Les derniers chiffres révélés par FRONTEX font état de 54 437 migrants ne provenant pas de la région des Balkans et ayant traversé illégalement la frontière Schengen par cette région, ce qui est comparable à la somme des deux années précédentes 2013 et 2014[[ FRONTEX, Western Balkans Quarterly, quarter 2, April-June 2015. Warsaw, reference number 13523/2015, catalogue number TT-AI-15-002-EN-N. page 16.

]]. Certains estiment que le record des demandes d’asile des années de crise des Balkans pourrait être largement dépassé[ Maxime Vaudano & les décodeurs, Comprendre la crise des migrants en Europe en cartes, graphiques et vidéos, le Monde, 4 Septembre 2015, [http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/04/comprendre-la-crise-des-migrants-en-europe-en-cartes-graphiques-et-videos_4745981_4355770.html, consulté 20/09/2015

]]. Cet afflux migratoire apparait donc comme sans précédent en terme de nombre. Selon l’UNHCR, plus de 400 000 personnes auraient tenté de rejoindre l’UE par la mer au cours des premiers mois de 2015[[ UNHCR, Europe’s refugees emergency response-update #2, 1-16 September 2015, page 1.

]]. La frontière Serbo-hongroise est celle soumise à la plus grande pression puisqu’une explosion de 1176% de la détection de passage illégale a été enregistré selon FRONTEX en comparaison avec la même période de l’année passée[[ FRONTEX, op. cit., figure 4, The Hungarian-Serbian border continued to be the busiest in term of illegal border-crossing. page 10.

]] ; chiffre néanmoins à relativiser puisque le gouvernement hongrois a augmenté sa présence le long de la frontière[ Reuters France, Hongrie-Orban installe des renforts de police à la frontière, 14 Septembre 2015, [http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL5N11K1T620150914 consulté le 20/09/2015

]].

Certains journaux en Europe ont souligné à juste titre que la guerre en Syrie est l’une des raisons de l’explosion du nombre de migrants [[ Le Monde, loc. cit. montre par le graphique que le début de la guerre en Syrie précède la vague migratoire actuelle.

]]. Les réfugiés composent 38% des migrants illégaux traversant la frontière avec les Balkans au deuxième trimestre de 2015 ; ce qui constitue une augmentation de 260% par rapport au précédent trimestre.[[ FRONTEX, op. cit. page 10.

]]

Les voies migratoires ont quant à elles peu évolué puisque les voies Grecque et Turque restent les principales avec le passage méditerranéen. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés a ainsi établie une typographie de ce chemin vers l’Europe ainsi que ceux de moindre importance entre la Turquie-Grèce et l’UE[[ UNHCR, op. cit. page 8.

]]. FRONTEX dans son rapport sur les voies de migration par les Balkans souligne la hausse non seulement des passages frontaliers par la Turquie mais aussi ceux par la Mer Egée[[ FRONTEX, op. cit. page 10.

]]. Les caractéristiques qualitatives et quantitatives pour les Balkans s’inscrivent dans la même tendance pour la zone grecque : une explosion du nombre absolu de passage, une forte augmentation du nombre de Syriens[[Ibid, page 16.

]]. Cette migration constitue donc dans sa géographie un simple grossissement des flux au niveau des points de pressions transfrontaliers. Ce sont aussi des migrations dont la dangerosité a fortement augmenté avec l’établissement de nouvelles barrières comme celle qu’érige actuellement la Hongrie[[ Ibid, page 18.

]] ou encore celle de la Grèce avec la Turquie érigée en 2002 qui oblige désormais les migrants à passer par la mer[[ Le Monde, loc. cit.

]].

Cette crise nécessite certes une réponse de l’Union qui, aujourd’hui, est directement concernée non seulement par la frontière grecque mais aussi par la frontière Croatie-Roumanie[[ FRONTEX, op. cit. figure 4, page 11.

]] via la Hongrie. A fortiori, les pays de destination de ces migrants sont les pays du Nord de l’Europe comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suède[[ Le Monde, loc. cit.

]]. Or, Les réponses sont mitigées. Certains dirigeants ont pu appeler à une prise en charge d’une partie[ Le Figaro, Migrants : Paris et Berlin veulent des quotas contraignants d’accueil en Europe, 03/09/2015, [http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/09/03/01016-20150903ARTFIG00166-reunion-a-l-elysee-de-tous-les-ministres-concernes-par-la-crise-des-migrants.php consulté le 22/09/2015.

]] de cet afflux tandis que d’autres tels que la Hongrie[[ FRONTEX, op. cit. page 17.

]] ont fermé leurs frontières ou sont réticents à toute politique de quotas[[ Le monde, loc. cit.

]]. La décision hongroise est l’illustration parfaite de ce qu’est Schengen : une politique de gestion d’un espace commun dont les frontières sont gérées au niveau national et subventionnées pour leur surveillance par les autres Etats membres non limitrophes de l’espace ; managée par une structure neutre qui doit surveiller l’application conforme des libertés induites par ce nouvel espace[[ Union européenne, http://eur-lex.europa.eu/, 1998-2015, Article 67 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne.

]]. Les institutions européennes sont en charge de cette politique bien qu’elle ne concerne que 22 Etats membres[ Ibidem. Hors Roumanie, Chypre, Bulgarie, Royaume-Uni et Irlande. Euro-Lex, l’Espace et la coopération Schengen, 3 Septembre 2009, [http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:l33020 consulté le 22/09/2015.

]] auxquels s’ajoutent les pays membres de l’AELE. Elle fut intégrée à l’Union Européenne avec le traité d’Amsterdam en 1997[[ Ibidem.

]] bien que les frontières de l’espace ne coïncident pas avec celles de l’Union.

