Le commerce international, vecteur de croissance et… d’émissions de gaz à effet de serre

Le commerce international devrait être au cours des prochaines décennies le moteur le plus important de la croissance économique qui reste l’alpha et l’oméga du logiciel politique dominant en dépit des dommages collatéraux régulièrement mis en lumière. Selon l’OCDE, « la croissance mondiale marquera le pas, passant de 3.6 % entre 2010 et 2020 à 2.4 % entre 2050 et 2060 – conséquence du vieillissement de la population et d’une décélération progressive dans les économies émergentes (…) [La croissance des pays riches plongera à 0,5 % par an d’ici la fin de la période considérée.] Les accords commerciaux mondiaux généreront les gains les plus importants en termes de PIB mondial et de bien-être d’ici 2060 »

C’est dire à quel point beaucoup est attendu de la conclusion des accords commerciaux. Le revers de la médaille tient dans le fait que la profusion d’accords de ce type entraînerait une augmentation de 290 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur du fret international du fait du quadruplement projeté des échanges de marchandises.

Les émissions de CO2 ne seront bien entendu pas les seules nuisances environnementales. Une étude macroéconométrique menée sur 187 pays et un total de près de 16.000 secteurs (!) a déterminé que, entre 1990 et 2011, le contenu en émissions de CO2 des exportations mondiales a augmenté de 10,5 %, du CH4 de 14,7 % et du N20 de 23,6 %. Des chiffres similaires ont été identifiés pour les polluants atmosphériques (+17,8% pour le CO, +16,5 % pour les composés organiques volatils non méthaniques (COVNM) par exemple). Les auteurs ont même évalué l’impact des grands secteurs de l’économie sur les émissions de gaz à effets de serre et les polluants atmosphériques (cf. tableau).

http://www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1006388108

Trade creation Vs trade diversion

À l’occasion de la mise en œuvre de la transformation écologique et juste de l’économie, il est nécessaire de promouvoir certains secteurs comme l’énergie propre et renouvelable, l’économie sociale, mais aussi certains types d’acteurs comme les coopératives et les PME. Cette discrimination positive opérée envers les PME plutôt qu’envers les grandes entreprises s’explique parce que celles-ci sont plus résilientes, plus innovantes et plus enracinées dans leurs territoires que les grandes entreprises. Celles-ci sont à l’origine de la mise en concurrence des travailleurs (en particulier entre leurs propres unités de production, cf. ArcelorMittal qui n’a pas hésité à jouer Liège, Florange contre Gand et Brême notamment ou encore Caterpillar qui coule Gosselies, site pourtant rentable) et de la mise en concurrence de ces mêmes territoires qui doivent rivaliser de privilèges pour attirer leurs investissements. Par ailleurs, les grandes entreprises contribuent à la déconnexion entre économie réelle et sphère financière dans le sens où une part croissante de leurs résultats est liée à leurs opérations financières (prises de participations, etc.) plutôt qu’à leurs activités commerciales.

Or, concernant la question du commerce international, les deux catégories d’entreprises n’en profitent pas de manière égale. Les PME (<250 travailleurs) qui représentent 99,8 % des entreprises opèrent généralement à l’échelle nationale, voire européenne et assez peu au-delà des frontières de l’UE. Selon la BNB, 1 % des entreprises exportatrices belges – qui sont de grandes tailles – concentrent plus de la moitié des exportations du pays. 1 % correspond à moins d’une centaine d’entreprises. En France, 1 % des entreprises s’arroge une part du lion de 70 % ! La proportion fluctue autour de ces chiffres dans les autres pays.

Les secteurs bénéficiant le plus des accords commerciaux sont caractérisés par une présence structurellement plus marquée des grandes entreprises. La chimie, les équipements de transport, les équipements électriques et optiques, les machines et équipements et les produits alimentaires sont les principaux exportateurs. A l’exception de ce dernier secteur, ils sont tous dominés par des grandes entreprises.

Les accords commerciaux tels que le TTIP et le CETA pour les plus connus d’entre eux tendent donc à favoriser les plus grandes entreprises. Mais, en cherchant à promouvoir le commerce transatlantique, on provoque un effet collatéral qui tient dans la réduction des flux commerciaux entre partenaires européens. Ainsi, plutôt que de se faire livrer des machines par une entreprise allemande, une compagnie belge pourrait désormais trouver plus attractif de se tourner vers un fournisseur nord-américain. De la sorte, cette entreprise allemande perdra un client. Or, celle-ci peut être une PME ou une grande entreprise autour de laquelle s’activent des sous-traitants, la majorité étant des PME. Ainsi, le commerce international produit à la fois du « trade creation » mais aussi du « trade diversion ». Mais, comme on l’a vu, le « trade creation » profite surtout aux grandes entreprises mondialement actives tandis que le « trade diversion », parce qu’il se déroule au niveau intra-européen, nuit au développement des PME.

