Résumé

Devant le constat que les mécanismes de la création monétaire sont absolument inconnus par 99% de nos concitoyens alors que ceux-ci déterminent très largement le fonctionnement de notre société, j’ai décidé d’écrire cet article afin de fournir, de manière pédagogique, les clés de sa compréhension et permettre ainsi aux lecteurs d’être armés pour entrer dans le débat de la création monétaire. Ce débat semble indispensable à tenir en vue de sortir des crises financière, économique, sociale et écologique dans lesquelles notre société est engluée. Interpellé par la gravité et la profondeur de la crise financière de 2007-2008, j’ai cherché à comprendre la manière dont la crise financière a pu émerger. En poussant l’analyse, on se rend compte que les crises financières sont intrinsèques, inévitables et répétitives dans notre système monétaire tel qu’il fonctionne depuis le XVIIème siècle. Cet article est donc pédagogique et politique sans être partisan. J’y reviens sur l’histoire de la création monétaire depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours et sur les apports de la science économique dans la description des rôles et fonctions de la monnaie. J’y mets en évidence que la monnaie, loin d’être un élément naturel, neutre sur le fonctionnement de nos sociétés comme le présente de nombreux économistes est, au contraire, une création sociale qui détermine fondamentalement l’organisation de notre société et nos rapports sociaux. « Dis-moi quelle monnaie tu utilises et je te dirai dans quelle société tu vis ».

L’article montre que la mécanique monétaire basée sur le crédit et les intérêts amène nécessairement au développement d’une société capitaliste obligée de croître sans cesse pour survivre. Et que cette contrainte de croissance constante aboutit à des charges sociales et environnementales insoutenables qui aboutiront nécessairement à l’implosion du modèle économique et sociétal.

Dès lors, il est apparu important de montrer que de nombreuses alternatives monétaires existent, que le modèle monétaire actuel ne s’impose pas naturellement et indiscutablement, même s’il a de nombreux avantages et que sans lui, le niveau de développement de l’humanité ne serait sans doute pas ce qu’il est. C’est pourquoi, je présente et analyse différentes solutions monétaires en les regroupant en trois grandes familles, les monnaies émises par les autorités publiques, les monnaies émises par les acteurs financiers et les monnaies émises par les citoyens eux-mêmes. Dans l’analyse, la création monétaire publique est réhabilitée parce qu’elle présente des caractéristiques différentes de la création monétaire privée. L’article montre que ces deux mécanismes de création ne s’opposent pas nécessairement et montre, au contraire, qu’ils peuvent être complémentaires.

L’article ne propose pas de conclusions définitives, il ouvre le débat de la démocratie monétaire. Ce débat est resté trop longtemps limité à un cercle de soi-disant «spécialistes », banquiers privés, banquiers centraux et économistes. Il est grand temps que les citoyens se l’approprient.

I. De la crise financière de 2007-2008 à aujourd’hui

La crise financière et bancaire de 2007-2008 est sans doute la crise financière la plus importante de tous les temps, elle a atteint la planète entière et s’est rapidement traduite par des crises économique, budgétaire et sociale dans les pays industrialisés, dont la Belgique. La paralysie du secteur financier a risqué d’entraîner la paralysie de l’économie dans son ensemble. En effet, si l’on se rappelle que l’économie est un système d’échanges basé sur deux flux de sens contraire ; dans un sens, les marchandises et les services (y compris les services financiers) et dans l’autre sens, les flux d’argent, on comprend que si les flux financiers s’arrêtent, les activités économiques s’arrêtent également et que l’on fait face à un sinistre économique.

Un sinistre majeur a pu, de toute justesse, être évité parce que les Etats sont intervenus dans l’urgence en prenant à leur charge les passifs financiers des banques, en garantissant les dépôts des épargnants, en recapitalisant et nationalisant les banques en déroute. Dans un deuxième temps, les Banques centrales ont accordé de gigantesques volumes de prêts aux banques privées à des taux d’intérêt extrêmement bas, les Etats ont modifiés le cadre réglementaire des activités financières en imposant un contrôle prudentiel plus strict,  ils ont créé des mécanismes d’assurance et d’assistance mutuelle entre banques en cas de crise. Le but de ces différentes mesures est d’empêcher la survenance de tels sinistres dans le futur en rétablissant, à très court terme, la stabilité, la liquidité et la solvabilité du secteur bancaire afin de restaurer la confiance mutuelle des banques. Parallèlement, les banques ont-elles-mêmes pris des mesures d’assainissement bilantaire et d’amélioration de leur compte de résultats.

La conséquence la plus immédiate a été la diminution du volume de crédit accordé aux entreprises. L’activité économique s’est dès lors ralentie[[En effet, les crédits accordés aux particuliers, entreprises et autorités publiques entraînent des activités de consommation ou d’investissement. Une diminution du volume de crédits octroyés se traduit ipso facto par une diminution de l’activité économique alors qu’une augmentation du volume de crédit se traduit par une augmentation du volume d’activités.

]], les commandes se sont tassées et les entreprises ont commencé à débaucher. A partir de là, le chômage a fortement augmenté en entraînant une crise sociale dans certains pays. Le cycle était achevé, la crise financière a entraîné la crise économique et sociale et les déficits budgétaires que l’on connaît à présent. A présent, les gouvernements entament des politiques « d’ajustement structurel » qui se traduisent par une diminution du financement par l’Etat des services publics et non-marchands, des politiques sociales (retraite, chômage, incapacité de travail, etc.).

L’absence de remise en cause

Pour autant, le système financier n’a pas été fondamentalement remis en cause. En utilisant une métaphore médicale, on pourrait dire que les solutions apportées dans l’urgence de la catastrophe financière ont consisté essentiellement à administrer au patient une transfusion sanguine (d’énormes quantités de monnaies ont été injectées) en vue de le stabiliser et, ensuite, à le mettre sous monitoring (contrôle prudentiel) afin de surveiller l’évolution de sa santé en espérant qu’elle se rétablisse sans autre forme d’intervention.

En tant que telle, on peut douter de l’efficacité des mesures prises parce qu’elles ne garantissent pas qu’une telle catastrophe ne se reproduira pas dans le futur. La résilience du secteur financier à l’avenir ne semble pas garantie par les mesures prises à ce jour et des signes inquiétants continuent à provenir du secteur financier, shadow-banking [[Shadow-banking : le concept de « banque de l’ombre » recouvre toutes les activités d’octroi de crédits par des entreprises telles que des fonds d’investissements, des assureurs, etc. qui octroient des crédits sans être reconnus comme banque. Ces entreprises ne sont pas soumises au contrôle prudentiel bancaire et risquent de se retrouver en situation délicate en cas de non-recouvrement des crédits octroyés.

]], survalorisation des actifs financiers totalement découplée de l’évolution économique réelle, perte de solvabilité du secteur de l’assurance-vie, etc.

II. La monnaie, la grande fautive ?

Mais peut-être le système financier, complexe et instable est-il tout simplement irréformable dans sa configuration actuelle ? Si l’on constate que même les révolutions française (1789) et russe (1917) n’ont pas fondamentalement modifié les systèmes monétaires et ont conservé le modèle de création monétaire centralisé basé sur le crédit, on peut se demander si ce n’est pas le concept même de monnaie qu’il faut interroger. C’est le but de cet article et pour ce faire, la première démarche est de faire un petit retour sur l’histoire de la monnaie. Même si tous les historiens et économistes ne sont pas d’accord sur la façon de décrire l’histoire de la monnaie et surtout l’origine de celle-ci, avoir une meilleure perception de notre histoire monétaire permet de mieux éclairer les enjeux d’aujourd’hui et d’entrer dans le débat de manière éclairée.

III. Petite histoire de la monnaie

L’Antiquité

Dès l’Antiquité, les civilisations de Babylone, Sumer ou encore l’Assyrie avaient des échanges commerciaux complexes, couvrant parfois tout le bassin méditerranéen sans utilisation de monnaie. Ces échanges étaient basés sur la confiance, sur des accords de crédit mutuel libellés en unités de compte conventionnelles comme des quantités de blés, d’orge ou de cuivre. Ces unités de compte étaient également utilisées pour les échanges locaux et faisaient l’objet d’enregistrement sur des tablettes, papyrus et autres supports. Les échanges et le commerce se déroulaient sans utilisation de monnaie physique, les dettes des uns vis-à-vis des autres étaient simplement enregistrées sur des supports reconnus par tous. L’unité de compte (le grain de blé ou d’orge) fonctionnait comme intermédiaire des échanges indépendamment du support de la monnaie. Le paiement des soldes de compte, en grains de blé ou d’orge, se faisait de temps à autre mais en temps normal, c’était le crédit mutuel qui était le plus utilisé.

La monnaie, sous forme de pièces, a été inventée entre 800 et 500 avant JC, simultanément en Chine, en Inde et autour de la mer Egée. A l’origine, la création de la monnaie est étroitement liée au développement des Etats, de leurs administrations et de la militarisation des sociétés avec, par voie de conséquences, le développement de la sphère marchande[[A l’opposé de la vision classique qui affirme que la monnaie a été inventée sui generis pour faciliter les échanges en se substituant au troc et qui postule que la sphère marchande préexiste à la monnaie, on affirme ici que la monnaie a été décrétée par le pouvoir politique et que c’est l’utilisation de la monnaie qui a entraîné le développement de la sphère marchande. Cette présentation s’inspire plus des travaux des historiens, des anthropologues et des économistes hétérodoxes que des travaux des économistes orthodoxes.

]]. Ce n’est qu’avec des civilisations ayant mis sur pieds des outils de contrôle de l’Etat dont l’administration et des armées permanentes composés de professionnels que la monnaie s’est développée. Pour conserver leurs soldats et leur administration, les souverains devaient les rémunérer sous une forme telle qu’ils étaient incités à ne pas quitter leur service. Le moyen le plus pratique est la pièce de monnaie. Elle offre de nombreux avantages ; légère à transporter, elle n’handicape pas le soldat en mouvement ; anonyme, elle peut être échangée facilement ; ayant un poids et une qualité garantie par le Souverain, elle est un instrument de mesure standardisé et, ayant cours légal, son acceptabilité ultérieure comme moyen de paiement est garantie. De ce fait, la pièce est un moyen de paiement et d’épargne idéal pour le porteur.

Les conséquences de la militarisation et de la monétarisation de la société sont gigantesques. Les monarques sont sans cesse obligés de toujours trouver de nouvelles ressources métalliques afin de pouvoir rémunérer leur armée. Dès lors, ils doivent, soit imposer leurs citoyens afin que les pièces émises leur reviennent via les impôts, taxes, amendes et autres redevances, soit partir vers de nouvelles conquêtes leur permettant d’accaparer les ressources métalliques d’autres royaumes par le pillage, le vol ou encore l’exploitation minière à l’aide de populations esclaves.

D’ailleurs, « On pourrait interpréter l’Empire romain à son apogée comme une immense machine à extraire des métaux précieux, à les transformer en pièces de monnaie et à les distribuer à l’armée – tout en encourageant les populations conquises, par des politiques fiscales, à utiliser ces pièces dans leurs transactions quotidiennes»[[David Graeber, Dette 5000 ans d’histoire, p. 281.

]]

« L’or et surtout l’argent étaient acquis par la guerre, ou extraits des mines par des esclaves capturés à la guerre. On frappait les pièces de monnaie dans les temples (le lieu traditionnel de dépôt du butin), et les cités-Etats mettaient au point d’innombrables moyens de les distribuer non seulement aux soldats, aux marins et à ceux qui fabriquaient des armes ou armaient les navires, mais à toute la population sous forme d’indemnités … Simultanément, en rendant ces mêmes pièces légalement exigibles pour tous les paiements dus à l’Etat, on garantissait qu’elles feraient l’objet d’une demande suffisante pour que des marchés se développent vite »[[David Graeber, Dette 5000 ans d’histoire, p. 279.