La politique d’asile – politique découlant des accords de Schengen – est aussi fortement critiquée avec cette crise. Elle repose sur les accords de Dublin qui confèrent la gestion de la demande d’asile au pays par lequel il est rentré. Cette responsabilité est valable douze mois. Les modalités sont gérées par l’article 13 du règlement Dublin III en matière de responsabilité[[ Parlement Européen & Conseil, règlement n° 604/2013, 26 juin 2013, chapitre III, article 13.

]]. Or, les Etats comme l’Italie, la Grèce – principales portes d’entrée – ne sont que des pays de transition. De ce fait, cette production[[ J’utilise le terme de production ici pour faire référence à la théorie de Stefano Bartolini qui sera évoquée plus loin.

]] – les résultats de la gestion – de la part du centre européen ne permet pas d’assurer une politique migratoire efficace au sein de l’Union Européenne.

Ainsi, la décision hongroise est une simple application de la politique de Schengen, sur ses frontières dites extérieures. Cependant, le rétablissement des contrôles aux frontières allemandes et les prévisions par d’autres sont quant à elles des actions, certes relevant des dispositions de Schengen mais dont l’application doit être exceptionnelle[[ Règlement CE N°562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au franchissement des frontières par les personnes, article 26 & 26 bis.

]]. Cela ne signifie pas que les frontières sont forcément fermées. Ce contrôle doit être provisoire et relève de l’exceptionnel. De ce fait, l’Union Européenne se trouve dans une période exceptionnelle, une période de crise dont les flux sont une pression exercée sur le système européen.

D’ailleurs les comportements classiques des vingt-huit en cas de crise sont réapparus comme au temps de la menace d’un Grexit : réunions du conseil européen, rencontres transnationales sur la question commencent à réapparaitre[ Peter Murphy & Jan Marchal, Crise des migrants : réunion à Bruxelles, la Hongrie durcit ses mesures, France 24, 22 Septembre 2015, [http://www.france24.com/fr/20150922-crise-migrants-reunion-a-bruxelles-hongrie-durcit-mesures consulté le 22/09/2015.

]]. L’UE dans son rôle originel appelle à la solidarité[ Euronews, Migrants : Mogherini appelle à la solidarité entre les pays concernés, 25 Aout 2015, video. [http://fr.euronews.com/2015/08/25/migrants-mogherini-appelle-a-la-solidarite-entre-les-pays-concernes/ consultée le 19/09/2015.

]] quand l’Allemagne demande la sanction des Etats refusant une solution de crise[[ France 24, loc. cit.

]].

Néanmoins cette période critique semble être propice à l’intégration européenne. Le résultat de la dernière rencontre des ministres européens de l’intérieur l’illustre bien. L’établissement de quotas contraignants sur deux ans imposés à des pays comme la République Tchèque est une avancée dans le processus d’intégration européen et renforce la gestion européenne de la crise[ BELGA, L’UE se met d’accord sur un plan de répartition de 120.000 réfugiés, La Libre, 22/09/2015. [http://www.lalibre.be/actu/international/l-ue-se-met-d-accord-sur-un-plan-de-repartition-de-120-000-refugies-5601738b35700fb92f18ab95 consulté le 23/09/15.

]]. L’Europe s’est toujours construite par la crise : que ce soit lors de sa fondation, dont L’Europe post-guerre en ruine rappelle la crise mondiale et sanglante que fut la Seconde Guerre Mondiale ; que ce soit la politique de la chaise vide permettant l’apparition de la majorité qualifiée sauf en cas de vetos nationaux ; sans oublier la crise constitutionnelle qui conduisit au Traité de Lisbonne en 2009. De ces faits précédemment exposés, la question de savoir si la crise migratoire peut entrainer la désintégration de l’UE peut se poser. Quid de l’impact de la crise migratoire sur le processus européen ?

Avant tout, une limite à évoquer dans cet article est que les faits sont toujours en cours et rendent son appréciation des plus difficiles mais il n’en reste pas moins qu’en dehors de l’évolution constante des chiffres, le phénomène est appréciable dans le mécanisme qu’il produit au niveau européen.

Nous entrons donc dans le sujet de l’intégration européenne. Si nous faisons appel aux théories se portant sur le sujet – néo-fonctionnaliste, fédéraliste et réaliste – il en ressort qu’aucune ne peut être un instrument judicieux pour apporter une explication. La première se base sur des phénomènes endogènes à l’intégration européenne tel que l’effet Spill-over ; or la question migratoire relève de pressions externes. Quant à la théorie fédéraliste, elle ne peut y répondre car subjective mais aussi ne permet pas d’envisager l’antithèse, c’est-à-dire une désintégration. Enfin, les évènements récents ont surtout apporté des réactions émotionnelles plus que rationnelles tel que l’illustre la photo du petit Aylan Kurdi, point de départ du processus politique[ Amara Makhoul-Yatim, Angela Merkel, l’Héroïne des réfugiés syriens sur le chemin de l’Europe, France 24, 4 Septembre 2009, [http://www.france24.com/fr/20150904-angela-merkel-allemagne-heroine-migrants-syriens-europe-ue consulté le 19/09/2015.

]].

Ce processus d’intégration développe évidemment des thématiques touchant non seulement à l’administration et la gestion mais impacte aussi l’ensemble des questions du contrat européen. En d’autres termes, cette crise migratoire modifie les valeurs et la définition de la Communauté, la gestion de ses politiques mais aussi la question de la collecte des voix des citoyens dans un système à vocation démocratique. Le ministre français, Laurent Fabius, pour ne citer que lui, affirmait que la : «  la crise des migrants met en cause les fondements de l’Europe »[ Marc Cherki, Fabius : «  La crise des réfugiés met en cause les fondements de l’Europe », Le figaro, 21 Septembre 2015, [http://www.lefigaro.fr/international/2015/09/21/01003-20150921ARTFIG00398-fabius-la-crise-des-refugies-met-en-cause-les-fondements-de-l-europe.php#xtor=AL-155 consulté le 22/09/2015

]].

