Comme le souligne l’article de Philippe Roman et Géraldine Thiry, le rapport Better Growth, Better Climate qui rentrera sans doute dans le vocabulaire climatique sous le noms de rapport «  Stern II » part d’un postulat de base faux. La croissance infinie qui est l’objectif même que se fixe le rapport est impossible avec 9, 10, 11(?) milliards d’individus dont un tiers revendiquerait une consommation « à la belge ». A fortiori, elle est incompatible avec une diminution suffisante de nos émissions de gaz à effet de serre (GES). C’est entendu ! Mais tout n’est pourtant pas à jeter dans ce rapport.

Les 12 prochains mois qui nous mèneront à la conférence sur le climat de Paris représentent une (dernière?) fenêtre d’opportunité pour engranger des engagements politiques nationaux et internationaux en matière de climat. Ces grandes conférences climatiques ont pour principal mérite de mettre la pression sur les épaules de dirigeants et de mettre le climat à leurs agendas. In fine l’accord que nous pouvons espérer à Paris sera avant tout la sommes de toutes les avancées que nous auront pu engendrer d’ici la. C’est par exemple ce momentum climatique qui a permis l’accord signé entre la Chine et les USA [[Voir la page du Guardian pour des analyses de cet accord : http://www.theguardian.com/environment/2014/nov/12/china-and-us-make-carbon-pledge]] certes largement en dessous de ce que ces deux pays devraient faire au terme d’une répartition de l’effort climatique équitable, mais qui n’en demeure pas moins une vraie avancée diplomatique … Nous avons douze mois pour engranger le plus de petites victoires possibles avant que l’agenda international ne passe à autre chose… La vie politique internationale est ainsi faite…

Dès lors, ne nous privons pas de ce rapport qui même si il reste dans le cadre d’un paradigme économique discutable, peut être un outil de persuasion très utile à destination des leaders économiques et politiques (en ce compris nos gouvernements fédéraux et régionaux [[Voir en cela le cadre « ce que dit le rapport Better Growth, Better Climate aux politiques belges »]]). D’abord, sa force provient du fait qu’il est écrit non par des fieffés écologistes « décroissants », mais par des ex-chefs d’état plutôt conservateurs et des économistes bon teint. Mais surtout, les recommandations auxquelles il aboutit sont pour la plupart tout à fait pertinentes pour entamer une lutte efficace contre les changements climatiques.

Le rapport rappelle surtout que :

  • La lutte contre les changements climatiques se jouera dans les 15 prochaines années : Elle n’est absolument pas le chemin le plus facile et nécessite une politique volontariste et courageuse.
  • L’aménagement du territoire est au coeur du combat climatique : Il faut juguler l’étalement urbain et passer d’un modèle de villes à l’américaine étalé, à un modèle urbain concentré, connecté et doté de moyens de transport collectifs performants.
  • Les énergies renouvelables sont la meilleure solution pour produire de l’énergie : Alors qu’elles sont sur le point d’être compétitives dans la plupart des régions du monde, elles souffrent encore d’un réseau électrique inadapté, de politiques de soutien imprévisibles, et enfin, de règles et de structures du marché financier et énergétique inadaptées car conçues en fonction des centrales fossiles ou nucléaires.
  • L’abandon du fossile n’est pas négociable :Il n’y a pas de solution aux changements climatiques sans une sortie rapide du charbon et sans un abandon progressif des autres énergies fossiles. Le premier pas est la suppression de toutes formes de soutien public structurel ou financier à ces énergies.
  • L’agriculture est la grande oubliée des politiques climatiques : Elle doit reconquérir les terres dégradées et diminuer sa dépendance aux intrans (eaux, pesticides). Pour se faire, les autorités doivent notamment supprimer les politiques de subventions basées sur l’utilisation de ces intrans.
  • La lutte contre la déforestation pourrait à elle seule nous mettre sur une trajectoire d’émission de GES acceptable au point de vue climatique.

Evidemment certaines recommandations du rapport sont très discutables : La vision technologistes des rapporteurs les poussent à chercher des solutions à plus long terme dans la manipulation du vivant, le CCS ou les biocarburants ; Le potentiel de l’efficacité notamment énergétique est insuffisamment pris en compte ; La sobriété et les changements de comportement n’apparaissent qu’en filigrane (bien que la mise en oeuvre recommandations du rapport en matière de politique urbaine impliquerait des bouleversements comportementaux fondamentaux…) ; Enfin, le rapport s’inscrit définitivement dans un paradigme économique libéral et capitaliste à peine remis en question par un appel à une politique keynesienne d’investissement public et par une vague critique du PNB comme indicateur phare des politiques mises en oeuvre.

Mais le décalage existant entre la vision du monde de la majorité des dirigeants politiques et économiques coincés dans leur vision du monde technologiste, libérale et capitaliste, et l’émergence d’une conscience citoyenne mondiale relayée par des penseurs comme Jeremy Rifkin, David Graeber ou Thomas Piketty est une réalité qu’on ne peut esquiver. Les dirigeants évoluent lentement, et il serait illusoire d’espérer un tsunami idéologique dans les hautes sphères d’ici à la conférence de Paris. D’autant que la réalité électorale dans de nombreux pays ne les poussent pas à revoir leurs schémas de pensée, comme l’ont montré les élections de mi mandat aux Etats Unis ou celles de mai dernier en Belgique.

