Culture de l’habitat au 21ième siècle – Émergence du phénomène de la colocation

Notre société est en constante évolution, et cela se traduit aussi dans les formes d’habitat et de cohabitation. À côté de la famille qui occupe à elle seule un logement, d’autres formes de cohabitation ont gagné en importance, mais notre marché immobilier ne s’y est pas encore adapté. Le nombre d’isolés, avec ou sans enfants, a augmenté. Aujourd’hui, un grand nombre de personnes âgées choisissent de conserver leur autonomie en restant le plus longtemps possible chez elles, mais les services à domicile ne peuvent pas toujours offrir l’aide ou les contacts dont elles ont besoin. Vu le contexte économique, les nouvelles compositions de ménage et une autre façon d’envisager le 3ème et le 4ème âge, les besoins en matière de logement se sont fortement diversifiés.

Les grandes tendances en Wallonie et dans les différents bassins de vie de Wallonie, font apparaître de nouveaux modes de vivre ensemble, de nouvelles manières d’habiter.

Il s’agit souvent de choix de vie, traduits dans la manière d’habiter, basés sur la mise en exergue de valeurs communes ou bien même de la vie en communauté comme valeur en soi. Bien entendu, l’augmentation des coûts directs et indirects liés au logement poussent également ou complémentairement certaine personnes à choisir la colocation, parfois dans des logements au départ unifamiliaux.

Il peut s’agir aussi bien d’étudiants, de jeunes travailleurs, de jeunes ménages, de familles monoparentales, de personnes à faibles revenus, de seniors ou de personnes isolées, qui, dans un certain nombre de cas, dépendent d’un revenu de remplacement, et qui font le choix de louer ensemble un bien afin, tout d’abord, de minimiser les coûts du loyer, mais également des charges liées à l’occupation, sans pour autant former un même ménage.

Le phénomène est de plus en plus courant. On estime que plus ou moins 300 000 personnes en Belgique sont concernées par la colocation[[

L’enquête du CRIOC de 2010, « la Colocation », souligne que 300.000 Belges sont concernés, soit 4% de la population. A Bruxelles, le nombre de logements locatifs en colocation est passé de 5 à 9 % entre 2012 et 2013, d’après l’observatoire régional de l’habitat. Ce dernier a établi le profil du colocataire bruxellois. Il a moins de 30 ans. On touche principalement deux publics différents de la population: l’un est fait de personnes plus âgées et depuis longtemps dans leur logement, et l’autre, de jeunes plus mobiles. Les colocataires, plus âgés, sont d’ailleurs plus stables dans leur logement: 4 ans pour les colocataires âgés de 45 à 64 ans; ce chiffre tombe à 2 ans et demi pour les colocataires âgés de 25 à 44 ans. Il faut relever aussi l’étude menée par le CEDH en novembre 2014, sur le cologement (https://drive.google.com/file/d/0B2DSr7OhrqEjblg2SGNYTDBPUVU/view?usp=sharing) : Sous l’angle de la notion de ménage et du concept de noyau familial, elle évalue à un maximum de 2,83% les ménages en cologement ou en colocation sur l’ensemble des ménages privés de Belgique.

]].

A défaut d’enquêtes et de données statistiques fiables sur le sujet, on peut néanmoins supposer, avec Bruno Frère, sociologue de l’ULg, que les différents modes de vie partagée (covoiturage, colocation, etc.) sont principalement le résultat d’une paupérisation croissante de notre société [[M….Belgique, 8 mai 2015, p. 22.

]], d’un accès de plus en plus difficile à un logement à la fois décent et adapté.

Toutefois, si la pauvreté progresse, force est de constater que la réflexion collective, la solidarité et le partage gagnent aussi, dans le même temps, du terrain.

Ainsi, par les logements intergénérationnels, les personnes âgées peuvent plus facilement rester chez elles. Elles offrent l’opportunité à des jeunes – qu’ils soient étudiants ou jeunes ménages – d’habiter à moindre coût tout en se rendant mutuellement service, voire en partageant l’usage de certains biens (voiture, machine à laver…) et de certains espaces. Pour les seniors, cette formule permet aussi de couper court à l’isolement, de demeurer chez eux et de recréer un environnement social.

Plus largement, les formes d’habitat solidaire et d’ habitat intergénérationnel, rassemblant en un même lieu de vie plusieurs ménages (familles, couples ou isolés), dont l’un des membres peut être en état de précarité sociale, même si elles s’expliquent entre autres par la paupérisation de la société, procèdent également de la solidarité : puisqu’en plus de partager un toit, ces formules de logement entendent retisser du lien et de la cohésion sociale[[Nicolas Bernard et Valérie Lemaire, « L’habitat solidaire sous l’angle juridique : allocations sociales, logement et labellisation », Revue pratique de l’immobilier, 3/2013.

]].

Comme l’indiquent Nicolas Bernard et Valérie Lemaire, dans leur étude[[Étude réalisée par Habitat et Participation, Mens en Ruimte et les Facultés universitaires Saint- Louis pour le compte du Service public de programmation Intégration sociale, Lutte contre la pauvreté et Économie sociale. Elle a débouché en 2007 sur la publication du rapport de recherche : Habitat solidaire. Étude sur les possibilités de reconnaissance de l’habitat groupé pour les personnes en précarité sociale, Bruxelles, Service public de programmation Intégration sociale, Politique des grandes Villes, 2007.

]], « la philosophie de cette formule d’habitat tient en ceci : indépendamment des éventuels avantages d’ordre pécuniaire, le seul fait d’habiter ensemble peut constituer pour les personnes précarisées un puissant levier de réintégration sociale. Un véritable travail de cohésion sociale se réalise à cette occasion, au-delà même des éventuelles économies d’échelle ; ce, que les cohabitants soient des « pairs » ou des personnes déjà insérées »[[Ibidem, p. 11.

]].

Comme le relèvent ces auteurs, même si toutes les formes d’habitat solidaire ne se déclinent pas sur le mode locatif[[Convention d’occupation précaire, par exemple.

]], et même si, nous l’avons vu, nous manquons de données statistiques, spécialement pour ce qui concerne la Wallonie, de nombreux projets d’habitat solidaire reposent bien sur la formule de la location, que le bail soit de résidence principale ou émarge plutôt au droit commun (pour les étudiants par exemple).

De manière générale, le concept d’habitat groupé[[A Bruxelles, voir doc. PRB, session 2011-2012, n° A-194, résolution relative à la prise de mesures visant à soutenir et à labelliser l’habitat groupé ; doc. PRB, session 2011-2012, n°A-188, résolution visant à développer le « logement intergénérationnel » en Région bruxelloise.