Comme le rappelle cette image précédemment évoquée, la mobilisation politique est basée sur une indignation populaire, mettant ainsi en avant l’importance de la sociologie dans l’appréhension de la question ; mais en soulevant le problème de l’intégration, la perspective historique s’invite aussi, d’où l’intérêt d’une approche socio-historique qui nous permettra d’appréhender l’intégration européenne avec la théorie de Stefano Bartolini (I) qui décrit l’intégration européenne comme un processus qualitatif d’évolution de frontières au sein d’une unité donnée[[ BARTOLINI Stefano, Restructuring Europe: Centre Formation, System Building and Political Structuring between The Nation State and the European Union, Oxford, Oxford University Press, 2005, chapitre 1.

]]. De ces développements sur le système politique européen, une application à la crise migratoire actuelle permettra d’apporter un œil explicatif démontrant l’impasse des élites dans le processus nécessairement intégrationniste (II).

1. Un mille-feuilles européen aux élites nationales sous pression

Les tentatives de qualification du système européen ont été nombreuses que ce soit en droit où l’Union européenne est une organisation sui generis à cheval entre la confédération et la fédération[[ HAMON Francis, TROPER Michel, Droit constitutionnel, Paris, extenso éditions, LGDJ, 31e édition, 2009., page 79.

]] ; ou en science politique où elle se voit affubler d’une terminologie des plus diverses : regulatory system[[ JACHTENFUCHS Markus, The Governance Approach to European Integration, Journal of Common Market Studies, 2001, 39(3), p253.

]], empire[[ FORET François, European Political Rituals: a challenging tradition in the making, international political anthropology, 3,1, 2010, page 74.

]], confédération avec des traits fédéraux[[ WATTS Ronald L. , Comparaison des régimes fédéraux, Montréal, Presses universitaires, Mc Gill Queen’s, 2002, page 9 et 15.

]], etc. Pour les raisons précédemment exposées, la théorie de Stefano Bartolini semble la plus judicieuse puisqu’elle ne cherche pas à qualifier l’Union parmi des modèles préexistants. Mais surtout, elle souligne l’impact des frontières territoriales sur la structure du dit système (A) dont Olivier Costa et Paul Magnette[[ COSTA Olivier & MAGNETTE Paul, The European Union as a consociation? A methodological assessment, West European Politics, 26:3, 1-18, DOI: 10.1080/01402380312331280568, 4 June 2010.

]] le dépeignent comme un consociativisme interétatique. Les conséquences de cette structure sur l’architecture juridique permettent de mettre en avant une structure à trois niveaux dont les élites nationales constituent un filtre intermédiaire sous pression (B).

L’approche bartolinienne

Bien qu’inspirée par la définition politique de l’Etat développée par Weber[[ Stefano Bartolini, op. cit. page 1.

]], l’approche de Stefano Bartolini se base principalement sur la théorie d’Hirschman. Cette dernière, d’approche micro économique, décrit trois réactions possibles du consommateur face à un changement du produit. Premièrement, l’individu change de produit par mécontentement. Deuxièmement, il renonce tout simplement au changement bien qu’insatisfait il continuera à maintenir sa fidélité. Enfin, il exprimera sinon son mécontentement par des voies structurées à cet effet[[ Ibid. page 4.

]]. La transposition au niveau macro de ces trois possibilités permet de définir le changement comme une voie d’entrée ou de sortie entre deux unités. Pour Stefano Bartolini, elle appelle donc la notion de boundary, de frontière.

Ces frontières, pour lui, définissent territorialement le groupe mais aussi les conditions de l’appartenance au groupe[[ Ibid. page 13

]]. La densité de celles-ci étant variable, elle s’ajuste en fonction de l’apport de l’extérieur. Si cela peut améliorer la situation interne du système formé par ces frontières, alors le degré d’ouverture et de passage sera plus élevé[[ Ibid. page 14.

]]. Ainsi le degré de fermeture au sein d’une autarcie est quasi absolu quand celui du marché commun européen a rendu poreuses l’ensemble des frontières économiques nationales[[ Ibid. page 21

]]. De plus, les barrières ne sont pas forcément au même niveau. Pour cet auteur, la coïncidence des frontières n’est qu’un temps historique, celui des Etats-nations. Ainsi, l’Union Européenne est un système avant tout économique qui sort les Etats européens de cette parfaite correspondance entre les entités économique, culturelle, militaire et fonctionnelle.

Si nous poussons plus loin, la citoyenneté européenne[[ Union européenne, op. cit., Article 9 du Traité sur l’Union Européenne

]] est aussi l’illustration d’une frontière culturelle qui se construit au niveau européen sans pour autant mettre à mal la frontière culturelle au niveau national. La citoyenneté européenne n’a pas vocation à remplacer la nationalité ou la citoyenneté des Etats membres[[ Ibidem.

]]. En résumé, la correspondance des frontières peut exister mais elle peut aussi être à différente échelle aussi bien entre ces frontières qu’en leur sein. Par exemple, deux frontières politico-administratives peuvent très bien coexister à pour une entité donnée ou bien une même frontière peut être divisée entre deux niveaux. Cependant, comme le souligne Stefano Bartolini, il est difficile d’appréhender ces disjonctions frontalières[[ Stafano Bartolini, op. cit. pages 22-23.

]].

De ce constat, il présuppose l’existence d’un centre politique hiérarchisé pour gouverner l’unité construite. Ce centre nait de la rencontre de deux ou plusieurs unités nécessairement circonscrites par leur environnement et leur organisation sociale, c’est-à-dire définies territorialement et de même complexité sociale[[ Ibid, page 26.

]]. L’établissement de ce centre est conditionné néanmoins par la pression exercée par cette circonscription qui n’est rien d’autre que la manifestation première des frontières ci-dessus évoquées[[ Ibidem.

