La plupart et les plus célèbres des super héros sont des hommes blancs hétérosexuels[[Bien que, par exemple, l’homosexualité latente entre Batman et Robin a fait couler beaucoup d’encre. Cette relation, coupable à l’époque, a d’ailleurs réorienté l’écriture de la série lorsque les auteurs ont reçu de nombreuses critiques sur cette ambivalence. ]]
Super wasp, le héros de tous les petits enfants ?
Certains personnages sont toutefois sortis de ce cadre quasi imposé. Derrière la toujours imposante machine de l’entertainement américain parvenant à imposer ses normes sociales et culturelles certains auteurs font passer des messages plus ouverts à la diversité et une vision plus complexe – donc plus conforme – de la réalité.
En pointant plus particulièrement deux super-héroïnes et une troupe de mutants, nous essayerons de montrer à quel point ce qui peut passer, auprès de militants de l’égalité des sexes et de la diversité (ainsi que les tenants du « bon goût »…), pour d’infâmes divertissements sans fond et abrutissant, peut parfois révéler un message social et politique plus intéressant et profond qu’il n’y paraît.
La première anomalie dans toute cette blancheur masculine s’appelle Wonder Woman. Elle sort du cerveau de William Moulton Marston, Docteur en psychologie diplômé de Harvard. Petit détail piquant : on lui doit notamment l’invention du détecteur de mensonge.
Contrairement à la majorité des intellectuels de son époque, Marston s’intéresse à la culture populaire, notamment aux bandes dessinées de l’époque aux USA : les Comics. Féministe résolu, il a expliqué à plusieurs reprises que les comics ne mettaient en avant que des héros masculins. Intéressé par ces propos, le responsable de ce qui deviendra DC Comics, Max Gaines, lui demande de créer un personnage différent des standards de l’époque. Ce personnage sera donc une femme.
Wonder Woman naît officiellement en 1941, quelques mois après l’entrée en guerre des USA. Fille de Hippolyta, elle vit avec les Amazones sur l’île du Paradis. En pleine guerre, un pilote américain s’y écrase et raconte les horreurs que vit le monde. Wonder Woman ne peut rester insensible aux drames vécus par les humains et décide par conséquent d’aider les USA.
Le fait qu’une femme décide d’aider l’armée américaine n’est évidemment pas anodin : l’envoi des hommes au combat implique que les femmes vont devoir reprendre la plupart des fonctions habituellement masculines et participer ainsi à l’effort de guerre.
L’émergence de Wonder Woman se fait aussi dans un contexte où les deux super-héros les plus célèbres de l’époque sont Batman et Superman. Wonder Woman est un mélange des deux. Être supérieur, altruiste, qui tente de rendre le monde meilleur sont les gènes de Superman ; quant à Batman, il lui donnera son intelligence.
Wonder woman est une pionnière du féminisme. Un féminisme qui s’aventure hors des sphères intellectuelles, même si cette influence politique et sociale reste limitée, surtout lorsque les auteurs changent ou que les maisons de production demandent des adaptions pour que les personnages soient en adéquation avec les exigences des lecteurs. L’exemple le plus pathétique, alors que William Moulton Marston n’est plus le scénariste de Wonder Woman, se marquera lors des débuts des premiers rassemblements de super-héros. Wonder Woman sera bien présente au milieu de tous ces hommes dans la « Justice Society »[[La Justice Society est un rassemblement de plusieurs héros de DC Comics.
]]. Mais ses tâches y seront celles de la secrétaire du groupe, qui apporte les cafés à ces messieurs…
Autre limite visible de l’influence féministe dans ce type de divertissement : son costume. En effet, il laisse peu de place à l’imagination et, avec son lasso magique, ces éléments érotisent très fortement le personnage[[Loin de nous l’idée que féminisme et érotisme ne peuvent cohabiter évidemment. Mais l’utilisation qui en est faite n’est pas celle d’une femme dont la sexualité serait placée sur le même pied que celui des hommes.
]]. Les Comics sont ce qu’ils sont et font ce pour quoi ils sont créés : l’objectif est bien de toucher les ados en pleine puberté et les soldats seuls sur le front.
Mais elle n’est pas pour autant une bimbo complètement décervelée et elle commence de fait à toucher les jeunes filles également[[Nous n’avons pas trouvé d’études sérieuses sur les publics mais plusieurs sondages montrent clairement la progression du lectorat féminin.
]]. Elle inverse également la trame habituelle et dominante des comics puisqu’elle passe son temps à sauver la vie du pilote américain qui s’était écrasé sur son île natale. Jusque là, très peu de femmes protégeaient les hommes. C’est certainement un petit pas mais ces histoires parviennent quand même à briser certains codes auprès d’un public large et populaire. Cette opposition au schéma traditionnel américain patriarcal, blanc et puritain[[Grâce au lasso, on compte en effet beaucoup de scènes de bondage.