Dès lors, réjouissons-nous de voir le rapport Better growth, better climate sur la table de nos dirigeants (et pourquoi pas, glissons-le nous-même à l’occasion) même si il rajoute à la liste des joyeux oxymorons comme « croissance verte » ou «économie bas carbone » le terme de « meilleure croissance » (entendez un croissance « bonne pour le climat »). Car au delà des mots, la mise en oeuvre du programme d’action proposé par le rapport représenterait une avancée majeure dans la lutte contre les changements climatiques. Dans la situation politique actuelle, et étant donné l’urgence climatique, peut on se permettre le luxe de s’en passer ?

Ce que dit le rapport Better growth, better climate aux politiques belges…

Des 10 recommandations faites par le rapport Better growth, better climate, certaines semblent directement adressées à nos différents gouvernements. Rapide tour d’horizon non exhaustif :

  • Intégrer le climat d’une manière transversale dans les décisions politiques. Au fédéral, une loi climat semble définitivement mise au placard tandis que les plans climats régionaux pèchent par leur manque d’intégration dans les autres politiques notamment économiques. Les mécanismes devant assurer la coordination des politiques régionales et fédérales en matière de changements climatiques montrent leur inefficacité. Le blocage depuis presque 5 ans de la répartition entre entités fédérées des objectifs belges en matière d’émissions de GES, de renouvelables ou de répartition des revenus issus de la vente des quotas ETS pour 2020 est à ce tire emblématique.
  • Des villes compactes et agréables. L’étalement urbain est un des moteurs principaux des émissions de GES de notre pays. Pourtant son rôle central n’est pas reconnu par les différents Gouvernements. Par exemple, notre pays se caractérise par un régime fiscal et réglementaire qui rend notre marché du logement très statique en comparaison à d’autres pays limitrophes (Le logement des belges évolue peu en fonction de l’évolution de leur situation familiale et professionnelle) Cela implique une surface habitée moyenne par habitant élevée et donc un habitat peu dense. En attendant, l’« accès à la propriété pour le plus grand nombre » reste une des priorités du Gouvernement wallon sans qu’une réflexion ne soit entamée sur l’impact d’un pareille vision pour le climat. Toujours en Wallonie, il faudra suivre avec attention l’implémentation du nouveau code de développement territorial et la révision du schéma de développement régional car certaines phrases de l’accord laissent craindre un renversement de l’ordre des priorités du Gouvernement de ce point de vue.[[Par exemple, l’accord propose de « localiser une partie significative de logements à créer d’ici 2030 dans des quartiers urbains et ruraux réhabilités ou de nouveaux quartiers, » ce qui laisse entendre un large place à l’extension de la surface occupée par le logement; P.58 de l’accord de Gouvernement.]] A Bruxelles, le nouveau plan pentagone et ces 4 nouveaux parkings, pourrait déplacer les nuisances automobiles des boulevards centraux devenus piétonniers vers les quartiers périphériques devenus lieu de transit pour les navetteurs. Globalement, rendra-t-il la villes aux bruxellois ? Une Bruxelles agréable est pourtant cruciale à son attractivité pour les habitants et donc à sa redensification…
  • Mettre fin aux soutiens publiques aux énergies fossiles.
    Un dossier emblématique demeure le régime fiscal favorable octroyé aux voitures de société. La révision de cette aberration écologique et économique majeure dans notre pays, semble pourtant bel et bien enterrée au niveau fédéral.
  • Un shift fiscal d’une fiscalité sur le travail vers une fiscalité environnementale.
    Alors qu’un timide débat existe au fédéral sur l’augmentation de la fiscalité sur le capital en compensation d’une diminution de celle sur le travail. L’autre option, à savoir taxer les comportements polluants semble enterrée par le Gouvernement fédéral alors qu’elle offrirait le double avantage d’apporter des revenus aux caisses de l’état tout en poussant les acteurs économiques à des comportement plus vertueux écologiquement.
  • Un cadre financier et réglementaire plus propice au développement du renouvelable.
    Le flou qui entoure l’avenir des politiques de soutien au renouvelable est devenu la norme dans les différentes entités fédérées. Au fédéral , la Ministre Maerghem souffle le chaud et le froid sur l’éolien Offshore, tandis qu’en Région wallonne, le soutien futur au PV et à l’Onshore est loin d’être clarifié. Ce flou refroidit les investisseurs et freine les perspectives de développement économique du renouvelable dans notre pays.
  • Soutenir l’innovation dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
    En Wallonie, il faudra suivre avec attention l’évolution du Plan Marshall pour que son 6è pôle de compétitivité, à savoir le soutien au « technologies environnementales » garde sa place en tant que secteur économique prioritaire pour la région.
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