]]  

L’invention des pièces de monnaie est liée au développement des Etats forts, militarisés, conquérants et esclavagistes. L’impact a été majeur sur la structuration des sociétés. Ce n’est que parce que les pièces de monnaie permettent de transférer de la valeur à travers le temps que les agriculteurs ont été incités à produire des surplus en vue de les mettre à disposition des corps de l’Etat et qu’une société marchande faisant commerce de ces surplus s’est développée.

La définition des rôles de chaque individu dans la division du travail en a été affectée. Les uns sont devenus soldats, les autres commerçants, d’autres encore sont restés agriculteurs ou sont devenus agents de l’Etat. La monnaie n’est donc pas neutre sur l’organisation de la société. Loin d’être le simple adjuvant catalytique du commerce souvent décrit par les économistes, elle est un élément structurant de celle-ci et, dès lors, elle est un enjeu politique dont les bénéfices ont, en première instance, été confisqués par les Souverains. Le seul pouvoir des citoyens a été de refuser de l’utiliser mais, en lui donnant cours légal et en imposant son utilisation pour le paiement des impôts et des taxes, les Souverains sont parvenus à en imposer l’utilisation.

Ces Etats, grâce à leurs armées permanentes et bien entraînées, ont bénéficié de rapports de forces favorables face aux Etats organisés de façon traditionnelle. Il n’est pas étonnant qu’avec leur modèle d’organisation plus agressif, ils se soient très largement imposés à l’instar des civilisations helléniques, romaines et perses.

Néanmoins, ces civilisations ont, elles aussi, périclité, victimes, entre autres, de leur incessant besoin d’expansion lié à la nécessité de trouver toujours plus de ressources métalliques. En effet, l’une des contradictions fondamentales de la monnaie métallique est que sa caractéristique de réserve de valeur incite son propriétaire à la thésauriser plutôt qu’à la faire circuler. Par conséquent, la circulation monétaire a tendance à s’arrêter. En l’absence de contrainte suffisante, telle que le prélèvement de taxes, pour empêcher la thésaurisation, la contre-mesure la plus immédiate est l’expansion territoriale du royaume en vue d’augmenter le stock de ressources métalliques. Et, à partir du moment où l’expansion s’arrête, le modèle d’organisation de la société arrive à ses limites et la société s’écroule. C’est ainsi que s’explique, au moins en partie, le passage de la société romaine à l’époque médiévale.

L’époque médiévale, une époque presque sans monnaie

L’époque médiévale est caractérisée par une économie qui se base relativement peu sur la monnaie. Il faut dire que l’or et l’argent sont très largement thésaurisés par l’Eglise catholique et les monastères et que les rois, devant la rareté relative de ces métaux précieux, manipulent régulièrement les cours de la monnaie en réévaluant leurs propres pièces, en en modifiant la pureté ou la taille et en les refrappant régulièrement. Dès lors pour les transactions quotidiennes, on se passe de pièces et on utilise des bâtons de taille, des inscriptions dans des livres ou des jetons symboliques alors que pour des transactions plus importantes, on utilise des chèques garantis par des dépôts physiques d’or et d’argent.

Cette époque se caractérise également par la réprobation de l’usure et de toute forme de profit par l’Eglise catholique. C’est ainsi que de nombreux ordres monastiques prônant la pauvreté sont nés et que les métiers d’argent, liés au crédit, sont confiés à des parias de la société, juifs ou lombards dont les rois et les puissants se servent allègrement lorsqu’ils ont besoin de crédit et qu’ils trucident ou livrent à la vindicte populaire lorsqu’ils veulent se défaire de quelque charge d’intérêt devenue trop lourde. Néanmoins, il apparaît que le crédit et les prêts à intérêt ont permis le développement progressif d’une paysannerie libre[[On remarquera les glissements statutaires partant de la société romaine qui connaissait l’esclavage, à la société du moyen-âge qui a connu le servage puis au développement de la paysannerie libre.

]], la création des corporations et l’essor de l’agriculture de marché. Et ce n’est qu’à partir des années 1500 que le prêt à intérêt (modéré !) est admis et distingué de l’usure (au taux d’intérêt exagéré) et que des législations de protection des emprunteurs contre les usuriers apparaissent.

C’est également au moyen-âge, en 1250 exactement, que le droit canon introduit le concept de « personne fictive » qui peut agir comme un être humain, détenir des propriétés, établir des réglementations internes applicables à ses membres. Ce concept concerne d’abord les monastères qui forment de grandes compagnies, propriétaires de leurs terres, qui produisent des produits agricoles, les transforment et les commercialisent. Il a ensuite été utilisé par les corporations de marchands et d’artisans qui s’organisent en vue de créer des situations de monopoles et de rentes dans leur secteur d’activités. Ultérieurement, c’est à partir de ce concept de « personne fictive», personne juridique immortelle[[On soulignera que l’immortalité accordée à une personne fictive lui confère un caractère divin que, jusque-là, seuls Dieu, les anges, les Saints et, accessoirement, le Diable possédaient..

]], que les entreprises seront créées et que le capitalisme pourra se développer.

Le capitalisme

Le développement du métallisme

On peut considérer que le capitalisme s’est développé progressivement à partir du XVIème siècle. La découverte de l’Amérique a fait affluer l’or et l’argent importés du nouveau monde grâce aux populations indiennes d’Amérique du sud souvent réduites à l’esclavage lorsqu’elles n’étaient pas exterminées.

Les transformations sociales en Europe sont saisissantes. Le système monétaire basé sur les métaux précieux s’impose et aboutit à l’abandon des systèmes locaux de crédit. Traditionnellement, les paiements entre voisins, amis ou membres de la famille au sein des communautés, villes et villages se faisaient par le crédit. Le service que l’un rendait un jour était compensé par un service ou une marchandise que l’autre rendait quelques temps plus tard. Le fonctionnement de l’économie permettait de se passer de monnaie, chacun enregistrant en tête, dans un registre ou sur des bâtons de taille, la dette de l’autre. Au fond, la dette des uns aux autres construisait et renforçait la communauté dans un tissu de relations de confiance mutuelle. Seuls les échanges avec des étrangers, en qui on n’avait pas confiance, nécessitaient l’utilisation de pièces sonnantes et trébuchantes.

Avec le nouveau système monétaire basé sur la monnaie physique, le crédit et la confiance entre membres de la société deviennent inutile. Le paiement en liquide avec une pièce anonyme devient la règle. Le parent, l’ami, le voisin ou l’étranger sont traités de la même façon par un paiement liquide au comptant qui clôture immédiatement la transaction économique mais qui aboutit aussi à mettre fin à la transaction sociale. C’est ce contexte qui favorise l’émergence du concept, cher aux économistes libéraux, de l’individu libre rationnel et calculateur seul devant le marché libre et concurrentiel cherchant perpétuellement à maximiser son profit.

Par rapport à l’antiquité, le capitalisme se distingue par le fait que la monnaie n’est plus l’instrument du Souverain mais est l’instrument de l’entrepreneur privé. Dans l’antiquité, l’effigie apposée sur la pièce de monnaie est l’expression du pouvoir politique souverain émetteur et détenteur initial de la pièce alors qu’à partir du XVIème siècle, s’est développée la frappe des pièces de monnaie pour le compte de personnes privées apportant les quantités nécessaires de matériaux précieux[[Dans le cadre du monopole d’émission monétaire du souverain, cette frappe se monnaye par le versement d’un droit de « seigneuriage » au Souverain qui recouvre le prix du façonnage du métal et, éventuellement, une marge bénéficiaire ou une taxe quelconque.

]]. A partir de ce moment, l’effigie sur les pièces n’est plus l’expression de l’autorité de l’émetteur mais bien l’expression de la garantie octroyée par l’émetteur sur la façon de la pièce. Il en garantit le poids, la forme et le contenu en matière précieuse (or ou argent et parfois bronze) et donc sa valeur. Le pouvoir politique passe ainsi d’un rôle d’autorité à un rôle de garant de la confiance. Le centre de gravité de la société est déplacé du pouvoir politique vers le pouvoir économique.

Avec l’utilisation des pièces de monnaie, la nature même des rapports sociaux se trouve considérablement modifiée ; l’on passe à cette époque de la vie en communauté à la vie en société avec le développement progressif de l’individualisme et la poursuite de l’intérêt personnel.

Dès le XVIème siècle, dues à l’inflation des prix causée par les importations d’or d’Amérique, au développement des enclosures[[L’enclosure est l’appropriation privée, par clôture, d’espaces antérieurement dévolus à l’usage collectif communal, notamment la privatisation des pâturages et des espaces forestiers.

]], et à l’abandon des communaux les conditions de vie de nombreux paysans libres qui se sont vus chassés de leurs villages se dégradent considérablement. Ils forment la base d’une nouvelle catégorie de personnes, isolées des solidarités traditionnelles et sans attache qui ne peuvent survivre qu’en offrant leur force de travail contre paiement d’une rémunération. C’est le développement du prolétariat. C’est ainsi que parallèlement au développement de l’esclavage en Amérique, on a assisté au développement du prolétariat et de la propriété privée en Europe. Cette population avec un statut largement insécurisant a développé des revendications matérialistes fortes qui ne pouvaient s’exprimer qu’au travers de revendications financières. Aujourd’hui encore, la majorité de la population considère que la sortie de l’insécurité ne peut être atteinte que par l’épargne de précaution et l’accumulation de réserves financières. Cette dynamique de la recherche de la sécurité et de l’accumulation contribue d’ailleurs au renforcement de l’individualisme et du capitalisme financier via ses nombreux produits financiers (sicavs, assurances vie, fonds de placements, fonds de pension).

Le développement de la monnaie fiduciaire adossée aux métaux précieux

Les inconvénients de l’utilisation des métaux précieux ; lourds, encombrants, facile à voler ; ont tôt fait d’inciter les banquiers à émettre du papier-monnaie. A l’origine, il s’agissait de certificats que les banquiers donnaient aux personnes effectuant un dépôt de métal précieux dans leur établissement. Ces certificats garantis pouvaient alors servir dans des transactions commerciales puisque les banquiers européens, dans un réseau de confiance, acceptaient, moyennant commission, d’honorer les certificats de dépôts de leurs confrères. Afin d’apurer les soldes positifs ou négatifs entre la somme des certificats émis et reçus, les banquiers effectuaient, de temps à autre, une compensation finale en or ou argent physique. Du fait que le paiement de ces certificats était basé sur la confiance entre banquiers, on a appelé cette monnaie, la monnaie fiduciaire. Bien sûr, dans un tel système, il devient rapidement possible pour les banquiers d’émettre plus de certificats qu’ils n’ont effectivement reçus de dépôts. Tant que les déposants ne viennent pas rechercher leur or au même moment, les banquiers peuvent utiliser les dépôts des uns pour effectuer des remboursements aux autres. Or, vu que le certificat de dépôt est tellement plus pratique à utiliser, peu de gens demandaient à être remboursé. Cela a donné la possibilité aux banquiers d’émettre plus de certificats qu’ils n’avaient de dépôts. Ce mécanisme ; « malhonnête » dans sa conception initiale, faut-il le souligner ; est à l’origine du développement du crédit et des intérêts. Dans cette configuration, les problèmes apparaissent lorsque le banquier perd la confiance de ses clients et que ces derniers se précipitent tous au même moment pour se faire rembourser les certificats émis. La question qui se pose alors au banquier est de savoir jusqu’où il peut être « malhonnête » pour éviter la perte de confiance de ses clients. Il doit trouver la limite qu’il ne peut dépasser en matière d’émission de certificats surnuméraires parce qu’en cas de perte de confiance, la banque ne peut alors tout simplement pas rembourser tous ses clients. Cette situation de « bankrun » s’est présentée à de multiples reprises au cours de l’histoire et est à l’origine de la réglementation sur les réserves fractionnaires que les banques doivent détenir auprès des Banques centrales aujourd’hui.