]] devait servir à éduquer l’inconscient des lecteurs.
En tout cas, le succès et la demande d’un tel personnage sont au rendez vous. C’est quand Marston meurt en 1947, que les histoires s’assagissent, que Wonder Woman se voit retirer certains pouvoirs que les ventes vont commencer à diminuer…
Wonder Woman ne sera évidemment pas la seule super-héroïne des Comics. Mais vu la période historique dans laquelle elle apparaît, elle représente, nous l’avons déjà dit, une première brèche dans ce petit monde très mâle et stéréotypé. Sa représentation physique hyper sexuée semble malheureusement représenter une condition quasi obligatoire si l’on veut faire passer un message plus égalitariste des rôles entre hommes et femmes.
Du côté de Marvel[[Le monde des comics et des super héros se partage principalement entre deux mastodontes : DC Comics (avec Batman, Superman,…) et Marvel (X-Men, Spiderman, Hulk,…).
]], c’est avec Kamala Khan, qui devient la nouvelle Miss Marvel, qu’un personnage reflétant un peu mieux la diversité de la société américaine est mise particulièrement en avant. On est en 2014…
Où est le wasp ? Où est le swag ?
Dans le contexte tendu que l’on connaît, l’apparition de Kamala Khan, jeune fille issue d’une famille pakistano-américaine, est une révolution en soi. Si des personnages de confession musulmane existent depuis quelques années[[Notamment Sooraya Qadir, alias « Dust », afghane portant la burqa.
]], c’est la première fois qu’une héroïne musulmane est réellement mise en avant.
Encore une fois, le facteur économique ne doit pas être occulté : on imagine mal une compagnie de l’ampleur de Marvel se lancer dans un récit pareil poussé uniquement par la dimension militante et politique qu’un personnage musulman pourrait incarner, sans penser aux arguments économiques. Il s’agit certainement aussi de la possibilité de toucher plus et mieux d’autres publics qui incite à créer Kamala[[C’est aussi sans doute la présence de Sana Amanat, directrice de publication et du développement des personnages chez Marvel, et qui est également une jeune femme issue d’une famille américano-pakistanaise.
]]. Même si officiellement, Marvel minimise l’aspect religieux de Kamala, expliquant que c’est avant tout des personnages qui ressemblent à « tout le monde » qu’ils souhaitent produire.
Marvel essaye donc de créer un personnage « normal » en insistant plutôt sur le côté adolescent de Kamala Khan. Il s’agit en même temps de s’ouvrir à un public plus féminin, loin des images habituelles des super-héroïnes hyper sexualisées.
Mais la diversité s’est exprimée plus tôt aussi. Entre les lignes, nous sommes d’accord. Par exemple, « He will be an outcast » (« il sera un paria ») sera l’une des phrases des parent d’adoption des parents de Superman. Pointant là les difficultés pour une personne (un jeune) issu d’un autre monde (un autre pays) dans une société qui refuse d’appréhender la complexité de ses doubles origines et de son identité multiple. Plus récemment, c’est X-Men qui va mettre en avant la question de la diversité.
Mutant like me
Les derniers films de X-Men (la trilogie entre 2000 et 2006) évoquent clairement la question de la discrimination. Les références à la Shoah et à l’antisémitisme sont fréquentes et explicites. Le premier épisode de la trilogie débute d’ailleurs sur une scène de déportation de juifs située en Pologne en 1944. Ce sera l’un des éléments fondateurs du combat de Magneto[[Un des « super-vilains » les plus centraux de l’univers Marvel.
]]. L’agressivité de Magneto pour la race humaine vient de la déportation et de l’assassinat de ses parents par les nazis.
L’extermination des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale sera toujours bien présente dans les trois épisodes. Les autorités américaines souhaitent par exemple localiser et ficher tous les Mutants, référence évidente aux mesures prises contre les juifs par le régime nazi et au port de l’étoile jaune. Le tatouage du numéro de déporté sur l’avant bras de Magneto est aussi très souvent montré à l’écran. Des expériences médicales sur les Mutants rappellent également les tortures réalisées par des médecins nazis sur les prisonniers juifs. Les militaires qui organisent les persécutions contre les mutants sont par ailleurs régulièrement dépeint comme racistes.
Mais il n’y a pas que la question juive qui est prégnante dans ces films. Ils abordent aussi la question raciale, qui est encore si aiguë aux États-Unis, en témoignent les assassinats plus fréquents de personnes noires par la police. La différence dans le combat pour le droit des mutants entre Magneto et le Professeur Xavier fait évidemment penser à Malcolm X et Martin Luther King. Magneto considère les Mutants comme une race supérieure et est plutôt adepte du recours à la violence contre les humains. Le professeur Xavier est plutôt disciple de la non violence et veut favoriser la coopération et l’entente avec les humains.