]] est distinct de la notion de colocation. Le premier est une réalité plutôt sociologique, basée sur un projet de vie, généralement ; il appréhende les rapports entre membres de l’habitat. La colocation, pour sa part, est une figure essentiellement juridique, qui ne présuppose pas nécessairement un projet (en ce sens que les colocataires peuvent très bien ne pas se connaître préalablement et n’avoir été réunis là que par le hasard ou la seule nécessité) ; elle règle plutôt les rapports entre les membres de l’habitat d’une part et entre ceux-ci et le propriétaire d’autre part. En somme, il s’agit de deux manières différentes d’approcher un phénomène qui peut, dans certaines hypothèses, être analogue[[Nicolas Bernard et Valérie Lemaire, art.cit., p. 74.

]].

A côté des difficultés posées, le cas échéant, en matière de maintien des droits sociaux, d’urbanisme, de logement, de lutte contre l’endettement, la colocation pose également des problèmes juridiques en matière de bail de résidence principale[[Section 2 (« Des règles particulières aux baux de résidence principale du preneur ») du

chapitre II (« Du louage des choses ») du titre VIII (« Du contrat de louage ») du livre III (« Des diffé-

rentes manières dont on acquiert la propriété ») du Code civil, introduite par la loi du 20 février 1991

modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer, M.B., 22 février

1991.

]] et de bail de droit commun.

De manière synthétique, les principales difficultés rencontrées par le phénomène de la colocation sont :

 le risque de perte du taux isolé pour les colocataires ;

 la difficulté de se domicilier : certaines communes refusent d’inscrire plusieurs locataires dans un logement unifamilial ou entendent limiter le nombre de locataires par logement ;

 les contraintes en matière d’urbanisme et de salubrité : il arrive que certaines communes exigent un permis ou un certificat d’urbanisme[[Dans la plupart des cas, les communes exigent un permis d’urbanisme pour créer plusieurs logements dans une habitation existante, mais ne l’exigent, en principe, pas quand le bien est occupé avec un seul contrat de bail, signé par plusieurs personnes (cas de la colocation au sens juridique du terme).

]] et/ou une superficie minimale d’habitation ;

 les exigences du permis de location : à titre d’exemple, dans le cas d’un logement collectif, il faut un évier par chambre, alors que les habitants ont bien souvent des salles de bain collectives) ;

 les règles relatives au préavis donné par un colocataire, à la restitution de la garantie locative en cas de départ d’un des colocataires, au remplacement ou à l’arrivée d’un nouveau colocataire ;

 l’absence de règles claires en cas de non-payement par un colocataire de sa part dans le loyer et les charges ;

 la prise en charge de polices d’assurance (incendie, dégâts des eaux, …) ainsi que des fournitures (énergie, eau, …) ;

 l’établissement et le respect des règles de la vie en communauté, pour ce qui concerne les infrastructures partagées ;

 la saisissabilité potentielle des biens.

Compte tenu des bénéfices que peut apporter la colocation à ses usagers et à la collectivité, non seulement sur le plan des solidarités humaines, mais également sur le plan de la préservation des ressources environnementales et de l’aménagement du territoire, il conviendrait de soutenir cette nouvelle forme d’habiter ensemble et pour chacune des matières mentionnées ainsi qu’au regard des problèmes énoncés, suggérer sinon des propositions, des pistes de solution et confronter ces dernières aux praticiens.

1. Bail d’habitation

Nouvelle compétence régionale

La 6ème réforme de l’État permet désormais aux Régions de légiférer en la matière. Depuis le 1er juillet 2014, les Régions sont en effet compétentes non seulement pour le logement et la police des habitations qui constituent un danger pour la propreté et la salubrité publique, mais également pour prendre les règles spécifiques concernant la location des biens ou des parties de biens destinés à l’habitation[[Voir article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

]].

La notion de « biens destinés à l’habitation » englobe non seulement les contrats de bail relatifs à la résidence principale du preneur mais également, par exemple, la location d’habitations et de chambres d’étudiants et la location de résidences secondaires et d’habitations de vacances. Tout comme dans la loi du 20 février 1991 relative à la résidence principale du preneur, aucune distinction n’est faite entre les biens meubles (caravane, péniche, etc.) ou immeubles.

La précision selon laquelle il ne s’agit que des « règles spécifiques » confirme que l’autorité fédérale conserve sa compétence en ce qui concerne les dispositions générales du droit civil en matière d’obligations et de contrats. Par exemple, le législateur fédéral pourrait toujours décider de modifier les règles concernant l’interprétation des contrats en amendant les articles 1156 à 1164 du Code civil. Un tel amendement s’appliquerait à tous les contrats, en ce compris les contrats de bail, à moins que le législateur compétent n’édicte des règles spécifiques[[Voir le commentaire de l’article 15 de la proposition de loi spéciale relative à la Sixième Réforme de l’État, doc. Sénat, session 2012-2013, n° 5-2232/1, page 82.

]]. Il en va de même avec les règles générales de conclusion des contrats, etc..

Devoir d’information de la Région

A titre de remarque liminaire, il convient de dresser, avec les acteurs de la matière, tant du côté des bailleurs que du côté des locataires, un tableau assez sombre sur l’état de connaissance des uns et des autres, à propos des règles applicables au bail.

Pour ne reprendre que le bail de résidence principale, la loi a beau avoir près de 25 ans, elle est très mal connue de ses usagers, bailleurs et locataires, avec pour conséquences des malentendus, des erreurs d’application et, au bout du compte, des conflits judiciaires que l’on aurait pu éviter.

L’information officielle disponible n’est pas toujours très accessible pour tout un chacun. Plus encore, elle est très mal diffusée[[http://www.belgium.be/fr/logement/location/loyer_et_charges/; le SPF Justice a édité une brochure très complète mais qui pourrait gagner en vulgarisation (http://justice.belgium.be/fr/binaries/loyer-2013-FR_tcm421-142585.pdf), en Wallonie, le Conseil supérieur du logement a édité un Guide des bonnes relations entre propriétaire et locataire, plus facile d’accès, il pourrait être encore simplifié ((http://lampspw.wallonie.be/dgatlp/site_cslw/sites/default/files/guide_bonne_relation.pdf. Surtout, la diffusion de ces deux outils pourrait être largement amplifiée.

]].

Certes, des acteurs, tels que le Syndicat national des propriétaires et des copropriétaires[[http://www.snpc-nems.be/

]], le Syndicat national des locataires[[http://syndicat-des-locataires.skynetblogs.be/

]] l’Association Droits quotidiens[[http://www.droitsquotidiens.be/fr

]] ainsi que les associations de promotion au logement, les agences immobilières sociales, etc. fournissent une information à qui la leur demande ou à leurs membres. Néanmoins, le manque d’informations de la part de l’autorité publique est criant.

