En ce mois de novembre 2014, une nouvelle Commission européenne (CE), le bras exécutif de l’Union européenne (UE), prend ses fonctions dans un contexte morose et plombé par le manque de confiance. Même si l’exécutif européen change de look, avec une dimension plus politique que technocrate et une structure à deux niveaux dirigée par 7 Commissaires Vice-Présidents et un Président, l’Union a la gueule de bois. Elle se remet peu à peu d’une longue nuit d’ivresse néolibérale post chute du Mur de Berlin, une virée dans une histoire-monde qui paraissait unidirectionnelle où l’UE jouait la reine du roi américain abordant un unilatéralisme réconfortant. Sur le plan domestique, elle se réveille les yeux rouges d’une crise économique et financière qui a précipité sa crise existentielle mais qui a surtout précipité des millions de personnes au chômage, plongé des Etats Membre (EM) dans une spirale de l’austérité et débouché, aux élections européennes de mai 2014, sur une grande abstention et une fragmentation encore plus prononcée du paysage politique européen s’accompagnant d’une poussée populiste et eurosceptique au grand dam des projets pro-européens et orientés vers le long terme.

Cette inward looking Europe, nombriliste et repliée sur elle-même, empreinte d’un pessimisme exagéré portant les fruits d’un nationalisme revivifié, ne s’en réveille pas moins dans un monde interconnecté aux réalités géostratégiques transformées. Le déclin relatif de l’Europe n’est que le résultat d’un rééquilibrage macroéconomique et géostratégique d’un monde où voisins et partenaires extérieurs consolident leurs positions. Outre qu’il ne faut pas en avoir peur, ce monde du 21è siècle est la preuve tangible de l’estompement des lignes délimitant intérieur et extérieur. Dans ce monde interdépendant, ce que l’on nomme malencontreusement « affaires étrangères » n’a jamais revêtu une telle importance.

Le message principal de la présente note, en sus de l’analyse des enjeux et de ce que l’on peut attendre de la nouvelle CE, est double.

  • Jamais le paquet de compétences européennes regroupées sous le label « politique étrangère » n’a été aussi important pour l’UE et pour le monde (d’où l’importance de l’articulation politiques domestiques et externes). Les questions internationales ont plus que jamais un impact domestique européen: crise énergétique, lutte contre le changement climatique, commerce international, migrations, sécurité et diplomatie préventive, etc.
  • Toute ambition européenne pour ses citoyens doit répondre au défi majeur de l’UE qu’est, comme le souligne Javier Solana [[Entre 1999 et 2009, Javier Solana a exercé la fonction de Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union européenne (avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne).]], la gestion d’une interdépendance mondiale. Les problèmes européens pour la plupart appellent des solutions globales. De même, les problèmes mondiaux nécessitent, à des degrés divers, une action européenne forte et déterminée.

Enfin, au-delà de l’interdépendance mondiale fermement installée, il faut également noter que le nouvel exécutif européen défait ses valises à une période qui s’annonce, vue dans le temps long, comme charnière pour la gouvernance internationale. En effet, 2015 sera l’année de la définition d’un nouveau cadre global de développement venant remplacer les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) mais devant cette fois-ci s’appliquer à tous les Etats membres des Nations Unies, un tableau de bord universel donc. 2015 sera aussi l’année de la 21è Conférence des Parties sur le Climat à Paris où un accord contraignant et remplaçant l’actuel protocole de Kyoto devra être conclu. Ce sera aussi l’année de la révision des cadres internationaux d’action pour l’égalité des genres, pour la résilience et la prévention des catastrophes ainsi que pour les modalités de partenariat pour le financement international du développement durable. 2016 devra amener une réforme du cadre international de coopération humanitaire, en profondeur de préférence au vu du nombre accru de crises, imprévisibles pour certaines et liées à de nouveaux facteurs pour d’autres – comme le changement climatique. Le mandat européen 2014-2019 sera aussi celui où il faudra composer avec de nouvelles formes de gouvernance multipolaire (montée en puissance des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), avec un niveau d’inégalité intra-pays jamais égalé depuis les guerres mondiales du 20è siècle et enfin avec des modes de conflit et d’insécurité face auxquels les vieilles recettes westphaliennes ne peuvent que très peu à court terme et pour lesquels une responsabilité postcoloniale européenne se combine à un respect de ses valeurs humanitaires. Enfin, le voisinage direct de l’Europe est en proie à des conflits et une instabilité grandissante accompagnée là et de par le monde par une demande accrue pour le respect des droits de l’Homme, de la démocratie, de la justice et d’une gouvernance plus responsable.

Union européenne dans le monde : position et outillage

Avant d’aborder les enjeux de fond et les défis politiques ainsi que les attentes par rapport à cette nouvelle CE sur les matières internationales, il est utile de faire un rapide état des lieux des atouts européens et du contenu de sa boîte à outils.
Alors que l’UE pleure son sort et invoque ses malheurs pour distiller austérité et manque d’ambition pour un avenir et un développement plus durables, alors que son manque d’intégration politique entraîne une concurrence fiscale et sociale entre EM, elle reste un acteur clé du monde actuel. Quand elle éternue, le monde s’enrhume comme l’attestent encore aujourd’hui la crise économique et énergétique. Elle reste le premier marché mondial, sans doute le plus ouvert et équitable. Elle est un des leaders et pionniers de la lutte contre le changement climatique et de la promotion des énergies renouvelables. Elle reste à ce jour compétitive moins par une économie d’extraction et de rente que par ses innovations et son dynamisme. Elle est le premier donateur d’aide humanitaire et au développement. Elle a été jusqu’ici la promotrice d’une approche multilatérale et inclusive dans les différentes négociations internationales. Elle reste le premier pouvoir d’achat du monde et le plus grand détenteur à l’étranger. Comme le dit souvent Angela Merkel, pour sa défense, l’UE c’est 7% de la population mondiale, 20% de l’économie mondiale et 50% des dépenses de santé mondiales. Malgré un passé récent mitigé, elle reste l’endroit au monde où l’Etat de droit, les droits de l’homme et les libertés civiles et politiques sont les mieux défendus. Enfin, bien qu’elle sera surclassée de loin d’ici 2050, la classe moyenne européenne est la plus large et puissante en ce début de 21è siècle et elle jouit encore d’une éducation et des soins de santé de qualité et gratuits ou abordables.

Au vu de la composition du paysage politique européen et des conséquences profondes de la crise de 2008, la stratégie européenne Europe 2020 (décidée en 2010) paraît relativement ambitieuse en comparaison avec le reste du monde. L’UE s’y attribue entre autres des objectifs de réduction de la pauvreté (mais pas des inégalités), d’innovation et de recherche, ainsi qu’une feuille de route sérieuse pour l’efficience énergétique, pour la réduction des gaz à effet de serre et le développement des énergies renouvelables. Tous ces éléments ne peuvent bien évidemment pas cacher l’agenda politique des 20 dernières années que l’écologie politique ne peut accepter ni valider. La montée des inégalités, la financiarisation de l’économie et l’ambition existante mais timide en matière de développement durable n’ont pu être que confirmées et aggravées par la crise économique et financière. Malgré cela, l’UE a encore aujourd’hui l’opportunité d’agir à la hauteur des promesses inscrites dans ses Traités [[Par exemple l’article 2 du Traité de Lisbonne (TFUE, Traité sur le fonctionnement de l’UE): « Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies. »]], tant vis-à-vis de ses citoyens que du reste du monde dont l’avenir est indéniablement lié.

Après que le Traité de Maastricht, né de la chute soviétique et de la volonté d’affirmer un marché unique, eut institutionnalisé une politique étrangère et de défense commune, l’article 21 du Traité de Lisbonne de décembre 2007 en a augmenté son champ d’application et ses objectifs. Le Traité a permis la mise en place d’éléments d’une gouvernance de politique extérieure commune avec en particulier : le pilotage politique par le Conseil européen et le Conseil des affaires étrangères présidés respectivement par le Président du Conseil et un Haut Représentant/Vice-Président de la CE (HR/VP), la coordination transversale assurée par la HR/VP dotée d’un pouvoir d’initiative, et la formation d’une diplomatie européenne commune, entre autres grâce à un Service Européen d’Action Extérieure (SEAE). De même, les anciennes délégations de la CE dans les pays partenaires (plus de 140 de par le monde) sont passées sous le statut de Délégations (comprendre Ambassades) de l’Union européenne, celle-ci ayant acquis un statut légal après Lisbonne. En matière de coopération au développement, l’article 208 oblige également l’UE à évaluer l’ensemble de ses politiques internes et externes en fonction de leur impact sur les pays tiers afin qu’elles n’entrent pas en contradiction avec la politique de coopération au développement et l’action extérieure de l’UE. Enfin, la « coopération structurée permanente » du Traité préconise des actions communes dans les domaines de la sécurité et de la défense.

En plus de ses fondements et de ses grandes orientations, l’UE dispose d’un budget (dont l’ampleur est toute relative au vu de sa présence globale [[La France par exemple dispose par an d’un budget pour les affaires étrangères équivalent aux trois quarts du budget européen annuel pour l’action extérieure mais il ne représente que 50% du budget réel pour l’action extérieure de la France. Les Département d’Etat aux Etats-Unis par exemple ne représente que 1% du budget annuel américain contre plus de 16% pour la défense. D’autres dépenses sont toutefois à comptabiliser à l’actif de son action extérieure.]]) pour son action extérieure. L’intitulé budgétaire numéro 4 du cadre financier pluriannuel 2014-2020 représente 6,1% du budget à raison de 58,7 milliards d’Euros. Il est important de noter que les autres intitulés budgétaires ont aussi un impact sur l’action extérieure de l’UE même s’ils sont catégorisés comme « domestiques » (migrations, environnement, agriculture). Il faut également compléter ce tableau par les instruments financiers hors budget dont le plus important est le Fonds Européen de Développement pour les pays ACP [[Groupement de 79 pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique regroupant la majorité des PMA – pays moins avancés – ainsi que beaucoup de pays très vulnérables et Etats fragiles.]] qui s’élève pour la période jusqu’à 2020 à près de 27 milliards d’Euros.

Au-delà des réalités incontestables de lourds échecs de l’UE sur le plan international (inaction face aux situations arabe, ukrainienne, échec de leadership en 2009 sur le climat, ambiguïté sur le conflit israélo-palestinien [[Même s’il faut noter que l’UE, et en particulier la CE, est de loin le premier donateur d’aide humanitaire dans la région. ]], etc.) il importe de se rendre compte du fait que l’UE dispose aujourd’hui d’une boîte à outils non négligeable et mobilisable. Sans dresser une liste complète et détaillée, les instruments humanitaires, de coopération au développement, de politique commerciale ou d’action de diplomatie préventive ou d’intervention civile ou militaire sont mis en œuvre au service de stratégies et plans d’action pour l’action extérieure.

La liste de ses outils ne pourrait être complète si outre les évidentes politiques commerciales et de développement l’on ne prenait pas en compte les dimensions externes ou internationales des politiques dites « domestiques ». Environnement, lutte contre le changement climatique, énergie, pêche, transport, migrations, agriculture, recherche et développement, santé publique sont des domaines où l’UE, selon son niveau de compétence exclusive ou partagée, joue un rôle parfois fédérateur.

Enjeux internationaux

L’Europe a donc un rôle à jouer sur le plan international et celui-ci joue un rôle croissant dans la détermination des politiques européennes. Seul un monde de paix et de prospérité durable et partagée peut déboucher sur une UE épanouie et vice-versa. En ce début de 21è siècle, l’Europe connaît de graves crises dans son voisinage le plus direct, de l’Ukraine au monde arabe. En 2013, plus de 430.000 personnes se sont présentées officiellement comme demandeurs d’asile en Europe, parmi elles plus de 12% de syriens et presqu’autant des Balkans. Pour la première fois, il y a plus de déplacés (réfugiés et déplacés internes) dans le monde que lors de la deuxième guerre mondiale (51,2 millions [[UNHCR Global Trends 2013]]). Le nombre des réfugiés climatiques est devenu aussi important que celui des réfugiés fuyant les guerres et l’instabilité. D’autre part, le rééquilibrage géostratégique et économique des puissances émergentes, dont les BRICS, donne parfois lieu à des embryons de guerre commerciale et à une surenchère qui n’est pas sans conséquence sur le climat et la précarisation de l’emploi. Les formes d’instabilité politique ont transformé le visage et la résolution des conflits.

Dans ce cadre l’enjeu global est la refonte d’un multilatéralisme efficace et équitable ainsi que la mise en place d’un partenariat global. Dans le cadre de son action extérieure, les enjeux et défis mondiaux s’accompagnent d’enjeux politiques et institutionnels dont le déblocage permettrait une gestion plus efficace de l’action extérieure européenne. Sans être exhaustif, quatre catégories d’enjeux ressortent : la lutte contre le changement climatique et les questions environnementales et énergétiques y afférant ; la régulation de l’économie internationale, particulièrement le commerce international ; la question migratoire et de mobilité ; et la question de la résolution des conflits et de l’action indissociable en faveur des droits de l’homme et de soutien aux formes démocratiques et inclusives de gouvernance. Dans le cadre des compétences de l’action extérieure européenne, deux domaines de politique européenne sont transversaux à ces enjeux : la politique de coopération internationale au développement et la politique européenne de voisinage.