Le développement de la monnaie fiduciaire adossée à des emprunts de l’Etat

Au XVIIème siècle, complémentairement au papier-monnaie, certificat de dépôt de métal précieux, est apparu le papier-monnaie reposant sur la dette de l’Etat ou d’un de ses organismes. Il s’agissait pour le financier d’octroyer un prêt à l’Etat et de mettre en circulation des billets représentant des fractions de cette dette garantie par l’Etat. Ces billets pouvaient être utilisés comme monnaie puisque leur remboursement est garanti par l’Etat.

En 1694, la Banque d’Angleterre est créée par une association de commerçants qui a octroyé un prêt de 1,2 millions de Livres au Roi Guillaume III pour financer la guerre contre la France. En échange de ce prêt, la Banque d’Angleterre reçoit le monopole de l’émission de billets de banque qu’elle peut utiliser dans des transactions commerciales ou pour accorder des prêts portants intérêts. Ces billets représentent la dette que le Roi avait vis-à-vis de la Banque d’Angleterre. En définitive, c’est la confiance que la population a dans la capacité du Roi à rembourser cette dette qui permet à la banque d’émettre des billets que la population utilise comme moyen de paiement. Dans un mécanisme de ce type, le banquier a également la possibilité d’émettre un montant de billets supérieur à la somme des prêts qu’il a effectué à l’Etat.

Donc, à cette époque, on voit très clairement apparaître deux types de monnaie-papier, l’un gagé sur les métaux précieux représentant un actif des déposants et l’autre, gagé sur titres de la dette de l’Etat constituant un passif de l’Etat lui-même garanti par ses revenus futurs, les impôts futurs à recevoir.

Avec l’avènement du papier-monnaie basé sur un gage, on assiste à une transformation radicale du paysage monétaire : les banquiers acquièrent un réel pouvoir d’émission monétaire indépendant du pouvoir politique et indépendant de la masse des métaux précieux. L’épargne n’est plus simplement la thésaurisation des dépôts de métal précieux puisque les dépôts sont convertis en billets de banque excédant la valeur de ceux-ci.[[En jargon moderne, ce dépassement du crédit octroyé par rapport aux dépôts (y compris le montant investi par les actionnaires de la banque) est appelé « effet de levier ». Plus l’effet de levier est important, autrement dit, plus la banque octroie de prêts par rapport à ses dépôts, moins la banque est solvable puisqu’elle court plus de risques d’être à court de liquidités mais plus elle est rentable puisque les prêts (s’ils sont remboursés) lui rapportent des intérêts. Tout l’art du banquier (et maintenant du contrôle prudentiel) est de respecter l’équilibre entre la solvabilité et la rentabilité. Cet équilibre a été largement rompu lors de la crise financière de 2007 -2008.

]] L’excédent de billets émis correspond au montant des crédits octroyés par les banquiers. Cette masse monétaire supplémentaire favorise la circulation monétaire et indirectement favorise le développement économique puisque le nombre et le volume de transactions peut augmenter. C’est à cette époque que l’on s’est rendu compte que le crédit augmente considérablement le niveau d’efficacité de la monnaie en ayant un rôle de multiplicateur de la base monétaire. Ainsi, en cumulant de manière plus systématique qu’antérieurement les fonctions d’épargne, de crédit et d’investissement, la monnaie et le système financier ont posé les bases de la révolution industrielle et du développement du capitalisme.

De l’apogée du monométallisme …

Progressivement les montants de monnaie émis se sont détachés des stocks de gages censés en être la contrepartie. On est alors face à une monnaie papier représentant autant de crédits sans référent quelconque. On comprend que pour les tenants d’un lien fort entre monnaie et stock d’or cette transformation du paradigme monétaire n’est pas acceptable. Dès les années 1700, des débats sur la nature de la monnaie et du crédit font rage dans des termes qui présentent certaines analogies avec les termes utilisés pour décrire la crise de 2007-2008 et les excès de crédit.

D’un côté, les partisans de la monnaie métallique critiquent la monnaie papier « Nous n’aurons pas besoin de réexpliquer, …, les dysfonctionnements d’un régime monétaire où le papier-monnaie ne s’appuie sur aucun référent métallique. Il revient, …, à confondre la monnaie et le crédit ; rapidement la quantité de monnaie émise n’est plus contrôlée, permettant à tous les acteurs du système (Etats, Banques centrales, institutions financières) de couvrir un endettement massif ; la fin des régimes de papier monnaie est toujours catastrophique »[[Edouard Husson, Norman Palma, Le capitalisme malade de sa monnaie, pp. 56-57

]]. De l’autre côté, les défenseurs de la monnaie papier critiquent l’étalon or en soulignant son absence d’effet de levier et des risques de contraction monétaire. « Les adversaires de l’étalon or ont pratiquement toujours mis en avant les effets régulièrement déflationnistes du système, les contractions épisodiques de la base monétaire à disposition pour les acteurs économiques. Et ils en ont tiré argument pour défendre le régime du papier monnaie »[[Edouard Husson, Norman Palma, Le capitalisme malade de sa monnaie, p. 57

]].

En finale, la victoire est remportée par la conception monométalliste[[Il y eut deux écoles métallistes qui désiraient une garantie de la monnaie par un métal précieux. L’une pensait que les billets devaient être garantis par de l’or uniquement (monométallisme) alors que l’autre désirait joindre l’argent à l’or comme garantie des billets (bimétallisme). Du point de vue des « bimétallistes », un stock plus grand de métal précieux permettait une émission monétaire plus large et donc moins contraignante pour l’économie.

]] de la monnaie dans laquelle le papier-monnaie est intégralement garanti par de l’or. Le reste est considéré comme du crédit. Ce qui fait que progressivement, dans tous les pays européens à partir des années 1800, l’or a été reconnu comme seul et unique moyen «naturel» de paiement. C’est ainsi que toutes les monnaies-papier ont été déclarées convertibles en or. C’étaient les prémices de l’étalon-or.

A la même époque, vu le développement financier du Royaume-Uni permettant à l’Etat de se financer facilement par l’émission monétaire de sa dette, le modèle de la Banque d’Angleterre s’est progressivement imposé partout et la plupart des Etats mettent sur pieds des Banques centrales[[« On dit parfois que l’invention de la Banque centrale est aussi importante pour l’histoire de l’humanité que celle de la roue. Sans se prononcer sur le bien-fondé de ce point de vue, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une innovation majeure qui a facilité le financement des économies et, par ce biais-là, leur développement » Frederic Mishkin, Monnaie, banque et marchés financiers, p.505

]] chargées, entre autres, du financement de l’Etat et de l’émission des billets de banque couverts par une garantie or. La question qui se pose rapidement est de savoir si les Etats ont réellement la capacité de convertir en or l’ensemble des billets émis ou s’ils sont eux-mêmes des spéculateurs émettant plus de billets qu’ils ne possèdent de réserves d’or. En pratique, les Banques centrales font exactement le même raisonnement que les banques privées, « tous les détenteurs d’un billet ne viendront pas demander la conversion de leurs billets en or au même moment ». Par conséquent, elles émettent des billets pour une valeur supérieure à la contrepartie en or. L’excédent d’émission est prêté aux banques privées moyennant le versement d’un intérêt. Ce qui fait que malgré son triomphe, la conception monométalliste intégrale n’a jamais été appliquée.

… À la chute de l’étalon-or

Par leur développement économique au cours des années 1910-1930 et la succession d’années de balance de paiement largement positive, y compris pendant la première guerre mondiale, les Etats-Unis ont accumulés et thésaurisés des stocks immenses d’or au détriment des autres Etats qui face à des réserves d’or sans cesse amaigries ont été amenés à faire soit de la contention monétaire afin de garantir la parité de leur monnaie par rapport à l’or, soit de dévaluer leur monnaie. La diminution de la masse monétaire en Europe a aggravé les conséquences de la crise des années 1930 et est sans doute l’une des causes de la seconde guerre mondiale. Certains économistes pensent que dans les années 30, outre le renforcement de la réglementation bancaire, les Etats-Unis auraient dû pratiquer une réévaluation du $ US par rapport à l’or de manière à rééquilibrer les échanges internationaux et leur balance des paiements. Ils pensent que l’accumulation d’autant d’or visaient à faire des Etas-Unis « La » puissance de référence au niveau mondial. Ce qui fut le cas de manière incontestée dès la seconde guerre mondiale.

En 1944, les accords de Bretton Woods ont créé le Gold Exchange Standard dans lequel toutes les monnaies sont convertibles en $ US eux-mêmes convertibles en or. La position des Etats-Unis comme première économie mondiale était reconnue, ils détenaient environ 75 % des stocks d’or de la planète (21.700 tonnes).

Pourtant, avec la forte croissance économique d’après-guerre, le financement de la guerre froide et particulièrement de la guerre du Vietnam, la balance des paiements des Etats-Unis s’est dégradée et beaucoup d’Etats n’ont pas hésité à demander de l’or en échange des $ US qu’ils avaient accumulés. Les stocks d’or des Etats-Unis ont commencé à fondre à telle enseigne qu’en 1971, les Etas-Unis détenaient encore 13% du stock d’or mondial soit 3.900 tonnes. Le Président Nixon a, dès lors, décrété l’inconvertibilité du $ US en or. C’en était fini de l’étalon-or.

L’étalon-dollar

Les monnaies deviennent alors des valeurs auto-référentielles, elles ne sont plus adossées à un quelconque élément de référence. La valeur des unes par rapport aux autres évolue selon les lois de l’offre et de la demande de monnaie. Et la valeur du $ US, qui reste la monnaie de référence au niveau mondial malgré son inconvertibilité en or, est étroitement liée au positionnement politique des Etats-Unis et à la capacité d’intervention de sa puissante armée dans le monde entier. On peut dire que la valeur du $ US est adossée à la valeur de l’armée des Etats-Unis comme les monnaies traditionnelles étaient adossées à l’or. Le $ US reste « LA » monnaie de référence mondiale et l’ultime réserve de valeur, on parle de « l’étalon-dollar ». Or, depuis la crise de 2007 avec la persistance des déficits publics, du déficit commercial et l’émission monétaire massive en vue de sauver les banques américaines, on est en droit de se demander jusqu’à quand cet étalon-dollar va-t-il tenir ? Aujourd’hui, les banques centrales de nombreux pays et de nombreuses entreprises ou fonds d’investissements regorgent de $ US dont ils se demandent ce qu’ils pourront en faire dans le futur. Après tout, le $ US n’est qu’une monnaie sans valeur intrinsèque. Sans doute faut-il interpréter les rachats ou les prises de participations dans des entreprises américaines ou européennes par des fonds souverains chinois, arabes et autres comme autant de façon de recycler des US$ dont ils ne savent plus que faire.

L’euro

En Europe, le flottement des devises les unes par rapport aux autres et les dangers que cela comporte en termes de spéculation et de dévaluation compétitive a rapidement amené la constitution du système monétaire européen qui a débouché sur la création de l’euro. Sa création récente nous permet d’avoir tous encore en mémoire ; fût-ce confusément ; l’ampleur et la nature du débat ainsi que les arguments qui ont été utilisés en vue de sa création. L’élément le plus frappant est d’abord qu’il n’y a pas eu de grands débats nationaux sur la création de la monnaie unique. Nous sommes passés de monnaies nationales européennes à la monnaie unique presque sans nous en rendre compte. Il faut croire que la création de l’euro semblait être une évidence consensuelle. Pour l’essentiel, le débat sur la création de l’euro a été mené dans les cénacles européens. Il s’est largement focalisé sur des objectifs économico-financiers tels que la suppression des fluctuations de changes et la suppression des frais y associés. Les objectifs politiques, moins largement affirmés, étaient de renforcer l’efficacité du marché unique européen à travers la sécurisation des opérations des entreprises, l’intégration à l’échelle européenne des marchés financiers et de favoriser le développement d’entreprises de dimension européenne capables de rivaliser sur les marchés mondiaux. Très accessoirement et de manière totalement symbolique, l’euro avait comme objectif de devenir le signe tangible de l’identité européenne permettant d’affirmer sa présence sur les scènes européenne et internationale.

