1. Introduction
Les débats récents sur les interventions militaires en Libye et en Syrie ont profondément divisés les mouvements pacifistes et non-violents. Le soutien au recours à la force contre les troupes de Kadhafi, en 2011, pour protéger les populations de Benghazi face aux massacres annoncés a mis en pleine lumière une question jusque là restée lancinante : certaines guerres sont-elles légitimes ? Ce débat a également été soulevé au sein des partis verts, aussi bien en Europe qu’en Belgique.
Se réclamant d’un pacifisme historique, de nombreux écologistes ont souligné les dangers des interventions militaires, et le peu de résultats positifs que celles-ci amènent. Invoquant aussi bien les lacunes du droit international que les agendas cachés des puissances intervenantes (le contrôle des ressources, la Françafrique, l’impérialisme de l’OTAN, etc.), ce courant pacifiste s’incarne autour d’une idée à la fois simple et forte : « guerre à la guerre ! ». En face, un autre courant fait part de ses réflexions, articulées autour de la défense des droits de l’Homme et des populations menacées, mettant en avant la responsabilité de protéger face aux risques de génocides ou massacres à grande échelle. Avançant chacun ses fondements moraux, pacifistes et défenseurs des droits de l’Homme se déchirent depuis l’intervention libyenne, laissant une plaie profonde à vif.
L’indécision qui caractérise le dossier syrien est révélatrice de ce désarroi. À l’inverse de la Libye, qui vit le recours à la force l’emporter, le blocage international s’est ici imposé. La complexité des enjeux, les zones d’influences beaucoup plus marquées qu’en Libye, les tensions communautaires et religieuses et le précédent libyen expliquent, en partie, ce refus d’intervenir. Mais, au-delà d’une attitude, parfois paradoxale[[Les livraisons d’armes vers les rebelles laïcs syriens sont ainsi farouchement condamnées tandis que les livraisons, légales cette fois-ci, vers des pays soutenant les mouvements fondamentalistes, comme l’Arabie Saoudite et le Qatar, font l’objet de peu de débats.
]], vis-à-vis de la question syrienne, c’est toute une réflexion concernant le recours à la force, ses conditionnalités et sa légitimité qui aujourd’hui traversent le mouvement progressiste.
Face à ce flou et à ce malaise concernant la doctrine du recours à la force au sein des partis verts a émergé l’idée d’une analyse historique et prospectiviste sur les relations entre les mouvements écologistes et la guerre, en tant que tel. Comment, depuis leurs fondations, les partis écologistes se sont-ils positionnés sur les questions d’interventions militaires et de recours à la force ? Les racines sont-elles pacifistes, comme une certaine tradition semble l’affirmer, ou les origines sont-elles plus complexes ? De même, comment, face à d’autres épisodes marquants comme l’intervention au Kosovo et en Irak en 2003, ces mêmes partis se sont-ils positionnés ? Enfin, comment avancer sur de possibles balises permettant aux partis verts à prendre position dans les conflits de demain, voire à les anticiper ? Ce sont ces différentes questions que la présente analyse va tenter d’aborder.
2. Des guerres au XXIème siècle : le reflet d’un monde instable ?
2.1. Les guerres au XXIème siècle
Les guerres, les conflits, les luttes armées. On ne compte plus, depuis le début de l’ère moderne et du modèle issu du Traité de Westphalie[[Du Traité de Westphalie de 1648, qui vit l’émergence de l’idée des États-nations et des luttes armées les opposants les uns les autres, suivant leurs intérêts stratégiques.
]] le nombre de conflits qui ont opposé les nations entre elles ou les peuples entre eux. Que ce soit de Hobbes[[Thomas Hobbes, Léviathan, Gallimard, 2000, coll. Folio, 6e édition 2009.
]] à Aron[[Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 8e édition, 2004.
]], en passant par Schmitt[[Carl Schmitt, La notion de politique, Paris, Calmann-Lévy, 1972.
]], l’exercice de la puissance et de la violence a été abondement argumenté et débattu. De même est apparu, en face, un courant cherchant à encadrer le recours à la force, voire à mettre en avant l’idée d’une coexistence pacifique des États et des peuples. Que ce soit via Montesquieu[[Montesquieu, De l’esprit des lois, Paris, Garnier Frères, 1961.
]], Kant[[Immanuel Kant, Vers la paix perpétuelle, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1991.
]] et l’émergence du courant pacifiste de la fin du XIXème siècle, nombreux furent ceux qui s’opposèrent à la Guerre en tant que telle, symbole, pour eux, du recul des civilisations.
Depuis les attentats du 11 septembre, la question de la philosophie de la guerre et des modalités du recours à la force font l’objet de débats intenses. Les conflits, de moins en moins interétatiques, présentent de nombreuses caractéristiques nouvelles, rendant inopérantes les approches conceptuelles classiques. Issues le plus souvent d’une déconstruction de l’État causés par des facteurs socio-économiques, ces nouvelles guerres trouvent leurs principales caractéristiques dans la privatisation de la violence, ainsi que dans des violations graves des droits humains[[Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « L’éthique de la guerre », in Éthique des relations internationales, Paris, PUF, 2013, p. 157.