Lutte contre le changement climatique

A l’agenda tant de l’urgence que du long terme, la question du changement climatique (CC) est un des véritables enjeux de la politique extérieure européenne et une menace pour la préservation du cadre environnemental mondial et pour les progrès réalisés en matière de développement humain. L’Europe y est directement vulnérable dès le court terme. Dans le reste du monde, les pays les moins avancés et les populations les plus vulnérables de la planète sont les premiers et les plus gravement touchés par les effets du CC. La corrélation bien établie entre dégradation de l’environnement et augmentation de la pauvreté, si elle est projetée dans le temps long sans action ambitieuse et accélérée, démontre que l’effort et les progrès réalisés en matière de développement humain seront anéantis. Les tensions qu’entraîneront cette situation ainsi que la rareté des terres et des biens naturels et manufacturiers essentiels exacerbera les conflits et les migrations climatiques [[International Panel on Climate Change ; World Bank ; United Nations Development Programme]].

A l’agenda de l’urgence, l’année 2015 sera déterminante pour la lutte mondiale contre le CC car les négociations doivent déboucher sur un accord climatique international légalement contraignant. Depuis longtemps, l’UE s’est imposée comme acteur clé et pionnière dans la lutte contre le CC dès 1992 à Rio et en 1997 avec la signature du Protocole de Kyoto. A l’aube de 2015, l’Europe paraît plus divisée qu’il y a cinq ans de par la crise énergétique. Paradoxalement, l’UE est moins ambitieuse à cause de la crise économique mais sans doute mieux équipée suite à la refonte de sa politique climatique au lendemain du revers encaissé à Copenhague en 2009.

L’Europe agit sur la question climatique à travers trois champs d’action interconnectés : sa politique intérieure en matière d’énergie/climat ; des instruments de marché ou de partenariat tel que le marché ETS (Emissions Trading Scheme [[ETS: mécanisme de droits d’émissions de CO2 mis en œuvre au sein de l’UE dans le cadre de la ratification par l’UE du protocole de Kyoto. Il met en place une limitation des gaz à émettre et un marché du carbone, permettant à chaque entreprise d’acheter ou de vendre son « droit à polluer ».]]) ; et ce que l’on peut appeler sa diplomatie climatique à travers les négociations internationales et la coopération au développement.

Même si sur ces trois terrains l’UE est la plus ambitieuse à ce jour, elle l’est de moins en moins [[Les dernières années de la Commission Barroso II dénotent par leur manque d’ambition : alors que toutes les études, même en interne à la CE, considéraient au minimum un paquet 40-40-40 réaliste et désirable pour 2030 (40% pour efficience énergétique, production renouvelables, réductions émissions CO2), la CE a été timide et proposé un paquet moins ambitieux au Conseil.]], surtout sur le plan intérieur. C’est ici que la lutte contre le CC illustre le mieux l’estompement des lignes entre action extérieure et intérieure car l’UE ne peut poursuive sa stratégie de lead by example sur le plan international et peser dans les négociations si elle n’est plus le leader par ses actions domestiques.

Sur le plan intérieur, depuis 2008, lutte contre CC et énergie sont regroupées dans le paquet énergie/climat. Ce regroupement est en soi constructif car délier les mesures d’efficience énergétique de celles de réduction des gaz à effet de serre et celles de promotion des énergies renouvelables n’aurait que peu de sens. Pour autant il s’agit évidemment qu’en chemin l’un ne devienne pas subordonné à l’autre dans le paquet… une crainte réelle à l’aube de la Commission Juncker. De plus, si la politique énergétique telle que définie par le Traité de Lisbonne est de l’ordre de la compétence partagée entre EM et Union, elle pêche par manque d’intégration et de cohérence en laissant l’autonomie aux gouvernements nationaux de recourir aux sources d’énergie de leur choix.

L’inter-gouvernementalisme des dernières années et les crises d’approvisionnement énergétique ont par ailleurs vu un schisme se créer entre le Green Growth Group (composé de pays tels que l’Allemagne, la France, la Grande Bretagne et de quelques 10 autres dont la Belgique) et les Etats plus climato-sceptiques ou simplement plus dépendants d’énergies fossiles. Cette division et le manque d’intégration ou de solidarité réelle ont amené, début 2014, le Conseil européen à repousser sa prise de décision sur le paquet énergie/climat 2030 à la fin octobre, avec pour résultat une UE désunie au Sommet sur le Climat de New York en septembre 2014.

Au début du mandat de la Commission Barroso II, l’outillage de l’action extérieure pour le climat a été fortement renforcé avec la création de la DG Clima (mandat transversal), l’intégration des actions climatiques dans les programmes d’action extérieure et son mainstreaming dans le cahier des charges du nouveau SEAE. Mais la réalité de Barroso II a été celle d’un manque de réelle intégration de l’action climatique à l’agenda de la politique étrangère. Le manque de transversalité de la thématique climatique across the board au SEA, au plus haut niveau tant à Bruxelles et dans les Délégations de l’UE sur le terrain a subordonné la question climatiques à d’autres priorités.

Mais alors que les innombrables indicateurs et études sont clairs sur la menace que représente le CC et que le « business case » pour les énergies renouvelables est très solide [[Précision: l’action individuelle et isolée d’EM ne peut en soi constituer une réponse car l’EM concerné se verra pénalisé par la fausse compétitivité du fossile.]] car elles sont porteuses d’un modèle de développement plus durable, tout aussi rentable et créateur d’emplois [[« Better Growth, Better Climate: The New Climate Economy Report » (Global Commission on the Economy and Climate)]] ; alors que des très clairs signaux d’alarme et d’essoufflement d’un vieux modèle d’approvisionnement en énergie se sont manifestés à travers Fukushima, la crise ukrainienne, l’instabilité du Moyen Orient ainsi que de nombreuses catastrophes naturelles ; alors que l’UE importe 53% de l’énergie qu’elle consomme (contre 14% de la consommation fournie par le renouvelable) pour un peu plus d’un milliard d’Euros par jour avec une dépendance de 88% pour le pétrole et 66% pour le gaz ; l’Union européenne semble pourtant paralysée plutôt que motivée dans son avancée vers un mix énergétique garantissant une économie verte en 2050.

Le CC est donc un énorme enjeu pour l’UE tant vis-à-vis de sa place sur la scène internationale (et donc sa capacité à influencer) que concernant sa propre compétitivité dans le futur et l’avenir de son modèle de développement. Formulé de manière succincte, il s’agit pour l’UE de voir l’opportunité là où elle s’enfonce dans la contrainte. Pour l’Union il s’agit donc de forger sur le plan intérieur une position plus ambitieuse pour 2030 et 2050 avec une intégration plus forte de son marché énergétique pour éviter le mouvement actuel de renationalisation de la question, un bond de l’investissement dans le renouvelable et l’efficience énergétique. Cette situation influera d’autant plus sa capacité d’action diplomatique, a fortiori quand on sait que tant les Etats-Unis que la Chine et d’autres économies émergentes sont en passe de lui ravir la place de leader au rythme de leur engagements et de leurs investissements (en 2012, 40% des panneaux photovoltaïques et 70% des installations éoliennes nouvellement installés l’ont été en-dehors de l’Europe et certains pays des BRICS ont des programmes de pointe pour assurer une meilleure efficience énergétique).

Sur le plan extérieur, la politique étrangère de l’UE doit désormais intégrer la lutte contre le CC comme un de ses piliers. Cela requiert d’assurer une meilleure coordination entre mesures internes et externes pour que la diplomatie climatique puisse être le miroir de son modèle et pas une coquille vide. Pour cela, il faut se débarrasser de l’approche actuelle en silos et technocratique de la CE et du SEAE. Pour cela, il faut raviver les réseaux et les campagnes de diplomatie et de sensibilisation avant la COP 21 de Paris en 2015, entre autres à travers un plus grand engagement des Ambassadeurs dans les pays partenaires, l’utilisation du Green Diplomacy Network et l’engagement politique à l’unisson et au plus au niveau des responsables politiques européens et des EM vis-à-vis des partenaires internationaux. Pour cela, il faut que l’UE utilise ses programmes et instruments existants pour créer des alliances avec des groupes de pays que l’UE soutient mais qui sont aussi souvent marginalisés dans les négociations par leur manque de moyens dans les négociations alors qu’ils sont les plus touchés ou les plus vulnérables. Pour Paris en 2015 mais aussi à plus long terme, il faut une meilleure coordination avec les EM, leurs ministères, leurs experts, leurs Ambassades et celles de l’UE sur le terrain pour être à la pointe de la collecte d’information (intelligence gathering) et de la connaissance en recherche et innovation. Enfin, pour les pays partenaires et pour la diplomatie climatique, il faudra assurer que les promesses de financement, pour lesquelles les instruments existent, soient respectées.

Commerce international

On ne saurait dire combien la politique commerciale européenne [[Compétence exclusive de l’Union comme celles par exemples de la politique agricole commune, de la pêche et de la concurrence.]] est importante tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Si l’on exclut le commerce intra-européen, l’UE représente près de 15% des exportations mondiales de marchandises, près de 25% des exportations mondiales de services et plus de 50% des flux d’investissements directs à l’étranger. Le commerce, s’il est équitable, fondé sur les règles juridiques du système commercial multilatéral et tient compte des facteurs non exclusivement économiques, est un facteur puissant d’ouverture, de sortie de la pauvreté et d’équilibrage de la demande et de l’offre de biens et services. Dans le rééquilibrage mondial des dernières décennies, le commerce a joué un rôle clé pour les économies émergentes et en développement dans l’amélioration de leur développement humain moyen (la question des inégalités en est partiellement la perdante). Entre 1980 et 2011, le commerce Sud-Sud a plus que triplé et rattrapé le commerce Nord-Nord. Les deux dépassent de loin le commerce Sud-Nord.

Toutefois, dans un monde globalisé, les chaînes de valeur globales [[L’intégration des pays dans l’économie mondiale est aujourd’hui étroitement liée à leur participation aux chaines de valeur mondiales. ]] et les réseaux de production, s’ils ont entraîné une croissance deux fois plus rapide du commerce mondial que de la production, ont conduit à une plus grande fragmentation des chaînes de valeurs entre les pays (les biens intermédiaires comptent pour 60% du commerce mondial) et à une plus grande coordination (et concentration !) puisque 80% du commerce mondial se fait dans les réseaux de production d’entreprises multinationales [[Il faut noter que cette évolution s’est accompagnée d’une financiarisation croissante du secteur commercial.]]. Les régulateurs et gouvernements nationaux sont aujourd’hui hors circuit dans cette configuration globalisée et les acteurs régionaux et multilatéraux sont donc les seuls contrepoids efficaces. Deux champs d’action sont clairement à la portée de l’UE et sont des urgences à la lumière de la crise économique et financière mondiale : le commerce international et la régulation/coordination financière mondiale (que je n’aborderai pas ici). Je me concentrerai ci-dessous sur les enjeux du commerce international dans le cadre de la politique étrangère de l’UE.

L’évolution géopolitique et macroéconomique majeure de la dernière décennie en matière commerciale est l’accroissement important d’accords commerciaux régionaux et bilatéraux. En parallèle, les négociations multilatérales (cycle de Doha), à travers l’Organisation Mondiale du Commerce, sont au point mort et évoluent seulement en forme gruyère, avec beaucoup d’accords plurilatéraux (non multilatéraux) signés. De 16 accords commerciaux régionaux en 2000, en 2013 l’UE en disposait de 35, les autres grands blocs commerciaux mondiaux ayant suivi une courbe ascendante légèrement moins prononcée.

L’enjeu premier est donc de sauver le multilatéralisme fondé sur les règles et d’éviter la prolifération d’accords régionalistes/bilatéraux excluant certains pays, dont les moins avancés. S’il est aujourd’hui de facto plus simple d’éviter une résurgence du protectionnisme (pour des raisons liées à la globalisation), il s’agit néanmoins de ne pas nourrir un terrain fertile à des rivalités commerciales.
Ce défi est donc sous-jacent à une meilleure gestion de la globalisation, requérant la compréhension du commerce international pas seulement comme un outil économique mais également stratégique.

La  « régionalisation » des accords commerciaux, sous la conduite du Commissaire Karel De Gucht, pose d’importantes questions en termes de stabilité géopolitique et de développement durable et équitable du commerce international. Le TTIP [[Partenariat Transatlantique d’Investissement et de Commerce (UE et USA)]] est l’illustration de cette tendance. Outre le fait qu’il ait été initialement le produit de lobbyistes américains dans sa rédaction, qu’il manque de transparence dans sa négociation, qu’il s’apparente plus à une convergence réglementaire qu’à la tombée des barrières douanières et qu’il inclut l’aspect investissement [[Dont le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (en anglais Investor-state dispute settlement ISDS) qui est un instrument qui a pour objectif d’accorder plus de pouvoir aux entreprises face aux États, en permettant à une firme d’attaquer un État devant un tribunal arbitral international.]](comme certains accords récents), le TTIP est aussi un signal géopolitique dangereux vis-à-vis du reste du monde, un « West against the Rest » et une indifférence au multilatéralisme [[La tentative d’exclusion ou de non inclusion de la Chine par les Etats Unis dans le cas du TransPacific Partnership est aussi un signal très géopolitique et très dangereux.]].

