Face à la croissance inédite de la proportion d’aînés dans la population, la question de la pérennité du système de pension[[Dans cette analyse, les termes « pension » et « retraite » sont utilisés indifféremment. En réalité, en Belgique, la « pension » est le mot le plus souvent utilisé pour désigner la « retraite », plutôt employé par les Français.
]] légale se pose. Et dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, la pensée néo-libérale inhibe le débat. Ainsi, à droite comme à gauche, tout le monde est d’accord dans les grandes lignes : la proportion des aînés, donc des retraités, augmente dans la population, il y aura donc un problème pour financer les pensions. Par conséquent, il faut « réformer » le régime des pensions, en maintenant les travailleurs âgés plus longtemps sur le marché du travail, par exemple. Si ce n’est fait, nous dit-on, nous risquons un « choc démographique », une guerre des générations ! Il y a pourtant des économistes et de solides arguments pour déconstruire ce postulat. Remettons donc en question le caractère consensuel du débat.
Une évolution démographique inédite
Les faits sont là : en Belgique, comme dans toute l’Union européenne, on observe une évolution démographique sans précédent : le nombre et la proportion (dans la population totale) de personnes âgées augmentent continuellement. En Belgique, en 1920, les plus de 60 ans constituaient 10% de la population totale. En 2010, ils représentaient 24% de la population. Eurostat projette qu’en 2030 cette proportion grimpe jusqu’à 31% et même 35% en 2050 ! Pour l’Union européenne, on prévoit que le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans augmente de 57,1 % entre 2010 et 2030. Ce qui représentera 12,6 millions d’Européens âgés d’au moins 80 ans[[La contribution de l’UE au vieillissement actif et à la solidarité intergénérationnelle, Office des publications de l’Union européenne, 2012, p.3, [en ligne]]]. C’est l’augmentation de l’espérance de vie couplée à la baisse du taux de natalité qui explique cette évolution.
Le « vieillissement actif » promu par l’Union européenne
Alors qu’aujourd’hui, il y a environ 4 personnes en âge de travailler (15 à 64 ans) pour une personne âgée de 65 ans ou plus, Eurostat estime qu’en 2060, il y aura 2 personnes en âge de travailler pour une personne retraitée. Dans un contexte de crise économique, ces chiffres font craindre aux autorités de l’Union européenne un déséquilibre des finances publiques, un affaiblissement structurel de la croissance économique et même un « choc » des générations si de trop nombreux retraités « dépendent » des jeunes générations[[La contribution de l’UE au vieillissement actif et à la solidarité intergénérationnelle, Office des publications de l’Union européenne, 2012, p.1, [en ligne]]].
Dans le cadre des politiques liées à la promotion d’un « vieillissement actif »[[2012 fut désignée année européenne du « vieillissement actif ».]] et de la stratégie Europe 2020, « la Commission encourage les États membres à mettre en œuvre des politiques actives en matière de vieillissement qui découragent le recours aux régimes de retraite anticipée et visent à favoriser le maintien en poste et la réintégration des travailleurs âgés »[[La contribution de l’UE au vieillissement actif et à la solidarité intergénérationnelle, Office des publications de l’Union européenne, 2012, p.13, [en ligne]]].
Ainsi, face au vieillissement démographique, l’Union européenne propose principalement deux solutions : travailler plus longtemps et réduire les coûts liés à la santé des seniors en accentuant la prévention. Voilà essentiellement ce que recouvre la notion de « vieillissement actif » pour les autorités européennes, qui n’envisagent l’augmentation de l’espérance de vie qu’en termes de coût et de défis à surmonter. Dans la littérature de l’Union, on trouve bien quelques propos sur le volontariat, mais le « vieillissement actif » doit fondamentalement être une stratégie qui pousse le « travailleur âgé » à « rester actif sur le marché du travail ». En ce sens, le « vieillissement actif » doit servir la croissance économique européenne, les seniors doivent rester « utiles » à l’économie de marché.