]]. Or le degré de perméabilité des frontières permet certes l’émergence de ce centre mais aussi permet d’activer la production de normes et valeurs au sein du système conférant des droits, un mécanisme de légitimation du centre et modelant les relations avec la périphérie[[ Ibid. page 27.

]].

De ce fait en découle l’existence d’une arène politique puisque la sortie du système est impossible. Elle constitue le lien entre la structure – moyen d’expression de la population – et l’élite[[ Ibidem.

]]. Cet espace de dialogue entre les pôles est constamment sous pression d’une volonté des élites d’en renforcer les structures ; ce que Stefano Bartolini explique par une tendance des élites[[ Ibid, pages 26-29.

]] à développer une arène gouvernementale. En d’autres termes, c’est une arène dans laquelle l’apparition d’un tiers neutre permet d’assurer les comportements adéquats selon les règles érigées. De ce fait, les acteurs libèrent leurs ressources, au lieu de les conserver comme gage au sein du jeu conflictuel ou les solutions sont instables et précaires[[ Ibid. pages 28-29.

]]. Il en découle donc que l’Union Européenne est une unification d’entités nationales dont les pressions ont assuré l’émergence d’un centre politique européen constitué d’institutions neutres, telles que la Commission, ayant vocation à assurer un intérêt commun[[ Union Européenne, op. cit., Traité sur l’Union Européenne, article 17.

]]. Bref, c’est l’établissement d’une arène politique à caractère gouvernemental dont le centre assure la production politique grâce aux ressources débloquées par son établissement.

Elle est donc l’espace dans lequel les liens entre l’élite et la population se forment. Ces liens sont en fait l’expression de la loyauté qu’il définit comme étant « la condition psychologique qui permet la médiations des relations entre la voie et la sortie »[[ Stefano Bartolini, op. cit. page 31. “It appears to be more of a psychological condition that mediates the relationships between exit and voice. It can neutralize the tendency of quality-conscious customers and members to be the first to exit”.

]]. La loyauté est donc considérée comme le facteur augmentant ou non le coût de la sortie du système, qui se manifeste dans des réactions sociales tel que les notions de trahisons, désertion pour ne reprendre que ses exemples[[ ibidem.

]]. En combinant avec les théories rokkaniennes, il considère au niveau macro que la loyauté est une construction de procédures représentée par l’intégration culturelle, la production d’un bien commun mais aussi les canaux de participation politique. Ceci repose sur une arène d’égalité dans laquelle les calculs personnels sont réduits et laissent place à une gestion par des normes[[ Ibidem.

]]. Nous revenons donc à la notion d’arène politique de type gouvernemental dans laquelle sont établis les critères de légitimation du partage, ceux de l’appartenance au groupe mais aussi des moyens de délibérer.

Mais cela permet aussi d’aller plus loin. Si nous traduisons le discours porté par Stefano Bartolini, le « system building » ou l’espace de loyauté est juridiquement l’expression d’une norme fondamentale, c’est-à-dire un contrat organisant le jeu politique. Elle n’est donc qu’une « constitution[[ J’utilise le mot constitution bien que celui-ci ne soit pas le mieux approprié. Mais c’est celui qui est le plus compréhensible pour désigner l’importance première de ce corps normatif d’un système politique.

]] » qui définit qui est membre du « nous » – très souvent retrouvé dans les propos introductif d’une constitution[[ Constitution de la Cinquième République Française du 8 octobre 1958, introduction et article premier. Nous pouvons prendre l’exemple de la constitution française dans laquelle est exposé dès l’introduction que c’est le peuple français qui constitue la communauté.

]]-, comment participe politiquement les individus – ce sont donc les procédures électorales par exemple – ; et enfin, comment sont réparties les compétences afin d’assurer la production de biens publics, en d’autres termes la richesse partagée. En résumé, la loyauté conceptualisée par Stefano Bartolini regroupe la conception matérielle de la constitution dans laquelle sont internalisé les frontières. Elle porte principalement sur le contenu du texte. Le formel reste anecdotique ici. Or le bloc de traités européens que sont le Traité sur l’Union Européenne, le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne et les références à la Charte Européenne des Droits[ Union européenne, op. cit. ; lien exacte : [http://eur-lex.europa.eu/collection/eu-law/treaties.html consulté le 21/09/2015.

]] peut très bien être considéré comme étant matériellement une constitution européenne. Certains auteurs d’ailleurs le sous-entendent tels que F. Hamon et M. Troper [[ HAMON Francis, TROPER Michel, op. cit. pages 79 et 323. Implicitement nous pouvons définir les Traités européens comme une constitution matérielle car le problème repose sur la forme du texte (un traité et non un constitution) et donc sur l’origine de la souveraineté. Mais les concessions de compétences sont telles que l’UE fonctionne plus comme un Etat fédéral.

]].

En résumé, l’Union Européenne peut être considérée comme étant une arène politique gouvernementale où les institutions européennes, composées d’élites, assurent d’avoir des comportements conformes aux règles établies dans les traités, permettant ainsi de créer le lien avec la structure du système. Les traités sont donc la cristallisation par les différents corps de la loyauté entre le centre et les structures. Or la question de la structure du système européen a été largement traitée par le corps académique mais dans notre perspective historico-sociologique, la théorie de O. Costa et P. Magnette s’articule parfaitement avec la théorie de Stefano Bartolini.

Une structure européenne élitiste

L’approche présentée par ces deux auteurs – O. Costa & P. Magnette – permet de dégager l’importance de la segmentation de l’Union Européenne sur la base principale des Etats[[ O. Costa & P. Magnette, op. cit. page 12.