Si la convergence réglementaire que cherche le TTIP était tirée vers le haut l’on pourrait s’en féliciter. Mais s’en réjouir requerrait que cet accord ne soit pas excluant pour les pays tiers qui ne rencontrent pas tous les critères de réglementation. C’est là un autre enjeu clé pour l’avenir de l’action extérieure européenne en matière de commerce : continuer d’être le leader de l’intégration des pays les moins avancés dans le concert commercial mondial et soutenir l’apport du commerce au développement durable (inclusion de critères environnementaux, sociaux, culturels). Sur ces aspects, l’UE dispose depuis les années 1960 d’une série d’outils pour soutenir les pays en voie de développement à travers le système de préférences généralisées tarifaires (SPG), l’aide au commerce (Aid for Trade) ou encore les programmes de soutien à l’adaptation aux normes internationales pour les acteurs économiques, entre autres les PME. Et parce que le commerce à lui seul ne saurait sortir de la pauvreté ni garantir la soutenabilité et la stabilité du développement de ces pays, il est également clé pour l’Union de tenir ses promesses concernant la cohérence des politiques pour le développement (PCD [[Policy Coherence for Development. Cette politique de l’UE rassemble 12 portefeuilles politiques afin de mieux les coordonner en vue d’une meilleure contribution aux pays en voie de développement et aux OMD. La politique a été initiée en 2005 par la CE sous l’impulsion du Commissaire Louis Michel et est depuis inscrite dans le Traité de Lisbonne.]]) afin d’inscrire le commerce et les programmes de soutien à celui-ci dans des stratégies plus larges de développement inclusif et durable.

Migrations

Absente des textes européens d’origine, la question des migrations, de l’asile, de la mobilité et du contrôle des frontières a connu d’importants développements ces dernières décennies. A n’en pas douter, c’est là une zone particulièrement sensible des thématiques qui lient UE et EM alors que le Traité de Lisbonne leur a donné un statut de compétence partagée. Dans la vie quotidienne de l’UE, la question de l’immigration [[En 2013, l’UE comptait 33 millions de résidents étrangers, soit près de 7% de sa population. Parmi ceux-ci, plus de 20 millions sont des ressortissants de pays hors-UE, majoritairement du reste de l’Europe.]] est devenue un sujet politiquement très délicat avec une instrumentalisation par des partis populistes ou radicaux antérieure mais amplifiée par la crise économique.

Sur le plan intérieur, l’UE fait face à trois situations vis-à-vis des pays et des citoyens des pays tiers : immigration légale, immigration irrégulière/illégale, politique d’asile. De manière complémentaire, l’UE a fortement développé un système intégré de gestion des frontières extérieures avec la création de Frontex en 2005 et une série de mesures, dont le paquet « frontières intelligentes » de 2014, afin de garantir sa sécurité intérieure (« Europe forteresse »).

Il existe, sur le papier [[Il n’est pas correct de dire qu’il existe une politique européenne car c’est en réalité un « policy mix » d’instruments de coopération et de pièces législatives relatives à l’immigration et l’asile.]], un embryon de politique migratoire européenne mais elle souffre du manque de solidarité et de répartition de la tâche [[Entre autres EURODAC vise à créer un système de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d’asile et de plusieurs catégories d’immigrants clandestins. Il facilite l’application du règlement Dublin II, qui permet de déterminer le pays de l’UE responsable de l’examen d’une demande d’asile (d’où renvoie du demandeur dans ce pays frontière de l’UE).]] entre EM et des aléas dans les attitudes des EM quant à leur souveraineté, au point de remettre en cause la liberté de mouvement intra muros – l’espace Schengen.

Alors que l’approche communautaire et pan-européenne peut très généralement être vue comme progressiste et tournée vers l’ouverture, les inputs des EM et l’impact de la crise, des catastrophes humaines telles que Lampedusa et des conflits ou situations de tension dans les pays voisins ont tous redonné à cette approche une touche protectionniste, sécuritaire et défensive. En 2009, le Programme de Stockholm, définissait pour 2010-2014 les orientations en matière d’immigration et d’asile et visait à optimiser le lien entre migration et développement, à promouvoir la mobilité et la migration légale, à prévenir et combattre l’immigration illégale, et à favoriser l’intégration et la protection des droits des migrants. Suite aux révolutions dans le monde arabe, la CE a proposé en 2011/2012 une nouvelle approche de la politique migratoire beaucoup plus sécuritaire (meilleur contrôle des frontières, échange d’information sur immigrés illégaux, ou encore la coopération avec les pays tiers pour limiter l’immigration illégale). Le Conseil européen d’octobre 2013, suite à Lampedusa, a prévu de renforcer Frontex et l’office européen d’appui en matière d’asile. Depuis, les élections européennes de mai 2014 sont passées par là et ne vont pas faciliter la tâche de la future CE.

Sur le plan de l’action extérieure de l’UE, à la suite de la tragédie de Lampedusa, lors du Conseil d’octobre 2013, a été décidée la création de la Taskforce Méditerranée. Le cadre de travail de cette taskforce inclut des mesures court terme de type sécuritaire, comme le renforcement de l’agence Frontex [[Entre autres par l’upgrading du travail de Eurosur, système d’échange d’informations pour la surveillance des frontières, employant toutes les technologies modernes pour la détection sur terre et en mer des immigrés clandestins.]], mais également des mesures moyen et long terme dont la coopération avec les pays tiers pour améliorer le système d’immigration légale et combattre le trafic d’êtres humains ainsi que le business des « passeurs ».

Le Conseil européen et la Taskforce Méditerranée voient néanmoins en la coopération avec les pays tiers et voisins une des clés de voûte pour faire face au problème de l’immigration illégale/irrégulière. Mais comme mentionné ci-dessus avec la Taskforce Méditerranée (également valable pour les autres pays tiers d’origine de l’immigration à l’Est ou en Afrique subsaharienne) cette coopération est souvent déclinée selon une approche protectionniste à travers des programmes de lutte contre le trafic d’êtres humains, des propositions de partenariats de mobilité [[Ces dispositifs permettent d’après la CE de réduire la pénurie de main-d’œuvre dans l’UE, d’endiguer le phénomène d’immigration clandestine et de faire bénéficier les pays d’origine des retombées positives de l’émigration. Le pays tiers s’engagent à combattre l’immigration clandestine vers l’Europe contre cette amélioration du système de migration légale.]], des programmes de soutien à la gestion des frontières dans les pays d’origine ou de transit (comme en Libye par exemple où l’UE est leader sur le programme de gestion intégrée des frontières) ou encore à travers la négociation d’accords de réadmission.

Dans tous les cas, de la Méditerranée à l’Est de l’Europe en passant par l’Asie centrale ou l’Afrique subsaharienne, le focus n’est pas sur les causes profondes de l’immigration que sont la pauvreté et les situations à risque (crise, conflit, absence d’Etat de droit, etc.). Ce focus est souvent laissé à la coopération au développement et à d’autres portefeuilles.

De plus, dans la plupart des cas, les mesures proposées ou appliquées sont basées sur des incitants mal pensés car contraignants et inintéressants. Premièrement, les pays tiers ne voient pas l’intérêt de la réadmission de ses ressortissants au vu du coût qu’elle représente (même si à long terme un gain sociétal).

Deuxièmement, l’Europe reste sélective dans ses choix d’immigration légale, ouvrant ses portes à la main d’œuvre qualifiée voire très qualifiée entraînant la fuite des cerveaux (brain drain). Enfin, les pays tiers attendent des actes de la part de l’UE qui au sein du G20 et ailleurs s’est engagée à porter le dossier des remittances [[Remittances = envois de fonds correspondant à la part des revenus gagnés à l’étranger que les migrants rapatrient.]] (particulièrement taxées en Afrique subsaharienne) qui sont une source de revenus extérieurs aujourd’hui quatre fois supérieure à l’aide publique au développement au niveau mondial.

D’un point de vue mondial, depuis l’adoption des OMD pour la période 2000-2015, la migration internationale a augmenté de 32% et le niveau de remittances a été multiplié par cinq. La discussion mondiale autour du prochain cadre de développement global post 2015 intègre pleinement les questions de la migration et de la mobilité transnationale comme un réel atout pour le développement durable alors que l’UE semble paralysée, pour ne pas dire en route dans le sens inverse. Pourtant la restructuration de la prochaine CE pourrait offrir une voie royale pour une meilleure cohérence entre politiques intérieures et coopération internationale sur ces questions ainsi qu’une meilleure coordination de la thématique entre les Directions Générales de la CE et les autres acteurs européens travaillant dans leur silo.

L’avènement d’une politique durable sur la question des migrations et de la mobilité (depuis 2005 il existe une Global Approach to Migration and Mobility) demande la création de plus grandes synergies entre politiques internes et externes autant qu’elle demande une coopération plus grande avec les pays tiers. Sur le plan de l’action extérieure européenne, l’enjeu est donc de porter le message de la migration comme porteuse de développement tout en soutenant par la coopération au développement les pays d’origine dans leurs efforts domestiques. L’approche sécuritaire est contreproductive sur cette question et va à l’encontre des engagements de l’UE envers ses citoyens et le reste du monde concernant la cohérence des politiques pour le développement (comment défendre l’utilisation d’instruments extérieurs dans des pays tiers pour booster sa propre sécurité ?) La voie à suivre est celle qui a commencé à se tracer lors du 4è sommet UE-Afrique de 2014 par la création de canaux de migration légale en vue de répondre aux besoins du marché du travail. Il est donc essentiel pour l’UE d’intégrer les défis de développement internes et globaux dans sa politique migratoire.

Paix et sécurité, droits de l’homme, démocratie et gouvernance

En 2014, plus de 1,5 milliards de personnes [[World Bank (2011) World Development Report. Conflict, Security and Development]] au monde vivent dans l’insécurité ou dans des zones de conflit. A l’aube de l’année 2015, on recense cinquante zones de conflit potentiel de par le monde. Le rapport mondial du développement de 2011 de la Banque mondiale souligne que 90% des conflits déclenchés au 21è siècle le sont dans des pays ayant déjà connu une guerre civile. Les pressions de la globalisation, contre certaines desquelles les Etats sont parfois démunis, viennent s’ajouter aux causes initiales de conflit ou le deviennent. L’Institute for Economics of Peace estime à la date de 2014 que le coût des conflits pour les pays en voie de développement s’élève à plus de trente années de croissance du PIB en moyenne. Enfin, le contexte de ce début de 21ème siècle connaît aussi la montée en puissance d’un nouvel ordre multipolaire, avec les BRICS et les nouveaux pouvoirs régionaux, ainsi qu’une résurgence du recours à la menace militaire [[Capacité militaire pour laquelle les dépenses de certains pays sont en augmentation. Données SIPRI 2013 : la Chine, la Russie et l’Arabie Saoudite figurent parmi les 23 Etats qui ont plus que doublé leurs dépenses militaires depuis 2004.]].

En plus de ses outils de soft power et de ses instruments de coopération avec des pays tiers, l’UE dispose d’une base légale claire dans le Traité de Lisbonne faisant de la promotion de la paix et de la sécurité une des priorités de l’Union. En termes d’architecture politique, la PESC (politique étrangère et de sécurité commune) englobe depuis Lisbonne la PSDC (politique de sécurité et de défense commune). Sans remettre en cause les politiques de sécurité et de défense de chaque Etat membre (notamment les 22 membres de l’OTAN), la PSDC poursuit également l’objectif, à terme, d’une défense commune.

Si l’UE ne possède pas d’armée, elle est capable, sur papier, de conduire des opérations de gestion de crise avec une force de réaction rapide et des structures de commandement appropriées. Les dépenses opérationnelles PSDC ayant des implications militaires et de défense sont assurées par les budgets nationaux. Toutefois, à ce jour, il faut noter que la défense européenne, comme l’attestent les crises à répétition, ne s’est matérialisée qu’à quelques reprises et de manière à la fois hybride et ad-hoc. Une des raisons principales en est le fonctionnement intergouvernemental qui requière donc une prise de décision à l’unanimité au Conseil. Sans être belligérant, il est pourtant avéré qu’une capacité prouvée de réaction militaire européenne serait une force dissuasive clé. A sa décharge, la PSDC est relativement récente comparée à d’autres politiques européens (tentatives initiales à Maastricht et après à Lisbonne), et aucune réelle stratégie n’existe à ce jour pour regrouper les différents éléments et assurer une nécessaire coordination avec l’OTAN.

Concernant cette situation, deux choses doivent encore être soulignées : à ce jour l’UE reste un acteur régional [[L’UE et sa politique de sécurité et de politique étrangère fonctionnent en cercles concentriques décroissants. Son voisinage est sa première priorité et son domaine d’expertise, les régions suivantes en termes d’éloignement géographique y voient son engagement décroître. ]] de sécurité avec des capacités effectives de déploiement et de commandement qui sont limitées, et ce malgré les grands espoirs formulés. Toutefois, il est aujourd’hui évident pour tous les acteurs militaires et civils que la prévention, la résilience et le noyau développement-gouvernance-sécurité sont les éléments clés de toute stratégie future. L’UE fait ici figure d’acteur hybride innovant et non conventionnel activant divers leviers et travaillant par une approche multi-niveaux. Elle dispose en réalité déjà d’une panoplie d’outils se situant dans l’entre deux des mesures de coopération civile et militaire, conjuguant court terme et développement long terme.

