Quelques jours après la conférence de Paris, il est temps de relire à tête reposée cet accord présenté dans les médias comme une avancée cruciale dans la lutte contre les changements climatiques. En effet, samedi soir alors que le marteau de Laurent Fabius s’abattait, et tandis qu’il essuyait de sa manche quelques larmes d’émotion, une apparente unanimité semblait rassembler le monde politique, le monde économique et même les ONGs.
Pourtant, en lisant cet accord, on peut a priori être surpris par cette unanimité car on voit mal ce qui justifie un pareil engouement à la lecture du texte qui a été approuvé.
Un accord global ?
La première justification de cet engouement vient du fait qu’il s’agirait « du premier accord global sur le climat »… C’est on ne peut plus faux. Le protocole de Kyoto, s’il ne fixait des objectifs de réduction d’émission de GES que pour les pays industrialisés rassemblait déja la quasi totalité des pays de la planète au moment de son approbation sans parler de la convention des Nations unies sur les changement climatiques dont l’accord de Paris sera une annexe. Rien ne permet d’ailleurs de croire que l’accord de Paris subira un sort plus enviable que Kyoto. La route est encore longue avant que ce nouvel accord de Paris soit appliqué par les 195 pays ayant participé à la conférence et surtout par les principaux pays émetteurs que sont les USA, la Chine et l’Union européenne. Quand on sait qu’un des enjeux principaux de la négociation a été de construire un accord sur mesure pour que les Etats-unis puissent contourner leur congrès pour la ratification, on ne peut qu’être interloqué par la lecture de l’article 28 de l’accord de Paris. Celui-ci prévoit en effet qu’un état partie peut dénoncer l’accord dans les 3 ans de son entrée en vigueur. En pratique cet article laisse donc la possibilité aux états de se retirer de l’accord jusqu’en 2023. A cette date 2 élections présidentielles américaines auront eu lieu (2016, 2020). Bref, il suffit qu’un président républicain rentre à la maison blanche d’ici à cette date pour que les USA se retirent de l’accord. Or la Chine pose comme condition à sa participation que les USA fassent partie de l’accord. Autant dire que celui-ci est bien fragile et que cet article 28 pourrait bien être le cheval de Troie par lequel l’édifice s’écroulera. Il serait intéressant de connaître les marchandages qui ont abouti à l’intégration d’un article si dangereux pour la pérennité de l’accord.
Un accord contraignant et sans sanctions ?
D’autre part, cet accord est présenté comme juridiquement contraignant par ses défenseurs. Mais c’est loin d’être le cas. Pour prétendre être juridiquement contraignant, un accord international doit fixer des obligations, or, l’accord de Paris est majoritairement au conditionnel (« members states should ») et les quelques obligations (« member states shall ») concernent des dispositions secondaires ou des obligations imposées aux organes onusiens. D’autre part, l’accord ne prévoit pas de mécanisme de vérification de la conformité des engagements des Etats (« compliance mechanism ») ou des sanctions pour ceux qui ne les respecteraient pas. Le seul contrôle se limite à la création d’un comité d’experts aux pouvoirs à définir qui sera chargé de « promouvoir la conformité (des états) aux dispositions de l’accord » (article 15).
Quels objectifs ?
L’autre source de satisfaction miss en avant par les défenseurs de cet accord est l’objectif de limiter la température « bien en deçà de 2°C » et de « faire des efforts pour limiter l’augmentation de la température à +1,5°C » contenue dans l’article 2 qui est le coeur de l’accord. C’est effectivement extrêmement ambitieux de mentionner cet objectif de 1,5°C. Trop ambitieux ? Pour rappel, la température s’est déjà élevée de pratiquement 1°C par rapport à la période pré industrielle et l’inertie du système climatique le rend relativement lent à réagir. Avec les 400 ppm de concentration de GES dans l’atmosphère que nous connaissons aujourd’hui, nous n’avons plus droit qu’à 5 ans d’émissions au rythme d’émission actuelle pour avoir une chance sur deux de rester sous les 1,5°C. Après ça, il faudrait selon les scientifiques du GIEC ne plus émettre de GES du tout pour le reste du siècle ce qui admettons-le, sera difficile… Cet objectif n’apparaît donc pas très sérieux si ne sont pas mises en oeuvre dès aujourd’hui des politiques climatiques drastiques absentes de l’accord de Paris. Cette unique promesse faite sans fixer de moyens pourrait même avoir tendance à discréditer l’accord dans sa totalité. Quand à l’objectif de limiter l’augmentation de la température à +2°C, il figurait déja dans l’accord de Copenhague et ne représente donc pas une avancée. L’accord fixe enfin comme objectif d’atteindre un pic des émissions « le plus tôt possible » (article 4), ce qui reste un objectif extrêmement vague. Ces objectifs font l’effet d’un chèque sans provision que nous offrons aux générations futures, généreux en apparence mais sans qu’on sache vraiment qui va payer et comment. Or à l’entame de la conférence, on aurait pu espérer des objectifs plus précis, par exemple une dead line pour la sortie des énergies fossiles ou un objectif renouvelable global. Cela aurait au moins donné une indication sur les moyens que la communauté internationale entend mettre en oeuvre. Mais ces objectifs ont disparu du texte au cours de la dernière semaine de négociation sans doute à la demande des pétro-monarchies du Moyen-Orient et d’ailleurs (y compris la toute nouvelle pétro-république américaine)…