L’originalité de l’euro est que son territoire s’étend sur 18 Etats européens souverains (11 à l’origine) alors qu’historiquement la monnaie est l’expression de la souveraineté nationale qui veut qu’ « à un Etat correspond une monnaie ». Son introduction représente donc une renonciation à une partie de la souveraineté nationale[[Encore que, sur cette question de la renonciation à la souveraineté nationale, certains économistes répondent que la seule souveraineté des monnaies nationales avant l’euro était de s’aligner sur la politique monétaire décidée par la Bundesbank (Banque centrale d’Allemagne). Selon eux, la participation à la monnaie unique a au moins l’avantage de permettre aux différents Etats, via leur Banque centrale indépendante, de s’exprimer sur la politique monétaire de l’euro. Par conséquent, à l’inverse d’un recul démocratique, ils perçoivent l’euro comme une avancée démocratique par rapport à la situation antérieure.

]]. Dès son origine, et encore à ce jour, l’euro est un club fermé d’Etats qui, pour y adhérer, doivent répondre à des critères précis. A l’origine, ces critères dits « de Maastricht » concernaient l’inflation, la dette et le déficit budgétaire. Depuis lors, suite à la crise financière et au déficit budgétaire de certains membres du club, les critères de convergence ont été renforcés par l’instauration du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de l’Union économique et monétaire (UEM). L’application de critères supranationaux pour l’évaluation des politiques nationales est également une originalité de l’euro et représente une limitation consentie à la souveraineté des Etats membres. Dans le même temps, la Banque centrale s’est vue interdire le financement des déficits publics. La Banque centrale ne peut prêter de la monnaie aux Etats membres ou aux entités qui les composent. Si l’on se rappelle que la Banque d’Angleterre avait précisément été fondée pour remplir cette fonction de financement de l’Etat, on mesure le chemin parcouru depuis le XVIIème siècle. Aujourd’hui, les Etats sont obligés de se financer en passant par le secteur financier qui, dans l’octroi de prêts, utilise ses propres critères d’évaluation. C’est ainsi que l’on peut affirmer que les Etats en déficit sont sous la coupe des marchés financiers.

La politique monétaire de l’euro a été centralisée et confiée à la Banque centrale européenne, garante de la monnaie et autorité de surveillance des systèmes de paiement. Elle s’est vue octroyer son indépendance par rapport au pouvoir politique des différents Etats. Elle poursuit ses objectifs indépendamment de ces derniers[[En Europe, dans la zone euro, il s’agit de maintenir la stabilité des prix en maintenant l’inflation proche de 2% et, sans préjudice de cet objectif, de soutenir les politiques économiques de l’Union européenne.

]]. Ce modèle de Banque centrale indépendante du pouvoir politique tend d’ailleurs à se généraliser partout dans le monde.

On le voit, le centre de gravité du pouvoir a continué à se déplacer. L’indépendance des Banques centrales gardiennes de la monnaie, l’interdiction du financement des Etats par les Banques centrales, l’obligation de recourir au secteur financier pour trouver ses financements subordonne la réalisation des objectifs de l’Etat au respect de la contrainte budgétaire imposée par les bailleurs de fonds. Bien sûr, pour éclairer ce jugement, il faut se rappeler que l’architecture institutionnelle de l’Europe avec une monnaie unique pour 18 Etats souverains complique la coordination entre la politique monétaire et les politiques économiques des Etats membres. C’est là l’origine de la mise sur pieds de règles supranationales qui s’imposent aux gouvernements.

Le développement technique

Du point de vue financier, le XXème siècle est également caractérisé par un développement technologique exponentiel. Dans un premier stade, on a assisté au développement de la monnaie scripturale par laquelle on a remplacé les billets de banque et pièces de monnaie par des virements, chèques et lettres de change. Les flux monétaires portés par ces documents sont alors enregistrés sur support informatique par les banques comme de simples virements entre comptes. Un paiement ne devient plus alors qu’un jeu d’écritures comptables. On en arrive à ce jour à des opérations dématérialisées, paiements électroniques par cartes de débit/crédit ou par smartphone, virements électroniques qui utilisent massivement l’informatique, les télécommunications et l’Internet. Le système monétaire est devenu un large système d’information presque totalement dématérialisé dans lequel transitent des flux financiers sous forme d’écritures comptables. Cette dématérialisation ouvre la porte à de nouveaux risques associés à l’utilisation de ces technologies. C’est pourquoi, les systèmes de paiement font également l’objet d’une supervision de la part des Banques centrales.

L’hypertrophie financière, avant le crash final et la fin du capitalisme ?

L’évolution informatique, par sa capacité de traitement, a permis le développement de nouvelles techniques de gestion de crédit, de modélisation et de traitement statistique des risques. Cela a notamment permis le développement de la titrisation[[La titrisation est une technique financière qui consiste, pour le banquier ayant accordé des crédits (comme les crédits hypothécaires subprimes) à créer des lots regroupant des milliers de crédits. Ces lots sont vendus à des sociétés financières qui pour se financer émettent des parts représentant une fraction des lots. Ces parts sont alors vendues à des fonds d’investissement, des fonds de pension, des entreprises d’assurances vie, etc.

]] des dettes. Ces nouvelles techniques ont permis aux banques de « sortir » de leurs bilans les financements qu’elles accordaient, elles transféraient le risque de crédit vers d’autres personnes. Ainsi, le lien traditionnel qui liait le banquier et son débiteur a été brisé. Traditionnellement, le banquier avait intérêt à suivre de près son débiteur s’il voulait être sûr de récupérer le capital prêté. Dans le nouveau contexte, le banquier n’a plus cet intérêt puisque dès la conclusion du prêt, il transfère le risque vers un tiers qui lui procure des liquidités lui permettant d’octroyer de nouveaux prêts. C’est ainsi que s’est développée la problématique des prêts hypothécaires subprimes soutenue par le contexte de dérégulation financière initié dans les années 1980 aux USA, contexte qui a considérablement renforcé le pouvoir d’émission monétaire des banques privées.

Alors qu’au XVIIème siècle, les innovations financières ont permis une évolution économique spectaculaire, on constate que les innovations financières de ces dernières décennies ne servent plus qu’à alimenter la finance elle-même. Les institutions financières ont inventé toutes sortes de nouveaux produits financiers structurés et dérivés adossés à toutes sortes de gages[[ABS : Asset based securities, RMBS : Residential mortgage –backed securities, CDO : collateralized debt obligation, CDO², etc.

]] permettant de développer le crédit dans des proportions totalement inédites. L’évolution de la masse monétaire ainsi créée est totalement décorrélée de l’évolution de l’activité économique réelle. Par exemple, le rapport entre la masse monétaire (agrégat M3) et le PIB en France est ainsi passé de 2,27 en 1993 à 4,07 en 2014. La machine s’est emballée et il n’est dès lors pas étonnant qu’on ait abouti à la crise de 2007-2008 et, qu’en finale, la question fondamentale de la création monétaire se pose aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité que l’on assiste à des injections sans précédent de liquidités dans le système financier par les Banques centrales à des taux d’intérêt proche de zéro sans que la machine économique ne redémarre[[Ce qui d’ailleurs relativise très fort le bien-fondé de nombreuses théories économiques et monétaires qui indiquent qu’en cas d’injection monétaire massive, le niveau des prix augmente.

]].

« Dans le sillage de l’effondrement des subprimes, l’Etat américain s’est vu forcé de trancher la question : qui va vraiment créer de l’argent à partir de rien, les financiers ou les simples citoyens ? Le résultat était prévisible. Les financiers ont été renfloués avec l’argent du contribuable … Rien n’a changé. Toutes les grandes décisions ont été remises à plus tard. Le Grand Débat que beaucoup attendaient n’a jamais eu lieu »[[David Graeber, Dette 5000 ans d’histoire, pp. 465-466.

]].

IV. Les enseignements de la science économique et de l’histoire

Notre parcours ne serait pas complet s’il ne passait pas en revue les enseignements de la science économique et de l’histoire des monnaies en gardant à l’esprit qu’  «on ne saurait mieux marquer le fait que la théorie monétaire, comme la théorie économique en général, relève autant de la philosophie politique que de la science»[[Christian Tutin, Les grands textes de la pensée monétaire, p.8

]]

Sur la monnaie

Depuis, le XVIIème siècle, la monnaie est principalement émise par banques privées (monnaie dématérialisée) et accessoirement par les Banques centrales (billets de banque). L’émission monétaire repose sur un mécanisme par lequel les banquiers accordent des crédits à leurs clients. Pour le banquier, la création de monnaie se fait par de simples écritures comptables. Il inscrit le montant emprunté sur le compte de l’emprunteur et indique une somme correspondante sur un compte de crédit[[On a vu précédemment, notamment avec l’émission excédentaire de certificats-or, que l’émission monétaire n’est pas liée aux dépôts reçus par le banquier. Le même mécanisme de création monétaire existe dans la banque moderne largement dématérialisée. Il faut donc abandonner l’ancienne vue que les dépôts servent de base à l’octroi des crédits. Cette règle n’est valable que pour les banques qui n’utiliseraient pas d’effet de levier.

]]. Dès ce moment l’emprunteur possède la somme sur son compte et il peut l’utiliser. On voit que le banquier a alors bien créé de la monnaie à partir de … rien. Inversement lorsque l’emprunteur rembourse sa dette, le banquier soustrait le montant remboursé du compte de l’emprunteur et soustrait une somme équivalente sur le compte de crédit de l’emprunteur. Par cette opération, le banquier détruit de la monnaie qui devient … rien[[Le mécanisme décrit ici est le principe de base, fondamental, de la création monétaire tel qu’il est appliqué par les banques. Toutefois, le pouvoir d’émission des banques n’est pas illimité, il est contraint par les fonds propres, la réglementation et les réserves obligatoires.

]]. La conséquence paradoxale de cette situation est que si le monde entier rembourse ses dettes, la monnaie disparaît et … l’économie disparaît.

A ce stade, l’essentiel est de retenir que l’émission monétaire est un processus largement privé, dématérialisé et centralisé et que la monnaie produite est une monnaie temporaire qui est toujours adossée à une dette.

D’un point de vue fonctionnel, la monnaie est une unité de compte standardisée permettant la mesure de la valeur de tous les biens et services, elle est l’instrument de mesure universel puisqu’elle permet, in fine, de comparer la valeur de pommes et de poires[[Dont on nous dit depuis l’école primaire qu’il ne faut pas les mélanger. 🙂

]]. Elle sert de moyen de paiement et permet l’effacement des dettes des uns vis-à-vis des autres. La monnaie est donc un instrument intermédiaire des échanges et un catalyseur des transactions puisqu’elle permet, mieux que tout autre système, de faire circuler les biens et les services au sein de la société.

La monnaie est un outil d’épargne de précaution individuelle permettant de conserver et transférer dans le futur un pouvoir d’achat actuel par exemple pour faire un investissement ultérieur (achat d’un logement) ou assumer des dépenses prévisibles (la retraite) ou imprévisibles (une hospitalisation). Au-delà de l’épargne de précaution, la monnaie est un instrument d’accumulation du capital financier et économique, c’est une réserve de valeur. Cette fonction associée à l’amélioration des techniques de crédit (voir infra) a permis le développement des sociétés économiquement avancées.

La monnaie est un instrument de structuration de la société parce qu’en amont de ses fonctions techniques, elle un contrat social fondamental entre les membres d’une société basé sur la confiance mutuelle de tous. Chacun accepte en paiement de ses prestations des bouts de papier ou des inscriptions électroniques sur un compte, sans aucune valeur en soi, uniquement parce que chacun est persuadé que tous les autres membres de la société accepteront ces bouts de papier et inscriptions en paiement de ses propres prestations[[En ce sens, la monnaie est un réel incitant à l’action des êtres humains.