Pour cadrer cet effort de sécurité et de politique de prévention, l’UE articule ses outils autour de la Stratégie européenne de sécurité de 2003, revue en 2008, et l’administre selon une approche dite holistique (comprehensive approach – coordonnant tous les éléments du puzzle sécuritaire et préventif existant) développée ces dernières années sous la supervision de la HR/VP au sein du SEAE. Il est à noter que la Stratégie européenne de sécurité doit urgemment l’objet d’une révision, à laquelle s’est engagée la nouvelle HR/VP avec les EM et que l’approche holistique n’est aujourd’hui pas beaucoup plus qu’une matrice sur papier qui demande implémentation. Dans la pratique, cet effort se décline à plusieurs niveaux et peut être vu par le prisme de quatre angles :

  • Assurance : mesures d’assurance reprenant les mesures civiles sous la PSDC (missions de police et d’État de droit, programmes de réforme du système de sécurité ou judiciaire ; assistance à la gestion intégrée des frontières ou encore les missions d’assistance ou d’observation électorale).
  • Prévention : de manière croissante une composante des programmes de coopération au développement. Se basant sur des expériences en interne, comme la Pologne, ou en externe, comme le Vietnam, l’UE cherche à y agir sur les racines de l’instabilité promouvant des mesures de community building, de dialogue politique et/ou social, d’inclusion de la société civile à la prise de décisions, etc.
  • Protection : ayant peu de prise politique sur la lutte contre le terrorisme ou le crime organisé qui reste dans le giron des EM, l’UE joue un double rôle de protection indirecte en soutenant les organisations régionales concernées ou les organisations internationales, principalement l’ONU.
  • Recours à la force : au niveau européen, ce recours est très rare pour les raisons mentionnées plus haut. L’UE et ses EM sont les principaux bailleurs des opérations de maintien de la paix de l’ONU avec plus de 40% de leur financement. L’UE en tant que bloc unitaire n’a par contre opéré qu’à quelques reprises comme force militaire [[En RDC (Artemis et EUFOR), au Tchad (EUFOR), en Somalie (Atalanta), en RCA (EUFOR) et en Bosnie-Herzégovine (Althea). Ses autres actions ont porté sur des missions de formation militaire au Mali et en Somalie.]].
  • Ce cadre d’intervention est à mettre en lien avec la complexité contemporaine des foyers d’instabilité et des réseaux d’acteurs des troubles ou de résolution. En effet, la fragilité et l’instabilité dans beaucoup de parties du monde, mais certainement dans le voisinage de l’UE, provient aussi d’une demande accrue au niveau mondial pour une meilleure gouvernance, pour le respect des droits de l’homme et des droits civils et socioéconomiques, pour une vraie démocratie de substance (monde arabe, Euromaidan, Bahreïn, Bangladesh, Chine, Brésil). Ces revendications, exprimées par de nouveaux acteurs et réseaux entrent entre autres dans la trajectoire de l’histoire longue durée des héritages coloniaux et communistes. Ni les réponses sécuritaires, a fortiori non souveraines, ni les approches technocratiques des programmes de coopération au développement n’ont pu et ne pourront répondre aux demandes et à une stabilisation de ces situations… d’où l’enjeu primordial pour l’UE d’une meilleure coordination et compréhension des actions en la matière, le besoin d’une stratégie holistique mais surtout politiquement fine.

Si l’UE est très active dans ces domaines et pourrait prétendre à une certaine crédibilité/légitimité [[L’UE est souvent perçu comme un neutral broker, un partenaire avec moins d’agenda caché et moins d’intérêt direct que les partenaires bilatéraux (EM). Cette force lui confère une place particulière vis-à-vis des partenaires.]] à travers ses engagements de longue date pour les droits de l’homme, pour l’état de droit, l’accès à la justice, les réformes socioéconomiques pro-pauvres, etc. elle y est fortement handicapée par :

  • Son incapacité jusqu’ici à s’engager dans une relation forte et saine avec la société civile des pays partenaires, avec le tissu économique local/national et en soutien aux nécessaires réformes socioéconomiques. Elle présente de plus une frilosité quasi maladive et un manque d’instruments adéquats pour s’engager avec les forces politiques pour en soutenir la pluralité ou même simplement la défendre.
  • L’évidente incohérence entre action et principes, entre le low politics des actions de l’UE et le high politics des EM, particulièrement dans les pays du voisinage sud et dans les ex-colonies européennes. La perte de légitimité de l’UE et des EM a été évidente, pas seulement devant l’impuissance et la non coordination des européens lors des révolutions dans le Maghreb et le Mashreq, mais devant la contradiction entre des EM soutenant des régimes semi dictatoriaux ou des démocraties de façade et des citoyens se levant pour des valeurs de droits et de justice inscrites au cœur de l’existence européenne.
  • Le carcan technocratique dont la CE et plus tard le SEAE ne sont jamais réellement parvenus à faire sortir les programmes de soutien ou de coopération qui concernent la substance démocratique et le droit. Une vieille approche nord-sud, top-down et one-size-fits-all voyant tout par le prisme des cadres logiques des coopérants ne permet pas de juger son accès et son impact sur la réelle substance démocratique. Le manque de compréhension du contexte local et le manque de pénétration dans la société, avec des Délégations dont les contacts se limitent souvent aux ONG et acteurs usual suspects localisés dans la capitale ont souvent achevé de ridiculiser ou au mieux de décrédibiliser ces programmes d’appui qui se déroulent comme si le récipiendaire vivait dans « vacuum » politique. Enfin, à cet écueil technocratique s’ajoute la tendance centraliste à travailler avec les gouvernements nationaux délaissant donc les entités décentralisées. Cela s’est révélé entre autres dans l’incapacité de soutenir l’approche du cycle électoral et politique dans son ensemble pour s’en tenir à des quick wins comme les missions d’observation électorale, utiles mais pas suffisantes.

Depuis les révolutions arabes et les avancées internes sur ces questions au sein du SEAE et de la CE, quelques améliorations de principe ont été obtenues. L’UE a adopté en 2012 son Cadre Stratégique et Plan d’Action pour les Droits de l’Homme et la Démocratie qui cherche à coordonner toutes les actions européennes dans ces domaines et à garantir l’inclusion des droits de l’Homme tous les actions européennes. De même, l’adoption d’un plan d’action sur l’autonomisation des femmes et l’égalité de genre pour la période 2010-2015 et la Communication de la CE sur « les racines de la démocratie et du développement durable » ainsi que le lancement de la « boîte à outils » de l’approche basée sur les droits de l’Homme de la CE sont autant de signaux que les institutions européennes ont entendu le message.

Mais la base conceptuelle de toutes ces orientations politiques et ces cadres de travail pour les instruments d’implémentation est toujours aussi problématique car elle ne reflète pas la réalité et n’y puise pas son inspiration. La contrainte d’instruments inadaptés, trop massifs et peu flexibles, complète cette inadéquation de l’approche par rapport à des dynamiques citoyennes et politiques par nature non cadrées comme des projets ou des programmes préétablis. De plus, ces instruments sont souvent inaccessibles aux petites organisations et leurs fonds finissent souvent dans les ONG gérées par ceux qui au départ en ont déjà les moyens. Là aussi, il aura fallu des initiatives indépendantes en dehors des institutions pour que les acteurs locaux et les activistes des droits de l’Homme soient soutenus comme c’est le cas avec la Dotation européenne pour la démocratie (EED – European Endowment for Democracy [[Créée à l’initiative de la Pologne et vrai instrument politique de soutien à des mouvements que les polonais ont identifié comme très proches de ceux sur lesquels leur propre histoire récente a été construite. EED est née suite aux révolutions dans le monde arabes et soutenue financièrement par la CE mais aussi par d’autres Etats et fonctionnellement largement indépendante (quoique ceci sera à vérifier à l’épreuve du temps).]]).

Pour conclure, les grandes priorités de la prochaine HR/VP pourraient sans conteste être la proposition au Conseil de passer de l’unanimité [[L’unanimité étant synonyme aujourd’hui de plus petit commun dénominateur. ]] à la majorité qualifiée et l’utilisation plus subtile, plus fréquente et plus rapide de la « coopération renforcée [[ Enhanced cooperation : Article 20 du Traité de Lisbonne : Les EM qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences non exclusives de l’UE peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences en appliquant les dispositions appropriées des traités. Les actes adoptés dans le cadre d’une coopération renforcée ne lient que les EM participants. Ils ne sont pas considérés comme un acquis devant être accepté par les États candidats à l’adhésion à l’UE]] ». Elle pourrait également pousser à la rationalisation de l’industrie de la défense européenne et à la réalisation des recommandations du Conseil européen d’Helsinki de 1999 appelant l’UE à être capable de mener à bien des missions de Petersberg [[Les missions de Petersberg comprennent les missions humanitaires et d’évacuation, de maintien de la paix ; et de combat pour la gestion des crises, y compris les opérations de rétablissement de la paix.]], avec des forces devant atteindre l’effectif de 50 à 60 000 hommes.

De manière plus réaliste et au vu des évolutions décrites ci-dessus, l’UE a comme premier enjeu de savoir où elle présente une valeur ajoutée, où elle peut être avant tout big on big things et être le cas échéant le best supporting actor [[Comme pour la cérémonie des Oscars du cinéma, la catégorie de meilleur acteur dans un second rôle est ici le positionnement de l’UE comme meilleur soutien possible à une situation ou à une action, sans en être le premier rôle.]]. Les éléments explorés plus haut montrent aussi que l’UE doit adopter une vision holistique. Il faut maintenant coordonner les différentes initiatives et les outils existants pour assurer une meilleure prévention des conflits et un soutien aux forces du changement réclamant plus de démocratie et le respect des droits de l’Homme. Pour cela, une réforme en profondeur de la manière de travailler de la diplomatie et des acteurs européens sur le terrain est requise pour éviter les tendances technocratiques, tout autant que l’incohérence politique. Les Délégations de l’UE jouent un rôle clé dans la remontée de l’information mais aussi dans la relation avec les pays tiers et leur société civile et politique. L’UE n’est pas ses EM, elle n’en est pas la simple somme et doit donc jouer de sa crédibilité et de sa légitimité sur son passif en matière de respect des droits de l’Homme, de démocratie, de gouvernance, d’accès à la justice, etc. pour apparaître comme un neutral broker sur ces questions.

Enjeux transversaux

Deux principaux enjeux sont transversaux aux thématiques abordées plus haut, en ce qu’ils revêtent un caractère plus politique que technique et sont l’expression de la vision de la relation que l’UE désire entretenir avec le monde. A l’heure où, comme exploré plus haut et discuté ci-dessous concernant les défis politiques et institutionnels, une politique étrangère européenne ne peut être qu’un mix de coordination des EM et de représentation « unioniste », deux des plus grands blocs existant de cette politique sont la politique de coopération au développement et la politique européenne de voisinage. Leurs instruments représentent plus de 70% du financement de l’action extérieure financée par le budget européen [[En prenant en compte le Fonds Européen de Développement qui est hors budget européen mais géré par la CE.]].

Politique de coopération au développement
L’UE s’est engagée très tôt dans la coopération avec les pays en voie de développement, principalement d’anciennes colonies africaines [[Les Accords de partenariat avec les pays ACP (aujourd’hui 79 pays membres) ont commencé dans les années 1950 avec les premiers accords signés La convention de Lomé a été signé par la suite en 1975 et exposait les principes et les objectifs de la coopération de l’UE avec les pays ACP (partenariat, aide, commerce, politique). Des sommets ses sont tenus tous les 5 ans pour Lomé I, II et III, et après cela 10 ans pour Lomé IV.]]. Je me contenterai ici d’expliquer le double enjeu que représente cette politique pour l’action extérieure de l’UE. L’un concerne les transformations que vit la pratique de la coopération au développement comme lien que l’UE entretient avec le monde. L’autre concerne la réflexion sur le futur cadre de développement global.

L’expérience de coopération au développement est fortement ancrée dans l’histoire des institutions européennes, dans ses traités [[Article 208 du Traité de Lisbonne réaffirme que l’UE doit tenir compte de l’objectif de la coopération au développement dans les politiques qu’elle met en œuvre et qui sont susceptibles d’affecter les pays en développement (aussi Art 21).]], dans la pratique européenne des EM où la direction politique prise par la CE sert de balisage aux coopérations bilatérales, et enfin au sein des services de la CE où la DG DEVCO est la plus grande de toutes les Directions Générales. Si les programmes de coopération au développement visent bien évidemment la réduction de la pauvreté et la promotion d’un développement durable, ils sont aussi le premier outil relationnel de politique étrangère de l’UE depuis longtemps, tant en volume [[Avec 55,2 milliards d’euros d’aide publique au développement mis à disposition en 2012, les institutions européennes et les 28 États membres de l’UE ont fourni plus de la moitié de l’aide publique mondiale.]] qu’en couverture géographique.

Ces objectifs intègrent un impératif moral autant que la promotion des intérêts de l’UE : l’amélioration des conditions de vie des populations et une meilleure gouvernance de leurs sociétés sont des facteurs de prévention (instabilité, conflit, migrations) mais aussi de prospérité des relations d’échange avec les pays concernés. Ces dernières années, les bases fragiles de beaucoup de pays ont révélé les manquements partiels des programmes de coopération. La montée des inégalités, même si non attribuable à la coopération au développement, a également révélé le manque d’attention de cette politique aux dynamiques socioéconomiques et aux questions de redistribution. Au cours des deux dernières décennies et face au constat d’échec d’une approche trickle down economics [[La théorie du ruissellement (en anglais trickle down economics) est une théorie économique selon laquelle, sauf destruction ou accumulation de monnaie, les revenus des individus les plus riches sont in fine réinjectés dans l’économie, soit par le biais de leur consommation, soit par celui de l’investissement, contribuant ainsi, directement ou indirectement, à l’activité économique générale et à l’emploi dans le reste de la société.]], s’est imposée la notion de développement humain [[Le principal objectif du développement humain est d’élargir la gamme des choix offerts à la population, qui permettent de rendre le développement plus démocratique et plus participatif. Ces choix doivent comprendre des possibilités d’accéder aux revenus et à l’emploi, à l’éducation et aux soins de santé et à un environnement propre ne présentant pas de danger. L’individu doit également avoir la possibilité de participer pleinement aux décisions de la communauté et de jouir des libertés humaines, économiques et politiques.]]. Sur le plan conceptuel, il faut noter que la CE a intégré ces évolutions mais doit encore faire tomber ses propres silos pour pouvoir refléter cette évolution transversale dans sa programmation.