Un objectif sans moyens…
Se fixer un objectif sans définir les moyens qui seront mis en oeuvre pour l’atteindre ressemble fort à une promesse d’ivrogne. Or l’accord de Paris reste extrêmement vague sur les moyens à mettre en oeuvre. Il y a d’abord les « contributions nationalement déterminées qu’ils (les Etats) tenteront d’atteindre » (article 4). Comprenez les promesses de réduction d’émissions de GES faites dans les mois qui ont précédés la conférence de Paris. Comme leur nom l’indique, ces contributions n’engagent personne, elles sont volontaires, d’autant qu’elles ne sont pas intégrées dans l’accord « juridiquement contraignant » proprement dit mais dans un document annexe. Elles sont en outre insuffisantes et nous mènent tout droit vers un monde où la température moyenne augmentera de près de 3 degrés. Alors bien sûr, et c’est sans doute la principale avancée que représente l’accord de Paris, ces contributions devront être révisées tous les 5 ans d’une manière « qui représentera une progression » (article 4). Tandis que des bilans « analyse(ront) la progression (…) vers l’objectif de long terme »(article 14), c’est à dire l’effort restant à accomplir pour se limiter à +2°C. Le pari des défenseur de l’accord est que cette pression sur les épaules des Etats sera suffisante pour les pousser à revoir leur ambition à la hausse. Ce mécanisme de « pledge and review » (promesse et révision) n’offre donc aucune garantie de succès et dépendra de la dynamique internationale dans laquelle on s’inscrira en 2020, date à laquelle les Etats sont invités à revoir leur copie (article 22 de la décision de la COP) mais surtout en 2025 où ils devront le faire dans le cadre de ce nouveau mécanisme. Il faudra donc encore attendre 10 ans avant de pouvoir juger…
Qui va payer ? On ne sait toujours pas…
Du coté de l’argent mis à disposition des pays du Sud pour se développer dans le cadre d’une économie « faible en carbone » et s’adapter aux changements climatiques, il semble très étonnant que les pays du Sud aient accepté un accord qui n’apporte aucune nouvelle garantie… Les 100 milliards de $ par an déjà promis à la conférence de Copenhague en 2009 passent simplement du statut d’objectif au statut de somme « plancher »… On ne sait pas davantage comment cet argent va arriver et surtout sous quelle forme (des emprunts, des prêts, quelle additionnalité à l’aide au développement). L’accord n’apporte en effet aucune précision sur ce point. Surtout, cet objectif vague et relativement faible par rapport aux besoins réels des pays du Sud n’évoluera pas avant 2025 où l’accord prévoit une réévaluation de cette enveloppe. Cela paraît de nouveau bien tard pour les pays du Sud. On pourrait croire que ce manque d’avancée sur la question des financements sus-mentionnés a été compensé par une autre enveloppe offerte par les pays industrialisés pour rembourser les « pertes et dommages » subits par les pays du Sud. Mais au contraire, les négociateurs à Paris se sont mis d’accord sur le fait que les Etats du Nord ne peuvent pas être tenus financièrement responsables pour ces dégâts (article 52 de la décision de la COP). Bref, sur la question des financements climatiques non plus, il n’y a à priori pas lieu de se réjouir, pour les pays du Sud en tous les cas.
Les marchés du carbone bientôt hors de contrôle…
L’accord définit les contours des futurs marchés du carbone, et force est de constater qu’il consacre la victoire de l’approche hyper libérale. L’article 6 de l’accord est un modèle de texte diplomatique alambiqué. Les marchés du carbone deviennent des « approches collaboratives » et les crédits carbones des « résultats des mesures d’atténuation », mais au final, c’est un système permettant à chaque Etat de mettre en place ses propres marchés du carbone et d’émettre ses propres crédits carbone sous la supervision molle d’un nouvel organe aux pouvoirs à définir qui se dessine. Les détails de cette régulation seront à définir dans les prochaines années. C’est sans doute un des dossiers les plus lourds de menace qu’engendre l’accord de Paris car ces marchés non-encadrés sont hyper spéculatifs et ont jusqu’ici eu un impact limité voir négatif en terme d’atténuation. On aurait pu espérer encore une fois que l’accord propose un prix du carbone mais, là encore, cette option a disparu du texte final ne laissant que les mécanismes de marché.
