L’ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans cet interrègne surgissent les monstres. (A. Gramsci)
Thèse 1. La crise actuelle dilue les différence entre les partis productivistes, et radicalise l’opposition entre productivistes et écologistes.
Crise du libéralisme mondialisé, elle efface progressivement les différence entre social-démocratie, social-libéralisme et libéralisme, entre le PS et l’UMP ou l’UDI-Modem. Par bien des points, l’adoption Traités de la Règle d’or (TSCG), du Pacte de compétitivité (CICE) ou du pacte de responsabilité place les gouvernements Ayrault et Valls au niveau ou sur la droite des gouvernements Sarkozy.
Crise du productivisme, elle radicalise progressivement les oppositions entre l’écologie (organisée ou non) et les partis de la gauche ou de la droite classique. Alors que, au long du dernier quart du siècle dernier, la social-démocratie évoluant vers le libéralisme adoptait, au nom du renoncement au colbertisme, des positions plus ouvertes à l’écologie, la crispation sur l’ancien modèle, de Notre-Dame des Landes à Sivens, nous renvoie au début des années 1970, aux affrontements du Larzac et de Maleville. Mais avec des « socialistes » dans le rôle des Pompidou, Messmer, Giscard et Chirac.
Thèse 2. La montée des forces populistes-nationalistes est un effet de la crise générale du libéral-productivisme, mais aussi de l’échec des vieilles forces politiques de gauche à y répondre, y compris de celles qui ne se sont pas ralliées au libéralisme.
Comme dans les années 1930, la victoire de l’extrême droite est dorénavant possible en France comme ailleurs en Europe.
Dans la mondialisation libérale, l’État-Nation ne « protège » plus ses ressortissants. Les règles protectrices ne peuvent alors être reconquises qu’au niveau d’un « super-État », tel que l’Union européenne, à la légitimité moins établie. C’est la base de la montée des « populismes nationalistes », qu’ils soient libéraux comme aux Pays-Bas et en Grande Bretagne (et alors ils opposent la liberté du petit entrepreneur moderniste aux « diktats » de Bruxelles ) ou dirigistes, comme en France le FN new look de Marine Le Pen : et alors ils peuvent conquérir une assise ouvrière, qui confond antilibéralisme et souverainisme national. Mais pour occuper ce rôle de champion de « l’État-Nation protecteur des petites gens », encore faut-il que les acteurs habituels l’aient abandonné. C’est le cas en France.
Par trois fois le PS parvenu au pouvoir pour « changer la vie » a trahi, et c’est cela qui fait du FN le premier parti ouvrier et le premier parti chez les jeunes. Le PS a raté en 81-83 la sortie progressiste de la crise du fordisme. Il a raté sous Jospin (malgré un bon début) la remise en cause du libéral productivisme. Et face à la crise mondiale de ce modèle (en 2008-2012), il a radicalisé son virage libéral, alors que la crise nouvelle appelle au contraire un retour de la planification et de la régulation par le politique. Le PS ne porte plus aucun contenu politique progressiste, même s’il compte encore nombre d’électeurs voire des députés progressistes.
Significatif est l’échec parallèle du communisme. Il s’est effondré tout au long des années 70 (celles de la première crise d’Après-Guerre) faute d’avoir compris le diagnostic d’André Gorz (1964 !) sur le nouveau théâtre de la vie politique et sociale : l’Europe. N’ayant trouvé de réponse ni à la crise des années 1970, ni à celle des années 2000, il n’a survécu que comme vote protestataire. L’effondrement du PS ne lui a jamais profité. Le score du Front de Gauche se maintient en 2014, mais par absorption du vote trotskiste qui disparaît presque totalement.
Comme dans les années trente, l’échec des forces de la gauche classique, qui n’hésitent plus à populariser des thèses nationalistes, ouvre la possibilité d’un succès de l’extrême droite, la portant à un niveau où son accès aux responsabilités devient inéluctable. Dans ces circonstances, le soutien des forces démocratiques et pro-solidarité à des forces de droite partageant ces mêmes valeurs et rejetant celles du FN est parfaitement légitime : soutien à Chirac et sans doute demain à Juppé face à Le Pen voire à Sarkozy. Mais il ne peut devenir une règle de « front républicain », comme l’a montré le soutien inutile du SPD à Hindenburg face à Hitler.