Si la CE s’adapte continuellement aux réalités de terrain et à la transformation bien heureuse de la coopération au développement en partenariat plutôt qu’en imposition bailleur-récipiendaire, deux autres enjeux fragilisent l’UE dans sa position vis-à-vis du monde extérieur. Tout d’abord, les « new kids on the block » (BRICS et autres économies émergentes) changent les règles du jeu. Là où l’aide publique au développement doit remplir des critères de déboursement très fortement cadrés par des soucis de respect des normes internationales, de droits de l’Homme, etc. l’aide « liée » de la Chine par exemple ne respecte aucune règle mis à part celles qu’elle s’impose par le contrat signé avec le pays récipiendaire. Cela arrange tout le monde : le récipiendaire souverain en son pays à qui on ne pose pas de question et le bailleur/donateur qui n’a pas à se soucier de l’état de santé de la société où il place son argent. Au-delà de l’effet BRICS, les défis développementaux de la planète appellent aujourd’hui à des investissements pour lesquels l’aide publique au développement apparaît comme une goutte dans l’océan.

La révision de la politique de coopération au développement opérée depuis 2011 par la CE tente de répondre à ces défis en partie par l’utilisation de l’aide publique au développement comme financement catalyseur de financements plus importants. Autrement dit, la CE utilisera de l’aide pour préparer le terrain à des investissements privés ou publics plus massifs. La faveur donnée au secteur privé dans les premières moutures du projet de révision du Commissaire au développement ont été rappelées à l’ordre par la société civile, les Nations Unies et le Parlement par la démonstration du manque de corrélation entre l’amélioration des conditions de vie des plus démunis et investissements infrastructurels financés par le secteur privé. De plus, le Parlement aura tenu tête à la CE sur la nécessité de tenir compte des plus pauvres, inclus dans les pays à revenu moyen, où elle désirait retirer son aide, et dans les pays les moins avancés. Finalement, l’enjeu du partenariat avec l’Afrique est la priorité de la CE pour 2014-2019 tant les liens forts qui unissent les deux continents pourraient être mis à mal si la politique de coopération n’est pas repensée, ce qui sera l’objectif de la révision de l’Accord de Cotonou [[ Accord de Cotonou : signé en 200 entre UE et ACP, l’accord de Cotonou a pour objectif de rétablir les équilibres macro-économiques, de développer le secteur privé, d’améliorer les services sociaux, de favoriser l’intégration régionale, de promouvoir l’égalité des chances hommes-femmes, de protéger l’environnement et d’abolir de manière progressive et réciproque les entraves aux échanges commerciaux. Les accords de partenariat économique, en cours de négociation, renforcent l’abaissement des barrières douanières prévues par cet accord.]], le dernier en date d’une série longue de 40 ans d’accords de coopération.

En 2015, les nations membres de l’ONU devront sanctionner lors de l’Assemblée générale le canevas de développement mondial post -2015. Au-delà de la question institutionnelle que cela pose entre UE et EM ainsi que de la répartition des rôles, entre autres au sein de la CE, l’enjeu est majeur puisque le prochain cadre global de développement sera universel, contrairement à l’agenda des OMD qui était une feuille de route pour les pays en voie de développement. Cette fois-ci, le contexte géopolitique a changé et les pays en voie de développement pèsent de tout leur poids à la table des négociations, sans parler des BRICS et des pays non-alignés (G77), pour que le cadre soit universel et n’apparaisse plus seulement comme la leçon des pays développés aux autres. De plus, il sera holistique par nature contrairement aux OMD façonnés sur un modèle de développement social et apolitique. L’enjeu de la place de l’Union européenne sur la scène internationale est donc majeur. Même si ce sont les EM qui seront les pilotes de la position européenne dans cette négociation mondiale, l’UE et ses institutions ont ici une opportunité inouïe d’influencer les débats par le partage d’expérience du modèle social de l’Europe qui, même si mis à mal et partiellement non durable, peut offrir beaucoup de leçons en matière de développement humain, de lutte contre la pauvreté et de modèles de gouvernance démocratique et de protection sociale. De même, les ambitions et les progrès de l’UE en matière de développement durable devraient être partagés et devraient être un seuil pour les ambitions futures, pas un plafond.

Politique européenne de voisinage
Vu de l’an 2014, l’UE n’est plus entourée de la ring of friends que décrivait Romano Prodi mais d’une ring of troubles voire même d’un potentiel guêpier sécuritaire et social. Ce n’est pas grâce à l’Europe que des citoyens du Maghreb et du Mashreq se sont soulevés. Ce n’est pas non plus à cause ou grâce à l’Europe que les manifestants de Maidan ont démonté la clique d’oligarques ukrainiens régnant sur le pays. C’est la substance des valeurs défendues par l’Europe que les manifestants ont tous cherché à défendre, pas leur version euro-centrée mais bien les valeurs universelles de liberté, de justice et de respect de la dignité humaine, alors même que l’Europe était absente ou coincée dans son action par des considérations parfois lointaines de ces valeurs. Dans tous les cas, l’UE n’a pas réagi ni assez vite ni symboliquement en faveur de ceux avec qui elle peut avoir un vrai partenariat fondé sur le respect et la différence.

La politique européenne de voisinage (PEV) englobe tous les enjeux thématiques décrits plus haut et est une des branches de la coopération au développement, au sens large. Mais soyons clairs, la PEV manque très grossièrement de finesse politique et a été très longtemps considérée comme un état de fait plutôt que comme une relation dynamique à nourrir et à entretenir. Avec son carcan unique (one-size-fits-all) et ses gros sabots euro-centrés, la PEV de la dernière décennie ne présentait aucune analyse des différences entre les pays concernés, de leurs évolutions historico-politiques et encore moins une analyse politique des intérêts des pays concernés mais aussi des puissances régionales et des grandes puissances comme le cas ukrainien l’a tristement attesté.

La PEV englobe 6 pays de l’Est [[Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine]] et 10 pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ([[Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Palestine, Syrie et Tunisie]]). A la base, la PEV est principalement une politique bilatérale entre UE et chaque pays tiers. Elle a été complétée et nourrie par des initiatives régionales que sont le Partenariat Oriental (Eastern Partnership) et EuroMed. Avec ces pays, la politique extérieure de l’UE se débat et se tiraille entre PEV et PESC, entre une approche communautaire (très proche de mécanismes de pré-accession) et une vision de politique étrangère d’égal à égal avec des pays tiers. Ceci est particulièrement vrai pour les pays du Sud de la Méditerranée. Mais depuis Lisbonne et les avancées de la PESC, la frontière entre ces deux manières de voir (ces deux instruments pour être correct) s’estompe et plus de clarté est requise.

Dans beaucoup de cas, ces pays sont limitrophes d’une puissance régionale ou sont leur influence. Ces puissances régionales que sont la Russie, l’Arabie Saoudite, l’Iran et la Turquie doivent et devraient être prises en compte dans toute politique vis-à-vis des voisins européens. Ceci est d’autant plus vrai au vu de l’association géopolitique Europe-États-Unis accrochée à l’image de l’UE et du pivot stratégique effectué par les Etats-Unis vers l’Asie (entrainant leur désengagement partiel des zones concernées par le voisinage européen). Aussi, au sein de ces deux groupes de pays, l’UE devrait affiner sa différentiation analytique et considérer comme très différentes des régions, par exemple au Sud, comme le Maghreb, le Mashreq, le Proche et le Moyen Orient, les pays du Golfe. Historiquement et dans le traitement qu’en a fait l’UE, les pays de l’Est ont une place bien plus privilégiée que les pays du Sud et les relations ainsi que les intentions y apparaissent beaucoup plus claires (même si le cas ukrainien en démontre encore l’hésitation quand il s’agit de passer à l’acte).

Le bloc Est, si l’on peut le nommer ainsi, est entièrement constitué d’anciennes républiques soviétiques où la Russie exerce aujourd’hui un degré d’influence plus (Biélorussie) ou moins (Moldavie) important, voire applique une politique d’annexion territoriale (« game of zones ») comme c’est le cas en Crimée, en Ossétie du Sud ou en Abkhazie. Certains des pays de ce bloc font partie intégrante, historiquement comme économiquement, de l’Europe de sorte qu’il faut aujourd’hui à l’UE clarifier sa politique d’accession (élargissement) et identifier les intérêts communs avec ces pays (clarification quant à la volonté d’adhésion ou de partenariat). C’est aujourd’hui d’autant plus vrai que la Russie joue la carte régionale avec la création d’une union douanière [[L’Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan est une union douanière entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan instaurée le 1er janvier 2010.]]. Savoir ce que l’on veut permet d’agir quand il le faut. La Russie, au lendemain du refus de Yanukovitch de signer l’accord de libre-échange avec l’UE à Vilnius en 2013, a remercié l’Ukraine avec un paquet financier de 11 milliards d’euros en crédits, abrogation de sanctions commerciales, réduction de prix du gaz et projets de coopération industrielle. Même si les manifestants ukrainiens se sont opposés à cet accord avec la Russie, il faut retenir l’investissement prêt à être fait par Moscou et le manque d’engagement de l’UE.

Au Sud de l’UE, le paysage géographique et historique peut être considéré, sous certains aspects, comme plus compliqué et diversifié. Les logiques politiques, l’instrumentalisation religieuse et les trajectoires historiques sont trop complexes et diverses pour être exposées ici mais il faut noter que du Maroc à la Syrie, les intérêts énergétiques, sécuritaires et commerciaux sont énormes tant pour les pays concernés que pour l’UE. Il paraît indispensable dans le peaufinage d’une PEV revisitée de différencier certaines zones et de « customiser » les relations entre ces différents acteurs dont certains peuvent être considérés comme partenaires mais dont d’autres doivent refaire l’objet d’une évaluation des intérêts respectifs. Il faut à l’UE une stratégie basée sur des intentions claires car, comme dans le cas ukrainien, l’exemple de l’Egypte fut révélateur : la proposition financière de l’UE de 5 milliards d’Euros suite à la chute de Moubarak n’était en réalité qu’un ré-emballage d’engagements préexistants et à débourser sur une longue période. De manière contrastante, les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite offraient un paquet de 6 milliards d’Euros après le coup militaire de 2013… no strings attached and cash in the pocket ! La conditionnalité européenne et son hyper prudence issue d’un manque de clarté sur ses objectifs la décrédibilisent et ne sont pas des bases pour entamer un partenariat. Enfin, dans les régions du Maghreb/Mashreq, du Moyen Orient et des pays du Golfe, l’UE doit éviter une association trop grande avec les USA pour enrayer une vision « the West versus the Rest » et éviter de prendre parti dans les tensions entre chiites et sunnites.

Dans presque tous les cas de la PEV, le processus a été délégitimé par le fossé entre actions et principes. L’UE prêchant des valeurs progressistes et ses EM soutenant des régimes que les citoyens font tomber. De plus, la PEV a souvent été appliquée de manière arbitraire et sélective alors qu’elle clamait l’application équitable des critères de conditionnalité et des déboursements. S’ajoute à cela un engagement quasi nul et mal calibré envers et avec les forces vives autres que le gouvernement central et les usual suspects de la capitale : la société civile, les autorités locales et les entreprises, en particulier les PME. Dotée de plus de 15 milliards d’Euros pour 2014-2020 et riche en expérience et en outils remaniables si nécessaire, la PEV demande un meilleure assemblage de ses composantes et une diplomatie plus active et affinée.

Enfin, la PEV a été, dès sa création, une sorte de plagiat conceptuel de la politique d’élargissement de l’UE. C’est bien là une erreur conceptuelle importante car l’accession n’est pas au bout du tunnel de la PEV et c’est une approche qui ne fonctionne pas avec des pays tiers n’ayant pas envie d’une relation exclusive avec l’UE. La politique d’élargissement offre des garanties et une vision long terme que la PEV ne peut offrir et qui la rend donc inopérante face aux chocs de court terme dans les pays voisins. Considérant ces traits à modifier, l’UE devrait peser de tout son poids pour proposer des projets de coopération et de partenariat d’envergure qui touchent d’autres domaines que le sécuritaire ou le commercial entre grosses entreprises. La PEV devrait être le lieu pour entamer des coopérations énergétiques et de transport, des échanges universitaires et de recherche, du soutien au développement de PME et d’un tissu économique diversifié ou encore la coopération avec la société civile et les autorités locales aujourd’hui encore trop laissées sur le côté. En d’autres mots, il faut engager un paquet holistique incluant ce que les politiques domestiques de l’UE peuvent offrir pour nourrir la relation de voisinage.

En termes politiques et stratégiques, cela implique donc de clarifier la politique d’élargissement, de revoir le mécanisme de conditionnalité qui régule la PEV et de rétablir le « partenariat » comme objectif, non comme point de départ… une relation à construire plutôt qu’une prémisse.