]]. Les civils sont ainsi les principales victimes des conflits contemporains, étant directement et indirectement visés par les luttes armées : enfants soldats, recours aux viols systématiques, épurations et déplacements de populations deviennent des armes utilisées par des belligérants dont nombre d’entre eux ne portent quasiment plus aucun uniforme. La distinction entre civils et combattants, principe de base du droit international humanitaire, n’en est rendue qu’encore plus floue, perturbant les mécanismes de pacification des conflits. L’usage lui-même du mot « guerre » a évolué, pour tomber en désuétude et se voir préférer celui d’ « intervention ». Censé être plus positif, ce terme ne désigne plus la destruction de l’ennemi mais le sauvetage des populations menacées.
2.2. La Belgique et les interventions armées.
Au sein de ce nouveau cadre conceptuel, la politique de défense belge se limite, aujourd’hui, à un manque de vision quant à son avenir et à son déploiement. Alors que jamais depuis la Seconde Guerre Mondiale, la Belgique n’a autant été engagée sur des théâtres d’opérations extérieurs, les réductions des moyens budgétaires deviennent constantes et pèsent lourd sur les capacités de déploiement. En effet, alors que dans son accord gouvernement, le gouvernement de Charles Michel déclarait tenir « à une armée déployable, efficace, rationalisée, moderne, bien entraînée et jeune », les économies que le gouvernement Michel 1er imposera à la Défense ne représentent pas moins d’1,5 milliard d’euros en cinq ans, dont plus de 200 millions dès 2015, sur un budget annuel de 2,7 milliards d’€[[Hors coût des pensions.
]]. Au final, la Belgique, qui ne consacrait en 2013 que 0,66% de son PIB à la Défense devrait tomber à un peu mois de 0,5% en fin de législature, alors que l’Otan préconise toujours 2% comme objectif à atteindre d’ici dix ans. Si, d’un point de vue écologiste, cette situation peut apparaître comme positive, elle soulève cependant plusieurs questions sur l’affectation des moyens, et les objectifs à long terme poursuivis par la Défense.
Cette situation budgétaire est le reflet du relatif désintérêt porté, en Belgique, à la chose militaire et à son moyen d’expression en tant qu’instrument de puissance. Déjà, la Belgique n’a pas une grande tradition de réflexion stratégique. La Défense n’a encore jamais fait l’objet d’un large débat de société. Cette situation peut s’expliquer par le fait que la société belge se caractérise par un idéal neutraliste profondément ancré[[Renaud Flamant, La valeur de la défense belge, La Défense, Bruxelles, 2014, p. 3.
]]. Ensuite, dilué dans l’OTAN et dans l’embryon de politique militaire européenne, la défense belge n’est plus perçue comme autonome et comme représentant un outil permettant au pays d’exister sur la scène internationale. Tout au plus, l’armée belge est aujourd’hui perçue comme accessoire aux interventions internationales et évoluant sans plus aucune ambition. Ce postulat finit par être problématique, les interventions se succédant ainsi à un rythme effréné, sans plus aucune réflexion de fond. En effet, depuis 2001 et les attentats du 11 septembre, une nouvelle période d’instabilité internationale s’est ouverte, caractérisée par un reformatage des conceptions d’ingérence, de recours à la force et de guerre juste. C’est cette absence de réflexion de fond sur les interventions belges qui, aujourd’hui pose question. L’émergence d’une nouvelle conception du rôle militaire belge, et surtout de la manière dont les interventions de son armée sont envisagée, représente donc un nouveau cap à atteindre, cap qui ne peut être négligé par les écologistes.
Comment évoluer face à ces problématiques ? Il convient, dans un premier temps, de revenir sur les attitudes prises par Ecolo, depuis ses origines, par rapport à la guerre. Pour ce faire, trois périodes sont à distinguer : celle de la Guerre Froide et de la lutte des blocs jusqu’en 1991 avec la disparition de l’URSS, celle de la Pax Americana de 1992 à 1999 suivie de la période couvrant l’intervention en Afghanistan en 2001 jusqu’à l’intervention contre Daesh, en 2014.
3. Les Verts et la guerre : La Guerre Froide et le pacifisme antinucléaire.
Commençons par un retour aux origines du parti. Les années 80 et la fin de la Guerre Froide correspondent à la première décennie d’Ecolo. Dès le début, le parti a inscrit sa conception des relations internationales dans la promotion du dialogue, du soutien aux pays en voie de développement et de la désescalade dans la course aux armements. Ainsi, dès 1983, les écologistes francophones demandent la dissolution simultanée de l’OTAN et du Pacte de Varsovie[[Ecolo Infos, septembre 1983, numéro spécial.
]]. Cette conception est la plus logique : opposant historique au nucléaire civil et à ses dangers, les écologistes s’engagent contre la promotion du nucléaire militaire, qui représente, à leurs yeux, le moyen le plus certain d’avancer vers la disparition de l’humanité. C’est dès lors via cette question de la lutte contre le nucléaire militaire que les verts font leur premier pas sur les enjeux internationaux.
Le moment le plus emblématique de la mobilisation d’Ecolo est lié à la crise des euromissiles. Entre 1979 et 1984, les manifestations nationales contre la présence, sur le sol belge, de missiles américains représentent un moment de grande mobilisation pacifiste. Dès le début, les partis écologistes s’engagent dans l’opposition à l’installation de ces missiles sur la base militaire de Florennes. Cette lutte s’incarne dans un premier temps par une présence dans les manifestations puis par une activité législative souhaitant que la décision liée à la présence d’euromissiles fasse l’objet d’une loi, et non d’un arrêté gouvernemental[[Benoit Lechat, Ecolo, la démocratie comme projet, Namur, Etopia, 2014, p. 249.
