Dans une précédente analyse, nous avons dressé un état des lieux de ce mouvement culturel et intellectuel. Héritier d’une certaine vision du progrès, le transhumanisme tente de promouvoir des technologies qui doivent permettre d’améliorer les capacités de l’être humain. Le développement de ces technologies pose cependant la question de leurs conséquences sur l’environnement, l’individu et la société. L’écologie peut alors utiliser sont outillage idéologique pour aborder ces questions. Le transhumanisme peut-il en retour réintégrer les questions écologiques ?
I L’analyse du transhumanisme au prisme de la pensée écologique
1. Les risques sanitaires et environnementaux des nouvelles technologies
Certaines applications technologiques défendues par les transhumanistes -et le rapprochement entre biologie et micro-électronique- sont d’ores et déjà utilisées dans notre quotidien, c’est le cas des nanotechnologies. Les nano-particules issues des nanotechnologies peuvent avoir des usages très vastes et laissent entrevoir de nouvelles potentialités[[Rapport de l’IDDRI
]] : modifier la structure des matériaux, nanomatériaux actifs pour une nano-médecine, intégrer des nano-capteurs dans des tissus artificiels, augmenter le rendement des panneaux solaires, optimiser le stockage de l’électricité pour les voitures, optimiser de la combustion des moteurs etc.
Cette révolution silencieuse comme en témoigne l’utilisation de nano-particules dans les LED, les cosmétiques… et leur ingestion par l’organisme humain autant que leur dissémination- dans la nature pose des problèmes sanitaires et environnementaux : quel est l’impact de ces technologies sur la santé humaine ? En l’état actuel des connaissances, il est impossible de connaître l’empreinte carbone de ces nouvelles technologies sur le moyen et le long terme. De même, sur le plan sanitaire, la taille rend les nano-technologies indétectables. Le risque d’un développement aveugle de ces technologies est d’être confronté à un scandale comparable à celui de l’amiante. Il est nécessaire de se doter d’outils pour détecter ces substances, et établir une nano-toxicologie.
Enfin, l’invisibilité des nano-technologies les rend difficiles à appréhender cette innovation, et tend à abolir la différence entre artifice et nature. Le transhumanisme, et ses applications amènent donc l’écologie à questionner l’éthique des nouvelles technologies et biotechnologies.
2. Le développement des technologies face aux problèmes éthiques
Il s’agit de réfléchir à des critères d’appréciation pour autoriser, encadrer ou interdire ce qui est rendu possible par la science. L’éthique envisagée par l’écologie s’inspire de la pensée de Hans Jonas et du principe de responsabilité. Ainsi, face aux technosciences, nous devons réfléchir aux conséquences de nos actes au-delà du présent, et adopter une éthique du futur. A cet égard, il existe une cohérence dans la pensée écologique qui conteste avec les mêmes arguments le développement de l’énergie nucléaire, la culture d’organismes génétiquement modifiés. Les exemples de figures considérées comme des opposants au transhumanisme, Jeremy Rifkin s’opposant aux OGM, comme Léon Kass opposé au clonage témoignent de cette congruence.
Alors que les écologistes prônent la prudence avec l’application du principe de précaution, les transhumanistes répondent par un « principe d’action ». La déclaration transhumaniste proposée par l’organisation « London futurist » en 2013 parle ainsi d’un « pro-actionary principal » au motif qu’il ne faudrait pas « laisser la timidité nous voler notre unique futur »[[Article transhumanisme, Dictionnaire de la pensée écologique p.1004
]] . Le transhumanisme prône alors une éthique utilitariste, selon laquelle un calcul coût/bénéfice où la technologie doit être développée si elle permet de maximiser les bénéfices (augmenter l’espérance de vie/exemple) et minimiser les maux (diminuer les souffrances). Selon les principes dégagés dans la déclaration du transhumanisme, il existe un « droit moral de ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie. »
Ces deux approchent du développement des nouvelles technologies montrent que le transhumanisme est fondamentalement irréconciliable avec l’écologie politique. More déclare, « si nous voulons continuer à améliorer la condition humaine et même aller au-delà, nous devons rester ouverts à l’inconnu. Nous devons jeter le principe de précaution. […] Amis de l’avenir […] si le principe de précaution avait été en vigueur par le passé, nous ne serions jamais arrivés là où nous en sommes aujourd’hui. Le principe de précaution est l’ennemi de l’extropie »[[Le principe de pro-action de More, dans l’article « The Périls of Précaution (Critique of Precautionary Principle) » cité dans Nicolas Crozatier, p154