Au moment de s’emparer de cette nouvelle compétence, il faudrait que la Région organise une information complète et objective sur le bail. Cette information ne peut se réduire à la loi et à ses arrêtés d’exécution. Elle doit intégrer l’état de la jurisprudence et se présenter sous une forme accessible, accompagnée d’une foire aux questions, de modèle de contrats[[Ainsi, en ira-t-il également du pacte de colocation, quand le législateur régional aura décider de le consacrer : des modèles types de pacte de colocation devront être mis à disposition des usagers.

]]… Toujours dans le registre de l’information, retenons le bail type qui peut offrir des choix aux bailleur/preneur ( a), b), c)) et rendre de la liberté contractuelle aux parties.

Cette information doit se présenter à la fois sur le site internet de la Région et sous un format de brochure papier, distribuable un peu partout au niveau local, notamment via les administrations communales et les centres publics d’action sociale.

Par ailleurs, s’agissant de la colocation, l’information devrait porter également sur les autres législations ou réglementations (domiciliation, urbanisme, logement et droits sociaux), compte tenu des impacts multiples de la colocation avec d’autres réglementations et d’autres relations avec les administrations régionales, fédérales ou locales.

Situations de colocation et problèmes fréquents

A ce stade, la loi ne prévoit pas de régime propre à la colocation, pas plus qu’elle ne définit ce qu’est la colocation. Les avis de la doctrine ne sont pas univoques. Pour certains, il y a colocation à partir du moment où un bailleur signe une convention de bail avec plus d’un locataire[[Nicolas Bernard et Valérie Lemaire, art. Cit., p. 74 : « Dès qu’il y a plus d’un signataire (hors bailleur) du contrat de location, et un seul contrat, on est en présence d’une colocation, ou encore d’une obligation à sujets multiples ».

]]. Pour d’autres[[Ingrid Plancqueel, « La colocation : une réalité sociale en expansion », in « La dé-fédéralisation du bail d’habitation : quel(s) levier(s) pour les régions ? », actes du colloque organisé le 27 février 2014 par le conseil supérieur du logement de Wallonie, sous la direction de Nicolas Bernard, Larcier, 2014, p. 259.

]], la colocation vise toutes les hypothèses où une personne habite en même temps qu’une ou plusieurs autres personnes, un même appartement ou une même maison, qu’elles soient mariées, cohabitantes légales[[A noter, toutefois, qu’en cas de mariage et de cohabitation légale, la loi prévoit la solidarité entre les époux et les cohabitants.

]], qu’elles forment un couple de fait, qu’elles soient parentes directes ou non…

Cette diversité d’appréhension de la colocation témoigne de la diversité des situations que l’on rencontre actuellement et de l’absence de régime juridique spécifique, propre à la colocation. Ainsi, ce terme recouvre aujourd’hui tant les personnes vivant dans un logement collectif avec un contrat de bail par chambre louée, celles qui vivent dans un appartement ou une maison, tantôt avec un contrat signé par tous les locataires, tantôt avec un contrat signé par un seul locataire et des contrats (ou non) de sous-location, les personnes mariées ou les cohabitants légaux, les cohabitants de fait, les personnes qui hébergent temporairement de la famille ou des amis[[B. Delcourt, « La colocation en pratique », in « La norme à l’épreuve de l’habitat alternatif, actes du colloque organisé le 23 novembre 2012 par le conseil supérieur du Logement de Wallonie, sous la direction de Nicolas Bernard, la Charte, 2012, p. 21.

]], etc.

La diversité et la complexité des relations de « colocation » relèvent sur le plan juridique de la location, de la sous-location, de la cession de bail, de la convention d’occupation précaire, etc. On le voit : les règles applicables sont multiples et, comme l’indique Ingrid Plancqueel, « En tout état de cause, il appartient au juge de qualifier définitivement la nature exacte de la relation ; cette qualification est chaque fois liée à une situation particulière »[[Ingrid Plancqueel, art. Cit., pp. 259-260.

]].

Dans la suite du texte, nous préciserons si nous visons la colocation au sens usuel du terme qui reprend la diversité de situations ou si nous visons la colocation au sens juridique du terme qui, quant à elle, vise le contrat de bail signé entre un bailleur et plusieurs colocataires à propos d’un même bien immeuble d’habitation.

A l’heure actuelle, la plupart des praticiens de la matière distinguent deux types de situations.

Dans le premier, un contrat de bail est signé entre le bailleur et le locataire. Le locataire « officiel » va, ensuite, mettre à disposition une ou plusieurs chambres ou partie du bien loué à d’autres personnes avec ou sans une convention de sous-location. Rappelons que la sous-location n’est permise que de l’accord du bailleur et à la condition que le reste du bien loué demeure affecté à la résidence principale du locataire « officiel ». Le contrat de bail liant plus de deux personnes est pourtant possible mais pas obligatoire : parfois, le propriétaire préfère n’avoir qu’un seul interlocuteur. Dans ce cas, le locataire signataire est responsable pour le paiement de la garantie locative, des loyers, des charges, des dégâts, etc… Lorsqu’un contrat de sous-location est signé entre le locataire signataire du bail et les autres sous-locataires, ce dernier peut régler la question des droits et obligations des locataires entre eux mais pas vis-à-vis du propriétaire.

On le voit, la colocation au sens usuel du terme, lorsqu’elle prend la forme d’une ou de plusieurs sous-locations, place les sous-locataires ou autres occupants de l’habitation dans une situation où ils ont à la fois moins d’obligations et moins de droits. En effet, ils dépendent en réalité du preneur principal ; ils tiennent leurs droits et leurs obligations de ce dernier. Pour le locataire « officiel », il faut observer qu’il remplit le rôle de bailleur à l’égard des autres sous-locataires ou occupants du bien. Il est garant de l’ensemble des obligations (payement du loyer et des charges, entretien du bien, garantie locative, dégâts, assurance incendie…).

Dans le second, un contrat de bail est signé entre le bailleur et tous les locataires : dans ce cas, tous les colocataires sont sur le même pied vis-à-vis du propriétaire mais très souvent une clause de solidarité est inscrite dans la convention de manière, pour le bailleur, à pouvoir contraindre chaque locataire à l’exécution de l’ensemble des obligations contractées par tous les locataires. En d’autres termes, lorsqu’une clause de solidarité est insérée dans la convention de bail, si un des colocataires ne paie pas son loyer, par exemple, le bailleur peut l’exiger de la part de tout autre locataire, quitte à ce dernier à se retourner contre ses colocataires. En l’absence de clause de solidarité, chaque colocataire n’est tenu que pour sa part de loyer. L’absence d’une telle clause peut donc être un premier souci pour le bailleur qui est alors confronté à une multitude de débiteurs chacun pour sa part.