]]. Cette dimension de contrat social confère à la monnaie les attributs d’un bien commun qui, comme tel, doit faire l’objet d’une gestion démocratique justifié par le fait qu’à un type particulier de monnaie est lié un type particulier d’organisation de la société. Aux monnaies émises par les souverains et les marchands correspondent des sociétés basées sur la division du travail, la militarisation, la propriété privée, le crédit, la croissance économique, le vol, la prédation et l’individualisme. Alors que dans les sociétés sans monnaie prévalent la communauté, la solidarité, la stabilité économique et les communs.

La monnaie est également un outil de la domination politique et économique. La domination de certains Etats sur d’autres passent par la monnaie comme la Rome impériale ou les Etats-Unis aujourd’hui avec $ US qui s’impose comme ultime monnaie de réserve mondiale. Elle est aussi un outil de domination par lequel les détenteurs du capital sont plus à même d’imposer leurs conditions à leurs interlocuteurs, salariés, locataires et débiteurs.

Sur le crédit

On a vu qu’à partir du XVIIème siècle, les techniques de crédit ont considérablement évolué permettant le financement des Etats, le financement de la révolution industrielle et, par voie de conséquence, le financement de la croissance économique et la redistribution des revenus[[Même si celle-ci n’a été acquise qu’à la force de luttes sociales parfois violentes et sanglantes.

]]. Il a favorisé l’accumulation monétaire et le développement du capitalisme en permettant de décupler l’efficacité financière de l’épargne qui auparavant était simplement thésaurisée.

Par le crédit, l’efficacité des Etats et des entreprises s’est considérablement accrue permettant aujourd’hui à l’humanité d’atteindre un niveau de développement sans précédent dans son histoire. Avec, les inconvénients que, sur la planète, les ressources sont pratiquement épuisées et de nombreux travailleurs, adultes et enfants connaissent des conditions de travail très pénibles.

C’est à partir de ce constat que l’on peut affirmer que, de manière générale, la finance et le crédit, n’ont pas de morale ou d’éthique. Les banquiers ne regardent que l’aspect financier des projets qu’ils financent et n’accordent que peu d’importance aux critères sociaux ou environnementaux. Ces projets « non rentables » financièrement ne trouvent pas de financement alors qu’ils peuvent avoir une réelle utilité sociale. Ce que l’on peut regretter.

Inversement, on peut se réjouir lorsque les banquiers jouent leur rôle traditionnel en appliquant les techniques classiques de financement, certains projets privés ou publics douteux sur le plan financier ne soient pas financés non plus. Les banquiers jouent un important rôle dans l’allocation de l’épargne et dans la mutualisation des risques. C’est à ce titre d’intermédiaire financier que le système financier a une responsabilité publique et morale. Il est le gardien de l’orthodoxie financière lorsqu’il alloue l’épargne. Il joue alors correctement son rôle d’intermédiation financière entre les épargnants et les investisseurs, en mutualisant les risques et en finançant les activités économiques. Ses intérêts ne devraient pas être que financier.

Sur l’intérêt

Le crédit implique généralement le paiement d’intérêts. Pour assumer le service de ces intérêts c’est-à-dire le paiement d’une somme supplémentaire par rapport à la masse monétaire existante, il faut générer une activité économique supplémentaire qui fera l’objet d’une rémunération supplémentaire par rapport aux rémunérations actuellement payées. Cette rémunération nouvelle ne peut être possible que par une accélération de la vitesse de circulation de la monnaie ou par une émission monétaire nouvelle[[Selon la théorie quantitative de la monnaie classique, la quantité de monnaie en circulation (M) multipliée par sa vitesse (V) de circulation est égale à la dépense totale de l’économie telle qu’elle est mesurée par le niveau général des prix (P) et les revenus (Y) (M x V = P x Y). On a là une relation directe entre masse monétaire, niveau des prix et production par l’intermédiaire de la vitesse de circulation de la monnaie. C’est cette liaison qui permet de fonder la politique monétaire des Banques centrales qui, par leur action tentent d’influencer la demande de monnaie.

]], un nouveau crédit. Ce nouveau crédit amène le paiement de nouveaux intérêts, etc. dans une chaîne sans fin. L’intérêt et donc la croissance monétaire ont comme corollaire la croissance économique ininterrompue[[La croissance est également liée à l’augmentation de la productivité qui, tant qu’elle progresse, permet de dégager sans cesse de nouvelles ressources à utiliser dans de nouvelles productions.

]].

Lorsque l’activité économique ne croît plus[[Soit à cause d’un choc externe (choc pétrolier, par exemple), soit pour une cause endogène liée précisément aux phénomènes d’inflation, d’excès de crédit, de regain ou de perte de confiance dans l’activité future.

]], les banquiers ont tendance à restreindre le crédit par peur de ne pas être remboursés. Par conséquent, la masse monétaire ne croît plus ou elle circule moins vite. Or, on vient de voir que ce sont les nouveaux crédits qui permettent de rembourser les crédits antérieurs. Par conséquent, dans un contexte de crise et de contraction du crédit, une partie des intérêts dus sur les prêts antérieurs ne peuvent pas être honorés. Les défauts de paiement se multiplient, mettent de plus en plus de personnes en difficultés et contribuent à l’approfondissement de la crise économique. Ainsi, le mécanisme du crédit associé aux intérêts financiers engendre, par définition, une instabilité économique structurelle. L’action des prêts et intérêts est procyclique. Quand l’économie fonctionne bien, les banquiers prêtent facilement de l’argent, ils renforcent ainsi la croissance économique et quand les choses vont mal, ils contractent les octrois de crédit accentuant ainsi les récessions économiques.

En raisonnant à l’extrême, si tous les crédits étaient remboursés, la masse monétaire se contracterait à l’infini jusqu’à disparition complète de la monnaie et l’activité économique s’arrêterait automatiquement. La condition de survie du système monétaire est le maintien du volume de crédit en cours.

V. Les propositions monétaires

A présent, forts de notre meilleure connaissance de l’histoire de la monnaie, du crédit, de l’intérêt et du mode d’émission des monnaies, on peut mieux suivre le débat monétaire, prendre conscience qu’un certain type de monnaie entraîne un certain type de société et poursuivre une réflexion sur le type de monnaie et de système financier qu’il est souhaitable de construire dans l’intérêt de l’humanité et de la planète. Afin d’alimenter notre réflexion, il est utile d’embrasser un large panorama de différentes propositions et expériences monétaires menées à l’heure actuelle à travers le monde. Elles pourront nous servir de sources d’inspiration. Néanmoins, il n’est pas possible d’en faire un inventaire exhaustif tant la diversité est grande. C’est pourquoi, je vais structurer ma présentation sur des regroupements en familles sur base de la qualité de l’émetteur de la monnaie. Le choix de cette classification est basé sur le fait que la qualité de l’émetteur imprime littéralement une qualité et une intention à la monnaie. Une monnaie émise par un Souverain despote n’aura pas le même objectif que la monnaie émise par un cercle de commerçants ou que la monnaie émise par un collectif d’individus décidant d’échanger entre eux au moyen de leur monnaie. Je distingue trois familles de monnaie, la famille des monnaies émises par des institutions financières privées, la famille des monnaies émises par les Etats et autorités publiques et la famille des monnaies émises par les personnes privées, physiques et morales..

Afin d’évaluer chaque proposition monétaire, j’utilise une grille d’évaluation inspirée de la typologie de B. Lietaer et M. Kennedy associée à celle de R. Douthwaite :

  1. Qui émet la monnaie ? L’Etat, des institutions financières privées ou les utilisateurs de la monnaie eux-mêmes ?
  2. Quel est l’objectif de cette monnaie ? Est-ce un moyen de paiement légal ? Y a-t-il un objectif de taxation par l’Etat ? Est-elle le moyen pour faire des profits pour des actionnaires ? Est-ce un simple moyen d’échange entre ses utilisateurs (entreprises et/ou particuliers) ? A-t-elle un objectif de nature sociale ou environnementale ?
  3. La monnaie est-elle souveraine ? Est-elle créée dans la zone économique où elle va être utilisée ou ailleurs ? Les utilisateurs auront-ils à fournir des biens et des services en dehors de leur territoire pour se procurer suffisamment de monnaie pour être capable de commercer entre eux ?
  4. Qu’est-ce qui donne de la valeur à la monnaie ? Est-elle convertible ? Est-elle adossée à de l’or, adossée à un autre actif, adossée à un passif (une dette), adossée une promesse quelconque, non-adossée ?
  5. Comment la monnaie est-elle créée ? Par une organisation centrale ? Par les utilisateurs eux-mêmes?
  6. Quand la monnaie est-elle créée ? Est-ce une monnaie permanente ? Est-ce une monnaie temporaire issue d’un système de création et de destruction monétaire qui fournit les gens en fonction des besoins du commerce ? Est-ce une monnaie dont l’émission et la destruction est régulée uniquement par les actions des utilisateurs ?
  7. Quelles fonctions cette monnaie est-elle censée remplir ?
    • Moyen de paiement ou d’échange ?
    • Réserve de valeur permettant d’acheter le même montant de biens et services indépendamment du moment où cet achat a lieu ?
    • Unité de compte qui permet l’enregistrement correct des prix sans subir (trop) de dépréciation monétaire (inflation e.a.)
  8. Lors d’un emprunt, la monnaie porte-t-elle un intérêt ? Est-ce une monnaie gratuite ?
  9. Est-elle efficace ? Atteint-elle une masse critique suffisante ? Suffisamment d’utilisateurs ? Des échanges suffisamment nombreux ? Couvre-t-elle un territoire, une population et un nombre de transactions suffisants pour assumer ses coûts de gestion (coûts d’émission, de maintien du système, frais de change éventuels, etc.)
  10. La proposition est-elle politiquement réaliste ? Est-elle plus ou moins réalisable dans le contexte actuel compte-tenu des enjeux des acteurs ?

Famille des monnaies émises par des institutions financières privées ou monnaies de crédit

L’euro, on continue

L’euro est une monnaie commerciale comme le dollar ou le yen qui est essentiellement émise par les banques privées dans le but de faire des profits. Il est adossé à la création de dettes souscrites par les entreprises, les particuliers et les Etats. Il s’agit donc d’une monnaie temporaire soumise aux aléas conjoncturels avec une croissance et une décroissance de la masse monétaire due à une expansion ou une contraction du crédit. Puisque tout euro émis est en fait une dette, cela signifie que l’épargne des uns n’existe que dans la mesure où d’autres ont des dettes ; le capital que les uns détiennent est égal aux dettes que d’autres supportent. Il s’agit d’une monnaie à intérêt condamnant, sauf crise économique majeure, l’économie à une croissance ininterrompue. Comme réserve de valeur, les monnaies commerciales sont soumises à d’autres facteurs d’instabilité comme les variations de cours entre monnaies[[Notamment les baisses de cours en vue de restaurer la compétitivité.

]] et l’inflation.

Du point de vue de l’efficacité, l’euro est remarquable. Il a des coûts de transaction très faibles grâce à un système de paiement européen largement informatisé. Il est quotidiennement utilisé comme monnaie dans 18 Etats par des centaines de millions de personnes.

Par contre du point de vue des politiques économique, budgétaire, fiscale et sociale, l’euro présente des lacunes. Il implique qu’il n’y ait qu’une seule politique monétaire pour 18 Etats européens membres dont la coordination des politiques économique, budgétaire, fiscale et sociale est relativement faible et dont les situations économiques sont fort disparates. Ce défaut de coordination politique est compensé par un mécanisme fixant les règles de gouvernance supranationales auxquelles chaque Etat membre doit se soumettre. Il s’agit du TSCG (Le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance). En l’absence de coordination politique, la solidarité interétatique est mesurée et les transferts financiers entre Etats limités. Comme en attestent les crises de dettes publiques qui ont affecté la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie, les tensions au sein de la zone euro sont très grandes. Ces pays, plus particulièrement, mais également tous les autres Etats européens doivent mener des politiques économiques schizophréniques. D’un côté, ils recherchent la croissance économique et désirent utiliser la politique budgétaire comme accélérateur de croissance – seule condition de survie économique – mais d’un autre côté, suite aux crises financière, économique et sociale, ils sont obligés de rétablir les finances publiques via des cures d’austérité avec le paradoxe que le désendettement souhaité contrecarre la croissance et risque d’entraîner les Etats dans la récession et la déflation.