Même si 600.000 PME exportent au-delà du marché européen, cela ne fait que 3 % du nombre total d’entreprises. Ce faible pourcentage s’explique par la difficulté à trouver de nouveaux clients sur les marchés étrangers, l’existence d’un personnel disposant des compétences requises pour mener à bien l’internationalisation de l’entreprise, la maîtrise des réglementations domestiques et la concurrence internationale.

Le principe de réalité

Faut-il pour autant tourner le dos au commerce international et s’y opposer ouvertement ? Une telle attitude n’est ni réaliste, ni souhaitable. En effet, cela laisserait entendre que l’UE pourrait s’enfermer dans un modèle autarcique. Or, cela est tout-à-fait impossible sur le plan pratique car le territoire européen regorge de trop peu de ressources utilisées comme matières premières dans les processus de production. Et il n’est pas question ici uniquement de ressources énergétiques comme le pétrole ou le gaz dont on connaît la dépendance de l’UE à l’égard de la Russie, de l’Arabie Saoudite, de l’Algérie, du Qatar ou de la Norvège : une étude a montré que 30 millions d’emplois dépendaient directement de l’accès à des matières premières. Une liste de 54 matières premières dites « critiques » (en raison des risques potentiels pesant sur leur approvisionnement et leur importance pour le système économique) fut établie par un groupe d’experts à la demande de la Commission. Leurs recherches permirent de conclure que pas le moindre État membre ne figure parmi les 10 plus importants producteurs pour aucun d’eux. L’UE est dépendante à plus de 90 % du reste du monde !

C’est d’autant problématique que l’accès en suffisance et à prix raisonnable à un certain nombre est essentiel à la transition écologique : par exemple, les terres rares employées dans les éoliennes, le lithium pour les batteries des véhicules électriques, le beryllium pour les technologies électroniques et de l’information, le borate pour l’isolation (verre), le cobalt pour les batteries et les catalyseurs, le gallium pour l’énergie solaire (avec l’indium) et la confection de batteries et aimants.

La dette écologique

En 2011, le Programme des Nations Unies établissait que les ressources extraites au niveau mondial sont passées de 7 milliards de tonnes métriques en 1900 à 55 milliards en 2000. En l’espace de 35 ans, le commerce des matières premières a été multiplié par 3,5, les pays industrialisés important 2/3 de toutes les matières. Une récente étude a entrepris de mettre à jour la dette écologique que le commerce de ressources non-renouvelables et les dégradations environnementales dans les pays producteurs avaient occasionnée. La dette écologique recouvre deux dimensions : d’une part, l’exportation de produits de régions et pays pauvres à des prix qui ne reflètent pas les nuisances locales causées par ces exportations ou l’épuisement des ressources naturelles, en échange de biens et services émanant de régions et pays riches ; d’autre part, la tendance des pays riches à utiliser de manière disproportionnées l’espace environnemental (l’empreinte écologique) sans en payer pleinement le prix. De la sorte, les riches n’assument pas toutes les nuisances inhérentes à leur développement économique ; la plupart se produisent dans les pays d’exportation où les politiques environnementales et les budgets qui y sont dédiés sont presque inexistants et où les mouvements sociaux mobilisés sur ces questions – lorsqu’ils existent – sont ignorés.

Outre l’épuisement des ressources non-renouvelables, il faut souligner les inégalités intergénérationnelles induites par la dégradation des sols utiles à la production de biomasse dans la mesure où elle risque d’empêcher les futures générations de jouir en suffisance de ces ressources, en particulier alimentaires.

S’il est bien question de dette écologique, les auteurs n’entrent volontairement pas dans la question de la valorisation monétaire de la dette car cela reviendrait à mettre un prix sur les ressources, ce qui ferait appel à des choix méthodologiques forcément contestables. Ainsi, se bornent-ils à évaluer les flux de matières (flux biophysiques) qui sont objectivement mesurables.