Thèse 3. L’abandon de la stratégie d’autonomie contractuelle au profit de la « logique des postes » entraine l’écologie politique dans la chute de la gauche classique.
Dans le dernier quart du siècle dernier, l’écologie politique progressait au fur et à mesure des échecs de la gauche productiviste, et gagnait des positions institutionnelles soit à la faveur des élections proportionnelles, soit par des accords électoraux strictement subordonnés à des accords programmatiques : ce que l’on appelait autonomie contractuelle.
Au contraire, le positionnement récent de l’écologie comme simple branche de « la gauche » accentue à chaque élection le couplage entre les revers de la gauche ancienne et ceux de l’écologie. Ainsi, aux européennes de 2014, la chute la plus dure est celle d’Europe Écologie, exactement réduite de moitié par rapport à 2009. Percevant, à tort ou à raison, les élus Verts comme des toutous rongeant les restes que leur concède le PS, les électeurs écologistes « ont jeté à l’eau les épagneuls nains et les ont coulés à grands coups de bâtons ».
Ce qui est reproché aux écologises n’ait pas d’avoir participé au pouvoir, mais d’avoir failli à la tache que les électeurs leur avaient implicitement confié : empêcher la présidence Hollande de mal tourner. Or le discours des ministres verts du gouvernement Ayrault et de leurs relais à la direction de EELV martela, face à toute critique de la base, que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Thèse 4. Le naufrage du social-libéralisme prive la mobilisation écologiste de débouché politique, mais pas de pouvoir d’agir.
Si Manuel Valls avait « annoncé la couleur » dès avant 2012, l’ampleur des reniements de Hollande et Ayrault provoque un divorce d’une ampleur équivalente au rejet de la SFIO dans les années 1950 (à partir de la trahison de Guy Mollet, après les espoirs semés par Pierre Mendès-France). Elle prépare une hégémonie de la droite peut-être pour un quart de siècle.
Le schéma de la « majorité plurielle » de 1997 autour de Lionel Jospin, où le PS a bénéficié de la poussée culturelle de l’écologie et celle-ci de la poussée politique du PS, ne pourra plus se reproduire avant longtemps. Pas seulement parce que la victoire de la gauche classique n’est plus perçue comme porteuse d’espoir. Mais aussi parce que l’alignement des parlementaires et ministres verts sur le PS en 2012-2014 a montré que, même avec bien plus de postes qu’en 1997, la présence verte n’a servi à rien.
Cependant, pendant les 23 premières années de la Ve république, sous de Gaulle, Pompidou et Giscard, les mobilisations populaires, en particulier à partir de mai 1968, ont arraché autant voire plus de victoires sociales et sociétales que dans les 23 années suivantes. Ce retour à un rapport entre mouvement sociaux et pouvoir de droite, luttant et négociant au travers de médiations diverses (y compris la présence de hauts fonctionnaires de gauche ou d’extrême gauche), est le modèle le plus probable des années à venir.
Thèse 5. La nécessité d’un changement de modèle maintenant, tout en renforçant l’importance de la bataille culturelle, interdit pourtant de déserter le champ institutionnel.
La sortie de la crise du libéral-productivisme implique une feuille de route assez bien balisée par l’idée de « New Deal Vert ». Mais cette feuille de route implique une mise en oeuvre immédiate et ne peut attendre une victoire définitive de l’hégémonie culturelle. Au contraire, l’hégémonie culturelle de l’écologie ne progressera que par l’exemple de sa mise en œuvre partielle, par exemple dans les « villes en transition ». De la même façon, d’ailleurs, la mise en place du modèle « fordiste » des Trente glorieuses, en 1936 puis à partir de 1945, avait impliqué la participation active au pouvoir (national et local) des héritiers du Front populaire puis du Conseil national de la Résistance, malgré les divergences très graves entre communistes, socialistes, radicaux, démocrates-chrétiens et gaullistes.
