Appelons un chat un chat : la Belgique est entrée en guerre contre le groupe terroriste Daech. Que le mot soit celui d’intervention, d’opération humanitaire ou de frappes ciblées, le principe est le même : notre pays ira exercer un usage de sa force armée dans un autre pays.

Les dernières semaines ont vu de nombreux débats se poser quant à la légalité de cette intervention armée contre le groupe terroriste Daech. Le précédent Libyen et son intervention sortie du cadre du mandat de l’ONU ont, en effet, montré non seulement les limites de l’usage de la force, mais aussi l’interprétation subjective que chacun s’en fait. Il ne suffit pas d’avoir la légalité avec soi pour être légitime. C’est le discours de la moralité de la guerre qui occupe aujourd’hui les unes de nos magazines.

Or, dans toutes ces discussions, nous avons oublié un élément essentiel : celui qui permet non pas de reconstruire après les guerres, mais bien d’éviter que les guerres n’arrivent. Confrontés à cette identité culturelle qui prône que « qui veut la paix prépare la guerre », nous n’avons pas perçu que ce qui était pertinent durant la Guerre Froide et la lutte des blocs ne l’est plus du tout dans un monde éclaté et déséquilibré. Obnubilé par des reliquats de puissance que sont les armes nucléaires et les moyens militaires classiques que sont les tanks et les avions de chasses dernière génération, nous n’avons pas compris que la nature des conflits a changé.

Nous n’avons plus aujourd’hui affaire aux guerres de Clausewitz ou autres penseurs européens qui axaient leurs idées sur l’Histoire de l’Europe et sur les conflits rangés entre États organisés. Les conflits d’aujourd’hui sont des conflits du Sud, inégaux, avec des acteurs, des cultures, des sociétés et des enjeux qui nous dépassent.

Ces guerres du Sud sont le reflet avant tout des échecs de ces États censés protéger leurs populations mais y échouant, de part leur propre faute ou de part le poids des déséquilibres extérieurs. Enserré dans ce carcan autoritaire, de la part d’État faillant à leur mission, les populations n’ont souvent d’autres choix que de se rebeller ou de se jeter dans les bras du premier à s’affirmer comme leur libérateur, le plus souvent en exacerbant les aspirations nationalistes ou communautaires. L’État en devient déconsidéré, entraînant avec lui de profonds relents occidentaux de part le soutien que nous continuons à accorder à ces États-faillants. Les guerres d’aujourd’hui sont bel et bien des guerres de frustration et de pathologies sociales, au sein desquels l’idée n’est plus de conquérir des territoires par la force mais plutôt le respect par la peur. L’enfant-soldat, le djihadiste ne connaissant rien à l’islam, le partisan sans patrie exacerbant un nationalisme nostalgique en sont les nouveaux acteurs.

Enfermés dans nos conceptions européocentrées, nous n’avons pas non plus vu que face à nous a pris place le cynisme d’États voisins plus forts, véritables pyromanes géopolitiques, profitant d’États affaiblis pour y imposer leur hégémonie et en prélever les ressources. Du Soudan à l’Iran, en passant par la Russie et l’Arabie Saoudite, de nouveaux acteurs impérialistes apparaissent, jouant sur les relents volontairement ambigus d’une nouvelle force s’opposant à la prétendue toute-puissance occidentale. La conséquence en est que nous continuons ainsi à nous percevoir au centre du jeu international, et donc des conflits, mais sans plus savoir si nous devons en être les gendarmes ou les brancardiers.

Les nouvelles guerres fusionnent le social et le politique. Largement intraétatiques, ces guerres s’internationalisent par les attraits de toutes sortes qu’elles génèrent, et qui tend de plus en plus à les faire durer. Dans cette situation, continuer à penser que la puissance militaire est le meilleur instrument pour parvenir à répondre à ces nouveaux conflits est non seulement un leurre mais est incroyablement naïf. Introduire des éléments de guerres classiques dans ces conflits nouveaux ne fait que créer des guerres en chaîne, dont nous percevons aujourd’hui toute la réalité.

La question à se poser aujourd’hui est bel et bien celle d’une nouvelle conception des relations internationales. Ce sujet doit être le lieu d’une prise de conscience des traditions et des pratiques différentes, non plus européocentrées mais confrontées aux tensions et aux conceptions provenant des autres régions de la planète, dans un monde globalisé. Ce débat doit également nous faire évoluer sur les questions des pré-conflits, à savoir les soutiens aux États pyromanes à qui nous continuons à vendre des armes et à ne jamais demander des comptes. Ce débat doit enfin se faire dans le domaine de l’intégration sociale des peuples du Sud, où l’importance du développement doit enfin prendre le pas sur celui de la seule sécurité.

Les relations internationales ne sont si une science exacte, ni un sujet facile. Les simplismes et le manichéisme ne peuvent en devenir les nouvelles clefs de lecture. De même, les nouveaux « œil de Moscou » émergents dans nos sociétés occidentales ne peuvent nous amener à pratiquer un splendide isolement égoïste. Il revient à faire sortir ces relations internationales des politiques à court terme dans lesquelles nous les avons enserrées, afin de prévenir et d’empêcher les potentiels conflits de demain.

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