]]. Tout d’abord, il est important ici de faire la distinction entre l’Etat et la Nation, dont le premier n’est qu’une structure politico-administrative alors que la seconde regroupe un caractère culturel comme le souligne Bartolini[[ Stefano Bartolini, op. cit. page 18.

]]. Elle ne relève pas de la même frontière. Il n’en reste pas moins que la structure décrite par Bartolini peut aussi être expliquée comme un consocialisme interétatique dans le cas particulier européen.

La structure est avant tout le vecteur de la voie vers les institutions des élites[[ ibid, page 39

]]. Elle ne nécessite pas forcément une institutionnalisation constitutionnelle bien qu’en général une partie se trouve traduite dans l’instrument juridique renforçant ainsi la loyauté. Ici la question n’est pas tant sa matérialisation mais bien plus le  politics  c’est-à-dire le jeu des acteurs et comment il s’articule. S. Bartolini explique que la structure regroupe les canaux institutionnels mais aussi l’organisation politique et les questions de relations entre le centre et la périphérie[[ ibid, page 38.

]]. Il considère que le jeu politique s’articule donc autour de pôles qui définissent les clivages politiques, les relations centre/périphérie mais aussi la société publique[[ ibid, page 113.

]].

L’apport de O. Costa et P. Magnette est important dans ce cas. Dans leur concept de consocialisme interétatique, l’articulation de la structure tourne autour des segments certes politiques mais avant tout une chose étatique. Chaque structure administrative que sont les Etats constitue un pilier, c’est-à-dire une unité au sein du système politique européen[[ O. Costa & P. Magnette, op. cit. page 12.

]]. Dans leur développement, ils démontrent l’importance des Etats dans la production politique et la nécessité de recourir, en général, au consensus entre eux [[ Ibid, page 14.

]]tant au sein des Conseils que du Parlement Européen. Les groupes d’intérêts s’articulent bien sûr autour des institutions européennes qui ne cachent pas que les normes qu’elles produisent en subissent une influence. Pour donner un exemple particulier, le projet de directive portant sur l’interdiction de la prostitution au sein de l‘Union Européenne encourage la prise de mesure abolitionnistes se base sur un lobbying du Mouvement des Femmes[[ Parlement Européen, résolution du 26 février 2014.

]]. Mais le lobbying reste aussi important auprès de chaque gouvernement national[[ Résultats relevés lors d’interviews menées dans le cadre d’un projet d’article avec P. Claessens et G. Grignard sur le lobbying de la prostitution : L. Charpentier, P. Claessens & G. Grignard, State of Art of the European Lobbying of prostitution in European Union : adversarial relationship or consensual network ?, Bruxelles, 2015.

]]. Quant aux relations centre-périphérie au sein de l’Union Européenne, l’épisode anglais est le plus flagrant. La volonté de mener un référendum sur un possible Brexit[ The Guardian, Brexit camp might win the day if economy is in doldrums by 2017, 17/03/2015. [http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/sep/15/brexit-economy-cameron-eu consulté le 23/09/2015. Voici un article soulevant la question du Brexit en particulier de l’impact de l’économie sur le vote.

]] en 2017 souligne les relations tendues dans entre l’unité étatique qu’est le Royaume Uni et le centre européen à Bruxelles. D’ailleurs, la simple dénomination dans les médias des institutions comme « Bruxelles » dans le monde francophone rappelle l’ambivalence entre le centre et la capitale parisienne comme référent de l’unité stato-nationale en ce qui concerne le cas français pour ne citer que lui en exemple[[ Dénomination souvent employée dans les médias permettant de nommer les institutions européennes.

]].

De cette organisation particulière de la structure européenne comme un système consocialiste interétatique, il découle une caractéristique particulière. L’Union Européenne est un système qui agrège en son sein des unités qui elles-mêmes constituent des systèmes politiques à part entière. L’évolution des frontières qui a constitué cette structure particulière a pour conséquence d’avoir créé une organisation européenne élitiste. D’où le fait qu’elle soit avant tout une confédération à ses débuts basée sur un système intergouvernemental[[ WATTS Ronald L. op. cit. pages 9 et 15.

]] , c’est-à-dire d’interactions entre les élites. L’utilisation de traités, outils conventionnels relevant de la sphère internationale, en est l’héritage[[ Je parle ici du Traité sur le fonctionnement de l ‘Union Européenne et le Traité sur l’Union Européenne. Cf. note 57 pour le lien.

]]. Il ne faut pas oublier que la chambre parlementaire européenne n’était au départ qu’une assemblée constituée de personnes nommées par les centres nationaux et non pas marquée par une légitimité démocratique directe[[Union Européenne, op. cit. Traité sur l’Union Européenne, article 14 paragraphe 3.

]]. La structure européenne, malgré la volonté de démocratiser son architecture avec le suffrage universel direct en 1975[[ ibid, Acte Unique Européen, préambule alinéa 4

]] et le droit de pétition[[ Ibid, Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, article 44.

]], n’est qu’une arène politique de discussion entre élites européennes et nationales. Les débats électoraux montrent très bien la force de filtre national même en cas de possibilité de recourir à une arène politique européenne faisant intervenir directement les citoyens. Les sujets restent souvent de nature nationale. En France, le vote au Parlement européen est avant tout vu comme un moyen de sanction du gouvernement national. La défaite socialiste était prévisible aux dernières élections[ Ministère de l’intérieur, interieur.gouv.fr. [http://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Europeennes/elecresult__ER2014/(path)/ER2014/FE.html consulté le 23/09/2015.

]].

Schéma 1. Fonctionnement de l’architecture européenne
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Cet exemple permet de développer la seconde étape. L’élite nationale constitue donc le filtre entre le corps citoyen de l’Union et les institutions européennes. Il en découle forcément que la loyauté ne peut donc naitre entre les citoyens et les institutions. Le filtre cumulant quasiment l’ensemble du capital de loyauté du simple fait que l’arène politique des citoyens est maintenue au niveau national. C’est donc un système à trois niveaux dans lequel le corps citoyen européen interagit avec ses élites nationales qui elles, à leur tour, interagissent avec le centre européen (résumé au Schéma 1).