Enjeux et défis politiques et institutionnels

Il n’est un secret pour personne que l’Union européenne est un casse-tête politique et institutionnel permanent. D’abord Communauté puis aujourd’hui Union, l’UE est un animal politique et institutionnel hybride comme il n’en a jamais été créé auparavant. Bien qu’elle ait tracé son chemin vers plus d’intégration et d’interdépendance les années allant, elle est aujourd’hui le reflet de son cheminement : une entité à la fois centralisée pour sa partie communautaire et un organe multicéphale dans sa prise de décision (et donc la résolution de ses contradictions). A l’heure de la crise économique et financière, il est maintenant avéré qu’elle traverse par une crise existentielle (schizophrénie post-Westphalienne), un questionnement identitaire et politique profond sur le besoin ou non de plus d’intégration.

Au sein l’UE, rien de plus politique que l’institutionnel. Les jeux et les structures de pouvoir déterminent la marge de manœuvre et le design des entités censées en jouer. L’UE est certes ancrée dans des Traités mais elle n’en est elle-même que la locataire asservie à des copropriétaires, les EM, pesant plus ou moins gros. Pas de constitution, pas de souveraineté supranationale.

Rien que pour les domaines de fond et transversaux évoqués, il serait fort difficile de recenser tous les enjeux politiques et institutionnels. Mais au lendemain des élections européennes de mai 2014, il est possible de distinguer une série d’enjeux et de défis posés à l’action extérieure de l’UE :

1. Articulation « communautaire » et « intergouvernemental »
La citation de Henry Kissinger est évocatrice: Who do I call if I want to call Europe? Aujourd’hui il existe un numéro de téléphone pour la Ministre des Affaires Etrangères européenne, c’est celui de Federica Mogherini, la nouvelle HR/VP. Mais aujourd’hui, c’est Madame Mogherini qui a 28 numéros différents à composer pour forger une stratégie. Mis à part la compétence exclusive de l’UE dans le domaine du commerce, les enjeux évoqués plus haut sont sujets à la compétence partagée et certains ne sont que très récents dans leur « unionisation ». C’est là un des enjeux majeurs de la nouvelle Commission Juncker : rééquilibrer communautaire et intergouvernemental, éviter que la Commission soit simplement le secrétariat du Conseil (pour contrer également l’instrumentalisation nationale des affaires européennes par les EM). Sur la scène internationale, cela signifie démontrer unity of purpose et unity of action.

L’enjeu d’une plus grande cohérence de l’action extérieure de l’UE autour d’une unity of purpose, d’une meilleure division du travail avec et entre les EM, n’engage rien de moins que la place de l’UE dans le monde et sa capacité à peser. Les divisions entre EM et la tendance au sabotage là où les intérêts de certains divergent sont un frein à la capacité de l’UE à se présenter à la table des négociations climatiques avec tout son poids (alors qu’elle pèse plus lourd que tous les autres acteurs, pas seulement dans la lutte contre le CC), à présenter une opposition ferme même si non violente à des opposants, à négocier un accord commercial transatlantique qui ne lui soit pas défavorable, ou encore à éviter d’apparaître hypocrite et non fiable face aux pays tiers de la rive sud de la Méditerranée. L’enjeu le plus direct pour la CE et le SEAE est donc l’indépendance, meilleure garantie pour poursuivre l’intérêt général, accompagnée de la capacité à présenter un projet démontrant l’utilité de la convergence des EM dans certains domaines (par exemple pour le cas de la défense européenne ou du paquet énergie/climat).

2. Cohérence entre politiques internes et externes
Il n’est pas besoin de s’appesantir sur ce point si l’on songe aux enjeux de fond et transversaux exposés plus haut où l’appel à la cohérence est criant. Que l’on songe à la question migratoire ou à la lutte contre le changement climatique (CC), la question de la cohérence est primordiale. Pour la crédibilité d’un acteur, ne pas prêcher une chose tout en faisant son contraire est indispensable. Défendre une action forte dans la lutte contre le CC mais soutenir des projets d’énergies fossiles hors de ses frontières, ou inversement exhorter ses partenaires à s’engager dans une économie plus verte en même temps que de revoir ses ambitions à la baisse au niveau domestique, sont autant de contradictions qui nuisent à la politique extérieure de l’UE. De manière plus technique, il est indispensable de ne pas penser les politiques en vase clos. Dans un monde interdépendant, envisager sa politique digitale, migratoire, climatique ou commerciale sans tenir compte de leur impact global (et de l’impact externe au niveau domestique) est une erreur stratégique.

Le cas le plus flagrant est bien évidemment l’action indispensable de l’UE en matière de coopération au développement où elle est de loin le premier acteur mondial et jouit d’une excellente réputation, celle-ci étant un atout non négligeable de politique étrangère. Toutefois, certaines des politiques européennes ont un impact négatif sur le développement des pays qu’elles soutiennent : politique commerciale créant des barrières non douanières à l’entrée des produits d’importation vers l’UE, politique agricole subsidiant l’industrie agro-alimentaire au point de rendre des produits importés non compétitifs même si moins chers à l’origine, régime de brevets portant atteinte à l’amélioration de la santé publique des pays partenaires où l’humanitaire et la coopération développement doivent faire voiture balais, ou encore politique migratoire défensive ou sélective provoquant fuite des cerveaux et trafics d’êtres humains. Il est crucial de pouvoir projeter l’un sur l’autre l’impact de l’interne sur l’externe et vice-versa. Cette dynamique est difficile à envisager à travers des institutions européennes et des domaines de compétences conçus en silos et sujets à l’influence des EM.

3. Break down barriers and get fit for purpose!
Il est important de garder à l’esprit que la CE, et par un ricochet pas toujours automatique les autres institutions européennes, a vu au cours des décennies une augmentation progressive de ses domaines de compétence et de son degré de « souveraineté » sur ces compétences. Cela explique en partie ses côtés novices dans certains domaines et son fonctionnement en silos. Il apparaît indispensable, tant sur le fonctionnement que sur les politiques, de rationaliser l’UE (cohérence et coordination) et qu’elle soit bigger and more ambitious on big things and smaller and more modest on small things.

Approche politique, transversalité et meilleure coordination : les défis à relever.

  • Approche politique d’abord car, actuellement dans les domaines de l’action extérieure, la CE et le SEAE fonctionnent encore et toujours selon une approche relativement technocratique, même si des améliorations notoires doivent être mises à leur crédit depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
  • Ensuite, l’approche en silos de la CE et du SEAE se repère dès la visualisation de leurs organigrammes respectifs. Comment construire une politique extérieure sur la question climatique alors qu’elle n’est pas réellement présente au sein du SEAE et souvent traitée de manière déconnectée par la DG Clima de la CE ? Comment délier la question migratoire des relations avec les pays partenaires ?
  • Enfin, une meilleure coordination est désirable pour s’occuper des big things là où l’UE a tout son poids. Cette coordination peut vouloir dire dans certains cas de simplement assurer une meilleure division du travail entre les institutions européennes et les EM, à condition d’une unity of purpose et d’une unity of action. Là où l’UE, comme entité et EM réunis, est présente en force cela doit vouloir dire plus de programmation conjointe sur le terrain, sous l’égide des Délégations de l’UE sur le terrain.

De manière globale, le défi européen en matière d’action extérieure sur la question organisationnelle, à moins d’un sursaut de fédéralisme poussé relativement inconcevable aujourd’hui, est de parvenir à articuler les différentes pièces d’un puzzle en réalité déjà bien riche qui ne demande qu’à être assemblées pour plus d’efficacité.

4. Budget européen
Le budget européen représente moins de 1% du produit intérieur brut européen. Il est fixé pour sept ans par le cadre financier pluriannuel alors que la réalité politique et sociale est en mouvement constant. Voilà l’équation avec laquelle doivent composer les institutions européennes qui subissent le blame game des EM : donner les miettes financières à l’UE en lui conférant davantage de responsabilités, pour ensuite la blâmer devant les contribuables à qui l’on offre une vision de la fiscalité et de ses résultats que par le prisme national.

Si l’action extérieure, que l’on voudrait forcément plus proactive, sera toujours à un certain degré réactive aux évènements du monde extra muros, ses instruments financiers doivent être flexibles. Grâce aux négociations menées par le PE, un certain degré de flexibilité budgétaire [[Lors des négociations entre CE, Conseil et Parlement européen, le PE insisté sur les priorités que sont la flexibilité pour transférer les fonds non versés entre les années et entre les catégories de dépenses, la révision du budget à long terme en 2016 et l’évaluation du système de financement de l’UE.]] pour 2014-2020 a été acquis, il faudra maintenant voir la pratique. Cette pratique ne se fera pas attendre car les crises ne font pas la queue, elles n’attendent pas leur tour.

Comme l’évaluait récemment le Commissaire actuel à la coopération au développement, la destination de l’aide au développement vers les pays fragiles et en crise en devenu la règle plutôt que l’exception. Rien qu’en août 2014, quatre pays ont été classés niveau 3 selon le classement d’urgence humanitaire des Nations Unies [[Un triste record avec la Syrie, le Soudan du Sud, la République Centrafricaine et l’Irak.]]. Même si l’allocation du budget européen à l’action extérieure est discutable face à l’ampleur des enjeux externes, la lenteur du déboursement et l’inflexibilité des instruments ainsi que l’interférence des EM diminuent fortement l’efficacité de l’action extérieure de l’UE.

5. Le rôle du Parlement européen
« Flexing its muscles », autrement dit se mettre en condition avant le match, voilà comment on peut qualifier l’action du PE lors du mandat 2009-2014, le premier mandat post Traité de Lisbonne et donc avec des pouvoirs augmentés. Pendant cette période, le PE a probablement été l’institution la plus pro-européenne, parfois la plus progressiste et la plus soucieuse de l’intérêt long terme de l’UE et de ses citoyens. Tout n’a pas été rose bien évidemment ! Mais l’évaluation générale peut être celle d’un PE courageux sur le budget européen, rappelant à la responsabilité et à la transparence la CE et le Conseil sur certains sujets allant des OGM au TTIP, à des points politiquement moins vendeurs [[Par exemple l’assurance de ne pas oublier les plus pauvres dans les pays à moyen revenus parmi les critères techniques de la nouvelle politique de coopération au développement de l’Union (le plus grand volume de personnes extrêmement pauvres vivent en réalité dans ces pays, comme en Inde).]]. Le PE n’est certes pas la perfection incarnée de la redevabilité mais c’est ce qui se fait de mieux au niveau transnational à ce jour !

Le pouvoir du PE sur les affaires étrangères est par contre relativement limité et son organisation en commissions parlementaires (et donc en silos) l’empêche souvent de voir le global picture. La commission AFET (Affaires Etrangères) par exemple est la plus grande commission du PE et la plus prestigieuse. Si elle peut être une formidable caisse de résonance pour faire écho aux problèmes ou aux acteurs étrangers, elle n’est pas nécessairement en mesure de contrecarrer un projet dans le domaine sécuritaire par exemple tout comme concernant certaines compétences partagées avec les EM.

Enfin, les silos des commissions parlementaires peuvent parfois être absurdes ou contreproductifs : comment expliquer que la question climatique est quasi uniquement discutée dans la commission environnement et santé publique alors que les questions énergétiques et internationales sont clairement concernées ? Le Parlement européen est mal organisé pour faire face à la globalisation accrue des problématiques qu’il doit traiter. Des commissions conjointes et des taskforces spécifiques devraient être fonctionnelles rapidement pour faire du lien et travailler dans la transversalité exigée par les questions traitées (et pour s’adapter à la nouvelle structure de la CE). De plus, les commissions sont les organes les plus importants et drainent le plus du travail parlementaire alors que des délégations vers les pays ou régions extérieures ainsi que des assemblées parlementaires régionales conjointes (comme avec les pays ACP ou d’Amérique latine) existent et paraissent peu ou mal exploitées. Enfin, le PE devrait renforcer le niveau de coopération avec les parlements nationaux dans les EM.

6. Géopolitique et bouleversements de la gouvernance mondiale
Afin d’affiner la compréhension des enjeux politiques auxquels sont confrontées les institutions à un niveau qui dépassent leur échelle stricte, il peut être utile d’avoir en tête les éléments suivants :

  • Une obsession quasi constante : l’Occident. Alors que les Etats Unis d’Obama ont opéré leur mouvement de « pivot asiatique » et que l’unilatéralisme américain fait tout doucement place à un monde multipolaire, l’UE est perdue. La boussole qu’était le frère américain s’éteignant, l’alliance occidentale fait apparaître les faiblesses structurelles du système de politique étrangère et de sécurité européenne, ainsi que sa dépendance à l’orientation américaine. Au-delà des décisions strictement géopolitiques, la notion artificielle d’Occident, même si l’on voulait l’éviter, se retrouve au centre des relations que l’UE entretient avec le reste du monde, avec tout ce que cela peut comporter d’arrogant ou d’attirant.
  • La montée en puissance des économies émergentes et des BRICS en particulier. Ce rééquilibrage mondial est un réel mouvement tectonique et reconfigure le paysage et le maillage de la gouvernance internationale. Leur pouvoir financier, militaire et diplomatique entraîne aussi de nouvelles revendications comme le révisionnisme chinois concernant le droit à la mer ou la création d’une banque de développement par les BRICS.
  • La prolifération des Etats hybrides et des Etats fragiles. Les configurations de pouvoir et de territorialité héritées du colonialisme ou du communisme explosent à certains endroits et dans beaucoup d’autres sont contenues par des pseudo-démocraties. Ces démocraties de façade [[Sans être exhaustif, on peut citer l’Algérie, le Kazakhstan ou à l’Arabie Saoudite.]], où se tiennent élections et parfois une vie politique pluraliste, sont dénuées de substance. Elles sont des coquilles vides où la participation, la liberté d’expression, l’état de droit, l’accès à la justice ainsi que la vie syndicale associative et parlementaire sont en réalité sous contrôle absolu de l’État ou absentes. D’un autre côté, le monde fait face à un nombre accru de fragile or failed states, des États où la guerre civile et les rivalités de pouvoir sur fond d’instrumentalisation ethnique ou territoriale ont fini de dévaster le contenu du contrat social entre citoyens et États. Tout y manque, le point de départ n’est jamais facile à trouver pour relancer la confiance et les institutions de fourniture de services de base sont absentes, laissant place à une reconstruction non coordonnée, évoluant dans des économies informelles et des partages de pouvoir des hommes forts du moment.