Comme toutes les monnaies adossées à des dettes, l’euro est un facteur d’instabilité économique qui fait alterner des périodes de croissance et de récession. Par sa conception et la logique des intérêts financiers, il impose à l’économie et à la masse monétaire de croître continuellement avec les conséquences que l’on connaît en termes de pression sur l’environnement[[Sur les ressources naturelles, énergétiques, halieutiques, matières premières, sur l’espace occupé par les activités humaines, la production de gaz à effet de serre (CO2), les espèces animales et végétales, etc.

]] et sur le travail.

A contrario des éléments négatifs présentés ci-avant, il faut reconnaître que les monnaies commerciales, comme l’euro et ses ancêtres ainsi que les autres monnaies basées sur principes comparables ($, £, ¥) ont permis la croissance et le développement économique inégalé de l’humanité. Avec l’inconvénient que ces monnaies ne sont pas munies d’un frein qui leur permettrait d’arrêter la croissance et la destruction de l’environnement.

L’euro commun et les dénominations nationales de l’euro

Les risques d’implosion de la zone euro sont réels tant les tensions entre Etats membres y sont fortes. Certains politiques proposent donc d’en revenir à une monnaie nationale.

La proposition de F. Lordon[[Frédéric Lordon, « La malfaçon, Monnaie européenne et souveraineté démocratique », Editions Les liens qui libèrent, mars 2014, 287p.

]], quant à elle, consiste à conserver une monnaie commune, l’euro, et d’instaurer des dénominations nationales de cet euro (des €-Fr, des €-Lire, des €-DM, etc.) dont les parités seraient fixées. Pour le commerce international hors zone €, seul l’€ serait convertible. Les €-Fr, €-DM ne seraient donc pas convertibles en $, £, ¥ ou autres monnaies. La conversion entre euros nationaux serait possible via la Banque centrale européenne uniquement. Le cas échéant, notamment en vue de rétablir l’équilibre structurel des balances des paiements des Etats, la parité entre dénominations nationales de l’euro pourrait être revue selon un processus politique et/ou automatique[[Par exemple, une dénomination nationale serait réévaluée (dévaluée) de X% si le solde de sa balance des paiements dépasse ± Y% de son PIB. Ceci en vue de faire disparaître les soldes structurellement positifs ou négatifs. L’équilibrage constant des balances courantes vise, indirectement, à mettre en place un mécanisme de cohésion économique entre toutes les composantes de l’euro.

]] entre Etats membres entérinant la nécessité de réévaluer ou dévaluer l’une ou l’autre dénomination nationale par rapport à l’euro. Il appelle cette politique «la politique des balances courantes ».

Les avantages de la proposition est qu’elle conserve une parité fixe entre les dénominations nationales, ce qui permet de garder la sécurité des changes sans faire augmenter les coûts des transactions. Puisque le change est assuré par la Banque centrale à un taux réglementé, la spéculation monétaire n’a pas lieu d’être[[F. Lordon suggère d’ailleurs d’interdire les ventes à découvert – mécanisme par lequel une personne vend à terme quelque chose à un prix donné en espérant que le cours de cette chose diminue afin qu’elle puisse l’acheter avant qu’elle ne doive la livrer. Le vendeur achète alors la chose qu’il doit livrer à un prix inférieur à celui auquel il l’a vendue. La différence entre les deux prix constitue son bénéficie (ou sa perte). Ce mécanisme repose souvent sur le fait que pour l’initier le vendeur ne doit déposer auprès de son intermédiaire financier qu’une marge (p.e. 10 %) du montant total de la vente.

]] et la politique monétaire nationale n’est pas encombrée par la question de la défense de la parité de la monnaie nationale. Les mouvements spéculatifs de passage d’une dénomination à l’autre ne peuvent, dès lors, avoir d’effet que sur les taux d’intérêt de marché[[Compte tenu du fait que le taux d’intérêt d’un titre au rendement fixe comme une obligation est fixé en début de période, la baisse de la valeur de ce titre sur le marché secondaire suite à des ventes massives fait que mathématiquement le rendement de ce titre augmente. C’est ainsi que le taux d’intérêt du marché secondaire augmente.

]] et non sur les taux de la Banque centrale nationale. Ainsi, une politique monétaire nationale peut être restaurée en vue du pilotage de la conjoncture d’ensemble en vue de maximiser l’emploi. La proposition permet aux Etats européens candidats de rejoindre l’euro commun pour peu que certaines conditions d’harmonisation soient réunies notamment en matière de norme salariale minimale. En matière de change externe de l’euro par rapport au $, £, ¥ par exemple, F. Lordon propose une politique de change concertée entre les Etats membres qui pourraient tous, le cas échéant, relever ensemble leur taux d’intérêt nationaux en vue de défendre l’euro commun.

F. Lordon souhaite également restaurer, par voie de régulation, la réintermédiation bancaire comme mécanisme privilégié de financement de l’économie en recourant au marché interbancaire comme mécanisme de financement de second rang et à la fourniture de liquidités par la Banque centrale comme mécanisme de troisième rang. Il désire ainsi diminuer les liens qui existent aujourd’hui entre l’octroi de crédits et la fourniture de liquidités à court terme par les marchés financiers.

Il propose également de renationaliser, via la mobilisation de l’épargne résidente[[L’épargne résidente est l’épargne constituée par les résidents du territoire dans la dénomination nationale.

]], le financement des déficits publics afin de soustraire la politique publique à la pression des marchés financiers et de regagner en souveraineté. Pour assumer le coût des investissements publics, il envisage le recours à des emprunts publics sous forme de titres remboursés en rentes jusqu’au terme de l’emprunt. Le cas échéant, si le financement par l’épargne publique n’est pas suffisant, il propose de recourir au financement par la Banque centrale, proposition qui entre en conflit frontal avec la thèse actuelle qui veut que la Banque centrale ne monétise pas la dette des Etats et que seules banques privées accordent des crédits à l’Etat.

Par rapport à l’euro, nous avons ici une monnaie qui propose une renationalisation de la politique monétaire sous forme de dénominations nationales d’une monnaie commerciale dont l’objectif reste de faire des profits. Toutefois, en insistant sur la nécessité de réintermédiation bancaire via le marché interbancaire et l’appui de la Banque centrale, F. Lordon évince les marchés financiers du financement de l’économie réelle et des Etats. La politique monétaire se voit assigner un objectif de plein emploi plutôt qu’un objectif d’inflation, ce qui suppose que la politique monétaire se mette en appui de la politique économique et budgétaire. L’euro commun accompagné des dénominations nationales restent des monnaies dettes et souffrent des mêmes travers que l’euro – monnaie unique. Concernant la faisabilité de la proposition, F. Lordon admet lui-même que « ce sera donc, d’abord, le retour, sans doute légèrement agité, aux monnaies nationales, étape difficilement évitable cependant, avant de reprendre éventuellement la marche en avant »[[F. Lordon, « La malfaçon », p.215

]].

Famille des monnaies émises par les Etats

La monnaie permanente de G. Galand et A. Grandjean

La proposition de G. Galand et A. Grandjean, formulée dès 1996, consiste à octroyer le droit de battre monnaie à l’Etat. La Banque centrale génère la monnaie et la met à disposition de l’Etat sans paiement d’intérêt. L’Etat est alors chargé de la distribuer à la société. Il s’agit d’une monnaie permanente, gratuite dont la création est centralisée et dont le bénéficiaire est l’Etat. Cette monnaie est découplée des mécanismes de crédit et d’épargne mais elle ne s’oppose pas à ces mécanismes qui continuent d’exister. La limite est que seuls les dépôts peuvent faire l’objet de prêts par les institutions financières sans création monétaire. En cas de besoin, ces institutions peuvent faire appel à la Banque centrale pour trouver un complément de financement[[Il s’agit de la fonction de prêteur en dernier ressort qui permet aux banques commerciales de s’adresser à la Banque centrale pour obtenir de nouveaux moyens de paiement à un taux d’intérêt plus ou moins élevé moyennant la mise en gage de créances existantes.

]] Nous sommes donc en présence de deux circuits de création monétaire, le circuit de la monnaie permanente émise par l’Etat et le circuit de la monnaie d’endettement. La question qui se pose est alors de connaître le ratio de monnaie permanente par rapport à la masse monétaire en circulation. Les auteurs proposent un ratio de 75 à 80 % compte-tenu de la variabilité saisonnière de la masse monétaire et du fait qu’il n’est pas souhaitable que le montant de l’épargne dépasse le montant des crédits. Dans ce dernier cas, l’offre de monnaie est excessive et les tensions inflationnistes démarrent.

Dans ce scénario, l’augmentation de la masse monétaire se fait grâce à la génération de monnaie permanente, à l’initiative des autorités publiques et de monnaie d’endettement, à l’initiative des agents privés alors que la diminution de la masse monétaire se fait par un instrument d’épargne et de réserves spécifique qui prend la forme de certificats en monnaie constante (indexés sur le coût de la vie) émis par la Banque centrale à un taux d’intérêt et une fiscalité attractifs. Ces certificats de Banque centrale ne peuvent pas être utilisés dans des transactions et ne doivent servir que comme instrument de réserve. La Banque centrale devient donc le régulateur de la masse monétaire puisqu’elle dispose d’un accélérateur (générateur de monnaie) et d’un frein (instrument de réserve spécifique). La politique monétaire consiste alors, suivant le contexte, à « jouer » sur l’injection de monnaie permanente ou d’endettement émise par la Banque centrale et sur la reprise de liquidités sous forme d’emprunts.

« Voilà donc le principal avantage de la monnaie permanente, outre ses qualités de monnaie gratuite. Elle met entre les mains des autorités un outil de régulation du financement de l’économie dont la précision et la fiabilité sont infiniment supérieures à celles des outils actuellement utilisés. En particulier elle leur permet de financer une relance de l’économie là où les procédés orthodoxes sont dans l’impasse par endettement rédhibitoire des agents économiques. Qui plus est, cette maîtrise est obtenue sans manipulation des taux d’intérêt »[[G. Galand et A. Grandjean, La monnaie dévoilée, p.173

]]

Par rapport à nos critères d’évaluation, dans cette proposition, nous sommes face à une monnaie permanente gratuite émise par l’Etat. Par son pouvoir d’émission, l’Etat prend un rôle important dans la société et peut même devenir le régulateur de l’économie en favorisant certains types de dépenses par rapport à d’autres. C’est là un enjeu politique et donc démocratique essentiel qui se trouve être totalement évacué par les monnaies d’endettement où seul l’intérêt financier est pris en compte.

Cette proposition pose d’importants problèmes d’acceptabilité par le secteur financier qui verrait son pouvoir d’émission privé disparaître au profit d’un pouvoir d’émission public. Bien que la proposition ne comprenne aucune limitation en termes de liberté d’entreprise ou de limitation de l’économie de marché, on peut s’attendre à ce qu’elle soit immédiatement taxée de proposition anti-libérale, interventionniste et inflationniste (par le risque de recours à la « planche à billets »). Cette dernière critique n’est pas totalement infondée et on peut imaginer d’y répondre en mettant en place des formes de régulation de l’émission monétaire et de contrôle budgétaire. Par exemple, la vérification que le budget de fonctionnement de l’Etat est exclusivement assuré par l’impôt et que le budget d’investissement financé par l’emprunt est intégralement remboursé par l’impôt également. Sous ces contraintes, la création monétaire est nécessairement destinée à financer des actions ponctuelles, comme les investissements, et est limitée au rythme de la croissance économique. Les auteurs imaginent d’ailleurs que la Banque centrale soit mise sous le contrôle du Parlement plutôt que de rester indépendante ou de dépendre du Gouvernement.

