X2 = X équivalente. Faute d’unité de mesure commune des capitaux, il n’y a pas moyen de savoir si le capital total augmente, que ce soit en durabilité forte ou en durabilité faible. Les économistes ont tenté de contourner ce problème en monétarisant l’ensemble des capitaux, ce qui permet d’avoir une seule unité et donc de calculer la variation de l’ensemble du capital. Le problème demeure : la détermination du prix unitaire des différents éléments des capitaux est relative et peu liée à des affects humains qui s’avèrent méthodologiquement peu liés à la valeur du capital (Gasparatos et al., 2008 : 249). La monétarisation entraîne de nouvelles difficultés : par exemple, le prix est fixé en fonction de la volonté de payer des usagers, mais celle-ci sera-t-elle constante dans le temps et dans l’espace (McCauley, 2006) ? La valeur de la nature n’est-elle pas intrinsèque et la disparition d’une espèce ne tend-elle pas à rendre son prix infini (McCauley, idem) ? L’incommensurabilité amène, pour cette représentation, un problème de consistance.
L’article le plus développé quant à la construction d’une représentation graphique du DD a été écrit par Mauerhofer (2007). Il symbolise les piliers du DD par des cercles, en leur donnant la signification de capital. Sur ces capitaux sont posées des colonnes représentant des capacités, soit ce qui permet de transformer un capital (ressources, puits) en services utiles2. Les colonnes sont arrêtées (ou doivent s’arrêter) lorsqu’elles atteignent la capacité de charge, la première à atteindre la limite étant celle de l’environnement (figure 6). Au-dessus de ces colonnes se trouve un triangle représentant le DD, initialement horizontal. Le contenu de ce triangle est constitué des relations entre les capacités (figure 7), ce qui peut induire des stratégies à mettre en œuvre. Outre sa complexité (Mauerhofer signale avoir omis le cône de la capacité de charge sociale pour des raisons de simplicité de figure), cette représentation bute sur la commensurabilité des capacités/services : en quoi la capacité environnementale grandit-elle de façon semblable et à vitesse semblable aux autres capacités ? En quoi dès-lors attendra-t-elle plus rapidement que les autres la capacité de charge environnementale ? Cette représentation résout par contre les difficultés conceptuelles des autres représentations par cercle pour lesquelles la signification n’était pas précisée : représentaient-ils des services, des capitaux, quels étaient les liens entre eux ?
Dans cette représentation, le DD est représenté par un triangle qui symbolise un ensemble de politique à mener.
Une version simplifiée de cette représentation a été proposée par Marghescu (2009 : 25) qui critiquait la représentation du DD comme un triangle reposant « seulement » sur les trois piliers du DD, et estimait que ces piliers reposent eux-mêmes sur les ressources naturelles, fondation qu’il faut préserver (figure 8). La difficulté de cette version réside dans la signification du triangle : on voit ce sur quoi il repose, mais qu’est-il au juste ? De même, quels sont les contenus des piliers ? Ici aussi la consistance n’est pas atteinte.
Rockström (voir ci-après figure 14), a montré que des sous-ensembles du capital environnemental étaient surexploités, ce qui représente une menace pour la satisfaction des besoins des générations futures. Cette représentation a semblé très efficace et des scientifiques ont souhaité reprendre le concept en y intégrant des préoccupations sociales. Ceux-ci considèrent que des limites environnementales ne doivent pas être dépassées (plafond), mais que des minimums sociaux doivent eux être dépassés (plancher). Une représentation en a été faire par Raworth. Cette représentation a été publiée par Oxfam (Raworth, 2012) puis reprise et développée par le WWF (figure 9).
Il faut noter la difficulté de représentations du type de la figure 9 : les indicateurs sont discontinus et peu clairs. Comment traduire en minimum de ressources environnementales le besoin en éducation, en santé ou en résilience ? Et s’il n’y a pas de volonté de traduire les planchers sociaux d’éducation, de santé et de résilience en ressources minimales, pourquoi les mettre sur un même schéma ? On peut parler d’incohérence dans les axes radiaux.
Le chapitre 4 vient de faire le tour le plusieurs représentations du DD qui ont des difficultés à respecter les critères d’acceptabilité rationnelle tels la consistance et la cohérence interne. D’autres représentations du DD n’ont pas ces difficultés. Le chapitre 5 a pour but d’aider l’utilisateur à choisir une représentation
Choisir sa représentation du DD : recommandations
Parmi les représentations acceptables d’un point de vue rationnel, Le souci pour ceux qui veulent les utiliser est de savoir laquelle choisir. On l’a vu (chapitre 2), il faut la choisir en fonction de sa visée, de son objectif.