Les pressions sont donc elles aussi découpées. On se retrouve à avoir un système de loyauté nationale qui demande au centre de renforcer l’arène politique et donc de renforcer ou tout du moins maintenir les frontières du système. Or ce jeu politique est valable aussi au sein de l’étage supérieur entre les unités nationales et le centre européen. Les pressions des administrations européennes se comprennent comme la volonté de renforcer ou de créer de nouvelles frontières. Ces deux phénomènes rentrent en contradiction l’un l’autre puisque le développement de l’un empêche le renforcement du second. On se retrouve avec une loyauté stato-nationale entre les citoyens et les élites nationales quand, au niveau supérieur, une loyauté étatico-élitiste se développe compressant ainsi les élites dans deux mouvements antagoniques.

2. La crise des réfugiés comme pression sur le système

La crise migratoire qui touche actuellement l’Union Européenne peut être qualifiée de pression exercée sur les élites. Cette pression vient questionner non seulement les frontières politico-administratives mais tout l’ensemble du système européen concentré au sein des traités. Par exemple, la remise en cause de la liberté de circulation par certains dirigeants tels que Bart De Wever[ Dirk Vanoverbeke, Bart DE Wever : « Schengen est cliniquement mort », Le Soir, 22/09/2015. [http://www.lesoir.be/996069/article/actualite/belgique/politique/2015-09-22/bart-wever-schengen-est-cliniquement-mort consulté le 22/09/2015.

]] ou au mieux une utilisation des clauses de réserves permettent de corroborer cet effet[ Telegraph, EU Summit : David Cameron uses EU opt-out to refuse migrant quotas, 26/06/2015. [http://www.telegraph.co.uk/news/politics/david-cameron/11700336/EU-Summit-David-Cameron-uses-EU-opt-out-to-refuse-migrant-quotas.htm, consulté le 21/09/2015.

]]. A cause de cette mise sous stress des frontières européennes, l’élite va tenter de revoir la configuration des frontières et sa production normatives (A). Or cette tentative va mettre les élites nationales dans une position inadéquate, prise entre les deux mouvements opposés de concentration (B) dont les conséquences sur la structure et la loyauté par le prisme populaire sont importantes (C).

La pression migratoire.

La question ici n’est pas de juger de l’opportunité d’accueillir ou non les migrants mais bien de comprendre le mécanisme politique créé par ce mouvement sur le processus intégrateur européen. Le phénomène des mouvements de réfugiés né de la Guerre en Syrie principalement constitue une pression sur les frontières européennes qu’elles soient territoriales ou non. Dans le schéma bartolinien, cette pression encourage les élites des systèmes politiques à renforcer les frontières de leur système et à tendre vers une politique, en l’espèce d’asile, plus centralisée. En quelques mots, les institutions bruxelloises vont vouloir assurer une intégration plus forte des politiques Schengen et de Dublin III. Ce renforcement est aussi appelé par une pressions externe venant d’organisations diverses telle que Standard’s And Poors soulignant la nécessaire mise en place d’une politique migratoire européenne au quel cas cela soulèverait encore une fois la question de la gouvernabilité de l’Union[Guillaume Errard, Crise des migrants : S&P doute de la coopération entre Etats européens, Le figaro, 15/09/2015. [http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/09/15/20002-20150915ARTFIG00288-crise-des-migrants-sampp-doute-de-la-cooperation-entre-etats-europeens.php consulté le 19/09/2015.

]]. Cela se traduit dans le cadre européen par le plan Juncker d’imposer des quotas de réfugiés aux autorités nationales et de réformer l’ensemble du système. Cependant, ce mécanisme peut aussi se retrouver au niveau national, les unités constituant les segments au sein de l’Union Européenne, sont aussi des systèmes politiques à part entière soumis à la même pression. Les conséquences sont donc identiques au niveau national. Cette seconde partie du mécanisme quant à elle se traduit donc dans une multitude de réponses de la part des gouvernements nationaux. Ainsi l’Allemagne ou la Suède s’inscrivent dans un mouvement d’accueil au contraire de la Pologne réticente[[ Le monde, loc. cit.

]] ou encore du gouvernement hongrois qui renforce la législation nationale sous l’effet de la crise[ Je fais référence ici à la nouvelle loi venant de passer en Hongrie permettant l’usage des armes à feu à l’encontre des migrants. The Huffingtonpost, Hongrie : l’armée autorisée à tirer sur les migrants, nouvelle provocation signée Vicktor Orban, 22 Septembre 2015, [http://www.huffingtonpost.fr/2015/09/21/hongrie-armee-autorisee-tirer-migrants-provocation-viktor-orban_n_8171658.html?ncid=fcbklnkfrhpmg00000001 consulté le 22/09/2015.

]].

Or au lieu de se trouver dans un mouvement convergeant des différentes élites, les pressions encouragent des systèmes politiques différents et s’excluant. La première étape au sein du système politique européen est marquée par une confrontation des unités nationales avec les institutions européennes comme dans le cadre d’une arène politique à caractère non gouvernemental où les Etats nationaux confrontent leurs visions politiques de la situation. C’est après que l’Union arrive à prendre le dessus. La demande du ministre de l’Intérieur allemand de sanctionner les gouvernements ne répondant pas présents[ Fréderic Lemaître, Thomas de Maizière, le « méchant flic » d’Angela Merkel, Le Monde 22/09/2015, [http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/22/thomas-de-maiziere-le-mechant-flic-d-angela-merkel_4766774_3214.html?xtmc=quotas_allemagne&xtcr=4 consulté le 23/09/2015.