]]
Peut-on toutefois envisager un transhumanisme éthique ? Selon le « technoprogressisme »[[https://iatranshumanisme.files.wordpress.com/2016/04/deboise_manon_part2.pdf
]] prôné par l’AFT Technoprog[[Association Française Transhumaniste, fondée en février 2010
]], le transhumanisme doit se saisir des questions éthiques et sociales, et s’inscrit ainsi dans le transhumanisme démocratique de James Hughes. Dans cette mouvance, les utopies futuristes telles que l’uploading, la cryogénisation ne sont pas mises en avant, et l’hypothèse de singularité ne fait pas consensus ; ce mouvement se détache donc du versant libertarien américain et de ses figures telles que Ray Kurzweil. L’enjeu est d’assurer l’égalité en droit et en dignité entre tous les êtres conscients, et d’assurer l’accès aux individus aux nouvelles technologies, sans accaparement par les riches. Jean-Michel Besnier parle ainsi d’un « hyperhumanisme ». Si nous avons déjà montré qu’il s’agissait ici d’une tendance minoritaire, les soubassements théoriques n’en questionnent pas moins les visées progressistes de l’écologie politique. En effet, s’il paraît louable de vouloir corriger un handicap, ou d’utiliser les technologies dans un rôle thérapeutique, la frontière avec l’amélioration est complexe à déterminer, comme le montre le philosophe Canguilhem, et des innovations telles que la vaccination ou la contraception[[https://iatranshumanisme.files.wordpress.com/2015/02/la-critique-du-transhumanisme.pdf p73
]].
3. Les conséquences du transhumanisme sur l’évolution des sociétés
Le développement généralisé des technologies transhumanistes se traduirait par l’avènement d’une société aux individus augmentés. Dans une telle société, les individus auraient la possibilité de s’améliorer grâce à l’intelligence artificielle, et à l’utilisation de prothèses, et de s’affranchir des maladies, ou du vieillissement. L’IDDRI a développé un scénario imaginant les conséquences de ces technologies à l’horizon 2050. Les conclusions tablent sur une société duale, basée sur un capitalisme libéral où le marché est le modèle central d’organisation sociale. L’allongement de l’espérance de vie implique une stabilisation de la démographie grâce à la manipulation de la procréation, et au contrôle des naissances.
Schématiquement, la dualité de cette société oppose une élite riche qui a accès aux technologies d’augmentation au reste de la population. Les riches vivent dans des ilots artificiels ultra urbanisés où le logement est dense, hyperconnecté et s’apparente à des « gated communities », facilitant la sécurité, mais également la surveillance et le contrôle. Le développement de l’industrie des nouvelles technologies a accru la collusion avec la sphère politique, effaçant ainsi les notions de frontière et d’identité nationale, et aboutissant à une auto-exclusion des individus non-augmentés par un mécanisme de « cens caché ». Le moteur de la société et de l’économie sont la recherche de la performance, de la compétitivité, réservant ainsi l’accès aux plus performant. Les inégalités se creusent entre les individus augmentés, et les autres, qui profitent des gains selon la théorie du ruissellement, ou « trickle down effect », les plus pauvres n’ayant accès qu’à un équipement de base fourni par les pouvoirs publics. La frustration augmente chez les individus non augmentés, qui cherchent à imiter les augmentés en se réfugiant dans la réalité virtuelle, ou recourent à la violence (du type hacking ou détournement des ressources). L’hyperconnexion des individus et des objets induit un brouillage des frontières entre les sphères du travail et des loisirs, mais également une possibilité de tracer les activités quotidiennes, possibilité utilisée par la publicité de plus en plus intrusive. Dans cette société, la place des robots augmente tandis que l’humain se détache de sa condition naturelle. On assiste à un double mouvement qui se traduit d’une part une robotisation, et une marchandisation du corps ; et d’autre part une humanisation des robots programmés pour manifester des émotions. De même, le clonage, l’eugénisme (donc l’uniformisation des humains), la procréation artificielle remplacent la procréation naturelle.