Du point de vue de l’implantation, la proposition entraîne également une gestion délicate du timing de transformation de la dette d’Etat actuelle en monnaie permanente. En effet, sous peine de déséquilibrer gravement les marchés financiers, la seule solution possible est de transformer progressivement et partiellement les emprunts d’Etat en monnaie permanente au moment où ils arrivent à échéance.

L’Etat se désendette automatiquement au moins partiellement puisqu’il n’a plus d’intérêt à payer sur la monnaie permanente, il peut donc dégager des moyens financiers et mettre en œuvre les politiques de son choix grâce à un volant financier plus large, notamment des politiques de cohésion sociale ou de protection environnementale Par ailleurs, l’économie devrait être plus stable, connaître moins de cycles conjoncturels caractéristiques des monnaies de crédit, les taux d’intérêt devraient être relativement bas et l’inflation être relativement réduite. Ces caractéristiques, notamment les certificats en monnaie constante, amènent à penser que ce système de monnaie permanente peut offrir de belles qualités en matière de réserve de valeur.

Sur la question de la faisabilité, la modification du paradigme monétaire dans l’Europe de la monnaie unique semble très difficile tant il paraît illusoire de convaincre l’ensemble des Etats membres de la nécessite ou de la possibilité d’opérer cette transition.

L’école chartaliste ou la finance fonctionnelle

La proposition précédente rejoint l’analyse de l’école chartaliste ou néo-chartaliste[[Ou encore « tax-driven-money » ou « modern money theory »

]] représentée par les économistes L.R. Wray actuellement et A. Lerner dans les années 50. Pour eux, indépendamment de la configuration actuelle de l’émission monétaire, fondamentalement la légitimité et l’acceptabilité de la monnaie provient uniquement du fait que l’Etat l’accepte en paiement pour éteindre les dettes qui lui sont dues. L’Etat donne un nom à l’unité de compte, détermine les supports qui permettent la circulation des moyens de paiement (la forme) et accepte que la monnaie ainsi désignée permette de se libérer de ses impôts. Cette école, prônant une monnaie publique, affirme que les Etats qui émettent leur propre monnaie n’ont aucun besoin d’emprunter ou d’imposer des taxes pour financer leurs dépenses. Les taxes servent à créer la demande pour la monnaie (d’où parfois le nom de « tax-driven money associé à l’école chartaliste). Les dépenses de l’Etat font augmenter la masse monétaire puisqu’il émet de la monnaie alors que la taxation l’a fait diminuer puisque le retour de la monnaie dans le périmètre de l’Etat l’a fait disparaître. Dans un tel schéma, l’Etat n’a jamais besoin d’emprunter de la monnaie puisqu’il l’a créée et l’a détruit. Toutefois, il est mis deux contraintes à la création monétaire. Premièrement, l’Etat doit avoir un niveau de dépenses (= de création monétaire) tel qu’il ne cause pas d’inflation et qu’il garantisse le niveau d’emploi. L’émission et la destruction monétaires doivent être neutres sur le niveau des prix. L’Etat devient « l’employeur en dernier ressort » (EDR) et une de ses attributions essentielles consiste à déterminer le prix du travail dans le secteur public. Les autres prix sont déterminés librement par le marché. La valeur de la monnaie est très exactement déterminée par le la valeur d’une heure de travail EDR au tarif appliqué par le gouvernement.

Les vertus de l’EDR est qu’il est anti-cyclique. Lorsque des périodes de creux économiques apparaissent, l’Etat recrute plus de travailleurs au tarif EDR, ce qui fait augmenter le budget de l’Etat, ce qui a pour vertu de maintenir la demande, alors qu’en période de haute conjoncture, les travailleurs EDR seront tentés de travailler pour le secteur privé à un tarif moyen supérieur à l’EDR, ce qui diminue le budget de l’Etat et diminue l’émission monétaire.

L’approche chartaliste permet de déconnecter la profitabilité des entreprises de l’emploi. Cela permet de créer des emplois sans s’inquiéter de leur financement, d’avoir une politique de plein emploi tout en visant la stabilité des prix. L’outil essentiel pour obtenir ce double objectif est la fixation du prix du travail EDR.

La politique monétaire EDR n’est susceptible d’être menée que dans des Etats qui ont la souveraineté absolue sur leur monnaie. Elle est diamétralement opposée à la conception de l’euro dans laquelle l’autorité monétaire est totalement indépendante de l’autorité fiscale. Il s’agit d’une monnaie publique, gratuite, temporaire (créée par dépense/émission monétaire et réduite par taxation/destruction monétaire). Elle a un objectif social de plein emploi qui permet de déterminer le niveau général des prix. Elle pourrait également servir pour atteindre d’autres objectifs sociaux (soins aux personnes âgées, aide à la jeunesse, formation) ou environnementaux (travaux de restauration de l’environnement, transition énergétique.).

Une monnaie sociétale complémentaire à l’euro

P. Derudder et A-J. Holbecq[[Philippe Derudder et André-Jacques Holbecq, « une monnaie nationale complémentaire » pour relever les défis humains et écologiques, Editions Yves Michel, collection économie, 2010, 169p.

]] proposent, pour la France, la création d’une monnaie sociétale, l’Unité Monétaire Sociétale (U.M.S.) complémentaire à l’euro, émise par l’Etat. Cette monnaie nationale complémentaire sera : « 

  • une monnaie gratuite (elle ne peut produire d’intérêts),
  • permanente (ce n’est pas une monnaie de crédit),
  • électronique et nominative,
  • non convertible en devises étrangères
  • non spéculative,
  • à cours forcé (toute personne physique ou morale, sur le territoire national, devra accepter en paiement cette unité de compte sociétale dont la valeur faciale serait équivalente à l’euro). »[[P. Derudder et A.-J. Holbecq, “une monnaie nationale complémentaire », p.85

]]
L’émission de cette monnaie servirait exclusivement à financer des projets qui seront portés par des entreprises à mandat sociétal[[Les entreprises à mandat sociétal ne peuvent pas faire de bénéfices et, dans leurs acquisitions de produits et services, ont l’obligation de donner la préférence à des fournisseurs également organisés sous forme d’E.M.S.

]] (E.M.S.) poursuivant des objectifs sociétaux et environnementaux qui ne peuvent être atteints par des financements classiques faute de rentabilité financière et qui ne peuvent pas être financés par l’Etat faute de pouvoir encore augmenter les prélèvements ou augmenter l’endettement. L’enjeu du débat démocratique est ici de définir quels sont les projets sociétaux qui doivent être retenus et dans quelle dimension. Pour ce faire, les auteurs proposent une série de comités de validation institués démocratiquement allant du niveau communal au niveau départemental. L’organisme d’émission serait indépendant du gouvernement et agirait dans le cadre de missions définies par le parlement, lui-même instruit par les organismes départementaux. L’U.M.S. circule par le réseau bancaire actuel et les frais de fonctionnement sont pris en charge par le trésor public selon un barème fixé et versés en U.M.S. La masse monétaire d’U.M.S. est modulée en équilibre avec la valeur de la richesse réelle créée par l’activité sociétale. Si l’émission d’U.M.S. ne pose pas de problèmes particuliers, la diminution de cette masse est plus délicate à régler. Elle pourrait se faire via l’imposition d’une « contribution à l’équilibre monétaire », sorte de taxe, et l’obligation de paiement de tout ou partie des taxes en U.M.S. De manière exceptionnelle, notamment en cas de besoin de devises pour des opérations avec l’étranger, l’U.M.S. peut être converti en euros.

Une monnaie régionale

B. Lietaer et M. Kennedy[[Bernard Lietaer et Margrit Kennedy, « monnaies régionales De nouvelles voies vers une prospérité durable », Editions Charles Léopold Mayer, 2008, 242p

]] proposent la création de monnaies régionales complémentaires à l’euro. Plutôt que de présenter une formule monétaire toute faite, ils se positionnent comme des architectes, des designers monétaires ou des chefs de projets capables de « formater » une monnaie en fonction des désirs des clients en s’inspirant d’expériences diverses menées dans le monde entier.

En se référant aux projets allemands (Chiemgauer), suisses (WIR), français (SOL) et autres, ils soulignent l’importance de définir une stratégie impliquant la définition explicite des objectifs que la monnaie poursuit en termes de jonction entre un besoin non-satisfait en euros et une ressource locale sous-utilisée. Les objectifs peuvent être très différents d’une monnaie à l’autre : autonomie de l’économie régionale par rapport à l’économie globalisée, création d’un système de financement et d’échange durable indépendant de l’instabilité financière globale, fourniture de liquidités aux PME en favorisant le développement de produits régionaux, réduction du chômage, renforcement des circuits courts, renforcement de l’identité régionale, etc. Dans la stratégie, ils distinguent trois composantes :

  • «  Un système de bons, achetables en euros, assurant la fonction de paiement ;
  • Un cercle de coopération, c’est-à-dire un système de compensation permettant l’échange de biens et des services sans nécessité de faire intervenir l’argent officiel ;
  • Une banque régionale coopérative qui permet de constituer une épargne et de fournir du crédit »[[Bernard Lietaer et Margrit Kennedy, « monnaies régionales », p.111

]].
Les bons servent de monnaie fiduciaire, échangeables contre de euros moyennant la rétention de frais pour financer le fonctionnement du système[[Comme par exemple les chiemgauers en Allemagne

]]. Dans le cercle de coopération[[A l’image du cercle de coopération WIR en Suisse qui fonctionne entre des entreprises affiliées

]], les paiements sont remplacés par des inscriptions de mouvements de débits et de crédits en compte. Il n’est donc pas nécessaire de débuter le système en y injectant des euros. Le cercle de coopération permet de s’accorder des crédits mutuels, favorise les trocs et offre un système de compensation

Sur base des expériences menées en Allemagne, ils distinguent huit critères de réussite[[Bernard Lietaer et Margrit Kennedy, « monnaies régionales », p.p. 108 – 109

]] :

  • « Le système doit être gagnant-gagnant pour tous les participants.
  • Il doit être organisé en vue du bien commun.
  • Il doit faire l’objet d’une mise en œuvre professionnelle.
  • La transparence des comptes et des mécanismes en jeu vis-à-vis des utilisateurs doit être totale.
  • Un contrôle démocratique doit pouvoir être exercé par les utilisateurs.
  • Le système doit pouvoir bénéficier d’un financement ou d’une stratégie financière durable.
  • La circulation doit être garantie.
  • Il sera animé d’une volonté de collaboration avec les autres projets Regio »[[Les projets Regio couvrent les projets de monnaie complémentaire dans les pays germanophone (Allemagne, Autriche, Suisse)

]].
Ils ajoutent qu’il est souhaitable d’éviter de demander des intérêts sur les emprunts effectués dans ces monnaies.

Ils complètent l’approche stratégique en soulignant l’importance de la méthodologie de lancement de la monnaie complémentaire, soit par le haut, avec le support des autorités, soit par le bas, par la voie des utilisateurs, soit par une approche mixte. Ils soulignent également l’importance de l’équipe en charge de l’introduction de cette monnaie. Elle doit être créative et pragmatique, pleine d’idéalisme mais également être forte sur les plans organisationnel, informatique, juridique et bancaire et bénéficier des financements et autofinancements ad hoc.

Famille des monnaies émises par les personnes

Le WIR

Le WIR (Wirtschaftring) est une organisation coopérative de crédit mutuel suisse dans laquelle des petites et moyennes entreprises ayant des relations de confiance entre elles s’accordent des crédits mutuels en monnaie « WIR » pour faire des achats auprès des membres de l’organisation. Les paiements sont réalisés au moins, en partie en « WIR ». Pour devenir membre, les candidats doivent déposer des garanties financières. Il s’agit généralement d’une hypothèque sur un bien immobilier. Cette hypothèque sert de garantie pour les crédits et crédibilise chaque membre au sein du réseau. Le WIR est inconvertible en francs suisses. Les crédits en WIR ne portent pas intérêt mais les sommes empruntées doivent être exclusivement dépensées auprès des membres de la coopérative.