Prendre des distances par rapport à la figure « canonique » du DD
Utiliser la représentation du diagramme de Venn (figure 11) comme représentation « passe-partout » pour expliquer le DD est problématique. Elle n’explique aucunement en quoi le développement actuel n’est pas durable, notamment elle ne montre pas l’état du développement. Elle ne montre pas non plus l’état à atteindre. Elle montre que quand un acteur (politique) veut apporter des réponses, celles-ci doivent tenir compte d’aspects économiques, sociaux et environnementaux.
Boutaud a montré que cette représentation était un compromis entre deux représentations antagonistes (tableau 2) (Boutaud, 2005).
Figure 10 : approche technico-économiste |
Figure 11 : approche consensuelle |
Figure 12 : approche écosystémique |
Approche technico-économiste Discours : « pas de protection de l’environnement (ni sociale) sans une base économique forte » Priorité : économique Type d’acteurs : entreprises |
Approche de compromis / consensuelle Discours : « concilier protection de l’environnement, équité sociale et croissance économique » Priorité : pas de priorité, équilibre Type d’acteurs : acteurs publics |
Approche écosystémique
Discours : « pas de pérennité du système humain sans prise en considération des capacités de la biosphère » Priorité : écologique Type d’acteurs : écologistes |
Tableau 2 : l’équilibre entre les 3 piliers (secteurs, sphères, domaines) est un compromis
La représentation de compromis (ou consensuelle) bute sur des difficultés essentielles :
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il s’agirait de mettre « en équilibre » des éléments qui ne se mesurent pas avec le même indicateur, ruinant toute possibilité de mesurer l’équilibre ;
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son inconvénient majeur résulte de son avantage principal, à savoir un risque d’insignifiance (Boulanger, 2004) ;
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quand bien même un indicateur commun serait utilisé, comme la monnaie, il reste à déterminer la valeur atteinte à l’équilibre, ce dernier n’étant pas synonyme d’égalité.
A défaut de pouvoir qualifier et déterminer l’équilibre, la représentation de la figure 11 ne permet pas de concevoir des politiques opérationnelles de DD. Tout au plus observe-t-on la mise en place de politiques de collage consistant en « une simple juxtaposition d’objectifs économiques, sociaux et environnementaux » (Theys, cité par Pelenc, 2014 : 12).
Une autre critique essentielle peut être adressée à la représentation du DD à l’intersection des trois domaines/secteurs : en quoi être uniquement dans un secteur n’est-il pas durable ? Une personne qui chante avec des amis (activité qui se situe uniquement dans le domaine social) ne ferait-elle pas une activité durable ? Une personne qui en réconforte une autre non plus. Pourtant elles répondent à un besoin actuel sans compromettre ceux des générations futures…
Des tentatives ont émergées pour compléter la représentation « canonique » en y ajoutant des éléments considérés comme manquants : la culture, la notion de générations futures, la notion de territoire, la place de la gouvernance et ses principes… Cela a donné lieu à la représentation proposée par Diemer à la figure 13 (Diemer, 2015). Cette figure qui se veut expliquer globalement le DD a l’inconvénient d’être complexe, et de n’aborder ni l’état du système, si les pressions sur le système, ni l’état final souhaité. Elle se concentre sur les réponses à apporter par les humains.
Adapter la représentation à l’objectif visé
5.2.1 Représenter l’état du système
Si le but est d’expliquer globalement pourquoi il y a un problème, ce qu’il est souhaitable d’atteindre, il convient d’utiliser des représentations décrivant l’état du système.
L’approche scientifique va travailler sur des indicateurs précis, ce qui va donner des représentations partielles. Ces représentations sont :
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uniquement environnementales (par exemple Rockström (2009), figure 14) ;
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multi-capitaux, combinant un indicateur environnemental avec un indicateur social (Boutaud 2005, repris par WWF et Footprint network).
Issue de travaux de Rocholl (2001 : 4), il existe une représentation très semblable à celle de la figure 12. Cette représentation est fondée sur un indicateur de ressources environnementales par personne, assorti une condition sociale de minima pour une « vie digne », et sur une condition environnementale à ne pas dépasser pour la soutenabilité environnementale (capacité environnementale disponible) ; les deux conditions limitent une zone dans laquelle doit se trouver la zone de durabilité. Le premier indicateur indicateur est croisé avec un indicateur de bien-être lui-même assorti d’une condition sociales, à savoir le bien-être atteint par les sociétés occidentales.
Il faut noter la similitude avec la représentation de Raworth (figure 9), mais avec moins d’ambiguïté : c’est bien le même indicateur de ressource(s) qui est utilisé.