L’autre souci du bailleur qui a conclu un bail avec plusieurs locataires est la possibilité de départ anticipé de la part d’un des locataires et des conséquences que ce départ entraîne pour lui[[B. Delcourt, art.cit., p. 24.

]].

Soit le locataire sortant se fait remplacer ou cède son contrat au locataire restant. Dans ce cas, les locataires sortant, entrant ou restant et le bailleur concluent une convention de cession des droits du locataire sortant. Cette convention doit prévoir la date à laquelle les droits sont cédés, le sort de la garantie locative et de l’état des lieux[[B. Delcourt envisage aussi de prévoir contractuellement que la garantie est constituée par le locataire entrant au profit du bailleur, à charge pour celui-ci de libérer le locataire sortant pour autant que la nouvelle garantie soit constituée, que le locataire cédant ait réglé les charges et loyers échus et qu’il n’y ait pas de litige entre locataires cédant et entrant concernant l’état des lieux.

]]. A l’heure actuelle, il faut l’accord de tous, bailleur et colocataires, pour que cette cession de bail opère, dans toutes ces dimensions.

Du point de vue des colocataires entrants et restants, il importe que le colocataire sortant assume sa part de responsabilité dans les éventuels dégâts occasionnés avant de pouvoir récupérer sa garantie locative. Dans la pratique, il est conseillé de procéder à un état des lieux intermédiaire entre colocataires afin de se mettre d’accord sur la répartition des frais destinés à réparer les dégâts locatifs et de déterminer la responsabilité dans tel ou tel dégât[[I. Plancqueel, art. Cit., p. 264.

]].

Du point de vue du colocataire sortant, il importe de quitter les lieux sur une remise en état qui revêt à son égard un caractère définitif et, par voie de conséquence, de récupérer sa part de garantie locative. A l’heure actuelle, tant que le bail est en cours et que son départ n’a pas été acté par tous, bailleurs et colocataires restants/sortants, via un avenant au contrat ou via une cession du bail (selon les cas), il risque d’être tenu encore par ses engagements de locataire (payement du loyer, responsabilité ultérieure dans les dégâts).

Soit le locataire sortant n’est ni remplacé ni cédé dans ses droits par un autre locataire, qu’il soit entrant ou restant. Dans ce cas, les choses peuvent se compliquer tant pour le bailleur que pour les colocataires restants. Il y a lieu, selon Bénédicte Delcourt, de distinguer le bail de résidence principale de courte durée ou de longue durée[[B. Delcourt, art. Cit., pp. 25-26.

]].

En effet, dans le bail de courte durée, la loi ne prévoit aucun droit de mettre fin anticipativement au bail. Dès lors, et sauf accord des parties, il ne sera pas possible de mettre fin au bail avant son échéance. Toutefois, en présence d’une proposition raisonnable de résiliation amiable, le refus du bailleur de rompre le bail pourrait être considéré comme abusif, suivant l’appréciation faite par le juge de la situation. Un seul des colocataires ne pourrait, toutefois, pas donner congé. Toute autre est la situation d’un contrat comprenant une clause de résiliation anticipée, cette dernière ouvre alors le droit pour les copreneurs de postuler la rupture anticipée du bail. Le fait de savoir si un seul des copreneurs pourrait seul donner fin au bail est incertain et laissé à l’appréciation du juge. Tout dépend de la rédaction de la clause de rupture anticipée : chacun des colocataires est-il clairement identifié dans ses droits et obligations ou sont-il à considérer comme ne formant au final, ensemble,qu’une seule entité juridique ?

Il convient également d’avoir égard aux droits des autres copreneurs.

S’agissant du bail de longue durée, la loi prévoit un droit impératif pour le preneur de mettre fin au bail, mais doctrine et jurisprudence sont divisées sur les conséquences d’un éventuel congé par l’un des colocataires seulement[[Voir B. Delcourt in La norme à l’épreuve de l’habitat alternatif, op . Cit.

]]. Certains estiment que le ou les locataire(s) restant conserve le droit de jouir de la totalité du bien, contre sa seule part de loyer. Dans ce cas, le bailleur supporte entièrement les conséquences de la rupture unilatérale du contrat. D’autres considèrent que l’obligation du bailleur de continuer le contrat avec le locataire restant implique une obligation corrélative de ce dernier de prendre à sa charge les obligations du locataire sortant ; mais s’il ne peut/veut pas les reprendre, il devra lui aussi mettre fin au bail.

Dans les cas où un colocataire peut quitter anticipativement les lieux loués, soit conventionnellement soit légalement, se pose la question du report de la charge de la part de loyer qui ne sera plus pris en charge par le locataire sortant. En pratique, le colocataire qui souhaite partir avant terme soit paye une indemnité, soit trouve un remplaçant qui agrée au bailleur. Le pacte de colocation, à conclure entre colocataires, pourrait prévoir des règles, notamment en termes de sanction ou d’indemnités en cas de départ anticipé d’un des leurs.

Enfin, entre colocataires, les relations et questionnements sont nombreux : vie en communauté ou non, distribution des tâches relatives aux espaces partagés, répartition des loyers et des charges (pas forcément identiques en fonction de l’espace privatif occupé par exemple), constitution et libération de la garantie locative, répartition dans les entretiens et les réparations éventuelles, prise en charge des assurances et des fournitures d’énergie, départ anticipé d’un colocataire, arrivée d’un nouveau colocataire, en plus ou en remplacement d’un colocataire sortant, etc. A l’heure actuelle, la plupart des associations qui ont à cœur les intérêts des locataires, promeuvent l’élaboration d’un pacte de colocation, des modèles étant même proposés afin d’appréhender l’ensemble des questions à aborder[Voir notamment le travail de l’asbl Droits quotidiens h[ttp://www.droitsquotidiens.be/fr/system/files/documents/cnj_log_mod_pactedecolocation2014_0.pdf.

]].

Propositions et pistes de solution

A la lumière de ces différents constats, il apparaît nécessaire de clarifier certaines situations et, donc, de légiférer, tout en veillant à garder une certaine souplesse.