]]. La mobilisation s’incarne également à travers une consultation locale, tenue à Florennes, permettant à la population concernée d’être entendue sur cette question[[Le projet étant d’installer 48 missiles Cruise sur la base militaire de Florennes.
]]. Le mouvement finit cependant par s’essouffler et voit le gouvernement finalement soutenir l’installation des missiles américains[[http://www.grip.be/sites/grip.org/files/DOSSIERS_NOTES_ET_DOCUMENTS/ND-070.pdf.
]].
La position d’Ecolo sur les questions de défense reste toutefois claire. En 1987, Jacky Morael résume ainsi les choses : au retrait de la Belgique de l’OTAN et au retrait des missiles américains, des troupes belges en Allemagne et des troupes étrangères présentes en Belgique s’ajoute le refus du transit d’armes étrangères en Belgique[[Thierry Evens, « Questions à Jacky Morael, Secrétaire fédéral d’Ecolo », in La Libre Belgique, 2 décembre 1987, p. 36.
]]. Ce pacifisme antinucléaire radical constitue donc l’ossature des revendications des verts, qui considèrent dans leur grande majorité que la course aux armements et la lutte des blocs représentent la première menace à un système international pacifié. Cependant, le parti ne s’engage dans les questions internationales que par ces seules réflexions : la question des interventions militaires ne se pose guère, la Belgique, durant la décennie des années quatre-vingt, n’intervenant pas en-dehors du théâtre européen.
L’arrivée au pouvoir de Gorbatchev et les accords de désarmement globaux, suivit de l’effondrement du bloc soviétique, amèneront une transformation de la perception écologiste des conflits et de leurs risques. L’horizon dans lequel les mouvements verts décideront de s’inscrire entre alors dans une critique de la mondialisation néolibérale et de la valorisation des liens Nord-Sud. Le discours lié à la promotion des droits de l’Homme et au respect du droit international prend le dessus. Une tension se développe cependant entre les tenants d’un pacifisme anti-impérialiste, s’opposant aux opérations menées par l’OTAN en général et les États-Unis en particulier, et un courant s’inscrivant dans les interventions humanitaires encadrées par le respect du droit international et des résolutions de l’ONU.
4. Le tournant des années 90
En 1990-1991, la Guerre du Golfe force les partis écologistes à prendre, pour la première fois, une position officielle face à une intervention de forces belges à l’étranger[[Et surtout sur un théâtre d’opérations inconnu : le Moyen-Orient.
]]. L’invasion du Koweït par les troupes de Saddam Hussein en 1990 déclenche une réaction qui amène la mise sur pied, sous l’égide des États-Unis, d’une coalition internationale destinée à chasser les forces irakiennes du pays occupé. Parti candidat au pouvoir depuis 1986 et l’assemblée de Neufchâteau-Virton, Ecolo se voit confronté à une situation le forçant à se positionner sur une situation inédite jusque là : le recours à la force.. Secrétaire-fédéral à l’époque, Marcel Cheron précise ainsi la position du parti : « Le caractère répugnant du régime de Saddam Hussein ne fait aucun doute. C’est probablement ce qui explique qu’une partie de l’opinion publique occidentale accepte, apparemment, sa destruction militaire […] Quant à nous, il nous appartient de dire avec fermeté, aux dirigeants américains, que la force n’est pas une méthode de gouvernement[[Marcel Cheron, « Golfe Persique, la force ne résout rien », in Ecolo Info, n° 1, février 1991, p. 3.
]] ». La logique qui tend à s’installer voit donc émerger une réflexion au sein de laquelle l’opposition à la guerre n’est guère un dogme, mais où le principe de non-violence est à promouvoir.
L’idée qui s’installe petit à petit est celle du respect du droit international et de l’utilisation de la force en ultime recours. La guerre connaît donc une classification sous-entendue, dans laquelle le recours à l’arme nucléaire doit être rendu impossible à tout prix, mais où le recours aux armes traditionnelles peut se concevoir sous certaines conditions, toutefois très encadrées. La défense des droits de l’Homme devient ainsi une priorité. Cette ligne est ainsi défendue par Jacky Morael, qui soutient l’intervention militaire belge en Somalie, afin de protéger les populations[[Jean-Paul Duchateau, Francis Van de Woestyne, Intolérance, démagogie. Entretien avec Jacky Morael, Bruxelles, La Libre Belgique, 7 décembre 1992.
]].
L’intervention de l’OTAN au Kosovo marque une étape importante dans l’émergence de cette doctrine fondée autour d’un recours à la force uniquement dans un cadre onusien.