Enfin, l’adaptation au changement climatique s’est faite grâce au recyclage et à l’augmentation de la durée de vie des produits, mais la consommation est entretenue par une course à l’augmentation. La miniaturisation des objets permet une baisse de la consommation en énergie, l’efficacité énergétique se développe grâce à la technologie. Les algo- et biocarburants sont utilisés comme nouvelle source d’énergie. Ces technologies se concentrent cependant dans les aires urbaines, laissant l’extérieur en proie aux conséquences du changement climatique, à la pollution et aux pénuries. L’agriculture s’est artificialisée et intensifiée pour répondre aux besoins en ayant recours aux OGM. Cette vision de l’adaptation ne prend donc pas en compte l’écosystème dans son ensemble s’opposant ainsi aux visées que se donne l’écologie.
Ce scénario montre ainsi l’imbrication qu’il existe entre recherche du profit comme moteur de la société capitaliste, quête de puissance et dépassement des limites humaines prônées par le transhumanisme. Il met en outre l’accent sur une évolution individualiste accrue plutôt que sur une mise en commun des connaissances et technologies. Le risque porté par l’émergence d’individus augmentés est donc celui de voir émerger un « capitalisme cognitif »[[Selon Jeremy Rifkin, la 3ème révolution industrielle comporte deux moteurs : les sciences de l’information (micro-informatique) et les sciences de la vie (génétique)
]] favorisant le brevetage du vivant, et la marchandisation ; autant d’éléments que le mouvement écologiste combat.
En parallèle à ce changement économique, le risque est également, au niveau des individus de mettre en péril la notion même d’égalité, comme le souligne également Francis Fukuyama[Cité ici : [http://www.ledevoir.com/societe/science-et-technologie/62750/un-spectre-hante-notre-siecle-le-transhumanisme
]]. La différenciation entre les individus augmentés et les non augmentés pose enfin la question de la nature humaine, et du possible avènement d’un « post-humain ». En ce sens, le « posthumanisme » constitue l’étape succédant au transhumanisme. En misant sur la cybernétique, la robotique et l’intelligence artificielle, le posthumanisme induit à terme l’existence d’une post-humanité. Cependant, le transhumanisme permet déjà son avènement en développant certaines techniques biomédicales. Certaines de ces innovations peuvent certes servir la médecine : prothèse de membres connectés au système nerveux, implants cochléaires, rétines artificielles, séquençage de l’ADN pour guérir des maladies génétiques, le SIDA etc. (grâce à la méthode CRISPR/Cas9). Cependant, on peut craindre une fuite en avant vers l’artificialisation du corps, et ainsi la négation de la nature humaine. Jean-Michel Besnier parle de « fatigue d’être soi » engendrée par la dictature de l’urgence, de la flexibilité et de la mobilité, poussant l’homme à se tourner vers les machines et ainsi à mettre fin au cycle naturel : la naissance par l’auto engendrement, la souffrance par l’éradication des maladies, et l’éradication de la mort grâce à « l’uploading ». F. Fukuyama théorise la fin de l’humanité, de même qu’il soutenait la fin de l’Histoire, en avançant que l’avènement du « post-humain » est une destruction de la nature humaine, au sens biologique du terme, et de la dignité humaine.[[https://iatranshumanisme.files.wordpress.com/2015/02/la-critique-du-transhumanisme.pdf P73
]] Selon lui, il faut étendre la préservation de la dignité humaine, de la même façon que l’écologie préserve l’environnement.
Les éléments développés ici montrent que l’écologie dispose de l’outillage idéologique pour aborder le transhumanisme, et mettre en garde contre les dérives des nouvelles technologies. À l’inverse, le transhumanisme peut-il apporter des réponses au défi environnemental ?
III Le transhumanisme face aux problématiques écologiques
1. Ecologie et transhumanisme : des prémisses opposées
De façon schématique, le transhumanisme traduit le principe d’extropie, alors que l’écologie fonde son analyse sur le principe entropique[[Cf l’analyse de Nichola Georgescu-Roegen, : La décroissance. Entropie – Écologie – Économie
]]. Le courant extropien mené par Max More, reprend le terme « d’extropy » de Tom Morrow, en opposition à l’entropie dans les lois de la thermodynamique. Selon ce principe, il est possible et souhaitable d’agir sur un système avec une intervention extérieure pour l’empêcher de s’auto-détruire. De cette affirmation, Max More en a tiré les « principes extropiens 3.0 ». Il s’agit de « viser plus d’intelligence, de sagesse, d’efficacité, une durée de vie indéfinie, la suppression des limites politiques, culturelles, biologiques et psychologiques à la réalisation de soi. Dépasser sans cesse ce qui contraint notre progrès et nos possibilités. S’étendre dans l’univers et avancer sans fin. ». La technologie est alors utilisée comme moyen de supprimer les limites qui entravent l’être humain.