À l’opposé de cette conception de la question, « Courant d’âges », la plateforme de l’Intergénération en territoire francophone de Belgique, dont une partie des associations membres travaillent avec des publics précarisés et fragilisés, voit la politique de « vieillissement actif » voulue par l’Union européenne comme restrictive et inéquitable. Pour « Courant d’âges », « le “vieux actif” tel que défini ici se résume à une personne qui a le temps, les moyens financiers et la santé de l’être »[Courants d’Âges, Le vieillissement actif, p.10. [en ligne] URL : [http://www.intergeneration.be/publication.php?id_publication=174
]]. L’approche des institutions européennes risque donc de créer le stéréotype du « bon vieux » et d’accentuer l’exclusion des individus qui tout au long de leur vie ont vécu en marge de la société et qui, une fois plus âgés, pourraient tomber dans une forme d’extrême précarité.
Vieillissement actif et pensions
Si l’Union européenne souhaite voir travailler les européens plus longtemps, il arrive toujours un moment où l’heure de la retraite arrive. Et vu le déséquilibre prévu entre personnes en âge de travailler et retraités, les autorités européennes pensent que le système de « pension légale »[[C’est la pension à laquelle on a droit par notre carrière professionnelle ou par celle de notre conjoint (grâce aux droits dérivés). Elle est financée sur un mode intergénérationnel : théoriquement, les retraités d’aujourd’hui reçoivent une pension grâce aux cotisations des travailleurs d’aujourd’hui. Cette pension est calculée à partir du salaire, du nombre d’années travaillées, etc.]], que l’on appelle aussi « retraite par répartition », ou « premier pilier » (en Belgique), ne pourra plus être financé correctement et ne suffira plus aux retraités pour vivre dignement. L’UE propose donc aux États membres de prendre exemple sur la Suède, dont le système de pension fait la part belle à la capitalisation. La « retraite par capitalisation », c’est l’équivalent du « troisième pilier » des pensions en Belgique, appelé « régime individuel ». C’est le capital que chacun (qui en a les moyens) peut se constituer grâce à une épargne-pension ou un placement financier dans un fonds de pension par exemple. Ce régime est déjà encouragé par les États au moyen d’avantages fiscaux.
Les politiques européennes encouragent donc le détricotage des systèmes de pension légale pour favoriser le régime individuel, alors qu’il est, nous le verrons plus loin, inégalitaire et souvent économiquement douteux.
Le « choc démographique » serait-il construction fantasmée ?
Dans son ouvrage « L’enjeu des retraites », le sociologue et économiste français Bernard Friot s’inquiète du caractère consensuel du discours et surtout du prétendu caractère « arithmétique » du problème et de sa solution. Pour Bernard Friot, réduire l’importance du régime des retraites par répartition, c’est-à-dire la pension légale, n’est pas la seule réforme possible. Comme d’autres économistes et chercheurs, il avance au moins trois arguments pertinents.
Le premier argument, c’est la productivité. Depuis des dizaines d’années, la productivité du travail ne cesse d’augmenter dans les usines comme derrière les bureaux (pensez au temps qu’il vous fallait avant l’apparition du courriel pour envoyer un courrier et en recevoir la réponse). On réalise donc toujours plus de travail en moins de temps et/ou avec moins de travailleurs. Ainsi, ce qui compte, ce n’est pas tant le nombre de personnes au travail que la productivité. Bernard Friot illustre magnifiquement cet argument en ironisant : « le raisonnement selon lequel le recul de la part d’actifs occupés rendra impossible le financement des pensions en répartition est aussi absurde que si l’on avait prédit au début du XXème siècle la famine pour la France du XXIème siècle parce que la part des paysans allait se réduire à moins de 3% de la population »[[FRIOT BERNARD, L’enjeu des retraites, La Dispute, coll. « Travail et salariat », 2010, p.116]].