Considérée, par les Serbes, comme le berceau de leur culture mais habitée en majorité par des albanophones, le Kosovo connaît, à partir de 1996, une série de tensions finissant par déboucher sur une lutte armée. Confrontée à des allégations de massacres et à la multiplication des violences intercommunautaires, la communauté internationale tente, dans un premier temps, de trouver une solution négociée au conflit en cours. L’échec des négociations menées à Rambouillet et les menaces d’une catastrophe humanitaire enterrent cependant les perspectives de paix. La détérioration de la situation pousse alors l’OTAN à intervenir en effectuant une campagne aérienne de bombardement appelée Opération Allied Force, destinée à ramener la Serbie à la table des négociations. Qualifiée de « guerre illégale mais légitime » par la Secrétaire d’État étasunienne, Madeleine Albright, car mené en-dehors du cadre de l’ONU, le conflit de l’OTAN aura symbolisé, à l’intérieur de nombreux cercles, l’impérialisme américain triomphant. Le malaise fut non seulement perceptible au sein du Gouvernement belge, mais également au sein des forces armées belges, qui reviennent peu sur l’intervention. Pour Ecolo, la position fut beaucoup plus claire, et ce très rapidement. En effet, dès septembre 1998, le parti s’inscrit contre toute intervention militaire au Kosovo, tout en exigeant « que Belgrade instaure un cessez-le-feu immédiat, retire ses forces spéciales de la province, assure le retour des réfugiés dans des conditions de sécurité et s’engage dans un processus de dialogue pacifique avec la population albanaise du Kosovo ». Le parti dénonce ainsi la mainmise de l’OTAN et des États-Unis sur le règlement des conflits, en soulignant la nécessité d’accélérer la mise sur pied d’une réelle politique européenne de sécurité et de défense (PESD) au sein des institutions de l’Union européenne. Ainsi, pour Ecolo, cette PESD se devait d’être responsable devant le Parlement européen, comprenant une capacité opérationnelle d’intervention autonome pour des missions de paix sur le continent européen. Ce qui émerge, en plus de l’opposition au recours à la force hors d’un cadre onusien, c’est l’idée non seulement que la puissance militaire européenne doit se dégager de toute influence des États-Unis, mais également que la responsabilité des interventions, et de la décision des interventions, ne peut se faire que dans les seules mains des élus, et ce de manière libre et transparente.
5. Les années 2000 et les défis interventionnistes
Alors que les années 90 auront vu se succéder de nombreuses interventions au nom de la défense des droits de l’Homme, les années 2000 représenteront le tournant de l’ingérence et des guerres préventives. À partir des attentats du 11 septembre 2001, le monde entre dans un nouveau chapitre des relations internationales. Pour Ecolo, les conséquences des attentats et les interventions en Afghanistan et en Irak révéleront la fracture entre défense des droits de l’Homme et défense du pacifisme. Dans un premier temps, le manichéisme des années Bush placeront les écologistes du côté de la défense du droit. C’est ainsi qu’en octobre 2001, Ecolo, membre pour la première fois de son histoire d’une majorité gouvernementale fédérale, critiqua l’intervention américaine en Afghanistan tout en ne s’opposant pas à la participation belge aux opérations de l’OTAN, contre le régime des talibans. De nombreux débats eurent lieu en septembre et octobre 2001, sur la situation internationale et l’attitude à adopter. Une motion du conseil de fédération du 21 septembre reconnu la demande de solidarité internationale des USA face aux attaques du 11 septembre, tout en affirmant que « cette démonstration de solidarité n’équivaut pas à un chèque en blanc : si elle ne suffit pas à prémunir d’une éventuelle riposte américaine inappropriée, elle ne nous empêchera pas de la critiquer au cas où elle se produirait[[Motion sur l’application de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, Conseil de fédération d’Ecolo du 21/092001, Ecolo, Namur, 2001.
]] ». La position d’Ecolo s’est ensuite basée sur le strict respect du droit international, refusant toute opération militaire en-dehors du cadre de l’ONU[[Riposte aux attaques terroristes du 11 septembre : pas d’impunité, mais pas de vengeance, Ecolo, Bruxelles, 07/10/2001.
]]. De plus, le parti tint à déclarer qu’il ne serait pas solidaire d’une riposte américaine qui dépasserait les objectifs de justice qu’elle s’était assignée[[Riposte américaine : ECOLO inquiet du danger de dérapage, Ecolo, Bruxelles, 11/10/2001.
]]. Ces positions aboutirent, le 27 octobre, à une résolution du Conseil de Fédération qui finit par constater l’inadéquation des actions militaires en Afghanistan. Ce n’est pas tant la lutte contre le terrorisme qui amena cette prise de position, au contraire : pour les écologistes, lutter contre les « moyens dont disposent les terroristes et [les] causes qui le[s] nourrissent » est un objectif à poursuivre. Ce qui entraîna cette position critique fut l’absence d’un programme d’opérations de police internationale, ciblées et limitées, liées à la protection des populations et à la justice internationale[[Résolution du Conseil de Fédération concernant la guerre en Afghanistan, Ecolo, Namur, 27 octobre 2001.
]].
Cette position fut considérée comme ambiguë tant par les soutiens à une intervention occidentale que part ses opposants. Dans une carte blanche, le professeur André Dumoulin condamna ce soutien tacite aux mouvements terroristes tandis que les milieux pacifistes et d’extrême-gauche reprochèrent à Ecolo son manque de fermeté dans son opposition à la guerre. Face à ces critiques, plusieurs élus du parti écrivirent alors une réponse au Soir, dans laquelle ils insistèrent sur cette position, selon eux, claire et non alignée : « en cas de conflit déclaré, la priorité devient le rétablissement de la paix, au besoin par la force » mais « le volet non militaire de la lutte contre le terrorisme doit primer, sous peine de se priver d’en éradiquer les causes profondes qui, sans le justifier, contribuent à l’expliquer[[Brigitte Ernst, Josy Dubié, Pierre Jonckheer, Claudine Drion, Philippe Lamberts, « Carte blanche Ecolo: pour une approche globale de la lutte contre le terrorisme », in Le Soir, Bruxelles, 30 octobre 2001, p. 13.