L’écologie politique doit reprendre sa pleine autonomie idéologique et programmatique, mais ne peut en aucun cas négliger, par paresse, souci de pureté ou dandysme, la conquête de positions institutionnelles pour y mettre en œuvre des politiques transformatrices.
Thèse 6. L’unité de la bataille culturelle et de la présence institutionnelle passe par le retour à la stratégie d’autonomie contractuelle.
Ce n’est pas seulement pour se sauver du naufrage du PS, comme des rats quittant le navire, que l’écologie doit retrouver sa pleine autonomie programmatique et électorale vis-à-vis de la gauche classique. C’est parce que la société et la planète ont besoin des transformations que l’écologie est actuellement la seule à proposer. La bataille idéologique pour l’hégémonie vise justement à ce que ses solutions soient « récupérées » par d’autres forces politiques.
EELV n’a pas d’intérêt distinct de la société. Elle doit redevenir le pole de regroupement des personnes les plus avancées dans la réflexion et l’expérimentation des nouveaux modes de produire et de consommer, et les plus résolues dans leur mise en œuvre et leur généralisation. Pour cette mise en œuvre, les écologistes ont besoin d’utiliser le levier des politiques publiques. Et pour cela ils doivent passer des alliances et des compromis, mais strictement mesurés à l’importance des politiques publiques que ces alliances permettent de mettre en œuvre, définies par des contrats dont l’abandon doit entrainer le rupture de l’accord institutionnel.
Thèse 7. Dans la recherche d’alliances contractuelles, seuls comptent les contenus et non les étiquettes. Mais ces contenus sont eux-mêmes multidimensionnels.
Dans un paysage politique où les nuages des positions des candidats et élus du l’UMP/UDI et de celles du PS se recouvrent largement mais pas totalement, où celles de l’UMP/UDI et celles du FN se recouvrent de plus en plus souvent, où ces recouvrements provoquent des déchirures au sein de chaque parti ( PS gouvernemental / PS critique, Sarkozy / Juppé), le recours à un seul critère « droite / gauche » hérité d’un étiquetage archaïque n’a plus grand sens.
Non seulement les discussions en vue d’accords doivent être précédées d’une analyse précise de la correspondance entre les discours et les actes des partenaires, mais encore les contenus véritables eux-mêmes ne peuvent pas être organisés sur un seul axe, mais au moins cinq :
- plus ou moins démocratiques et respectueux des libertés et droits humains
- plus ou moins universalistes, plus ou moins « ethnocentristes » (mot savant pour « racistes »)
- plus ou moins libéraux ou dirigistes
- plus ou moins sociaux
- plus ou moins écologistes
Sans oublier un axe souvent implicite, mais principal dans la plupart des pays du monde et parfois aussi en France (cf Hénin-Beaumont, Villejuif, etc) :
- plus ou moins honnêtes, plus ou moins corrompus voire mafieux.
C’est à partir de ces 6 critères que les écologistes doivent apprécier le degré de proximité entre eux-mêmes et leurs potentiels alliés. Il est probable que dans la majorité des cas le bilan montrera une plus grande proximité avec les équipes étiquetées classiquement « à gauche », mais ce ne sera pas toujours le cas.
EELV pense « globalement » que l’issue de la crise est dans la reconnaissance des droits égaux des humains, dans une perspective solidaire et altermondialiste, avec une marche vers l’Europe fédérale comme étape vers la république universelle ( ou du moins une hiérarchie des normes juridiques universelles), avec un recours plus important à la régulation politique, dans une perspective de partage du travail et des richesses, et une reconversion productive vers un modèle de développement soutenable.