Pour l’UE, il est donc indispensable, comme le prescrit le Conseil européen de juin 2014, de réévaluer les changements géopolitiques de la dernière décennie et de redéfinir, sans dépendance à l’allié américain, une stratégie et un positionnement européen dans ce nouvel ordre mondial. De même, il sera indispensable de repenser le positionnement et la valeur ajoutée de l’Union comme entité régionale vis-à-vis de son voisinage direct. Pour cela, comme évoqué à plusieurs reprises, il faut développer une capacité d’analyse plus ancrée dans les réalités politiques et historiques, une réelle political economy des voisinages Est et Sud ainsi que de la relation à l’Afrique subsaharienne.

Pour cela, il faut un réel aperçu historique des situations locales et régionales autant qu’une compréhension de la résultante des interactions de l’UE avec ces régions. Cette analyse est une nécessité autant qu’une question de respect diplomatique vis-à-vis de ces régions. Il faudra concevoir les politiques engagées vis-à-vis du Moyen-Orient comme les conséquences de l’accord Sykes-Picot [[Les accords Sykes-Picot sont des accords secrets signés le 16 mai 1916, entre la France et la Grande-Bretagne (avec l’aval des Russes et des Italiens), prévoyant le partage du Moyen-Orient à la fin de la guerre en zones d’influence entre ces puissances, dans le but de contrer des revendications ottomanes.]] et la lente désintégration de l’empire Ottoman ainsi que des lendemains mal vécus du panarabisme et de l’époque de Gamal Abdel Nasser. Il faudra voir les conflits actuels à travers les tensions intra-sunnites et la rivalité chiite-sunnite qui sous-tend beaucoup des dynamiques de conflit dans la région. Il faudra de même comprendre les EM de l’Est dans leur trajectoire post communiste et ne pas oublier les projets panslavistes de la Russie dont Hannah Arendt et Vaclav Havel nous rappellent les origines. Cela aidera à mieux comprendre les manifestants de la place Maidan, à comprendre qu’il n’y a pas de retour possible à une logique de la guerre froide mais bien une indispensable compréhension des logiques sous-jacentes aux comportements russes vis-à-vis des certains territoires voisins. Fonder la fermeté européenne dans une compréhension des enjeux politiques et historiques ne peut qu’affermir la position prise par l’UE, pour autant qu’elle soit commune aux EM.

A quoi peut-on s’attendre ? Espoirs, Contraintes. Options.

La proposition faite par le Président-élu de la Commission, Mr Jean-Claude Juncker, au début du mois de septembre 2014, a donné assez de nouvelle matière aux médias, aux analystes et aux eurodéputés que pour faire passer temporairement inaperçus ses défauts majeurs. La proposition de réorganisation de la CE par Juncker part d’un constat simple : impossible d’avoir un vrai organe dirigeant dynamique s’il est le résultat d’un compromis entre 28 EM qui veulent des portefeuilles à eux, comme un jouet donné à un enfant.
A cela s’ajoute un enlisement technocratique de la Commission Barroso qui a achevé de ternir l’image de la CE auprès du public et comme figure de proue progressiste du rêve européen. On se n’attardera pas ici sur les personnes, sauf dans le cas de la HR/VP nommée et actuelle Ministre des Affaires Etrangères italienne, Madame Federica Mogherini.

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La nouvelle CE se veut une structure à deux niveaux, articulée autour d’équipes de projet qui doivent être supervisées et coordonnées par des Vice-Présidents (VP) et chapeautée dans leur globalité pour un Président et son premier VP. « A new collaborative way of working, not static » voilà le résumé junckerien de la structure présentée. 7 équipes projet : (1) amélioration de la régulation et des relations interinstitutionnelles ainsi que supervision des droits fondamentaux (Premier VP) ; (2) Haute Représentante de l’Union pour la politique étrangère et de sécurité/Vice-Présidente de la Commission pour l’action extérieure ; (3) Marché unique digital ; (4) Euro et dialogue social ; (5) Jobs, croissance, investissement et compétitivité ; (6) Union énergétique ; (7) Budget et ressources humaines. Au vu de la décision, certes courageuse et innovatrice, de Mr Juncker de donner des postes de Vice-Présidence à des pays non fondateurs (sauf Italie et Pays-Bas ainsi que lui-même Luxembourg) et parmi eux beaucoup des entrants de l’élargissement de 2004, il s’ensuit que des gros EM ont hérité de portefeuilles de Commissaires supervisés par un chef d’équipe… une situation qui n’est pas sans poser la question des luttes de pouvoir et de territoires ainsi que la réelle portée qu’auront certains VP. Mais là n’est pas encore le plus inquiétant.

D’abord les bonnes nouvelles : la Commission Juncker n’aura, en tout vraisemblance, pas vocation à être le secrétariat du Conseil européen comme l’a été la Commission Barroso II. La Commission Juncker sera authentiquement pro-européenne et aura à cœur de faire fonctionner mieux les institutions et les instruments européens. La Commission Juncker, enfin, sera plus politique [[La CE proposée par Juncker en septembre 2014 contient 5 anciens Premiers Ministres, 4 anciens Vice-Premiers, dont 19 dans l’ensemble ont eu une expérience ministérielle nationale et 7 ont été Commissaires européens]] et plus engagée sur la question européenne par rapport aux EM et au PE. Néanmoins, la Commission Juncker, dans la configuration et le programme proposés, est d’un autre temps !
C’est une Commission d’urgence qui garde comme fondement un modèle de croissance productiviste du 20è siècle… a good old GDP growth model !

De belles couleurs sur un organigramme innovant, des noms nouveaux et des bouleversements de l’ordre établi des privilèges habituels. Même s’il y a du positif dans ces changements et de la volonté de sortie de crise dans le programme de Juncker, cela ne saurait cacher le retour aux bonnes vieilles recettes du modèle économique qui a conduit l’Europe où elle se trouve. Aucun des projets de la Commission Juncker n’effectue le changement de cap requis pour faire entrer le modèle de développement européen dans le 21è siècle. Chez Juncker, on croit au plein emploi, à la sécurité énergétique importée, au saupoudrage d’initiatives sociales pour panser les plaies de la crise mais pas à une remise en question.

La preuve la plus flagrante et inquiétante [[Question soulevée très rapidement par le groupement d’ONG vertes Green10 et les Nations Unies et enfin péniblement arrivée aux oreilles des eurodéputés en ces temps d’audition des Commissaires.]] en est l’omission d’une équipe projet centrée sur le développement durable et l’économie verte (même si les avis divergent fortement sur la notion d’économie verte parmi les écologistes). Les critères environnementaux et sociaux sont complètement absents de la structure d’équipe d’un VP s’occupant de l’emploi, des investissements futurs et ne sont pas mis en lien avec la question de recherche et développement. En réponse à ces critiques du Parlement européen et de la société civile, l’équipe de Mr Juncker a timidement inclus un angle « développement durable » dans le portefeuille du Premier Vice-Président.

De même, l’inquiétude est immense sur les questions environnementales et climatiques, jamais autant reléguées au second plan dans l’histoire récente de la CE. Un poste de VP a été créé pour l’Union énergétique et supervise une équipe qui comprend un Commissaire au Climat et à l’Energie, signalant clairement la subordination de la lutte contre le CC aux intérêts énergétiques. Comme beaucoup d’analystes, les écologistes ont réclamé au minimum l’intégration du climat dans le portefeuille de VP (toute la stratégie européenne est basée sur un paquet climat/énergie)… demande à laquelle la nouvelle CE n’aura finalemet donné suite. Une vraie ambition sur le climat, l’énergie renouvelable, l’efficience énergétique et marché interconnecté européen est clairement absente et a laissé place à une position de façade : l’urgence suite à la crise ukrainienne. Enfin, les ONG et beaucoup d’autres n’ont pu que constater avec effroi que Juncker n’avait que trop peu de souci pour l’environnement : pour la première fois en 25 ans il n’y aura pas de Commissaire chargé uniquement de l’environnement ! La proposition est de joindre le portefeuille à celui de des affaires maritimes et de la pêche en enrobant le tout dans un projet de green and blue growth… une croissance verte et bleue… De même, la lettre de mission de Juncker à son Commissaire-désigné (Malte héritant de ce portefeuille où le pays présente le pire historique européen) appelle implicitement à la déréglementation des Directives Habitats et Oiseaux, coupant court à toute ambition en matière de biodiversité ou de conservation de la nature. Les inquiétudes sont fortes d’une relégation complète de l’environnement aux oublis de la Commission Juncker dont la réorganisation affecte aussi les Directions Générales et les Agences européennes avec par exemple des entités responsables de la réglementation des produits chimiques dangereux qui passent des DG Environnement et DG Santé à la DG Entreprise ! Là aussi, un retour en arrière partiel a été effectué par l’équipe de Mr Juncker afin que la Parlement européen avalise la nouvelle CE mais les inquiétudes demeurent sur le fond.

Si les craintes sont moins grandes sur l’action extérieure stricto sensu, il est toutefois clair que Juncker n’a pas une vision globale des affaires du monde et n’est pas totalement ancré dans les réalités du 21è siècle.

Red Team : le communautaire is back !
L’équipe projet « action extérieure » de la CE Juncker est l’équipe rouge dans l’organigramme de la Commission. Elle regroupe les portefeuilles voisinage et élargissement, commerce, coopération internationale et au développement, humanitaire et gestion des crises ainsi qu’un rouge pastel, j’y reviendrai, pour les portefeuilles climat et énergie, transport et espace, migrations et affaires intérieures.
Elle fait écho à une orientation claire : ramener dans le giron de la CE, donc dans le domaine communautaire, les éléments qui permettent de définir une position européenne à l’international. Le triple chapeautage de la CE, du SEAE et du Conseil des Ministres des Affaires Etrangères revient comme le prévoit le Traité de Lisbonne à la HR/VP.

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Cet appel de Juncker à faire de la CE le lieu d’ancrage de la HR/VP est à double tranchant car, comme on l’aura vu, il s’agit en matière d’affaires étrangères de ne pas froisser les EM et de pouvoir faire du SEAE un vrai outil de coordination des positions européennes dans ce domaine. Si Madame Mogherini, la nouvelle HR/VP, a bien entendu Juncker et s’est engagée à avoir son QG au siège de la CE et pas au SEAE, elle devra démontrer beaucoup d’adresse pour ne pas délaisser le SEAE et ne pas avoir l’air de l’agitatrice communautaire au milieu des Ministres des EM. Le Président Juncker et ses remaniements sont d’autant plus clairs que le Secrétariat Général de la CE est l’interface principale avec le SEAE et que le déplacement de la Direction Dimension Internationale vers la Direction Coordination des Politiques au sein de ce Secrétariat démontre la volonté d’un lien plus fort entre CE et SEAE… lien qui ne peut en soi qu’être salué.

Venons-en aux rougeurs de l’organigramme et à ses implications. Premièrement, la pratique des réunions mensuelles de l’équipe rouge semble vigoureusement rétablie dans le programme : la HR/VP présidera cette réunion [[Cette réunion, outil indispensable de coordination au sein de la CE, si elle existait sur papier n’a jamais eu lieu au cours des cinq dernières années… la HR/VP Ashton n’ayant jamais été présente ni volontaire et le Président Barroso ayant mis tous les bâtons possibles dans la roue de « l’équipe action extérieure » de sa CE pour court-circuiter le SEAE et la HR/VP]] qui permettra de coordonner tous les Commissaires liés à l’action extérieure. Deuxièmement, la HR/VP supervisant le projet rouge aura la possibilité de se faire représenter par les Commissaires qu’elle supervise lorsqu’elle n’est pas disponible ou que la valeur ajoutée du Commissaire concerné semble évidente et plus grande. En anglais, la pratique du deputizing et symbolise donc la représentation et non pas le remplacement. Enfin, le manque de clarté volontaire et inquiétant émanant des cases au rouge léger (ligth red Commissioners) veut dire que selon le sujet des réunions ou selon la problématique, les ligth red Commissioners seront aussi conviés et coordonnés par la HR/VP. L’inquiétude est grande car la question climatique devrait être un rouge flamboyant de l’organigramme tant la dimension extérieure est clé. Idem pour la question des migrations et d’autres.