]] en est un exemple au même titre que la politique du gouvernement hongrois de renforcer l’application de sa politique par un package législatif[[ The Huffingtonpost, loc. cit.

]].

De cette disjonction entre les deux niveaux de gouvernance, les élites européennes se retrouvent donc entre deux feux. D’une part, ils se doivent de répondre à une attente européenne et autre part, d’assurer une réponse aux exigences des citoyens qui peuvent, parfois, être en contradiction. Une certaine schizophrénie des élites nationales apparait donc.

Une schizophrénie nationale.

On peut parler de schizophrénie des élites nationales puisqu’elles sont les seules soumises à une double pression (Schéma 2). Elles doivent répondre non seulement à un renforcement national voulu par les citoyens qui concentre leur loyauté à leur égard mais aussi à une pression européenne voulant internaliser ses propres frontières. En d’autres termes, dans la nature même des élites, qui sont le siège de l’action première en cas de pressions, les politiciens nationaux sont en contradiction. Par leur place d’unité européenne, les Etats ont leur loyauté qui les poussent au développement européen (flèche rouge) mais aussi par leur rôle d’élite nationale, ils sont voués à en détruire le précédent mouvement par le maintien et le renforcement du développent du système stato-national (flèche verte).

Schéma 2. Effet de pressions sur l’élite nationale.

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Cependant, le mouvement ascendant va supplanter le renforcement du système stato-national. Cela découle de la loyauté importante des élites nationales dans le développement de l’Union Européenne. De ce fait, la résolution de la crise migratoire va passer par un mouvement d’intégration dont les modalités prendront en compte toujours une mise en pratique en fonction des piliers nationaux. C’est la conséquence logique qu’explique S. Bartolini quand il est lu de façon couplée avec l’article de O. Costa et P. Magnette. Puisque que le coût de la sortie est trop important pour les élites nationales, elles préfèreront renforcer l’intégration de leur unité au sein du système européen que d’en sortir[[ Stefano Bartolini, op. cit. page 31.

]]. Cette partie constitue la deuxième étape. Après avoir confronté leur point de vue, les segments représentés par leurs différentes élites vont s’attabler à trouver une solution commune au sein des institutions européennes qui retrouvent donc ici le statut d’institutions tierces assurant parfaitement leur rôle au sein de l’arène politique de type gouvernementale. La proposition du plan Juncker est l’embryon de cette seconde étape puisqu’il tend à unifier la politique migratoire européenne en essayant de prendre en compte l’ensemble des points de vue par une répartition équilibrée entre Etat par des instruments plus ou moins objectif[ Le plan Juncker propose une répartition des migrants pour soutenir l’Italie et la Grèce, pays submergés par les vagues migratoires, en calculant les quotas par des instruments tels que le nombre d’habitants, la richesse du pays… Reuters, Des milliers de migrants accueillis à bras ouverts en Autriche et en Allemagne, ICI radio-canada, 5 Septembre 2015, [http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/International/2015/09/05/001-migrants-syriens-frontiere-autriche-hongrie.shtml consulté le 22/09/2015.

]]. Ce premier pas a été confirmé par la réunion des ministres européens le 22 Septembre 2015 qui a permis d’établir un plan de répartition de 120 000 réfugiés sur deux ans[[ La libre, loc. cit.

]].

En d’autres termes, les institutions européennes et principalement la Commission passent d’un rôle de proposition à celui de régulateur entre ces deux étapes. Elle applique une politique soutenue par les unités nationales par les mécanismes structurels du système politique. Leur utilisation est illustrée par la première étape qui permet certes de faire ressortir les divisions internes entre Etats, mais aussi d’assurer une convergence des points de vue. Cependant, le processus n’en reste pas moins douloureux. Ce choix n’est pas sans conséquence sur la structure et la loyauté des citoyens.

Des mécanismes citoyens malmenés.

Si nous regardons maintenant le fonctionnement du mécanisme du point de vue du citoyen en ce qui concerne la crise migratoire (schéma 3), nous nous trouvons face à une asymétrie entre la voie et le déblocage de ressources vers les élites nationales et la production d’une réponse qui sera ou est en train d’être apportée par l’UE[[ Référence au plan Juncker et à la réunion des ministres européens de l’Intérieur du 22 Septembre 2015. Cf. not 83 et 84.

]]. Les institutions européennes ont déjà soulevé et accepté le principe d’accepter et d’assurer l’accueil des réfugiés syriens[[ Du simple fait de l’existence d’un plan Juncker, il en découle que les institutions européennes ont choisi cette politique.

]]. Il y a donc une attente qui diffère du résultat obtenu. Comme nous l’avons précédemment expliqué, la production est le fruit d’une synthèse des volontés nationales (flèche bleue) et non celui d’une volonté nationale. Or la voie des citoyens ne s’exprime que dans le cadre national (flèche mauve). Elle créé donc deux problèmes : d’une part, une légitimité de l’Union à agir dans le domaine du droit d’asile et d’autre part une remise en cause de la capacité de l’élite nationale à répondre aux attentes des citoyens.

Schéma 3. Mécanisme du point de vue du citoyen national.

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La première est celle qui définit l’Union Européenne comme étant une structure inique car non démocratique et seulement technocrate[[ Stefano Bartolini, op. cit. pages 166-167.

]]. Elle est en fait la critique du producteur qui se manifeste par un élan d’euroscepticisme mais aussi par le renforcement du clivage pro- et anti-Union Européenne au sein de la vie politique nationale. Cet euroscepticisme se manifeste principalement au sein de partis non gouvernementaux, ce qui est logique puisqu’ils ne sont pas membre des élites nationales et ne sont donc pas lié par une loyauté au niveau européen.