Dans la mesure où le niveau de bien-être est l’IDH et que l’indicateur d’utilisation de ressources est l’empreinte écologique, la représentation devient semblable à celle de la figure 15. Elle deviendrait identique si on y ajoutait une empreinte écologique minimale.
Cette représentation présente quelques difficultés ou manques :
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les indicateurs agrégés de ressources sont assez discutés (empreinte écologique, Total Requirement Material, gaz à effet de serre…), il n’y a pas d’unanimité à leur sujet ;
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le plancher à dépasser dépend de la définition de la « vie digne », il n’existe pas une seule définition qui fasse consensus ;
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une fois la définition de la vie digne établie, on rencontre la même difficulté d’opérationnalisation qu’en « a » pour des indicateurs de ressources ;
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le problème posé par le fonctionnement au-dessus de la capacité environnementale disponible n’apparaît pas. Actuellement, les pays industrialisés connaissent cette situation et rien de mal ne se passe. La représentation n’indique pas en quoi c’est un problème, en quoi il y aura des conséquences négatives ;
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les acteurs n’apparaissent pas. Il n’y a pas d’intérêts en jeu ni de lutte de pouvoir ;
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la diversité potentielle des développements n’apparaît pas. On peut croire que le développement des pays industrialisés est « le » modèle à suivre ;
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ni l’évolution des indicateurs dans le temps, ni leur sensibilité à certains facteurs (la croissance démographique par exemple) n’apparaissent. Ceci empêche de mettre en lumière le caractère dynamique du DD.
Les représentations précédentes (figures 14 à 16) ont l’avantage de la précision, mais l’inconvénient de l’incomplétude : les indicateurs ne décrivent qu’une partie du problème global. Les représentations suivantes, issues des travaux de Carley et Spapens (1997) et citées par Paredis (2005 : 13-14 et 26) illustrent le problème à résoudre et le type de solution souhaitée.
Problème actuel |
Objectifs problématiques |
Objectif de DD |
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Figure 17 : la répartition est équitable mais non soutenable |
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Figure 18 : la terre est écrasée par la trop grande utilisation de ressources (somme des carrés rouges), répartie inéquitablement
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Figure 19 : la quantité de ressources (somme des carrés rouges) est compatible avec un fonctionnement normal de la terre et est répartie équitablement |
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Figure 20 : la situation est soutenable écologiquement (somme des carrés rouges) mais inéquitable |
Le développement durable est principalement abordé dans sa composante production-consommation, mais apparaissent également des aspects participatifs (« macht en inspraak » : pouvoir et participation) et des aspects de qualité de vie (« levensqualiteit »).
Les difficultés de cette représentation ou de cet ensemble de représentations, sont les suivantes :
-
les carrés rouges représentant des ressources, leur taille maximale compatible avec une soutenabilité environnementale (par exemple, la biocapacité divisée par le nombre de personnes) est-elle suffisante pour mener une vie heureuse ? La représentation le présuppose, mais ce n’est pas explicitement établi ;
-
l’objectif est trop uniforme. Les formes rouges peuvent être différentes pour chaque individu : chacun, en fonction de son lieu, sa situation, son âge, mobilise des ressources différentes ;
-
la dynamique pour passer d’un état à un autre n’apparaît pas.
5.2.2 Représenter la dynamique du système
La façon de vivre des humains d’une génération n’a pas toujours occasionné une difficulté pour la génération suivante. Il y a donc lieu de prendre en considération la dynamique temporelle.
Il existe plusieurs représentations qui indiquent en fonction du temps qu’on entre ou sort de la zone de durabilité. Nous reprendrons celle de Wackernagel et Rees (1999) qui utilise l’indicateur « empreinte écologique » qui exprime en m² l’ensemble de nos activités et montre son évolution dans le temps en regard de la biocapacité, qui est une limite à ne pas dépasser. La représentation graphique se décline comme montré à la figure 21.
Cette figure exprime la dynamique temporelle sur un seul secteur (environnemental). Nous aurions pu prendre de multiples graphiques mettant en regard la variation temporelle d’un indicateur environnemental et d’un indicateur économique (cf. tous les graphiques d’intensité).
Au-delà de la dynamique temporelle, il serait utile d’avoir une représentation graphique systémique des forces en présences orientent les variations du système en matière de développement durable. A notre connaissance, cela n’existe pas, excepté partiellement le modèle « transgovern », partie « transformation des conditions de vie » (BFP, 2009 :12)qui indique de manière suggestive ce qui influe sur quoi (figure 22).