L’écologie, au contraire du transhumanisme, pense en effet l’écosystème comme un système fermé, qui, s’il est bouleversé par l’activité humaine peut la conduire à sa perte. L’Homme n’a pas vocation à « transcender les limites «naturelles» que nous imposent notre héritage biologique, notre culture et notre environnement »[[Max More, « les principes extropiens 3.0. »
]] -selon les mots de More- car il n’est ni maître ni possesseur de la nature. De cette opposition entre entropie et extropie découlent deux conceptions du rapport que l’Homme doit entretenir avec la nature. Ainsi, d’après J. Huxley, « la biologie évolutionnaire nous montre le destin de l’homme sur Terre comme une coopération entre l’homme et la nature, avec l’Homme dans la position dominante. » L’écologie s’oppose ainsi au transhumanisme dans sa relation entre l’être humain et la nature. À partir de ces conceptions diamétralement opposées, nous pouvons aborder la question environnementale au prisme du transhumanisme.
2. Le rapport du transhumanisme à l’urgence climatique
L’écologie, de même que l’immense majorité de la communauté scientifique considère que le réchauffement climatique est une réalité, dont l’être humain est la principale cause. À partir de ce fait établi, le concept d’anthropocène a été forgé par la communauté scientifique[[Terme proposé au début des années 2000, au Programme International Géosphère-Biosphère. Il désigne « une nouvelle ère géologique marquée par l’empreinte de l’Homme ». Paul Crutzen prix Nobel de chimie en 1995 publie un article dans Nature en 2002, considèrant que l’Anthropocène succède à l’Holocène au début de la révolution industrielle. (source : dictionnaire de la pensée écologique)
]] pour montrer que la planète entrait dans une nouvelle ère géologique dont les changements sont d’origine humaine. Face à ce constat, les écologistes et les transhumanistes auront cependant des conclusions différentes découlant de leur conception respective du rapport Homme-nature. Pour les écologistes, l’être humain doit retrouver sa place au sein de son environnement ; tandis que pour les transhumanistes, il est dans sa nature de prendre en main son destin et son évolution. L’Anthropocène n’est donc pas en soit perçu comme une catastrophe pour la planète. Le « techno-gaïanisme par du principe que l’activité humaine a des conséquences néfastes sur le climat et la planète, qui impactent en retour son développement, mais considère la technologie comme la solution au problème. Nous pourrions ainsi utiliser les nouvelles technologies pour modifier le climat et inverser le processus du réchauffement climatique. Partant du corpus idéologique transhumaniste, on arrive donc logiquement aux visées de la géo-ingénierie, et à l’idée que la technologie peut permettre la maîtrise du destin de la planète par l’être humain.
Le développement de la géo-ingénierie ne fait cependant pas consensus au sein du transhumanisme. Certains considèrent alors que la réponse au changement climatique ne réside pas tant d’une adaptation artificielle de la terre aux activités humaines que dans une modification de l’être humain. Il s’agit ici de contraindre l’Homme pour le rendre « biologiquement compatible » avec une planète aux ressources limitées en modifiant directement ses gènes. Ainsi, l’idée pourrait être de rendre l’être humain intolérant à la viande pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Cette idée se rapproche étrangement du changement radical de société auquel nombre d’écologistes – prônant l’auto-limitation et une société de la frugalité. Cette approche par le « human engineering » est pour le moins paradoxale puisqu’elle repose sur l’idée que la géo-ingénierie puisse être incertaine et hasardeuse. Or, le transhumanisme postule qu’une convergence des technologies va permettre de faire advenir une intelligence supérieure -sous la forme d’une intelligence artificielle, ou d’humains augmentés-. Il minimise cette même capacité de l’Homme à maîtriser les conséquences de la technologie sur la planète et les générations futures est donc remise en cause[« we lack thenecessary scientific knowledge to devise and implement geoengineering withoutsignificant risk to ourselvesand to future generations » [www.fhi.ox.ac.uk/human-engineering-climate-change.pdf
]], et l’human engineering sonne donc un aveu de l’impuissance de l’Homme. L’argument selon lequel nous devons renoncer à la géo-ingénierie, se rapproche ainsi des critiques émanant des écologistes à l’égard des défenseurs du progrès technologique : les tendances à jouer les « apprentis sorciers », sans prendre en compte le « principe de précaution ».
