Nous sommes probablement beaucoup à avoir la même habitude tous les matins, celle de préparer la table du déjeuner dans un semi-réveil, avec la radio allumée en fond sonore. Souvent, c’est une oreille distraite qui suit les titres et prévisions météo, pendant que le café tourne (toujours bien veiller à ne pas renverser sa tasse remplie !). Et puis, de temps en temps, une info, une petite info parvient à nous tirer de notre léthargie et à nous faire entrer de plein pied dans le monde réel.
Aujourd’hui, cette petite info, a été une annonce entendue durant la météo : « Aujourd’hui notre pays produira assez d’énergie pour soutenir notre consommation ». Ce qui relève un peu de la science-fiction, avec un tel message, devient pourtant réalité. Nous serions donc entrés dans une période de stress énergétique, où en plus des prévisions météo, la première chaîne publique considère comme important d’informer la population des risques, ou non, de pénurie électrique que nous pourrions rencontrer ce jour.
Nous avons régulièrement ce petit cocorico de fierté nationale quand la Belgique caracole en tête des classements économiques et autres indicateurs de compétitivité : que ce soit pour les investissements étrangers, les signes d’innovations intérieures, les capacités de recherche et développement, etc. nous nous enfonçons dans la ouate de : « parmi les meilleures nations industrielles ». Comment se fait-il, dès lors, qu’aujourd’hui, alors que nous sommes censés être au top des nations les plus performantes, notre chaîne publique d’info nous prévienne que nous ne connaîtrons pas ce jour de risque de coupure de courant ? Comment se fait-il que, dans un monde où l’énergie devient la denrée la plus stratégique, la population soit prévenue qu’aujourd’hui « nous tiendrons le coup ! ». Comment se fait-il qu’alors depuis plus de 10 ans s’alignent les signes avant-coureurs d’une insécurité énergétique de plus en plus profonde, rien n’ait été fait pour protéger l’approvisionnement de notre pays ?
Depuis maintenant plusieurs semaines, un greenbashing s’est installé au cœur de nombreuses sources d’infos, avertissant du lourd poids économique que représenterait la transition énergétique et de sa prétendue incapacité à répondre à une demande de plus en plus accrue. Certains analystes autoproclamés n’ont ainsi guère de crainte à affirmer que le renouvelable n’est pas l’avenir mais une douce voire dangereuse utopie, et que finalement « tout ne va pas si mal que ça et que nous n’avons rien à craindre ».
Pourquoi, dès lors, de puissants groupes industriels allemands, tels que E.ON et Siemens, ont-ils fait le choix récent d’abandonner les énergies fossiles et d’investir massivement dans le renouvelable (5 milliards d’€ rien que pour E.ON dans le développement de réseaux intelligents) ? Probablement par manque de vision, répondront nos « experts ». Pourquoi alors un pays comme l’Allemagne, principale puissance industrielle du continent, a-t-elle lancé un vaste programme de transition énergétique, l’Energiewende, joignant à une politique de sortie du nucléaire et du charbon celle du développement des énergies renouvelables ? Probablement par naïveté, répondront nos « experts ». Pourquoi alors des pays industriellement avancés comme la Suède et le Danemark s’engagent-ils dans la réalisation d’un système énergétique « 100% renouvelable» ? Ou que d’autres régions, comme l’Écosse, voient l’énergie renouvelable dépasser le nucléaire en tant que principale source d’électricité ? Probablement parce qu’ils sont à côté de la plaque, diront encore nos « experts », tandis que nous entendons en fond sonore, notre chaîne publique nous informer qu’aujourd’hui nous aurons la chance de ne pas connaître de délestage ou de black-out…
Le refus d’engager non seulement les moyens mais même le débat tout court sur la transition énergétique dans notre pays, liée à une stigmatisation en règle des doux rêveurs antinucléaires démontre l’incompréhension totale qui règne aujourd’hui au sein du Gouvernement fédéral concernant les questions énergétiques. Associée à la politique antisociale des gouvernements régionaux, aveugles sur les réelles victimes de la précarité énergétique, à savoir ceux qui n’ont pas les moyens tout seuls d’isoler leurs maisons, cette situation fait glisser dangereusement la Belgique vers un décrochage complet du train de la transition dans lequel nos voisins se sont engagés. Car le risque fondamental qui pourrait nous toucher dans les prochaines années, c’est que nos traditionnels pourvoyeurs en électricité, ayant achevé leur transition, n’exportent plus avec autant de facilité qu’aujourd’hui leur surplus énergétique. Au final, les annonces radios de ce matin ne deviendraient plus l’exception, mais bel et bien la norme, en rendant réel ce mantra que nos « experts » agitent régulièrement à l’égard des mouvements écologistes, mais dont ils seront finalement les seuls responsables : l’éclairage à la bougie.
Ce qui nous touche aujourd’hui est finalement beaucoup plus profond que les estimations relatives au nombre d’emplois créés dans les milieux énergétiques, ou au poids économique que ces domaines représentent. Il s’agit tout simplement, ni plus ni moins, que de notre capacité à simplement nous chauffer en toute sécurité, à allumer nos maisons, à garder actifs nos frigos, à nous connecter à Internet et au monde qui nous entoure. La sécurité de notre approvisionnement énergétique est plus qu’une question de bon sens : dans notre société hyperdépendante de l’électricité, c’est un enjeu fondamental. Et continuer à rester à quai pendant que d’autres font avancer le train ne nous laissera que nos yeux pour pleurer sur nos classements perdus.