Souplesse car jusqu’à présent, les colocataires et propriétaires ont souvent trouvé des solutions en fonction des situations et des besoins. Cette diversité de réponses, fonction de la diversité des situations rencontrées, est à préserver. Par ailleurs, il faut considérer que les règles en matière de bail de résidence principale sont mal connues aujourd’hui et il importe de les modifier de façon mesurée et proportionnée, en ayant tout particulièrement égard à l’équilibre des droits et obligations réciproques du bailleur, d’un côté, et des colocataires de l’autre, de même que des colocataires les uns envers les autres.

La colocation devrait être définie comme le régime juridique applicable à la relation qui se noue verticalement entre un bailleur et plusieurs locataires, tous signataires du bail ainsi qu’à la relation qui se noue horizontalement entre tous les colocataires du bien et qui prend idéalement la forme d’un pacte de colocation.

De cette définition, il ressort qu’en cas de colocation au sens juridique du terme[[En- dehors de la colocation, la sous-location demeurera bien entendu possible, par exemple, pour couvrir les hypothèses de départ à l’étranger ou autres, où le locataire laisse son logement à un autre locataire pour une durée déterminée.

]] et de bail de résidence principale des preneurs, la sous-location ne serait plus possible de prime abord, sauf convention contraire expresse du bailleur et des copreneurs. A l’inverse, la cession de bail demeurerait possible et serait même favorisée pour faciliter les remplacements de colocataires sortants et les départs anticipés, lorsque ceux-ci sont permis conventionnellement ou légalement. Toutefois, il est préconisé que l’accord préalable et expresse du bailleur que ce soit à la cession du bail ou à l’avenant du bail ne soit plus nécessairement requis, pour autant que la garantie locative soit bien constituée[[Il est ici fait référence à la clause à prévoir dans les contrats de cession ; voir également la note de bas de page 24 (constitution de la nouvelle garantie et ensuite libération de l’ancienne garantie).

]] et que l’identité du ou des nouveaux colocataires (supplémentaires ou cessionnaires) lui soient notifiés préalablement[[Un délai de trente jours avant l’entrée en vigueur de la cession pourrait être par exemple retenu afin de permettre l’exercice effectif du « droit de regard » par le bailleur.

]]. Il ne pourrait alors s’opposer à la cession que pour de justes motifs (ou motifs légitimes). Ainsi, le locataire sortant qui a rempli tous ses engagements conformément au contrat de bail et au pacte de colocation, pourrait être quitte et libre de toute charge, moyennant l’accord des locataires restants. Le bailleur conserverait le droit de s’opposer au remplacement qui a été porté préalablement à sa connaissance, mais uniquement moyennant motivation légitime. En cas de litige, le juge serait habiliter à trancher.

A propos du débat qui oppose les tenants de la suppression de la clause de solidarité et ceux d’une inscription légale de la solidarité dans le bail de résidence principale, les auteurs se demandent s’il ne faudrait pas coupler l’inscription dans la loi de la solidarité entre les colocataires, à l’inscription en parallèle de règles supplétives répartissant le loyer et les charges entre colocataires et prévoyant, le cas échéant, des indemnités en cas de départ anticipé en l’absence de solution de remplacement. Il pourrait être dérogé à ces règles supplétives, moyennant conclusion d’un pacte de colocation. Ainsi, la clause de solidarité à laquelle la plupart des bailleurs demandent de souscrire, serait-elle accompagnée de gardes-fous pour protéger les colocataires et les prémunir face à la défaillance de l’un d’entre eux.

Dans l’éventualité où l’un des colocataires soit ne parvient plus à payer son loyer ou ses charges, soit part anticipativement, et que les autres colocataires ne parviennent plus à faire face à l’ensemble des engagements, les auteurs proposent qu’une solution de résolution d’office du bail puisse être prononcée par le juge, après un délai donné et moyennant la prise en compte des circonstances qui lui sont soumises. Cette solution peut être l’une des dernières à envisager pour éviter l’endettement et sortir d’une situation de blocage, vécue difficilement tant pour le bailleur que pour les colocataires restants.

Dès lors, il est proposé de formaliser par un contrat, le lien juridique qui se superpose aux liens de fait qui se nouent entre tous les colocataires afin de régler tous les aspects de la colocation, tels que les états des lieux à l’entrée et à la sortie de chacun, la répartition des loyers et des charges, la gestion d’un départ ou d’une arrivée, la constitution et la libération de la garantie locative, les règles de vie en communauté, les conditions dans lesquelles les colocataires sont admis à quitter le logement avant la fin du bail, etc. Ce contrat pourrait prendre la dénomination de pacte de colocation, comme le propose l’asbl Droits Quotidiens ; ce contrat pourrait également régler des problèmes très délicats comme par exemple lorsqu’une saisie doit être opérée pour l’un des colocataires. Tous les locataires peuvent être concernés si aucun inventaire ou preuve de payement ne signale la propriété des uns et des autres sur les biens meublants les espaces partagés du logement. L’élaboration d’un inventaire des meubles appartenant à chacun des colocataires, à annexer au pacte de colocation, et sa consécration légale permettrait de sauvegarder le patrimoine des colocataires.Cet inventaire devrait alors faire l’objet d’un enregistrement pour être opposable à tous.

Enfin, la création de commissions paritaires locatives pourrait offrir un lieu qui pourrait régler une série de conflits de première ligne liés au bail, via une médiation technique et relationnelle.

De manière plus générale, il ressort que les propositions et pistes de solution se trouvent au croisement des besoins du bailleur d’entretenir une relation avec une seule entité, quand bien même elle est formée par une pluralité de colocataires et de ceux des colocataires de garder le bénéfice plein et entier des droits, tels que consacrés soit par le code civil, soit dans la loi du 20 février 1991 sur les baux relatifs à la résidence principale du preneur, tout en assurant une clarté quant aux engagements auxquels ils sont tenus chacun pour ce qui le concerne. A cet égard, le pacte de colocation à conclure entre colocataires apparaît comme le pendant indissociable du contrat de bail, à conclure entre bailleur et colocataires.

2. Urbanisme, logement, domiciliation

Problèmes rencontrés

Faut-il un permis d’urbanisme pour colouer son bien ? A Bruxelles, il n’en faut pas, du moins tant qu’on ne touche pas à la structure portante de l’immeuble. En Wallonie, la situation est incertaine, puisque l’article 84, §1er, 6° du CWATUPE subordonne la création d’un nouveau logement[[Le logement n’étant pas défini dans le CWATUPE, il faut s’en référer au sens usuel des mots.A titre d’information, le logement est défini par le code wallon du logement et de l’habitat durable comme le bâtiment ou la partie de bâtiment structurellement destiné à l’habitation d’un ou de plusieurs ménages (art. 1Er , 3°).