Il est ainsi étonnant de constater que ceux qui rangent volontiers les écologistes dans le camp des conservateurs voulant retourner au « temps des cavernes », veuillent opérer une véritable régression dans l’évolution. Outre cette contradiction interne au mouvement que sous-tend l’human engineering, l’idée d’une évolution commandée et forcée par l’être humain révèle un paradoxe. Partant d’une nécessité d’agir sur l’évolution de l’être humain, elle aboutit à une négation de l’humanisme, et du libre arbitre inhérent à la nature humaine. En effet, si les Hommes naissent « limités » et contraints pour ne pas transgresser cette nouvelle norme biologique, il s’agit d’un choix imposé contre lequel ils ne peuvent aller. Ce contrôle total de l’individu pourrait donner naissance à des sociétés totalitaires, où la coercition ne se manifeste plus tant par le monopole de la violence légitime par l’État -comme cela s’est vu dans le passé- que par un contrôle des règles du jeu, c’est-à-dire du code génétique lui même. Toute déviance pourrait alors être annihilée en inscrivant directement la « norme » dans les gênes des individus. On s’écarte ainsi non seulement de la logique libertarienne propre au transhumanisme dans son origine, dans la mesure où l’État devra nécessairement imposer de telles modifications ; mais également du versant démocratique du transhumanisme puisqu’il s’agit de limiter le libre arbitre.
Devant le risque lié aux technologies de bioingénierie, mais également les risques de voir émerger une société totalitaire, les transhumanistes progressistes[[Notamment l’AFT Technoprog
]] s’inscrivant dans la lignée de Bostrom refusent respectivement le recours à la géo-ingénierie et au human engineering. L’approche de Bostrom implique la prise en compte des « risques existentiels »[[Un risque existentiel représente une menace d’ordre mondial et se distingue ainsi des risques locaux (c’est-à-dire tout au plus à l’échelle d’un pays, d’un État ou d’une ethnie). Bostrom prend l’exemple d’un génocide ou de l’esclavage) ou des risques individuels (c’est-à-dire tout au plus à l’échelle d’une famille : il prend ici l’exemple d’un accident de voiture). Ce risque affecte les populations au plus haut point : « un risque existentiel est celui dont l’issue la plus négative serait soit l’extermination de toute vie issue de la Terre, soit de réduire son potentiel de manière définitive et radicale »
http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01146997/document p9 ; p155
]], c’est-à-dire ce qui menacerait la survie de l’humanité ou d’autres espèces à l’échelle de la planète, pour accepter ou non le développement de nouvelles technologies. Ce concept amène donc à écarter la géoingénierie et le human engineering, mais permet-il de réintégrer dans la théorie transhumaniste les risques liés au réchauffement climatique ? L’idée de « risque existentiel » semble en fait un concept peu opérant pour amorcer une critique concrète des nouvelles technologies que la science rend possible. De même que le transhumanisme se focalise sur des technologies spéculatives -telles que « l’uploading »- dont la probabilité qu’elles se réalisent est infime, il ne retient que les risques spéculatifs les plus extrêmes, cataclysmiques lorsqu’il s’agit de décider du développement ou non d’une nouvelle technologie. Le raisonnement retombe alors dans les travers propres au transhumanisme, c’est-à-dire un primat du futur, sans que l’on puisse actualiser -au sens économique du terme- ce risque dans le temps présent. De plus ce principe n’amène pas à agir contre le risque lié au réchauffement climatique – faisant pourtant largement consensus dans la communauté scientifique-, puisqu’il s’agit seulement d’empêcher le développement de technologies qui entraîneraient l’extinction de l’espèce humaine.
À l’inverse, ne pourrait-on pas avancer que les écologistes tombent dans ces mêmes travers spéculatifs de risques cataclysmiques, lorsqu’ils critiquent le développement de l’énergie nucléaire ? Le risque de catastrophes nucléaires, voire de scénarios du type guerre nucléaire généralisée font en effet partie des craintes pointées par les écologistes. La différence notable est que ces craintes se fondent sur des expériences empiriques : c’est bien parce que le nucléaire a montré qu’il était porteur d’un risque pour l’humanité que les écologistes s’y sont opposés. Si le risque d’une guerre nucléaire généralisée, ou d’extinction de l’espèce humaine à la suite d’une catastrophe nucléaire peut-être qualifié de « risque existentiel » au caractère spéculatif, il n’en demeure pas moins exact que le risque d’accidents nucléaires à des échelles plus ou moins graves est réel. Les désastres comme celui de la centrale de Fukushima viennent le confirmer. Ainsi, l’argument qu’opposent les écologistes au nucléaire ne résulte donc pas d’une extrapolation spéculative comme c’est le cas avec ce principe moral que Bostrom nomme le « maxipok ».