Leurs éventuels partenaires sont loin d’en être convaincus mais sont plus ou moins prêts à entendre tel ou tel chapitre, y compris à l’intérieur d’un même parti. Ce qui implique que l’action politique des écologistes soit orientée localement, à chaque niveau pertinent (Europe, nation, région, agglomération…) par l’analyse concrète de la situation concrète : ce qu’on appelle « subsidiarité ».
Thèse 8. Dans les élections de 2015, quand les victoires de la droite sont inévitables, la priorité absolue doit être donnée à l’autonomie de l’écologie politique.
Si « passer des accords » a pour but de promouvoir des politiques publiques urgentes au prix d’un certain affaiblissement dans notre bataille culturelle, il est inutile de gaspiller des efforts en faveur d’une coalition à la fois éloignée des valeurs de l’écologie et promise à la défaite. Que ce soit aux élections départementales (binominales à deux tours) ou aux régionales (proportionnelles à deux tour), l’autonomie au premier tour doit être la règle et le contrat l’exception. Au second et troisième tour, des fusions et désistements ne doivent être possibles que sur la base d’un accord programmatique solide (et non pas selon la routine d’un étiquetage autoproclamé « droite – gauche » ) et en fonction d’une analyse lucide des possibilités réelles de sa mise en application. Il est inutile de se « compromettre » avec un perdant, mais il faut réfléchir à deux fois avant de s’associer avec un gagnant.
Thèse 9. Le renforcement de l’écologie politique passe aussi par le retour à une logique de « coopérative » et la sortie de l’enfermement partidaire.
Outre la pertinence de son projet, la force initiale d’Europe Écologie, qui a fait jeu égal en 2009 avec un PS pourtant dans l’opposition et a largement distancé le Front de Gauche, résidait dans le projet d’une « coopérative ». Il ne s’agissait pas seulement de « regrouper les écologistes » (ce qui reste en soi un objectif), mais d’inventer une forme de rassemblement fluide, mieux adaptée que la forme-parti à la culture contemporaine et à la dissolution des liens d’appartenance. L’effritement de EELV à partir des régionales de 2010 est aussi lié à la réduction de la coopérative à une simple « ouverture » (déjà traditionnelle chez les Verts) à quelques personnalités. Son écroulement en 2014 est aussi lié (outre le désaveu de la « logique des postes » ) à l’abandon pur et simple de la coopérative.
Thèse 10. Dès 2015 et en préparation de 2017, EELV doit se préparer à des candidatures autonomes de « coopératives écologistes ».
Retrouver l’esprit et le pouvoir de convaincre de 2009 (l’autonomie sous l’étendard d’un New Deal Vert) ne passe pas seulement par le retour aux contenus et à l’autonomie contractuelle, mais aussi par le retour à la forme, la coopérative. La recommandation de présenter des listes issues de « fabriques », d’ « ateliers » largement ouverts, est excellente si elle ne fait pas qu’habiller la simple mobilisation des sympathisants autour d’une ligne dictée d’en haut, si elle signifie que ces réseaux locaux de l’écologie auront aussi le pouvoir de délibérer sur les contrats à passer (notamment au second tour).
Nous n’avons que faire des débats internes, largement médiatisés par leurs protagonistes, entre celles et ceux qui, ayant tout avalé au gouvernement, jouent à présent les purs et durs et ceux qui, n’ayant pas eu le plaisir d’y participer, vitupérait alors la mollesse des premiers et multiplient aujourd’hui les signes de leur disponibilité à rallier les lambris dorés à n’importe quel prix, permutant ainsi, en un triste et continué duo, les rôles du héros et du félon.
Nous devons promouvoir et tester, dès les élections départementales et régionales, les personnalités susceptibles d’incarner nationalement l’esprit de la coopérative : portant haut les valeurs et les projets de l’écologie (autonomie, solidarité, responsabilité), y compris contre les vieux partis productivistes ou nationalistes « de gauche », et représentatifs de la méthode associant militants de partis, militants associatifs et autres « grands témoins ». Qu’ils ou elles se soient distingués au sein de EELV comme Eric Piolle, ou du sein de la société civile, comme Marie-Monique Robin.