]] dans une construction à l’obtention d’un permis d’urbanisme préalable. Comme l’écrit Luc L’Hoir, « l’obligation porte tant sur la création d’un logement dans un immeuble non initialement destiné à l’habitation, que sur l’adjonction d’un logement supplémentaire dans un bâtiment existant par division ou « nouvelle répartition » de locaux »[[« Les actes et les travaux soumis à permis d’urbanisme en Région wallonne » in l’ouvrage collectif déjà cité « La norme à l’épreuve de l’habitat alternatif », p. 163.

]]. Une interprétation visant à subordonner la colocation d’un même logement à un tel permis d’urbanisme n’est en tout état de cause pas satisfaisante, alors que le logement, au sens du Code wallon du logement et de l’habitat durable, peut explicitement être habité par plusieurs ménages. A côté de cela, dans l’hypothèse où la maison unifamiliale accueille un parent qui occupe une chambre à titre gratuit, elle conserve son caractère unifamilial. La création du logement initial demeure quant à elle, logiquement, soumise à permis. Cette situation qui peut être équivoque à certains endroits est révélatrice de ce que l’urbanisme a été établi en fonction du logement unifamilial classique.

Par ailleurs, les communes redoutent souvent la division des maisons unifamiliales et/ou peuvent alors parfois exiger, via leurs règlements communaux d’urbanisme et les permis de lotir, des superficies minimales par logement[[Échos du logement, mai 2015, n°2 et notamment, Nicolas Bernard, « la question de la superficie minimale au croisement des polices du logement et de l’urbanisme (ou : les communes ont-elles le droit de prendre un règlement renforçant les exigences régionales et une directive limitant les subdivisions d’immeuble ?) »

]] ou une destination unifamiliale de certaines zones. Par ces règlements, les communes essayent souvent, fort légitimement, de lutter contre le fractionnement de logements susceptibles d’accueillir des ménages en multiples kots étudiants (cas d’Ottignies-Louvain-La-Neuve et de Namur par exemple) ou encore à combattre les marchands de sommeil (Charleroi, Schaerbeek, par exemple)[[En principe, nul permis d’urbanisme ne doit être requis en cas de colocation au sens juridique du terme.

]].

Il faut aussi considérer que la colocation peut, dans certains cas, ne pas être sans effet potentiellement négatif sur le terrain local (augmentation des besoins de parkings, troubles de voisinage, offre adaptée en termes de logement, augmentation des loyers…) et que ces éléments peuvent conduire les communes à prendre des initiatives pour les contenir. Il convient donc d’adapter les outils à disposition des communes pour leur permettre de poursuivre ces buts légitimes sans mettre à mal, pour autant, des projets de colocation dans leur ensemble et de façon indifférenciée.

Il peut aussi arriver aussi que les communes refusent l’inscription d’un des colocataires dans le registre de la population. Or, l’inscription, qui peut aussi être provisoire, est un droit pour le citoyen et elle conditionne l’exercice d’autres droits en matière judiciaire, d’assurances soins de santé, de garantie de revenus aux personnes plus âgées, de détermination du taux isolé ou cohabitant de certaines prestations sociales[[Voir notamment le récent article de Nicolas Bernard, « De l’inscription provisoire (dans les registres de la population) d’une personne habitant un parc résidentiel : une confirmation sur le principe et, à propos du recours, un revirement de jurisprudence, note à propos de l’arrêt n° 229.392 du Conseil d’État du 27 novembre 2014, Rev. dr. Comm., 2015/2.

]].

Par ailleurs, faut-il un permis de location spécifique en cas de colocation au sens juridique du terme ? Existe-t-il des règles particulières en matière d’habitabilité et de salubrité ? Le Code wallon du logement et de l’habitat durable définit le logement collectif comme étant le logement dont au moins une pièce d’habitation ou un local sanitaire est utilisé par plusieurs ménages[[Art. 1Er 6° du code wallon du logement et de l’habitat durable.

]] . Pour ces logements, le Code prévoit des règles minimales en termes de superficie, l’exigence d’un point d’eau potable par chambre, une douche ou baignoire avec eau chaude[[Arrêté du gouvernement wallon du 30 août 2007 déterminant les critères minimaux de salubrité, les critères de surpeuplement et portant les définitions visées à l’article 1 er , 19° à 22bis, du Code wallon du logement, M.B., 30 octobre 2007. Nicolas Bernard et Valérie Lemaire précise, pour ce qui concerne la superficie que : Le logement individuel n’est pas considéré comme surpeuplé si, au cas où il héberge trois personnes par exemple, la superficie minimale est de 33m 2 et qu’il compte au moins une pièce d’habitation de 15m 2 . Si le logement est collectif, la superficie minimale habitable par ménage doit également être de 33m 2 mais la superficie minimale habitable de l’unité de logement individuel du ménage doit être de 20 m 2 . Précisons que la superficie habitable par ménage dans un logement collectif est constituée par la somme de la superficie habitable des pièces d’habitation à son usage individuel et des pièces d’habitation à usage collectif mis à sa disposition (art. 18, §§ 1 er et 2, de l’arrêté du gouvernement wallon du 30 août 2007), p. 53, nb n° 181.

]]. En outre, il requiert l’obtention préalable d’un permis de location. Certes, l’objectif de ces exigences est louable puisqu’il s’agit de décourager les « clapiers à lapins » qui font le lit des marchands de sommeil. Toutefois, il ne faudrait pas que ces mesures de lutte contre les marchands de sommeil découragent un habitat alternatif, potentiellement générateur de solidarités et de cohésion sociale. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement wallon a pris le parti d’assimiler à une habitation individuelle le « logement de type unifamilial occupé par moins de cinq personnes majeures constituant plusieurs ménages », pour autant que le bien fasse « l’objet d’un contrat de bail entre les parties »[[Art. 3 de l’AGW du 30 août 2007.

]].Hors ces conditions, la dérogation ne joue plus : un permis de location est requis et c’est un bail individuel qui est alors contracté par chacun des locataires dudit logement collectif.

Enfin, avec sa nouvelle compétence en matière de bail d’habitation, le législateur régional pourra, si la nécessité s’en fait jour, déterminer les conditions minimales que doit remplir un bien pour pouvoir être donné en location[[Art. 2, al. 2, de l’arrêté royal du 8 juillet 1997 déterminant les conditions minimales à remplir pour qu’un bien immeuble donné en location à titre de résidence principale soit conforme aux exigences élémentaires de sécurité, de salubrité de d’habitabilité, M.B., 21 août 1997. Toutefois, cette disposition est formulée en termes trop vagues (« La superficie et le volume du logement doivent être suffisamment vastes pour permettre d’y cuisiner, d’y séjourner et d’y coucher. Chaque logement doit comporter au moins une pièce réservée au séjour et au coucher. Cette pièce doit être privative ») pour encadrer sérieusement une opération de subdivision ; tout au plus serait-elle susceptible de mettre hors circuit certains logements collectifs (servant de résidence principale aux preneurs) ; Nicolas Bernard, art. Cit., échos du logement, mai 2015, n° 2, p. 9, nb n° 76.