Le premier graphique présente les niveaux d’extraction domestique historique de ressources en tonnes par hectare. Autrement dit, il répond à la question : dans quelle mesure les 150 pays pour lesquels on dispose de données avait-il exploité les ressources disponibles sur leur propre territoire ? Les producteurs de pétrole que sont le Koweït, l’Irak et le Qatar viennent en tête. L’Europe et le Japon les suivent de près.

Le graphique suivant permet de distinguer les pays en fonction des ressources produites/extraites qui sont destinées aux exportations. Ainsi, la carte montre la balance des échanges physiques des 150 pays, c’est-à-dire la somme des importations de ressources moins les exportations. Plus l’indicateur est élevé, plus ledit pays est tributaire du reste du monde pour son approvisionnement et pour faire tourner sa machine économique. L’Europe, les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon qui, comme on l’a vu ci-dessus, figurent parmi les pays qui ont le plus exploité leurs sols sont aussi ceux qui s’appuient le plus sur le reste du monde pour en obtenir des ressources : ils se sont créé une dette écologique envers leurs générations futures mais aussi envers leurs pays fournisseurs.

Des balises à l’épreuve

Au moins deux grands cadres internationaux existent pour atténuer les dommages environnementaux. Il s’agit d’une part de l’Accord Climatique de Paris mais ces modalités restent encore à préciser et d’autre part des 17 Objectifs pour le Développement Durable qui furent adoptés par la communauté internationale quelques semaines plus tôt en septembre 2015 et qui relèvent d’une gouvernance douce dans le sens où il n’y a pas d’engagements concrets pris par les différents pays, ni de mécanisme de supervision contraignant, ni de sanctions.

Avec recul, le bilan du Protocole de Kyoto est mitigé car certes, il a permis une prise de conscience et des initiatives furent prises comme le système européen d’échange de quotas d’émission mais simultanément, il a encouragé les entreprises à délocaliser leurs activités les plus polluantes dans les pays plus laxistes.

Face à l’ampleur de la tâche pour rendre le commerce international compatible avec les limites biophysiques de la Planète, de nouveaux outils devront être créés.

Que faire ?

L’UE doit fixer comme précondition à l’entame des négociations la transparence et publicité des documents échangés entre les parties (cela est d’ailleurs la pratique dans le cadre multilatéral de l’Organisation mondiale du commerce).

Ensuite, l’UE doit s’assurer que l’accord de commerce et d’investissement contiendra une disposition :

  • rendant l’accord de Paris (COP21) contraignant pour elle-même et ses partenaires commerciaux.
  • d’évaluation périodique (annuelle ou triennale) qui, sur base d’une méthodologie agréée et utilisant des références internationales, évaluerait les effets en termes d’empreinte carbone des échanges commerciaux, en ce compris les émissions souterraines (embedded CO2) et le fret  ; cela permettrait de s’assurer que la condition précédente est respectée.
  • engageant les partenaires commerciaux à rejoindre avant la ratification dudit accord la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement
  • rendant les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux Droits de l’Homme contraignant pour les entreprises elle-même que pour les Etats où elles sont domiciliées/actives.
  • dite de « country by country reporting » à la manière de ce qui est en vigueur ou prévu dans plusieurs législations européennes et en vertu de laquelle les entreprises multinationales doivent déclarer par pays, le montant du chiffres d’affaires réalisés, les impôts payés, les subsides reçus et l’emploi,
  • obligeant les parties à soutenir que la future Cour multilatérale sur l’investissement (MIC) qui sera négociée dans les prochains mois/années doit
    • être symétrique dans le sens où la MIC ne visera pas seulement à protéger les intérêts des investisseurs (droits) mais aussi à s’assurer que ceux-ci se comportent de manière raisonnable (obligations), notamment au regard de l’ensemble des principes définis au niveau des Nations Unies ou de l’OCDE
    • être ouverte tant aux investisseurs privés, qu’aux Etats ou organisations de la société civile qui pourront s’y plaindre d’éventuels manquements des investisseurs privés
    • s’inscrire dans le cadre de l’article 31.3.c de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui spécifie que, en cas de litige, l’accord doit être interprété en tenant « compte, en même temps que du contexte, de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ».
    • reconnaître la doctrine anglo-saxonne des mains propres (clean hands doctrine) ou des principes similaires comme condition de recevabilité des plaintes
    • éventuellement être complétée d’un organe d’investigation indépendant chargé d’enquêter sur le litige, son origine et les éventuels dommages, à charge et à décharge des parties

 

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