Si l’on se réfère à notre grille d’analyse, le WIR est une monnaie gratuite émise par un cercle d’utilisateurs dans le but de favoriser leurs affaires en s’octroyant des crédits mutuellement. Le WIR est non convertible mais est adossé à des garanties hypothécaires. Sa fonction monétaire est strictement limitée au moyen de paiement, ce n’est pas une réserve de valeur. Le WIR a démontré son efficacité dans la mesure où il existe depuis les années 1930 et est utilisé par environ 60.000 membres. Toutefois, on note que son utilisation est plus forte dans les périodes de crise que dans les périodes de haute conjoncture. A ce titre, il a un effet contracyclique.

Les Systèmes d’échanges Locaux (SEL)

Il existe des milliers d’expériences de systèmes d’échanges locaux. Ils visent à favoriser les échanges de biens et services sur un plan local entre particuliers et commerçants par l’émission d’une monnaie locale, émise généralement contre remise de monnaie officielle (des € par exemple). Cette monnaie locale peut prendre la forme de billets ou être une monnaie scripturale enregistrée auprès d’une institution locale. Certains SEL, organisé autour d’une chambre de compensation, admettent que certains utilisateurs soient dans une situation débitrice alors que d’autres sont dans une situation créditrice. La somme des débits égalise la somme des crédits et par solde, le montant des SEL émis vaut zéro. A charge pour les débiteurs de se remettre dans une situation d’équilibre dans un certain délai.

Les banques de temps

Dans les banques de temps, c’est l’heure prestée qui est l’unité monétaire. Les adhérents à une banque de temps s’échangent des heures de travail sans recourir à un équivalent monétaire. En fonction des heures prestées ou reçues en prestations, les comptes sont débités ou crédités des heures prestées. Généralement, les adhérents bénéficient d’un service d’échange d’informations qui permet de mettre en relation l’offre et la demande de biens et services. Les banques du temps fonctionnent essentiellement pour des services de proximité, services ménagers, jardinage, aide à domicile, devoirs des enfants, baby-sitting, bricolage.

Eléments d’évaluation

Dans un article de novembre 2014[Wojtek Kalinowski, « L’impact socio-économique des monnaies locales et complémentaires », Institut Veblen pour les réformes économiques, [www.veblen-institute.org, 14p.

]], Wojtek Kalinowski, fait une évaluation de l’impact socio-économique des monnaies locales et complémentaires basé sur un large panorama européen, américain, asiatique et d’Afrique du Nord. Il constate que les projets demeurent fragiles. Ils sont confrontés à un contexte hostile au principe de pluralité monétaire, ils portent sur une sphère d’échanges étroite qui gagnerait à s’élargir afin de recruter plus d’utilisateurs. Pourtant il est des expériences qui fonctionnent bien et d’autant mieux qu’elles s’inscrivent dans un contexte particulier, comme une forte identité locale (Pays basque) qui favorise les conditions d’émergence d’une économie locale ou dans une situation économique contraire (Grèce, Espagne, Suisse)[[Une étude a démontré que les échanges en WIR, en Suisse, augmentent lorsque l’économie entre en récession. Apparemment, les entreprises qui sont membres du cercle WIR acceptent plus volontiers de travailler sur cette base d’échange lorsque la crise est là alors qu’elles préfèrent le franc suisse en temps normal. L’utilisation du WIR aurait donc un effet anticyclique sur l’économie suisse.

]] qui incite à l’utilisation de solutions alternatives. Dans tous les cas, afin de garantir la pérennité de la monnaie, il faut qu’elle atteigne rapidement une masse critique suffisante. Il conclut en disant « Il est des obstacles institutionnels que seuls les institutions pourront lever. En l’occurrence, le seuil institutionnel décisif qu’il conviendrait de franchir réside au niveau des collectivités territoriales et de leur capacité de mettre en circulation une monnaie locale gagée sur leurs recettes fiscales futures, en actionnant deux leviers à la fois : d’une part, en injectant la monnaie complémentaire par la voie des paiements d’une fraction des salaires des fonctionnaires, des allocations et des commandes publiques en monnaies locales ; d’autre part, en assurant la demande en monnaie en offrant aux habitants et aux entreprises la possibilité de s’acquitter d’une partie de l’impôt local en monnaie locale ».[[Wojtek Kalinowski, « L’impact socio-économique des monnaies locales et complémentaires », p.14.

]]

La résilience monétaire à travers la pluralité et l’écologie des monnaies

Lorsqu’on examine les propositions monétaires, on se rend compte que toutes les solutions ne s’excluent pas mutuellement et qu’elles apparaissent même parfois comme complémentaires les unes par rapport aux autres. La monnaie privée n’exclut pas la coexistence avec une monnaie publique. Une même monnaie pourrait être émise, en partie par le secteur privé et, en partie, par le secteur public. A ce stade de notre analyse, on peut même dire que c’est bien la monoculture monétaire commerciale privée condamnée à la croissance économique ininterrompue qui représente un danger pour nos conditions de vie et pour notre environnement. La pluralité monétaire, avec une monnaie publique, apparaît par contre comme une piste de solution prometteuse pour le financement d’une économie durable, des services publics, des services sociaux et de l’amélioration de l’environnement.

Déjà en 1944, l’économiste J.M. Keynes était arrivé à la conclusion que la pluralité monétaire s’imposait. Il avait proposé la création d’une monnaie de réserve internationale, le Bancor, en complément des monnaies nationales. Dans sa proposition, toutes les devises devaient pouvoir être échangées sur base d’un cours fixe, révisable annuellement, en Bancors. Son objectif était de favoriser le rééquilibrage des balances des paiements entre les différents Etats[[On notera la proximité de vue de cette proposition par rapport à celle de F. Lordon sur les dénominations nationales de l’euro liées entre elles par un taux de change fixe révisable en fonction de l’état de la balance des paiements entre les membres de l’union monétaire.

]].

Plus récemment, en 1999, Richard Douthwaite, dans son livre « The Ecology of money » propose lui une pluralité monétaire basée une monnaie de réserve internationale, des monnaies nationales, régionales et locales. Pour lui, la monnaie de réserve internationale doit être adossée à la ressource la plus rare sur la planète, à savoir l’énergie et plus particulièrement sur des droits d’émission de CO2. Ces droits d’émission, initialement répartis entre les Etats sur base de leur population respective, peuvent servir de monnaie d’échange puisque certains voudront émettre plus de CO2 que leur quota alloué alors que d’autres en émettront moins. Il devient alors possible de s’échanger des quotas de CO2 et d’ainsi financer le développement économique de certains pays tout en limitant la consommation excessive d’autres. A côté de la monnaie internationale, il propose que les Etats, régions et collectivités locales mettent sur pieds des monnaies propres libres d’intérêt favorisant le développement des services collectifs et la restauration de l’environnement.

En guise de conclusion et d’ouverture vers la démocratie monétaire.

La monnaie est un enjeu politique fondamental parce qu’elle est un élément qui structure la société, qui en régit le fonctionnement et les rapports de domination. C’est un enjeu de puissance politique mondiale ($ US) ou un enjeu de politique continentale (euro). La maîtrise des techniques financières constituent un enjeu majeur du développement économique. On a vu que le développement des techniques de crédit a permis l’émergence de la révolution industrielle et du capitalisme.

Nous vivons une ère de l’émission monétaire privée adossée à des dettes entraînant la création d’une monnaie temporaire dont la charge des intérêts nous entraîne à travers une obligation de croissance continue, à l’épuisement des ressources naturelles et à la poursuite de cycles économiques de croissance et de récession.

Les Etats et les autorités publiques sont couverts de dettes. Elles ne pourront jamais être remboursées et, on a vu que dans un régime de monnaie temporaire, il serait catastrophique que ce remboursement ait lieu. Sauf à admettre que par la contraction de la masse monétaire subséquente, l’activité économique ralentisse fortement avec toutes les conséquences sociales que cela entraîne.

On a vu par ailleurs que la monnaie-dette est incapable de financer les activités non rentables financièrement, les activités sociales et culturelles ou les activités de restauration de l’environnement pourtant hautement souhaitables

Nous avons affirmé que la monnaie est un contrat social, qu’elle est un bien commun. Cela a mis en évidence la contradiction qu’il y a à confier l’émission du bien commun à des entreprises privées pour un usage public[[Cette contradiction « bien commun – émission privée – utilisation publique» n’existe pas pour une monnaie comme le WIR qui est émis par une communauté d’entreprises au profit exclusif de ses membres. Le WIR a une configuration cohérente. Soit que l’on considère le WIR comme un bien privé, il se caractérise alors par le schéma « bien privé – émission privée – utilisation privée » ou si l’on considère qu’il s’agit d’un bien commun à une communauté, le schéma est « bien commun d’une communauté – émission commune – utilisation au sein de la communauté

]]. A partir de là, on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de rendre, totalement ou partiellement, le pouvoir d’émission de la monnaie aux autorités publiques. Nous avons d’ailleurs vu qu’il existe de multiples propositions telles que la « renationalisation » de l’euro, la monnaie permanente, la proposition chartaliste associée à sa proposition d’employeur de dernier ressort, l’émission de monnaies complémentaires de différentes natures. Ces propositions qui visent à mettre en circulation des monnaies publiques servant exclusivement de moyen d’échange (et non de réserve de valeur) rejettent la logique de l’intérêt et sont donc exemptes des défauts associés à la monnaie privée. Ces « monnaies sans intérêt » permettent d’alléger ou de supprimer totalement le fardeau de la dette qui pèse sur les Etats et les collectivités et permettent de financer les politiques sociales, d’emploi et environnementales souhaitées. Par ailleurs, elles n’empêchent pas le fonctionnement normal du secteur financier qui peut toujours financer les projets poursuivant une finalité commerciale.

D’ailleurs, d’un point de vue moral, s’il apparaît peu critiquable qu’un financier prélève un intérêt sur le financement d’un projet à vocation commerciale, ce même prélèvement sur le financement d’un investissement public apparaît peu justifiable. Quel est le droit moral qui autorise une personne privée à exiger qu’un intérêt lui soit accordé sur la construction d’un hôpital, d’une maison de retraite ou d’une école ? L’intérêt prélevé sur un investissement public n’est-il pas une forme de taxe prélevée par une personne privée sur le bien commun ? N’est-ce pas le monde à l’envers ? Il me semble que la morale et la prise en compte du bien commun plaident pour la restauration d’un droit d’émission public de la monnaie.

Enfin, nous avons vu également qu’il existe de nombreuses initiatives visant la création de monnaies locales et citoyennes (SEL, banque de temps) et sectorielles (WIR) visant à favoriser les échanges locaux ou les échanges entre membres du cercle monétaire Dans un contexte de monoculture monétaire et en l’absence de soutien institutionnel, ces initiatives restent fragiles et reposent trop souvent sur le bénévolat de leurs promoteurs. Pourtant, nous avons vu qu’il n’est pas insensé de penser la résilience et la stabilité monétaire comme un système écologique dans lequel la pluralité monétaire exprime la poursuite d’objectifs différents par des émetteurs différents. Ainsi, on pourrait concevoir une articulation entre une monnaie de réserve internationale, des monnaies nationales, des monnaies régionales et locales au sein desquelles, il y aurait des monnaies servant exclusivement aux échanges, non porteuses d’intérêts donc, et d’autres servant de réserves de valeur, porteuses d’intérêt.

Les enjeux monétaires sont trop importants pour qu’ils ne soient pas saisis, c’est un enjeu démocratique trop souvent masqué et pourtant d’une importance capitale. Dis-moi quelle monnaie tu utilises et je te dirai dans quelle société tu vis.


Bibliographie

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Christian Arnsperger, « Monnaie, dette et croissance sans prospérité : portée et limites du « tournant » Jacksonnien » in « Autour de Tim Jackson, inventer la prospérité sans croissance ? », Etopia Revue d’écologie politique N°8, Les éditions namuroises, décembre 2010, pp. 109-116.

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