]].

Propositions et pistes de solution

A l’instar des recommandations contenues dans les résolutions bruxelloises des 21 janvier 2012 et 28 octobre 2011 relatives à la prise de mesures visant à soutenir et labelliser l’habitat groupé et visant à développer le « logement intergénérationnel » en Région bruxelloise, il est proposé qu’en parallèle à la création d’un régime juridique propre à la colocation, les règles en matière d’urbanisme et de logement soient adaptées afin de lever les obstacles administratifs à la colocation.

Ainsi, à tout le moins, la création d’un cadre régional balisant la colocation au sens juridique du terme devrait garantir qu’un permis d’urbanisme n’est pas requis pour la colocation d’un logement.

De même, en matière de logement, le souci d’une approche cohérente de la part des pouvoirs publics invite à fixer, au niveau régional, les conditions minimales d’habitabilité des biens donnés en location.

La Région doit aider les communes à apprécier et à accepter les projets de colocation qui apparaissent sur leur territoire, sans les bloquer indirectement et souvent involontairement via des règles ou des directives en matière de logement, d’urbanisme et de domiciliation, et en veillant à assurer au niveau local une offre suffisamment mixte et diversifiée de logements qui répondent aux besoins des habitants.

Enfin, la Région pourrait initier la réalisation d’une étude sur les formes d’architecture intérieure qui favorisent le bien vivre en collectif, et plus largement sensibiliser les acteurs de l’immobilier aux nouvelles formes du vivre ensemble.

3. Droits sociaux

Problèmes rencontrés

Il reste naturellement le problème crucial (!) du statut social des colocataires lorsqu’ils ont des revenus de remplacement et qu’ils vivent sous le même toit en colocation.

En effet, l’un des inconvénients majeurs auxquels sont confrontées les colocataires, et plus largement les personnes désireuses d’expérimenter une forme de cologement, réside dans la baisse éventuelle de leurs revenus de remplacement.

Pour paraphraser Nicolas Bernard, « lorsqu’une personne bénéficie d’un revenu de remplacement (allocation de chômage, revenu d’intégration, garantie de revenus aux personnes âgées, etc.), si l’autorité compétente la reconnaît comme cohabitante, le montant des allocations est automatiquement revu à la baisse. Et si l’allocation de la personne accueillie reste intacte, c’est parfois l’allocation de la personne hébergeante qui est alors rabotée ! »[[N. Bernard, « L’habitat groupé dit solidaire : un phénomène à visage multiple », Jurimpratique, Larcier, 2008, Tome 3, p. 133.

]].

L’explication de cette diminution des revenus de remplacement tient à la coexistence de différents taux dans les régimes de sécurité sociale (isolé, cohabitant, cohabitant avec charge de famille…)[[Pour le détail de l’application de ces différents régimes, il est renvoyé à l’article déjà cité de Nicolas Bernard et de Valérie Lemaire.

]]. Qui plus est, la détermination de ces taux recouvrent des situations très différentes selon les régimes concernés[[Exemples : Art. 59 de l’Arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d’application de la réglementation du chômage : Par cohabitation, il y a lieu d’entendre le fait, pour deux ou plusieurs personnes, de vivre ensemble sous le même toit et de régler principalement en commun les questions ménagères. (Une personne est jusqu’à preuve du contraire réputée habiter à l’adresse de sa résidence principale.

Art. 14 §1, 1° al. 2 de la Loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale : Il faut entendre par cohabitation le fait que des personnes vivent sous le même toit et règlent principalement en commun leurs questions ménagères.

Art.
6 de la Loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées : § 1er. Le montant annuel de la garantie de revenus s’élève au maximum à 4 653,00 euros.

Sans préjudice de l’application de la section 2 du présent chapitre, ce montant est octroyé à l’intéressé qui satisfait aux conditions d’âge prévues aux articles 3 et 17 et qui partage la même résidence principale avec une ou plusieurs autres personnes. Sont censés partager la même résidence principale, le demandeur et toute autre personne qui réside habituellement avec lui au même endroit.

]]. Ainsi, pour ne reprendre que le revenu d’intégration sociale et les allocations de chômage, le taux va dépendre d’un critère sociologique (vit-on sous le même toit ?) et d’un critère économique (partage-t-on les frais et dépenses de la vie courante ? Forme-t-on un ménage de fait ?). Pour autant, l’appréciation de ces critères varie selon le régime concerné. Dans le régime de l’assurance chômage, l’octroi du statut cohabitant est dans les faits univoque : la colocation entraîne d’office le taux cohabitant, alors même que les personnes ne constituent pas un ménage de fait, sauf pour elles à faire la preuve du contraire ; à l’inverse, dans le régime du RIS, les CPAS examinent davantage au cas par cas les situations qui leur sont présentées : y a-t-il ou pas une mise en commun des ressources pour les dépenses quotidiennes du ménage ? Là encore, la jurisprudence administrative varie non seulement d’une Région à une autre (on ne sera pas traité de la même manière à Bruxelles ou en Wallonie) mais également d’un CPAS à un autre. A défaut de droits sociaux individualisés qui reste une revendication majeure mais relève entièrement de l’État fédéral, tendre vers davantage d’harmonisation et d’uniformité dans la façon dont le statut cohabitant est octroyé engendrerait une plus grande sécurité juridique pour les personnes concernées.

Enfin, une dernière source de différentiation dans l’appréciation des taux au sein d’un même régime découle de la capacité et de l’habilité des uns et non des autres à faire comprendre le mécanisme de la colocation. En d’autres termes, des négociations sont parfois possibles, au cas par cas, avec les autorités. C’est encore plus vrai lorsque c’est une association qui gère la colocation.

Il en résulte des discriminations entre les allocataires selon qu’ils parviennent ou non à faire comprendre aux services administratifs concernés qu’ils forment un ménage économiquement séparé des autres habitants du logement.

La non-individualisation des droits sociaux pénalise les solidarités familiales, amicales, communautaires et a aussi pour conséquence concrète, dans l’état actuel de notre droit en matière de sécurité sociale, la floraison des boîtes aux lettres, louées souvent à des prix exorbitants et autres domiciliations fictives pour maintenir un taux préférentiel.