Figure 22 : les flèches blanches indiquent les forces modifiant l’état du système
Cette représentation est néanmoins très peu suggestive. Un accroissement de la recherche à ce sujet comblerait un vide.
5.2.3 Représenter les réponses à apporter
Pour passer d’un état insatisfaisant à un état souhaité, il est nécessaire d’apporter des réponses modifiant l’état ou la dynamique du système.
La représentation « canonique » (figure 11) indique qu’il y a lieu de ne pas apporter des réponses sectorielles mais au contraire de mener des politiques et stratégies tant publiques que privées qui soient à la fois économiques, sociales et environnementales.
Que les piliers du DD soient au nombre de trois est néanmoins contesté :
- certains estiment qu’il faut ajouter un quatrième pilier, celui de la gouvernance, comprenant la participation (Brodhag, 1999 ; Nurse, 2006) ; Diemer (2015) rappelle qu’il fait impliquer les citoyens et que les réponses apportées doivent l’être dans un cadre de bonne gouvernance, qui englobe le tout (figure 23).
Figure 23 : les réponses doivent être insérées dans un cadre de bonne gouvernance
- d’autres estiment que la culture est le quatrième pilier du DD (Antoine, 2005) : « Le développement durable implique un changement dans les comportements, ce qui conduit à s’interroger sur sa compatibilité avec le respect de la diversité culturelle. La culture est devenue, lors du Sommet de Johannesburg, en 2002, le quatrième pilier du développement durable, aux côtés des piliers social, économique et environnemental. » Dès lors, un quatrième cercle est apparu avec le secteur culturel, ce qui fait penser à une fleur (créé par le bureau de consultance Adéquations en 20081, repris par Diemer (2015)) (figure 24).
Figure 24 : la fleur du développement durable
On l’a vu, Diemler a tenté de combiner l’ensemble dans un schéma (figure 13). Dans ce schéma, il indique en outre que les réponses portent sur des enjeux temporels et s’inscrivent dans des territoires.
La présence des dimensions temporelles et spatiales avait été développée dans une représentation en 2005 mais le message était différent : il portait sur le processus de gestion de l’intérêt général. Van Parijs (communication privée) estime que l’apport spécifique du concept de DD est de poser la question de la possibilité de la généralisation des modes de vie dans le temps et l’espace (Flipo parle de « généralisabilité » à l’humanité entière, (Flipo, 2014), André Gorz dit que « notre mode de vie n’est ni généralisable ni durable » (Fournel., 2012)). Boutaud utilise les mêmes critères temps/espace lorsqu’il dit que le DD élargit la notion d’intérêt général (Boutaud, 2005). Le DD est alors représenté comme le processus qui élargit la façon de penser et de gérer l’intérêt général (figure 25).
Figure 25 : le DD est le processus qui élargit la façon de penser et de gérer l’intérêt général
Le test de durabilité des décisions du gouvernement fédéral belge entre 2007 et 2013 fut construit sur cette représentation : il fallait se poser la question de la généralisation dans le temps et l’espace de la décision prise, et ceci par rapport à l’économie, au social et à l’environnemental2.
Comme écrit ci-dessus, il y a lieu de mener des politiques et stratégies tant publiques que privées pour passer d’un état non souhaitable à un état désiré. Une partie de ces politiques auront pour but de modifier des comportements, ce que Theys (2001 : 273) rappelle lorsqu’il dit que « le développement durable est un principe normatif sans norme ». Le DD est normatif dans la mesure où, au nom du DD, il est demandé de modifier ses attitudes, croyances et comportements. Nous devons donc modifier nos comportements, ceux-ci ayant pour objectif de satisfaire nos besoins. Comme l’ensemble de nos comportements font une stratégie, Rauschmayer représente le DD (figure 26) comme la justification d’une limitation des stratégies des acteurs dans l’utilisation des ressources pour satisfaire leurs besoins, parce qu’il faut laisser des ressources aux générations futures pour qu’elles puissent satisfaire les leurs (Rauschmayer F. et al., 2011, figure 8.23, notre traduction).
Figure 26 : le DD est la justification des limitations des stratégies des acteurs actuels dans l’utilisation des ressources pour satisfaire leurs besoins au nom de la conservation des ressources nécessaires à la satisfaction des besoins des générations futures
Dans le même sens, Schokkaert, dans une discussion sur les nouveaux indicateurs de progrès social, affirme que la durabilité ne peut, de manière sensée, être considérée comme une dimension du bien-être des générations actuelles, mais est une condition préalable, une limitation qui doit être imposées aux générations actuelles dans leurs efforts pour atteindre un bien-être maximal (Schokkaert, 2015 : 30).