Alors pourquoi cette euphorie ?
Alors pourquoi cet engouement unanime au lendemain de Paris pour saluer un accord présenté comme « historique », a fortiori au sein de la société civile où la plupart des ONGs (à quelques exceptions prêt comme attac par exemple) ont salué l’accord. Tout d’abord cela découle de la transe collective qui caractérise les derniers jours de ces grand-messes internationales. L’absence de sommeil aidant, on se laisse facilement griser par l’émotion de stade de foot qui anime les dernières heures de ce marathon diplomatique. Les présidences de COP ont d’ailleurs déjà utilisé cette atmosphère électrique par le passé. A la conférence de Cancun par exemple, la Présidence mexicaine avait permis aux ONGs de rentrer dans la salle de conférence au moment d’approuver l’accord (alors que l’accès est généralement limité ). Dans une atmosphère lourde (l’air conditionné était-il coupé ?), on a alors assisté à une scène surréaliste où des membres d’ONGs (y compris certaines issues de l’extrême gauche) se sont mis à huer le représentant de la république bolivarienne du Vénézuela (!) qui faisait de l’obstruction pour empêcher la présidente d’abattre le marteau … Ainsi dans ce grand show, ou même Laurent Fabius s’est laissé aller à verser sa petite larme, on a tendance à sur-évaluer la portée historique du moment qu’on est en train de vivre et à se laisser emporter par l’euphorie réelle ou artificielle dans laquelle on est baigné.
Une autre explication de l’engouement de la société civile est plus rationnel. La dépression post Copenhague a laissé des marques. Les stratèges de la société civile discutent depuis longtemps de l’impact d’un discours trop négatif sur l’opinion publique. Un discours pessimiste « coupe les jambes » des militants et broie toute volonté de mobilisation pendant de longues années. Ainsi, il n’est pas surprenant de voir la plupart des ONGs jouer la carte de l’optimisme pour capitaliser sur l’engouement populaire (relatif) que la Conférence de Paris à engendré et préparer ainsi les mobilisations futures. C’est évidemment une intention louable mais qui risque de bercer l’opinion publique de l’illusion que ce type d’accord est suffisant pour résoudre la crise climatique et qu’il ne sera pas nécessaire de modifier en profondeur notre mode de vie.
Enfin, l’accord de Paris et à fortiori la décision de la COP qui l’accompagne sont loin d’être lisibles pour le commun des mortels y compris pour la plupart des journalistes suivant les débats. C’est un texte diplomatique où les objectifs et les fausses promesses se cachent entre les lignes dans une tournure grammaticale alambiquée ou un conditionnel dissimulé dans des phrases à rallonge. Cette complexité du texte empêche la plupart des observateurs d’avoir une vision précise de la portée de l’accord ce qui favorise l’homogénéité des points de vue, chacun s’inspirant (journaliste, ONG, business) du point de vue de son voisin…
En conclusion, on se retrouve en 2025 !
Il est sans doute trop tôt pour savoir si l’accord de Paris restera dans l’histoire, ou n’est que le nouvel avatar de discussions ONUsiennes sur le climat qui durent depuis maintenant 25 ans. Ce qui est sûr c’est que cet accord est loin d’être le texte dont le monde avait besoin en 2015 : il n’est pas contraignant, ne fixe pas d’objectifs clairs et reste flou sur les moyens à mettre en oeuvre. L’accord de Paris se range en fait dans la lignée de ceux qui l’ont précédé dont surtout ceux approuvés à Bali en 2007 ou à Durban en 2011, qui fixaient un cadre et un agenda pour l’action climatique au niveau international mais sans prendre de véritables engagements. Mais aurait-on pu attendre un accord plus ambitieux étant donné le contexte international où l’environnement n’est pas une priorité et étant donné les blocage politiques (comme le Congrès américain), économiques (comme le poids des lobbys des énergies fossiles) et sociaux (qui est vraiment prêt à envisager les efforts à consentir?). Comme l’a dit Laurent Fabius, cet accord est sans doute « le meilleur équilibre possible, à la fois puissant et délicat, qui permettra à chaque délégation de rentrer chez soi la tête haute et avec des acquis importants ». Mais la question est sans doute de savoir si un accord qui ne fâche personne peut résoudre la crise climatique… A ce stade, toutes les portes restent ouvertes donc et l’avenir dépendra principalement de la volonté des Etats et des individus qui les composent de se donner les moyens de leur déclaration d’intention. Hélas , cela risque de prendre pas mal de temps, et du temps, nous n’en disposons pas.