]] ». Cette position du « ni-ni », à savoir ni soutien à la guerre, ni opposition à l’intervention, créa de nombreux remous. De nombreux forums s’emportèrent contre Ecolo autour de l’idée de « Comment peut-on être dans un gouvernement en guerre et se déclarer contre la guerre? », témoignant de l’incompréhension de la position du parti.
Les positions liées à l’intervention en Irak furent toutefois plus claires à défendre. À la suite de la guerre en Afghanistan, l’administration Bush s’engagea dans une croisade contre l’Axe du Mal, incarné par la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak. Désigné comme cible suivante, le régime de Saddam Hussein se vit soupçonné à la fois de vouloir se doter d’armes de destruction massive (ADM) et de soutenir le réseau terroriste d’Oussama Ben Laden. Face à cette situation considérée comme dangereuse pour la paix, Georges W. Bush tenta de lever une coalition internationale destinée à envahir l’Irak et faire tomber le régime honni. L’opposition de certains États européens à cette éventualité fut cependant cinglante : France en tête, plusieurs alliés jusque là traditionnel des États-Unis condamnèrent la volonté d’intervenir, y préférant l’utilisation des moyens diplomatiques disponibles jusqu’à leur épuisement. Marqués par une dramatisation poussée à l’extrême, cette période de tension vit descendre dans la rue des milliers de manifestants s’opposant à la politique américaine, et ce à travers le monde. La réaction d’Ecolo fut, cette fois-ci, clairement hostile à la guerre, jugée « inutile, absurde, dangereuse, injustifiée…[“Les verts s’opposent à la guerre”, in La Libre Belgique, Bruxelles, 4 janvier 2003, [en ligne], [http://www.lalibre.be/actu/belgique/les-verts-s-opposent-a-la-guerre-51b87c2ae4b0de6db9a8181f.
]] ». Elle s’articulait une fois encore autour de la défense du droit international, à travers une résolution adoptée par le Conseil de Sécurité qui, en dernier recours, serait la seule à autoriser le recours à la force. L’application des principes de la justice internationale était également mise en valeur, afin de juger Saddam Hussein et les responsables de son régime des crimes commis. Enfin, les verts francophones contestèrent le principe de « légitime défense préventive », une « doctrine » et un précédent qui risquaient d’encourager, selon eux, la multiplication d’actes de guerre unilatéraux par d’autres États[[Motion sur l’Irak, Conseil de fédération du 20/12/2002, annexe 6.1., Ecolo, Namur, 2002.
]]. Seul le respect du droit et du multilatéralisme étaient à même de résoudre les conflits. Le conflit ne fut pas empêché, mais l’évolution de la situation démontra l’échec des opérations militaires tant en Afghanistan qu’en Irak.
Ce souci du respect du droit international et de la protection des populations se retrouva dans les communiqués et prises de positions relatives à l’intervention en Libye. Les années Bush et les opérations calamiteuses au Moyen-Orient rendirent, cependant, la grille de lecture des écologistes beaucoup moins lisible que par le passé.
Le 13 janvier 2011, dans la suite des événements liés à la révolution en Tunisie, éclatent, en Libye, les premières manifestations hostiles au pouvoir de Mouammar Kadhafi, dictateur libyen en place depuis 1969. D’abord peu réprimés, les rassemblements sont ensuite interdits puis dégénèrent en affrontements entre milices pro-régimes et opposants. Les 18 et 19 février, l’insurrection éclate à Benghazi. Le 22 février, Kadhafi prononce un discours particulièrement violent, soutenant la répression à l’égard de « tout libyen prenant les armes contre la Libye ». Les menaces de massacres contre la population de Benghazi prennent alors de l’ampleur, amenant la Ligue arabe ainsi que plusieurs État parmi lesquels la France et les États-Unis à envisager le recours à la force. Le 17 mars, le Conseil de Sécurité adopte la Résolution 1973 autorisant une intervention aérienne destinée à protéger la population. L’opération prendra fin en octobre avec la chute du régime et la mort de Kadhafi.
Ecolo réagit dès les 21 février en réagissant sur l’utilisation, par le régime libyen, d’armes vendues par la Wallonie. Souhaitant, à partir de cet exemple, « une réforme en profondeur de la procédure de livraison et de vente d’armes » le parti appelle, via Jean-Marc Nollet, alors ministre au sein du Gouvernement wallon, à une mise au ban du pays par les Nations Unies, face aux crimes commis[[Gianni Ruggieri, “Ecolo demande une mise sous embargo de la Libye”, in La Libre Belgique, Bruxelles, 22 février 2011, [en ligne], http://www.lalibre.be/actu/international/ecolo-demande-une-mise-sous-embargo-de-la-libye-51b73360e4b0de6db9757e4a.
