Les anglo-saxons ont la chance de disposer du mot « accountability » dans leur vocabulaire. Ce nom commun est traduit en général en français sous l’angle de la responsabilité, mais il recouvre aussi la notion de « rendre des comptes », « d’imputabilité ». Il s’agit d’une notion essentielle en démocratie, permettant la sanction de l’homme ou de la femme politique, de la fonction, du Ministre, du parti,… réellement responsable d’une faute ou d’une mauvaise gestion. Pour permettre aux citoyens de faire un choix éclairé lors d’une élection, il est nécessaire de pouvoir identifier qui agit, où, quand, et avec quelle conséquence. Les médias ont une mission importante à remplir dans ce cadre, mais la structure des institutions et la nature du discours politique jouent également un rôle à part entière, et peuvent faciliter ou compliquer cette mission.
Plusieurs facteurs institutionnels influent sur cette « imputabilité ». Le mode d’élection tout d’abord. Un système majoritaire, amenant un seul parti au pouvoir, permet, en théorie, d’identifier clairement l’origine de la prise de décision et de la sanctionner le cas échéant aux élections suivantes. Mais il s’accompagne de nombreux effets pervers (course au centre ; système bi-partisan ne permettant pas l’émergence de nouveaux partis ou de nouvelles idées ; exclusion de tout un pan de l’électorat, qui vote par défaut ou ne vote plus ; peoplisation à l’extrême,…) Étant donné les écueils du système majoritaire, nous n’envisageons pas de modifier cet aspect de la question. Néanmoins, un système proportionnel, s’il est plus démocratique, rend plus difficile l’identification d’un responsable, vu le jeu des compromis au sein d’une coalition, il est dès lors d’autant plus nécessaire de clarifier au maximum les autres facteurs à prendre en compte.
L’organisation de l’État ensuite, en particulier dans un État fédéral, où les compétences, et donc les responsabilités, sont partagées entre différents niveaux de pouvoir. A cet égard, des réformes importantes sont nécessaires. En effet, dans l’état actuel des choses, la majeure partie des citoyens n’ont pas la possibilité matérielle de consacrer un temps important à comprendre et à suivre les différents niveaux de pouvoir et les différentes prises de décision. La très grande complexité des institutions belges empêche de ce fait l’exercice plein et entier de leur rôle, et de leurs droits, de citoyens. Pour l’anecdote, le Parlement wallon a récemment commandé un sondage sur la perception de l’espace politique wallon. Dans celui-ci, la première réponse donnée à la question « Quelles sont les compétences de la Région wallonne ? » fût l’enseignement.
L’existence de niveaux de pouvoir nombreux et complexes permet également à certains responsables politiques de se renvoyer la balle plutôt que de faire avancer concrètement certains projets. Emploi, mobilité, enseignement, santé,… toutes ces compétences sont morcelées entre niveaux de pouvoir et parfois re-transférées entre régions et communautés et vice-versa. Une simplification drastique des institutions est nécessaire, à la fois dans un but d’efficacité, mais surtout de transparence et de démocratie.
Ajoutons à ces considérations relatives à l’exercice par le citoyen de ses droits démocratiques et à l’efficacité des prises de décision l’examen des conséquences en termes d’éthique et de bonne gouvernance de la multiplication des étages, structures et organes de gestion. Les récents scandales Publifin-Nethys mais aussi ISPPC montrent que lorsqu’un niveau de pouvoir est peu connu, peu médiatisé, il est dès lors peu contrôlé car peu soumis à la vigilance des journalistes, des élus et des citoyens, et donc également à la sanction potentielle des électeurs. Si nous nous intéressons à l’exemple de la Province de Liège exposé au grand jour dans le cadre du scandale Publifin, nous pouvons constater que le problème est lié notamment à l’existence d’une majorité en place depuis plus de 30 ans et d’un partage des mandats entre partis traditionnels. Vu le peu d’attention médiatique et citoyenne, ces partenaires ne sont pas soumis aux « règles » habituelles de la politique et aux conséquences d’élections permettant un bilan régulier de l’action d’une majorité. Même si les récents développements de Nethys ont pris une dimension inédite en quelques années, les protagonistes qui ont permis la mise en place de ce système sont présents depuis plusieurs dizaines d’années au sein des institutions provinciales, cumulant les mandats, et accumulant des rémunérations inversement proportionnelles à leur discrétion.
En prenant en compte ces différents éléments, deux mesures de simplification et de rationalisation devraient être adoptées en parallèle : la suppression des provinces, et la suppression des communautés (ou plutôt la suppression de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et la transformation de la Communauté germanophone en Région). Les régions de Wallonie et de Bruxelles deviendraient de ce fait compétentes pour la culture et l’enseignement (y compris provincial), et seraient clairement identifiées comme un niveau de pouvoir cohérent, entre l’État fédéral et les communes.
La possibilité pour les régions de lever l’impôt pourrait aussi contribuer à résoudre la question du financement de l’enseignement, et rendrait caduque la réticence la plus fréquemment exprimée lorsqu’on évoque aujourd’hui le transfert de l’enseignement provincial au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En effet, la Province, disposant d’une assemblée d’élus directs, a la possibilité constitutionnelle de lever cet impôt. Sa mise en œuvre se réalise principalement via le système des centimes additionnels au précompte immobilier. En transférant la compétence de l’enseignement aux Régions, la question du financement ne se pose pas, les Régions disposant également de ce droit, à l’inverse des Communautés. En parallèle, ce transfert de compétences devrait s’accompagner d’une plus grande autonomie accordée aux directions et aux équipes pédagogiques. Ce transfert permettrait également de mettre en place une politique culturelle cohérente, prenant en compte la différence, la richesse et la diversité des régions bruxelloise et wallonne. Au delà, en mettant l’économie au service de la culture et de l’émancipation, Bruxelles, la Wallonie et la Communauté germanophone pourraient mettre au diapason leurs réalités culturelles, économiques et démocratiques.
De plus, cette réforme n’empêche nullement de mettre en place des politiques décentralisées, par bassin, en consultant les communes concernées, mais aussi les usagers et les associations. Cependant, il n’est pas nécessaire de disposer pour ce faire d’une assemblée d’élus, et d’une administration à part entière. Si des communautés de communes devraient également être autorisées et soutenues afin de mettre en place des projets en commun, les services et activités actuellement pris en charge par les provinces, les intercommunales, ou d’autres structures de ce type, devraient être remplis par des institutions sous contrôle, et donc responsabilité, de la région.Cela n’empêche ni la consultation des pouvoirs locaux ni le maintien d’un capital et de dividendes communaux, mais cela rend effectif le contrôle et l’identification de responsabilités, opaques et éclatées dans le cadre actuel.
La réforme proposée ici ne résoudra bien évidemment pas tous les problèmes institutionnels et démocratiques en Belgique francophone. Une évaluation de la 6e réforme de l’État et le transfert supplémentaire de certaines compétences aux régions ou la refédéralisation d’autres compétences pourraient s’avérer nécessaire afin d’aboutir à un modèle cohérent et efficace. D’autres mesures visant à réformer la fonction publique, l’éthique, la gouvernance, et de façon générale mettant en place une véritable démocratie participative (et non représentative), devraient être adoptées, mais elles font ou devraient faire l’objet d’autres propositions, analyses et débats.