Le Comics qui inspirera les films est d’ailleurs paru en 1963, peu de temps avant la grande Marche sur Washington qui symbolise la lutte pour les droits civiques. Stan Lee et Jack Kirby, les deux auteurs se sont clairement inspirés du contexte politique du moment. Un autre lien avec la lutte pour les droits civiques se concrétise lors d’un interrogatoire de Raven, « Mystique », le bras droit de Magneto. Elle refuse de répondre aux policiers sous son « nom d’esclave », exactement comme Malcolm avait choisi le X en remplacement de son « nom d’esclave » ou, comme Mohamed Ali qui a refusé qu’on l’appelle Cassius Clay pour les mêmes raisons.
Enfin, des références à la difficulté d’avouer son orientation sexuelle sont aussi fréquentes dans la trilogie. Bobby, « Iceberg » fait son coming-out et avoue qu’il est mutant à sa famille. Ses proches deviennet alors plutôt hostiles. L’un d’eux lui demande même: « tu as essayé de ne pas être un mutant ? »… Dans un autre épisode, Warren, « Angel », a des ailes qui lui poussent dans le dos. Il refuse longtemps cette différence de peur de décevoir ses parents (il se les arrache même en cachette dans la salle de bain).
Clarté du propos et portée du message : de la pornographie plutôt que de l’érotisme
Alors c’est sûr, tant dans les Comics (bd) que dans les films de super héros, on laisse peu de place pour la suggestion. Les sentiments, les messages, les différents camps y sont bien délimités, montrés sans réelle pudeur ou même mystère. Le combat entre ceux qui représentent le Bien et ceux qui incarnent le Mal ne souffre pas d’un réel développement qui montrerait que le Mal peut parfois trouver ses racines, complexes, dans un vécu personnel. Quoique.
On sait que certaines sphères intellectuelles dites progressistes ont de sérieuses réserves quant à cette culture américaine mainstream, grand public, où les explosions sont plus fréquentes que les questionnements sur soi et les autres. Pour certains, il n’y a pas grand-chose à prendre au sérieux dans un spectacle de divertissement. Les critiques sont donc souvent méprisantes et même lorsqu’elles perçoivent un tant soi peu de propos politique, celui-ci n’est pas suffisant. « Entre la noirceur de Magneto et l’optimisme humaniste du Professeur Xavier, le film ne choisit pas, reste dans l’entre-deux. D’où le sentiment d’assister à une allégorie molle sur l’affrontement du bien contre le mal », disait les Cahiers du cinéma.
A contrario, notre propos est justement de montrer que ce type de divertissement ne pré-construit, ne prémâche pas, tout ce que les « consommateurs » reçoit. Montrer que Magneto a sans doute des raisons historiques fortes pour en vouloir à ceux qui voudraient reproduire les politiques nazies envers les mutants met aussi en avant ce type de questionnement. Qu’il décide de choisir la lutte armée sur base de son vécu est plus à même de faire réfléchir sur ceux qui s’engagent dans une voie violente (sans pour autant, ici, la légitimer).
Le monde des super-héros est donc plus riche qu’il n’y parait justement parce que toutes celles et ceux qui se sentent différents peuvent s’identifier à ces « Mutants ». Sexisme, racisme, antisémitisme, et en fait la difficulté d’accepter la simple présence et différence de l’étranger, de l’ Autre, de manière globale est mis en avant. Il y a tant de super-héros différents qu’ils peuvent représenter chacun une altérite propre. Dans laquelle chacun peut se retrouver.
Ainsi, par petites touches, certains personnages, certaines histoires, évoquent essentiellement de la difficulté d’être Autre, d’être différent, « anormal ». Que ce soit dans l’évolution de Batman, qui est parfois opposé à la police et aux autorités qui ne souhaitent pas d’un justicier qui agit selon son bon vouloir, de Superman, qui commence à être craint par les humains à cause de sa force, ou des mutants d’X-Men que certaines politiques tentent de stigmatiser, ce sont en fait les humains « normaux » qui apparaissent comme les personnages les plus veules, intolérants et incompréhensifs. Et c’est peut-être là que le discours culturel impérialiste se matérialise le plus : malgré une humanité qui ne vit que dans le rejet de l’Autre, ce sont les super-héros qui se cachent, qui font des concessions, qui souhaitent la collaboration qui sont plutôt mis en avant de manière positive. En résumé, dans le choix du faut-il se conformer ou se révolter, s’assimiler ou affirmer sa différence, c’est plutôt conformisme et assimilation qui triomphent. La figure de Kamala Khan est donc une brèche dans ce discours assez conservateur. Il faudra voir comment évoluent les super-héros de manière générale pour voir s’il ne s’agit que d’un épiphénomène ou s’il embrasse un mouvement de fond aussi puissant que Superman lui-même.