]]. Le 10 mars, dans un communiqué de presse, le parti va plus loin dans la condamnation du régime, prenant fait et cause pour le Conseil National de Transition (CNT), dont certains représentants ont été rencontrés. S’opposant à une intervention terrestre, Ecolo soutient cependant l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne destiné à protéger les civils menacés par les bombardements des troupes loyales au régime[[L’UE doit se positionner pour empêcher Kadhafi de gagner, in Ecolo, Namur, 10 mars 2011, [en ligne], http://www.ecolo.be/?L-UE-doit-se-positionner-pour.
]]. Ces bombardements, rapportés par de nombreux témoins et reconnu par l’un des fils du leader libyen, marquent une population européenne entraînée, par une partie de la presse, dans la crainte d’un nouveau Srebrenica. La succession des appels à l’aide et l’intensification de la répression amènent l’adoption de la résolution 1973, saluée par Ecolo : « Les écologistes soutiendront au parlement fédéral une participation de la Belgique à une intervention internationale telle que balisée par la résolution de l’ONU. Notre pays, qui a reconnu le Conseil National de Transition (CNT) comme un interlocuteur officiel, a une responsabilité morale à l’égard du peuple libyen[[Notre soutien à une participation balisée de la Belgique à l’effort, Ecolo, Namur, 18 mars 2011, [en ligne], http://www.ecolo.be/?Notre-soutien-a-une-participation.
]] ».
Les événements, cependant, s’emballeront. L’opération militaire finira par aboutir à la chute du régime Kadhafi. Outrepassant, pour de nombreux observateurs, le mandat délivré par l’ONU, l’intervention crée au final un profond traumatisme international. Le malaise des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) s’est transformé rapidement en ressentiment vis-à-vis des Occidentaux, accusés d’outrepasser le mandat onusien et de se servir de la « responsabilité de protéger » pour intervenir dans les affaires intérieures de pays qu’ils souhaitent contrôler. Ce ressentiment fut partagé par de nombreuses associations pacifistes, dénonçant la naïveté voire les mensonges des partis politiques ayant soutenus le recours à la force.
Les conséquences de l’intervention en Libye se firent lourdement sentir sur le dossier syrien.
Issu d’un mouvement de contestation du gouvernement syrien qui débuta par des manifestations anti-régime le 15 mars 2011, le conflit syrien devient pleinement une guerre civile début 2012. Le siège de Homs, par les troupes gouvernementales, en février 2012, fait de nouveau craindre un massacre à grande échelle. Face aux vetos russe et chinois, la possibilité d’une intervention dans le cadre de l’ONU est vite rendue impossible. Le 7 février 2012, Ecolo demande néanmoins « d’instaurer des corridors humanitaires pour permettre aux ONG d’apporter aux nombreux blessés les soins les plus urgents[[Ecolo demande l’instauration d’un corridor humanitaire sous l’égide de l’ONU, Ecolo, Namur, 7 février 2012, [en ligne], http://www.ecolo.be/?Ecolo-demande-l-instauration-d-un.
]] », sous l’égide de l’ONU. La position du parti devient cependant plus prudente que dans le cas libyen. Déjà, les blocages internationaux empêchent toute action internationale de grande ampleur. Ensuite, la complexité des liens géopolitiques entremêlés en Syrie troublent la clarté de lecture du conflit syrien. Enfin, la montée en puissance des mouvements djihadistes et fondamentalistes entraînent un refus d’intervention d’une large part des opinions publiques occidentales. Ecolo dénonce d’ailleurs, en août 2013, les « conséquences désastreuses que peut avoir une intervention pour laquelle une stratégie de sortie n’a pas été préalablement préparée, tant du point de vue politique qu’humanitaire[[La Commission mixte Chambre/Sénat des Affaires étrangères et de la Défense doit se réunir d’urgence, Ecolo, Namur, 28 août 2013, [en ligne], http://www.ecolo.be/?la-commission-mixte-chambre-senat.
]] ». Le dossier syrien devient ainsi le symbole de l’embourbement international, marqué par la mainmise du jeu froid des puissances et de l’échec des solutions négociées de résolution des conflits. Certains mouvements reprirent d’ailleurs, à leur compte, la complexité du dossier syrien. Invoquant la lutte contre l’impérialisme et le néocolonialisme, les plans cachés de contrôle des ressources ou d’interventions armées responsables de déstabilisations de masse, ces critiques ont contribué à une remise en cause des opérations extérieures, de leurs objectifs et de la manière dont celles-ci sont encadrées et évaluées. Le refus d’intervenir en Syrie et les dénonciations des interventions au Mali et en Centrafrique témoignèrent de la remise en question du recours à la force.
Au final, la décennie 2001-2013 fut marquée, pour Ecolo, dans le cadre des interventions militaires internationales, par une clarté dans la défense des principes de non-violence mais par une difficulté d’en clarifier les fondements. De nombreux débats internes témoignèrent d’une opposition entre pacifistes et non-violents, les premiers s’opposant aux guerres tandis que les seconds les autorisant sous certaines conditions.
Au-delà du seul exemple d’Ecolo, il pourrait être intéressant de se pencher sur les positions des verts français et allemands sur la question du recours à la force.