Combiner les représentations, indiquer les limites
Par le simple fait de l’habitude ou de la disponibilité de l’information, le scientifique ou l’acteur de terrain qui souhaite utiliser une représentation graphique du DD va être attiré vers la représentation « canonique » (figure 11, figure 22). S’il a accès à une source qui lui propose plus de représentations graphiques, il choisira une représentation en fonction de son objectif, de sa visée : veut-il mettre l’accent sur l’état problème, l’état souhaité ou sur les réponses à apporter ?
Le second élément est de fixer le degré de précision de son discours. Veut-il transmettre au destinataire une compréhension globale et holistique ? Ou au contraire veut-il transmettre des éléments précis ? Il y a concurrence entre ces deux volontés : pour que le destinataire puisse retenir le message, celui-ci doit être suffisamment simple. Dès lors la forme globale manquera de précision et la forme précise manquera de globalité.
Le scientifique ou l’acteur de terrain se sentira sans doute frustré de ne transmettre qu’une information très incomplète. Dès lors, pourquoi ne pas combiner les représentations graphiques pour qu’elles se complètent mutuellement ? Ceci peut se faire, tout en attirant l’attention sur les limites de chaque représentation.
Par exemple, dans le but de transmettre ses connaissances à des étudiants dans un cours généraliste sur le DD, on peut commencer par une vision holistique de l’état du système. Les figures 17 à 20 sont alors appropriées. Il faut indiquer aux destinataires que les carrés rouges symbolisent un indicateur réel tel l’empreinte écologique, et que l’inclinaison de la balance symbolise un indicateur tel l’IDH, alors la figure 15 est indiquée ; il y a néanmoins lieu de répéter que la représentation est partielle et que l’agrégation d’indicateurs est un construit social discuté. A la question des forces qui ont amené à cette situation, la figure 21 peut être utilisée. Quant aux actions à entreprendre pour aller vers l’état souhaitable, on peut utiliser la figure 13, mais elle est complexe, touffue et non exhaustive. L’alternative est d’utiliser successivement les figures 23, 24, 25 et 26 chacune apportant un message complémentaire. Les étudiants peuvent aussi être sensibilisé à l’aspect construit et conflictuel du DD en faisant comprendre que la figure 23 est un compromis entre les figures 10 et 12 portées par des acteurs aux intérêts divergents. Ceci peut amener une réflexion sur l’aspect idéologique du DD (Krieg-Planke, 2010). Enfin, les figures 3, 4 et 5 sont utiles pour expliquer un des objectifs du DD (transmission d’un capital supérieur) et la différence entre la durabilité faible et forte ; il faut alors on mettre en garde le destinataire sur l’aspect purement symbolique de cette représentation et sur l’incommensurabilité entre les capitaux, ce qui relativise l’intérêt de cette représentation.
Les représentations sont avant tout sociales
Chaque représentation abordée ci-avant est un ensemble organisé d’informations, d’opinions, d’attitudes et de croyances à propos d’un objet donné, le DD. Elles ne sont pas le fait d’un individu isolé ni d’une pure abstraction théorique issue d’une science neutre, mais sont des construits sociaux.C’est alors le concept de représentation sociale qui est pertinent car « décrire une représentation sociale revient à décrire comment un objet – au sens large – est pensé par une communauté » (Lahlou S., 2003 : 37 in Abric J.-C., 2003). Une représentation sociale a potentiellement quatre fonctions :
- elle donne du sens au concept et permet de le communiquer en image ou en mot ;
- elle fonde l’identité d’un groupe ;
- elle justifie à posteriori des choix ;
- elle guide les comportements.
Les 6 chapitres précédents ont été axés sur la transmission de sens via des dessins et figures, et aussi sur la volonté d’orienter les comportements.
Il faut néanmoins prendre conscience que le choix d’une représentation sociale sera en partie dépendant de son groupe d’appartenance. Une représentation sociale du DD employée par les scientifiques, les employeurs, les syndicalistes ou les environnementalistes doit correspondre à l’identité de chacun de ces groupes. Le sens donné au DD va correspondre à leur identité. La communication du sens (de la signification) du DD via une représentation sociale, graphique ou non, va donc dépendre de l’identité du groupe d’appartenance.
Il faut également prendre conscience que les représentations sociales sont utilisées pour justifier à postériori des choix et comportements. Elles vont servir à réduire la dissonance cognitive.
Ces deux éléments méritent d’être soulignés dans un contexte de formation, pour apprendre aux formés à décoder l’intérêt des acteurs derrière la transmission de sens et derrière la volonté de modifier les comportements.
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