Enfin, lorsque les penseurs du transhumanisme quittent le terrain du futur lointain et des théories spéculatives, leurs attentes se rétrécissent. Les discours délaissent l’hubris, et l’idée selon laquelle l’être humain est tout puissant pour davantage d’humilité. L’évolution prônée n’est plus alors l’avènement d’un individu post-humain radicalement différent dans sa nature ; il y aurait au contraire un continuum avec les évolutions déjà présentes. Ils pointent le risque de la confusion entre les 2 échelles d’habitudes évoquées, et temporisent la normativité de la nature humaine par rapport à des limites biologiques et psychologiques. Les transhumanistes revoient alors leurs attentes à la baisse -et opèrent par là même une régression de leur pensée initiale. Le transhumanisme admet son échec à faire advenir grâce aux technologies un être humain plus rationnel : l’individu aussi augmenté soit-il, aussi performantes que soient ses capacités cognitives et sensorielles ne pourrait de lui même comprendre qu’il doit modifier ses comportements et s’autolimiter s’il ne veut pas détruire son écosystème.
Dès lors, deux conclusions peuvent être dressées : soit le transhumanisme élude les impacts négatif de l’activité humaine sur son environnement[[Les discours des transhumanistes font peu état des conséquences environnementales de l’activité humaine
]] ou le minimise en prétendant qu’il pourra toujours y faire face/s’y adapter grâce à la technologie, soit il se pervertit dans son essence en mettant en avant un « transhumanisme négatif », se fondant sur la régression et non l’augmentation[[« Le terme ‘augmentation’ désigne, lorsqu’il se réfère à l’homme ou à l’humain, un ensemble de procédures, méthodes ou moyens, chimiques ou technologiques, dont le but est de dépasser les capacités naturelles ou habituelles d’un sujet. Ce dépassement peut concerner le corps ou l’esprit, être plus ou moins durable, ou même venir modifier la lignée génétique »
(Claverie, Le Blanc, 2013 : 61) Source INSERM
]]. Dans les deux cas, le transhumanisme semble incapable de développer un discours écologique. La raison de cet échec est un primat du futur qui empêche le transhumanisme de penser ses aspirations dans le temps présent sans conduire à une aporie.
Conclusion
Le transhumanisme tel qu’il est médiatisé, prenant l’apparence de personnages tels que Ray Kurzweil s’apparente à de la science fiction prise au sérieux. Cependant, loin de l’uploading, de la singularité technologique, ou autres utopies hautement improbables, et spéculatives, les technologies développées peuvent avoir des applications dès aujourd’hui comme le montrent la diffusion des nano-technologies. Le mouvement lorsqu’il se veut plus progressiste, et réaliste bouscule l’écologie et son projet progressiste en proposant l’émancipation de l’être humain par la technologie. En retour, la question environnementale met ce courant face à ses contradictions.
Cependant, le mouvement s’oppose radicalement à l’écologie dans la manière de considérer le rapport entre l’être humain et son environnement et l’acceptation des limites inhérentes à l’environnement et aux éléments qui le composent. Nous pourrions alors paraphraser le célèbre aphorisme de Kenneth Boulding pour illustrer l’opposition radicale et ontologique qui existe entre l’écologie et le transhumanisme : celui qui croit que l’être humain peut avoir une espérance de vie infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un transhumaniste !
In fine, l’opposition entre bioconservateurs et transhumanistes traduit une manière d’aborder le progrès, et renvoie au « complexe Frankenstein » développé par I. Asimov. En se revendiquant du « progrès perpétuel » -voire exponentiel lorsqu’il a trait à l’espérance de vie- le transhumanisme se donne pour but de dépasser toutes les « limites ». Il rend alors possible l’émergence d’une post-humanité. En faisant l’analogie avec le mythe de Frankenstein le créateur, considéré comme le « Prométhée moderne », le transhumanisme peut ainsi être considéré comme une sorte de « Prométhée post-moderne », avec tous les risques que cela implique.