6. Sortir du débat belge : les positions des verts allemands et français
6.1. En Allemagne : du pacifisme radical au réalisme international
Créé en 1980, le parti vert allemand, Grünen, fait rapidement son entrée au Bundestag. Dès le début, la lutte antinucléaire fait partie des piliers des écologistes allemands, permettant même d’unifier le mouvement[[Guillaume Sainteny, L’écologisme en Allemagne et en France : deux modes différents de construction d’un nouvel acteur politique, Working paper n° 78, Université Paris I, 1993, p. 2.
]]. La voie pacifiste est d’ailleurs royale pour les verts allemands, le sujet étant totalement délaissé par les autres formations politiques. Ecologie et pacifisme sont ainsi étroitement liés aux Verts durant les années 80. Le contexte historique allemand est d’ailleurs original sur les enjeux militaristes, à la différence de la Belgique et de la France : le passé nazi, la séparation de l’Allemagne en deux, la présence de troupes étrangères en nombre et la situation géographique de la R.F.A. en première ligne d’une hypothétique troisième guerre mondiale crée un terreau pour un pacifisme particulier. Durant les années 80, les verts allemands se mobilisent ainsi contre la présence de missiles nucléaires américains sur le sol, et pour l’opposition aux luttes armées, dont ils seraient les premières victimes en cas de conflit entre les USA et l’URSS.
La disparition du Mur de Berlin et la réunification allemande transforment l’Allemagne de pays occupés à puissance en devenir. Au cœur des discussions sur la place que l’Allemagne peut à nouveau jouer au sein du concert des nations, la question du recours à la force et des interventions militaires hors du territoire national fait l’objet de nombreux débats. En effet, fondée en 1955 dans un contexte antimilitariste, la Bundeswehr ne dispose tout d’abord que d’un mandat d’intervention très restrictif, inscrit dans la loi fondamentale. Ses seules capacités sont de défendre le territoire allemand contre les agressions extérieures. De part le pesant héritage militaire allemand, jamais la R.F.A ne considéra sa force armée comme un réel outil de politique étrangère. Armée de citoyens en uniforme placée sous le contrôle d’élus de la nation, la Bundeswehr ne fut, ainsi, jamais utilisée jusqu’à la guerre au Kosovo.
En effet, le tournant culturel et opérationnel fut le Kosovo, en 1999. Ce tournant, qui plus est, fut le fruit d’un total changement conceptuel de la part des Verts allemands, sous l’impulsion du Ministre des Affaires Étrangères de l’époque, l’écologiste Joschka Fischer. Ce dernier parvient ainsi à convaincre le parti vert que la défense des droits de l’homme pouvait passer, en dernier ressort, par le recours à la force. Ainsi, en 2003, se tient à Berlin un congrès important, révisant le programme fondamental de Bündnis 90 / Die Grünen. La question du pacifisme et de l’usage de la force y fait l’objet d’âpres débats. Au final, après de vifs échanges, plusieurs modifications importantes sont apportées, faisant évoluer les verts allemands d’un pacifisme radical à un pragmatisme concernant le recours à la force. Le préambule du nouveau programme reconnaît ainsi que le recours à la force militaire ne peut pas toujours être exclu. L’aile gauche du parti est toutefois parvenue à imposer un passage qualifiant de ‘juste et nécessaire la résistance à la globalisation’, rejetant par 284 voix contre 246 un texte qui proposait initialement de ‘façonner de manière positive la globalisation’. Le texte continue, ensuite, en soutenant que ‘La force ne doit pas remplacer la politique. Mais nous savons aussi que le recours à une violence légitimée par l’État de droit et le droit international ne peut pas toujours être exclu’.
6.2. En France : les ambiguïtés d’un mouvement antimilitariste
En 2011, Eva Joly, alors candidate pour Europe Ecologie Les Verts (EELV) à l’élection présidentielle de 2012, déclare, à l’occasion du défilé du 14 juillet : « J’ai rêvé que nous puissions remplacer ce défilé par un défilé citoyen où nous verrions les enfants des écoles, où nous verrions les étudiants, où nous verrions aussi les seniors défiler dans le bonheur d’être ensemble, de fêter les valeurs qui nous réunissent[[[Eva Joly propose la suppression du défilé militaire du 14-Juillet
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/07/14/eva-joly-propose-la-suppression-du-defile-militaire-du-14-juillet_1548959_3224.html#hHsdsH8dWRU8QReO.99, Le Monde, Paris, 14 juillet 2011, en ligne], http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/07/14/eva-joly-propose-la-suppression-du-defile-militaire-du-14-juillet_1548959_3224.html.
]] ». Le propos soulève un torrent de critiques voire d’indignations dans les rangs des partis traditionnels, reprochant une remise en cause du « défilé militaire qui est le moment où la nation honore nos soldats ».
Le propos d’Eva Joly témoigne d’une conception des interventions militaires propre à l’histoire des verts français, mélangeant aux mouvements pacifistes des thèses antimilitaristes.