L’on ne peut s’empêcher de penser que la « volonté de bien faire » de Juncker est minée par une conception encore trop classique des « affaires étrangères » et que la HR/VP se retrouve quelque peu isolée avec ses quelques collègues « extérieurs ». D’où une question évidente et qui n’aura de réponse que dans la pratique : quelle sera le niveau de coordination entre le HR/VP et les autres VP ? L’on ne peut imaginer une position forte et une diplomatie climatique et énergétique sérieuse sans coordination avec la VP Union énergétique. De même, la coordination avec la VP Budget sera clé pour l’indispensable réactivité des instruments financiers face aux crises humanitaires, aux conflits et à des situations de voisinage d’urgence. Pour se rassurer, il peut être utile de parcourir le CV des Commissaires pour voir que beaucoup ont une expérience internationale solide qui devrait faciliter leur compréhension des problématiques qu’abordera la HR/VP en réunion du Collège des Commissaires. Car, comme déjà mentionné, au niveau de la CE c’est bien plus le bon assemblage du puzzle qu’une révolution complète qui est nécessaire… contrairement à l’autre tâche de la HR/VP : réformer le SEAE et grouper les EM.

Haute Représentante/Vice-Présidente : au travail !
Après sa nomination, des bribes d’information sur sa vision et ses réponses au PE, il y a beaucoup d’espoir autour de Mme Federica Mogherini, la future HR/VP. Sa mission paraît claire : être efficace sur les deux pans de sa triple mission de coordination (avec les EM, entre portefeuilles de la CE et entre la CE et le SEAE) et de représentation. Pour cela, elle a un avantage structurel que lui offre le Traité de Lisbonne, à elle de savoir l’utiliser et ne pas répéter les erreurs de son prédécesseur. La fonction de HR/VP permet en effet d’être la seule personne fixe pendant cinq années au Conseil des Ministres quand ceux-ci qui changeront au gré des élections et remaniements ministériels. La fonction de HR/VP permet ensuite d’être Vice-Présidente de la CE, le lieu où se trouve la gestion du budget européen et où l’on décide sur les autres compétences qui viennent soutenir et compléter l’action diplomatique et étrangère du SEAE et des EM sous une casquette UE.

Pour faire de l’UE un vrai acteur sur la scène internationale, pour montrer qu’il existe une indépendance par rapport aux Etats-Unis, la HR/VP devra être une activiste de la cause européenne et ne jamais attendre, comme l’a fait Madame Ashton, que le consensus émerge lentement parmi les EM sur les questions de politique étrangère. Même si aucun HR/VP ne peut faire de politique étrangère contre ou sans les EM, il lui faudra ne pas attendre le consensus mais le faire émerger par la conduite adroite et informée des travaux, par la démonstration de l’intérêt des EM à adhérer à la position commune européenne. Mr Javier Solana l’a fait alors que le Traité de Lisbonne n’existait pas encore et que les positions sur l’Europe de la défense et le niveau d’alerte au voisinage de l’UE n’étaient pas aussi tangibles. Une bonne politique étrangère européenne ne devrait pas s’occuper de tous les problèmes (rester big on big things !) et être présente là où elle a de la valeur ajoutée, là où aucun Etat Membre ne peut de manière réaliste résoudre ou même gérer une situation telle que la question ukrainienne, l’instabilité dans le monde arabe ou les revendications chinoises et russes.

Alors au travail ! Mais pour commencer, il faudra procéder à une évaluation du contexte géopolitique international et situer l’Europe dans ce réseau complexe d’interactions. Comme l’ont demandé les Conseils européens de décembre 2013 et de juin 2014, il faudra revoir la stratégie européenne de sécurité, la question de la défense européenne et évaluer la place de l’Union sur la scène internationale de ce 21è siècle… ce qu’a très bien compris Madame Mogherini qui s’y engage et ce rapidement. Cette dernière devra effectivement naviguer vite et sur une mer agitée. Elle ne peut se permettre d’entamer des réformes de longue haleine sans lancer très vite des bases de réforme et des signaux très clairs de politique étrangère européenne. C’est d’autant plus vrai que le jeu politique a voulu que Federica Mogherini passe le cap des jeux de pouvoir pour les hauts postes européens mais qu’elle fait face à une attente et une pression énormes, surtout de la part des pays d’Europe de l’Est et Centrale.

Pour être au travail vite et de manière efficace, il faut savoir s’entourer et manier les outils. La HR/VP a donc un intérêt particulier a pouvoir baser ses décisions sur un SEAE remanié mais aussi sur des Délégations et des Envoyés Spéciaux en ordre de marche (et sortant de leur rôle technocratique pour être des antennes et des satellites politiques). La collecte d’information et le renseignement doivent être améliorés mais encore faudra-t-il accompagner cette mesure de la flexibilité et d’un vrai service de réflexion politique. Il n’est pas tout d’avoir une « situation room », encore faut-il savoir que faire quand la crise surgit.

Les éléments connus à ce stade sur la personnalité et le travail de Madame Mogherini ne peuvent que nous rassurer. Une femme de dossiers connaissant très bien les matières diplomatiques et internationales, Federica Mogherini est une spécialiste du Moyen-Orient. Elle a travaillé durant les vingt dernières années dans le domaine des relations internationales et a été parlementaire dans la commission affaires étrangères et communautaires en Italie avant de devenir Ministre des Affaires Etrangères. Enfin, l’on sait déjà qu’elle a engagé Mr Stefano Manservisi comme chef de cabinet. Ce dernier est une personnalité très expérimentée de la CE (entre autres chef de cabinet de Romano Prodi comme Président de la CE) que l’on espère voir faire le lien entre politique intérieure et politique extérieure en tant qu’ancien Directeur Général pour le développement et ensuite pour les affaires intérieures.

Les autres Commissaires
Bien heureusement pour elle, la HR/VP ne portera pas seule tous les dossiers jusque dans le moindre détail. Sans passer en revue tous les autres Commissaires-désignés (leurs déclarations à ce stade ne peuvent pas nous donner l’assurance de leurs actes), il me semble que trois enjeux majeurs se dessinent :

  • Commissaire à la coopération internationale et au développement : au vu du contexte international de réflexion sur le cadre mondial futur de développement, quelle sera la place d’un Commissaire traditionnellement attaché aux programmes de coopération avec les pays en voie de développement ou, de manière croissante, avec les pays fragiles et instables ? Les discussions sur le Post-2015 se déroulent dans un contexte géopolitique et une relation Nord-Sud radicalement différents de ceux des années 1990 quand la Déclaration du Millénaire a été rédigée. Il apparaît certain maintenant que le prochain cadre de développement global qui sera sanctionné par l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2015 sera universel dans sa portée et que l’UE sera donc aussi sujette à l’accomplissement de ces objectifs de développement. Or, le Commissaire en charge ces dernières années du suivi de cette question, absolument cruciale et holistique de par son cadre, a été le Commissaire à la coopération au développement. Après 2015 il est clair que l’Europe sera encore un fournisseur d’aide au développement mais elle sera aussi elle-même soumise au cadre international de développement. De plus, le cadre post-2015 inclura des objectifs bien plus larges que ceux des OMD : gouvernance, droits de l’homme, énergie, migrations, sécurité ou encore biodiversité. La question reste posée donc de savoir si le Commissaire à la coopération au développement sera le représentant de l’UE dans les discussions internationales.
  • Commissaire pour la politique européenne de voisinage : quelle sera l’interaction entre le Commissaire et la HR/VP sur la politique vis-à-vis du voisinage Sud et Est de l’Europe alors que la question est éminemment politique ? Ces relations ne peuvent être traitées comme un silo politique communautaire et les relations avec les EM doivent être prises en considération. Le rôle de la HR/VP ici sera clé car le Commissaire désigné autrichien à la politique de voisinage n’est pas un diplomate et est l’ancien Commissaire à la politique régionale, un portefeuille où l’on débourse des fonds dans des contextes locaux bien différents et sur des bases infrastructurelles domestiques et solides.
  • Commissaire aux affaires humanitaires et à la gestion des crises : il faudra une vraie complicité entre ce portefeuille et la supervision de la HR/VP car, même s’il est indispensable d’aller vers plus de prévention de crise (la gestion coûte 7 fois plus chère que la prévention selon la CE), il surgira encore des crises et de catastrophes de par le monde et l’UE doit être capable d’y répondre. Néanmoins, comme le rappellent les Nations Unies, il faut un engagement fort de toutes les parties pour que l’aide humanitaire soit basée uniquement sur les besoins réels des victimes et des zones touchées et qu’il n’y ait pas d’instrumentalisation politique.

Quid des autres institutions ?
A l’heure de la rédaction de cette note, le PE auditionnait les Commissaires désignés, un moment important d’exercice démocratique mais un moment aussi où le jeu politicien reprend parfois la main sur la substance et les défauts potentiels de la structure proposée de la CE et de son programme politique.

Concernant l’action extérieure de la CE et de l’UE plus généralement, le PE semble mal organisé pour faire face à la globalisation accrue des problématiques qu’il doit traiter. Le PE ne devrait pas se reposer sur ses lauriers de la législature 2009-2014 et réfléchir à sa réorganisation afin de ne pas être dépassé par les défis. Traiter du changement climatique seulement dans la commission parlementaire environnement, du cadre globale de développement post-2015 seulement dans la commission développement, des questions de santé ou de migrations dans leurs commissions respectives apparaît comme une erreur de calcul qui revient à traiter les problématiques dans des commissions parlementaires silos. Des commissions conjointes et des taskforces spécifiques devraient être fonctionnelles rapidement pour faire du lien et travailler dans la transversalité exigée par les questions traitées. Cette réorganisation pourrait aussi donner plus de visibilité démocratique et populaire au PE. Finalement, Juncker semble avoir devancé le PE dans l’organisation de sa CE car peu de commissions parlementaires reflètent le nouvel organigramme et la manière de fonctionner que va adopter la CE.

L’autre institution, institutionnalisée et rendue permanente par le Traité de Lisbonne, est celle du Conseil européen, la rencontre des chefs d’État et de gouvernement, présidée ou de manière plus réaliste « coordonnée » par un Président permanent, Mr Van Rompuy durant les cinq dernières années. L’institution a conquis une place majeure dans l’espace politique européen, reflétant ainsi l’image d’une Europe inter-gouvernementale et prise dans les conflits d’intérêts des différents EM. Il reste maintenant à savoir si son nouveau Président, Mr Donald Tusk, ancien Premier Ministre polonais, partagera intelligemment la représentation extérieure de l’UE avec la HR/VP et le Président de la CE. Il a certes un rôle à jouer dans l’action extérieure de l’UE mais il serait sans doute bien avisé de la faire tendre vers plus d’unité que de division.

Pistes de réflexion pour une meilleure action extérieure européenne

  • L’UE a aujourd’hui besoin d’une stratégie globale lui permettant de se positionner comme acteur sur la scène internationale. Cette stratégie doit permettre à l’UE d’opérer une meilleure division du travail entre l’action unitaire européenne et les actions des États Membres.
  • L’UE doit baser son action extérieure, et par conséquence concevoir la stratégie susmentionnée, sur une meilleure compréhension de l’estompement des frontières entre les questions internes et externes et sur une meilleure connaissance des intérêts et des réalités politiques et historiques de terrain. Cela implique aussi une réorganisation du SEAE, de ses ressources humaines et une meilleure utilisation des Délégations de l’UE.
  • Le SEAE et la CE doivent garantir une cohérence et une coordination plus grandes de leurs actions. L’équipe projet de la HR/VP sur l’action extérieure de l’UE doit être utilisée à son maximum et veiller elle-aussi à éviter les doublons entre le SEAE et les services de la CE. Cela implique également de ne pas créer de doublons par rapport au EM et de les envisager en synergies et non en contraintes.
  • La CE et son équipe projet sur l’action extérieure doivent à l’unisson garantir l’application de la clause du Traité de Lisbonne sur la cohérence des politiques pour le développement afin de promouvoir le développement durable, une condition indispensable pour construire une relation saine et de confiance avec les pays tiers. Au-delà de cette cohérence spécifique, la nouvelle CE doit assurer le suivi des implications des politiques domestiques pour l’action extérieure et vice-versa, incluant par-là fortement les portefeuilles environnement, agriculture, migrations, lutte contre le changement climatique, énergie et économie en plus des portefeuilles déjà prévus que sont le développement, l’humanitaire, la politique de voisinage et le commerce
  • L’UE doit impérativement revoir sa politique de voisinage et travailler sur base d’une politique étrangère solide et bien renseignée. Cette politique ne doit pas se limiter à des incitants et prendre le partenariat comme point de départ, les partenariats se développent, ils ne sont pas la prémisse d’une relation. Cela implique, comme pour le reste de la politique étrangère et de coopération, de passer d’un focus unique sur les gouvernements des pays tiers à un focus incluant les citoyens et leurs représentants.
  • Comme continent d’avenir mais aussi de par sa relation avec l’Europe, le continent africain devra faire l’objet d’une attention particulière afin de renforcer les partenariats existants et d’élever la relation à un niveau supérieur.
  • Le Parlement européen est mal organisé pour faire face à la globalisation accrue des problématiques qu’il doit traiter. Il devra dépasser son fonctionnement en commissions parlementaires silos. Des commissions conjointes et des taskforces spécifiques devraient être fonctionnelles rapidement pour faire du lien et travailler dans la transversalité exigée par les questions traitées (et pour s’adapter à la nouvelle structure de la CE). De plus, le PE doit renforcer le niveau de coopération avec les parlements nationaux dans les EM.
  • Le Conseil européen, qui a pris une place prépondérante au sein des institutions européennes ces dernières années, devra par l’intermédiaire de son Président, participer au rééquilibrage des forces entre les institutions européennes si la confiance entre celles-ci veut être regagnée et pour que l’idéal européen ne souffre pas d’une image de division et d’inefficacité.
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