Il est d’ailleurs intéressant de voir l’impact que peut avoir une fonction européenne sur un personnage tribunitien tel que la leader française du Front national qui,  devenue membre du Parlement Européen, n’appelle plus qu’à une Union intergouvernementale[ Front national, Europe, une Europe au service des peuples libres, date inconnue, [http://www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/politique-etrangere/europe/ consulté le 23/09/2015.

]]. Une autre possibilité est de voir que la question tend à unifier les partis gouvernementaux au point d’avoir de possibles alliances dans des systèmes adversiels comme la France. Le parti socialiste a soumis par la voix de l’un de ses éléphants d’assurer des alliances avec le parti de Droite lors des prochaines élections[ BFM.TV, Régionales : Le Guen refuse une alliance avec Les Républicains à Nice (vidéo), 21/09/2015, [http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/regionales-le-guen-refuse-une-alliance-avec-les-republicains-a-nice-638603.html consulté le 23/09/2015.

]]. D’ailleurs, au sein même de la sphère européenne les partis de gauche et de droite s’entendent sur cette politique européenne pour résoudre la crise migratoire tel que le couple franco-allemand ayant fait une proposition conjointe auprès des institutions[[ Le figaro, loc. cit.

]]. Si l’euroscepticisme n’était que la seule conséquence pouvant découler de cette distorsion entre l’input et l’output entre les citoyens et les deux niveaux d’élite, la question serait effectivement réglée par le développement d’instruments de démocratie directe. Or une seconde conséquence concerne l’unité nationale qui est la collectrice des ressources et de réception des volontés citoyennes.

Si la face de la pièce européenne est une critique de la politique menée par les institutions, l’envers est d’autant plus dangereuse qu’elle regroupe un élément non présent au niveau européen : la Nation. L’Union Européenne s’est construite sur un rejet du nationalisme[[ Lacroix ?

]], d’où la simple citoyenneté et l’absence de développement de la nation européenne. La critique des élites nationales reprend cette caractéristique culturelle, notion dont la frontière est éminemment stato-nationale[[ Stefano Bartolini, op. cit. page 167.

]].

Cette crise de l’Etat-Nation est le fruit d’une apparente incapacité des élites nationales à répondre aux volontés citoyennes. Elle se manifeste par une tendance à la rétention des ressources normalement mise à disposition de la production de bien commun. En effet, les dernières propositions de la députée N-VA Sarah Smeyers à la Chambre des Représentants de Belgique illustre bien ce sillon. La réduction des aides apportées aux réfugiées pendant quatre ans constitue une rétention des ressources[A. Fr. & BELGA, Allocations familiales progressives pour les demandeurs d’asile ?, De Redactie, 21 Septembre 2015, [http://deredactie.be/cm/vrtnieuws.francais/Politique/1.2447605 consulté le 22/09/2015

]].

Mais ceci se manifeste aussi par des relents nationalistes. L’unité nationale bien que constituant un segment européen reste un système politique dont la crise migratoire exerce une pression qui encourage le renforcement des frontières nationales. Or celles-ci contiennent un aspect culturel créant ainsi un appel d’air au maintien ou au renforcement culturel. L’Union par sa volonté de renforcer sa politique migratoire accroit cette pression, faisant indirectement le jeu des eurosceptiques. Ainsi, l’Union se construit au détriment d’un soutien populaire – bien que les deux peuvent aller dans le même sens – mais assure le développement de propositions nationales en matière d’asile qui contiennent des aspects culturels. L’exemple de certains maires de France qui ont pu soumettre l’accueil de migrants sur leur territoire communal à une condition d’être membre d’une certaine religion n’est pas sans rappeler la culture religieuse majoritaire en France[Alexandre Boudet, Accueil des réfugiés : Bernard Cazeneuve condamne les maires qui ne veulent recevoir que des Chrétiens, Le Huffington Post, 8 Septembre 2015, [http://www.huffingtonpost.fr/2015/09/08/accueil-refugies–cazeneuve-condamen-maires-roanne-chretiens-terroristes-deguises_n_8101610.html consulté le 17/09/2015.

]].

Conclusion.

Par l’approche explicative de Stefano Bartolini, la crise migratoire peut être vue comme un moyen de renforcement de l’intégration européenne. La pression exercée sur les systèmes politiques obligent une réponse des acteurs européens que ce soit l’élite nationale ou européenne face à la crise humanitaire qui en découle. Cette action apparait donc en deux étapes permettant le développement d’une politique européenne renforcée. La loyauté des élites nationales étant telle qu’elle ne permet d’envisager la possibilité d’une sortie du système. Bien que l’Union Européenne va tendre vers un mouvement d’intégration en matière de politique migratoire autour des politique de Dublin III et de Schengen, ce processus se fait au détriment d’un soutien des citoyens qui, confinés dans des arènes politiques distinctes ne peuvent comprendre le comportement loyal des élites nationales. Pour eux, l’absence de loyauté envers l’Union Européenne assure une ouverture vers la sortie du système européen qui par sa production synthétisant les différentes opinions nationales, telle que la politique des quotas, n’assurent en aucun cas une satisfaction pleine et entière des volontés exprimées comme l’illustrent les votes au sein du Conseil Européen[[ La libre, loc. cit.

]]. De ce décalage entre volontés exprimées et productions émises, la crise de l’Etat-Nation et de la légitimité de l’Union Européenne se renforce. L’Union Européenne est vue comme antidémocratique et développe de ce fait, l’euroscepticisme et donc la montée de partis anti-Union Européenne. Quant à la crise de l’Etat-Nation, elle entraine une réticence à l’égard du déblocage des ressources nécessaires à la production de politiques distributives d’aides sociales.

La crise des réfugiés soulève donc au-delà de l’opportunité de la réponse apportée par le système politique européen, la question de l’efficacité du mécanisme de production de normes au sein de l’Union Européenne et de son impact sur la structure du système. La désegmentation de l’Union Européenne ne serait-elle pas une réponse aux deux crises qui touchent les systèmes européens ?

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