Comme le synthétisent Valérie Lemaire et Nicolas Bernard, : « Enfermés dans des logiques catégorielles qui confinent progressivement à l’entêtement et, en tout état de cause, à l’obsolescence, les pouvoirs publics tendent à pénaliser certaines formes de soutien mutuel et de solidarité. Ainsi, les allocataires sociaux qui prennent la décision de partager un même toit pour des raisons financières risquent fort de perdre leur statut d’isolé pour « tomber » dans le registre « cohabitant » et ce, quand bien même ils ne formeraient en rien un ménage au sens traditionnel du terme »[[Ibid.

]].

Au final, il en découle une insécurité juridique criante et la perte des solidarités humaine et étatique.

Propositions et pistes de solution

Si la consécration du régime juridique de la colocation et la formalisation de la répartition des charges au travers du pacte de colocation concourent à distinguer aux yeux des administrations les ménages qui partagent ensemble une partie de leur logement sans former un même ménage, les auteurs de la présente résolution estiment que d’autres pas décisifs peuvent également être accomplis au niveau régional vers plus d’égalité et de solidarité.

Ainsi, en s’appuyant sur une étude menée en 2006 à l’initiative du pouvoir fédéral par une équipe pluridisciplinaire de recherche[[Étude réalisée par Habitat et Participation, Sum Research et les Facultés universitaires Saint- Louis pour le compte du Service public de programmation Intégration sociale, Lutte contre la pauvreté et Économie sociale. Elle a débouché en 2007 sur la publication du rapport de recherche : Habitat solidaire. Étude sur les possibilités de reconnaissance de l’habitat groupé pour les personnes en précarité sociale, Bruxelles, Service public de programmation Intégration sociale, Politique des grandes Villes, 2007.

]], remise à jour en 2012,[[Lire à ce sujet l’étude remise à jour en 2012 sur le logement partagé : Co production de Samenhuizen – Facultés universitaire Saint Louis – Habitat et Participation asbl, Décembre 2012. L’étude, remise à jour, met en évidence les 4 dimensions de l’habitat solidaire et propose de définir l’habitat solidaire de manière opérationnelle avec les experts de terrain.

]] la Région pourrait reconnaître la notion d’habitat solidaire et la définir de la manière suivante : « Un habitat solidaire est un milieu et un projet de vie dans lequel évoluent (notamment) une ou plusieurs personnes dont au moins une se trouve en situation de précarité sociale (ou en passe de le devenir). Elles s’inscrivent formellement ou informellement dans une communauté d’intérêts et parfois bénéficient d’un accompagnement ou d’une aide sociale spécifique ou générale. Cet habitat solidaire se matérialise par un habitat de type groupé : ensemble d’habitations autonomes mais groupées comportant un ou des espaces communs occupés par plus de deux adultes qui ne sont pas liés par d’autres liens que cet ensemble d’habitations ».

L’habitat solidaire se matérialise au travers d’un ensemble architectural composé de logements/chambres privatifs et d’au moins un lieu de vie commun », au sein duquel «résident plusieurs personnes et/ou ménages dont au moins une personne en précarité sociale, qui sont liées par un souci commun de solidarité tel qu’explicité dans “la charte de l’habitat solidaire” »[[Ibidem, p. 31.

]].

Ainsi, à Bruxelles, sous l’impulsion du précédent Secrétaire d’État en charge du Logement, le Code du logement définit déjà la notion d’habitat solidaire comme suit : « Logement sous-tendu par un projet de vie solidaire, initié ou non par une institution mais coulé dans une charte ou un autre instrument de ce type, dans lequel résident plusieurs ménages (dont au moins un satisfait aux conditions de revenus telles que fixées en vertu du § 2, 1°, du présent article) qui y disposent chacun d’un ou de plusieurs espaces privatifs de jouissance exclusive et d’au moins un espace de vie commun. Sont exclus les maisons d’accueil, les maisons de vie communautaire, les abris de nuit, les maisons d’hébergement de type familial et tout autre logement collectif réglé par une législation particulière » (art. 1er , 25° du Code).

Par « tout autre logement collectif réglé par une législation particulière », il faut notamment comprendre les maisons de repos pour les seniors ou encore les foyers pour personnes handicapées. Les conditions de revenus auxquelles doit répondre au moins un des ménages résidents de l’habitat solidaire correspondent aux conditions de revenus déterminées par le Gouvernement pour pouvoir accéder à un logement locatif social. Notons encore qu’un mécanisme de subventionnement des structures d’accompagnement à l’habitat solidaire a également préparé sous la précédente législature, à travers un avant-projet d’ordonnance de la Commission communautaire commune, visant à soutenir et à maintenir à domicile des personnes âgées, handicapées ou en difficultés sociales intégrées dans l’habitat solidaire[[La définition de l’habitat solidaire retenue par cet avant-projet est intelligemment articulée sur celle du Code du logement puisqu’on y vise le: « Projet de vie solidaire, initié ou non par une institution, dans lequel

résident plusieurs personnes et/ou ménages dont au moins une personne est en précarité sociale et qui y disposent chacun d’un ou de plusieurs espaces privatifs de jouissance exclusive et d’au moins un espace de vie commun. Sont exclus les maisons ou appartements où réside un seul ménage, les maisons d’accueil, les maisons de vie communautaires, les abris de nuit, les maisons d’hébergement de type familial et tout autre logement collectif réglé par une législation particulière ».

]].

A travers une consécration par le législateur régional de la notion d’habitat solidaire, la Wallonie serait habilitée à organiser un label en faveur des porteurs de projet de ce type d’habitat et à être ensuite en mesure de le faire reconnaître par l’Autorité fédérale, de manière à ce que la participation à un projet d’« habitat solidaire », de plein droit, n’influence pas le taux appliqué lors du calcul du revenu de remplacement des différents ménages cohabitant dans ces logements labellisés. Ce label doit également être articulé avec un dispositif d’accompagnement social, par le biais des associations et des pouvoirs publics, qui aide les participants à réaliser leur projet social.

Enfin, il appartient aussi à la Région de faire valoir auprès du niveau fédéral l’enjeu plus large lié à l’individualisation des droits sociaux[[Voy. La proposition de loi visant à relever certains minima sociaux et à individualiser les droits sociaux, déposée par Zoé Genot (doc. Ch., session 2010, n° 53 0319/001).

]],à savoir la suppression du taux cohabitant et l’accès au taux isolé pour tous les bénéficiaires de revenus de remplacement.

Share This