Cette conception des Verts français prend racine, comme pour les autres partis écologistes, dans la lutte contre le nucléaire aussi bien civil que militaire, mais également dans le mouvement de mai 68, et ses slogans pacifistes. C’est ainsi que l’histoire des verts français trouve des origines dans la mobilisation contre l’extension du domaine militaire du Larzac qui, entre 1971 et 1981, mobilisera des dizaines de milliers de personnes contre « l’armée, le nucléaire, les promoteurs[[Slogan d’une célèbre affiche de l’époque : « Des Larzac partout ! »
]] ». L’engagement antimilitariste sera d’ailleurs, pour certains militants comme José Bové, une première étape avant de pousser plus loin l’adhésion autour des idées vertes[[Erwan Lecoeur, Des écologistes en politique, Lignes de repères, Paris, 2011.
]].
Ce pacifisme finira également par évoluer, à l’image des verts allemands et belges. C’est ainsi que la non-violence devient la voie à suivre, autorisant les exceptions suivant les événements mondiaux. Ainsi, à plusieurs reprises, EELV a soutenu le recours aux interventions militaires. Par moment, les verts français sont d’ailleurs allé plus loin que leurs confrères belges : durant la guerre au Kosovo, en 1998, les écologistes français ont appelé à la poursuite des bombardements et même à ‘la mise en place d’une force de police internationale chargée d’intervenir au sol pour rétablir la paix et l’intégrité territoriale du Kosovo’. Cette prise de position, hardie, fut justifiée par le refus de la lâcheté face aux violences exercées contre des civils. Le même argument fut repris pour soutenir, en 2011, l’intervention en Libye : « Nous l’approuvons, oui. On peut être partagé, on n’aime pas la guerre, mais là, il faut intervenir, c’est une sorte de droit d’ingérence » soutint alors Yves Cochet, député de Paris.
Les verts français ont ainsi évolué d’un antimilitarisme militant à un réalisme dans les relations internationales. Cette position est ainsi résumée par Cécile Duflot, dans son livre publié en 2010, Apartés : « Les écologistes sont non-violents, ils sont pour la résolution non-violente des conflits, ils ne disent pas qu’il faut que nous nous aimions tous et que nous soyons tous gentils, ils ne sont pas stupides ». Les mandats de l’ONU et la voie diplomatiques restent ainsi les modes de résolutions des conflits privilégiés, mais, comme l’a souligné en 2011 Denis Baupin : « Quand il y a vraiment un danger pour le peuple, nous soutenons l’intervention ».
7. Les verts et les guerres : l’obligation de clarté et de pédagogie
L’héritage Ecolo des relations internationales est-il celui des mouvements pacifistes des années 70 ? La réponse est à la fois claire et ambiguë. Comme le livre de Benoit Lechat l’a montré, Ecolo n’est pas né des mouvements pacifistes. Cependant, ses premières positions vis-à-vis de la guerre en général, dans les années 80, se retrouvent autour des idées pacifistes de l’époque, à savoir le désarmement global et l’opposition au militarisme ambiant, incarné par l’arme nucléaire.
L’évolution des années 90 est plus complexe, révélant la prise en considération non pas d’arguments hostiles à la guerre, mais favorables à la paix. La promotion de celle-ci et l’instauration d’un système international fondé sur la lutte contre les inégalités et sur le respect du droit international deviennent les piliers des propositions vertes. Cette conception permet ainsi de s’opposer clairement à l’intervention au Kosovo, en 1999. Les cartes se brouillent cependant à partir de 2001 et des attentats du 11 septembre. Le monde sort ainsi de sa lecture manichéenne qui, jusque là, permettait de prétendument distinguer les « bons » et les « méchants ». Les zones grises deviennent la norme, dans un rapport au territoire où les frontières terrestres n’ont plus beaucoup de sens. Face à ce trouble international, de nouvelles grilles de lectures apparaissent, tentant d’expliciter au mieux les liens qui, désormais, régiraient le monde. Cependant, nombre d’explications simples finissent par déboucher sur des raisonnements simplistes, au sein desquels la complexité est niée pour se voir privilégier une approche à nouveau manichéenne. Au-delà, les critiques fusent également, parfois avec raison, vis-à-vis d’un Occident qui serait travaillé par une compassion sélective : ils existeraient des causes que l’on soutient (Libye) d’autres que l’on néglige (Israël-Palestine, Yémen, Syrie), d’autres enfin, ‘pire’, que l’on occulte par une neutralité active pour des raisons géostratégiques (Bahreïn).
Ce déni de complexité partagé par nombre de mouvements n’exonère cependant pas les partis verts d’une lacune dans leur compréhension du système international. Les balises permettant de s’y déplacer sont ainsi absentes voire dépassées, considérant encore souvent que la puissance réside dans les États-nations. Or, les guerres qui ont suivi le 11 septembre 2001 interrogent la notion de guerre juste et de ses critères. De nouveaux éléments remettent également en question les réflexions éthiques quant aux engagements des États : les flux migratoires et financiers, les enjeux environnementaux, l’accroissement des inégalités, … élargissent les enjeux liés aux causes et modalités des conflits, et donc à leurs conséquences et aux moyens d’y répondre. Il ne s’agit plus, ainsi, d’adopter une politique du « moindre mal » mais plutôt une politique de « non-nuisance ». Les conditions des recours à la force s’y trouvent mêlées.
Les débats à venir devront donc porter sur l’équilibre à retrouver entre violence et droit, et sur la capacité du second à encadrer la première. Seul cet horizon à atteindre permettra d’éviter à la fois l’anarchie internationale et le splendide isolement de Nations/Opinions préférant les œillères confortables aux engagements difficiles.