Le deuxième argument, c’est la comparaison entre les économies contemporaines puisque les régions du monde où l’on vit plus longtemps sont plus productives que les régions où l’espérance de vie est faible. Si un individu vieillit, une population ne vieillit pas à proportion de ses individus ayant plus de 60 ans : c’est sociologiquement et économiquement absurde ! Avec seulement 7% de la population mondiale, l’Union européenne reste la première économie au monde. Du point de vue des ressources de sociétés aussi productives que celles de l’Union européenne, il ne devrait donc y avoir aucun souci à financer les régimes légaux de retraite. Ceci nous rappelle qu’« un rapport démographique n’est pas un rapport économique[[FRIOT BERNARD, L’enjeu des retraites, La Dispute, coll. « Travail et salariat », 2010, p.114.]] ».
Le troisième argument, c’est le taux d’emploi. Car, depuis les années 60, la proportion d’actifs occupés reste stable dans un PIB en constante évolution. D’abord, parce que les moins de 20 ans font partie des inactifs et leur proportion dans la population totale a beaucoup diminué. Ensuite, parce que le taux d’emploi des travailleurs âgés a naturellement augmenté. Mais surtout, parce que le taux d’emploi des femmes a continuellement progressé. Ainsi, aujourd’hui, en Belgique comme dans les pays voisins, nous sommes plus proches du plein-emploi que durant les trente glorieuses.
Fort de ces trois argument, Bernard Friot démontre que la gestion du système des retraites est avant tout une question de choix et de priorités politiques puisque « personne en réalité ne postule l’absence de gain de productivité dans l’avenir : ce qui est postulé dans l’argument démographique, c’est que les gains de productivité continueront à n’aller qu’aux actionnaires… »[[FRIOT BERNARD, L’enjeu des retraites, La Dispute, coll. « Travail et salariat », 2010, p.116.]].
Le financement des pensions légales en Belgique
Si l’on se penche sur les chiffres belges des 50 dernières années, on constate que la part des dépenses consacrées aux pensions dans la sécurité sociale est restée à peu près constante depuis 1960[[En 1960, les pensions représentaient environ 30% des dépenses de la sécurité sociale. En 2010, elles représentaient 30,4%.]], et que ces dépenses rapportées au PIB se sont stabilisées après la croissance des années 1960-70[[En 1960, les pensions représentaient environ 2,7% du PIB. En 1980 : 5,5 %. En 2010 : 5,7%. Pour les chiffres, voir les publications de Paul PALSTERMAN.]]. Et pourtant, le régime des pensions a connu plusieurs évolutions aussi importantes que le « choc démographique » que l’on nous prédit avec : une augmentation de l’espérance de vie qui s’est amorcée il y a déjà longtemps ; la « maturation » du système et donc la prise en compte de coûts plus importants que prévus ; et l’augmentation du nombre de pensionnés par l’arrivée à la retraite de femmes s’étant constitué des droits propres[[PALSTERMAN PAUL, Le financement des pensions, dans le courrier hebdomadaire du CRISP, n°2088-2089, 2011, p.30 et 31.]].
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, la question du financement des pensions ne se pose pas en tant que telle en Belgique puisque ce financement est indissociable du financement global de la sécurité sociale. En effet, si jusqu’en 1981, chaque branche (secteur) de la sécurité sociale (pensions, indemnité d’assurance maladie, soins de santé, allocations de chômage, etc.) était financée exclusivement par des recettes propres, la loi du 30 mars 1994 a organisé la « gestion financière globale » de la sécurité sociale pour officialiser le détachement complet du financement sectoriel en faveur d’un financement fondé sur les besoins des différentes branches. Dans ce cadre, une cotisation globale de sécurité sociale a été instaurée (en organisant donc des transferts massifs des secteurs en boni vers les secteurs en déficit[[Transferts qui s’effectuaient surtout des branches allocations familiales et indemnités d’assurance maladie, en boni, vers les branches soins de santé et chômage, déficitaires.]]) et un financement alternatif (cotisation sur l’énergie, augmentation de la TVA, accises et attribution d’une partie des précomptes mobilier et immobilier) de la sécurité sociale servait à combler le déficit budgétaire[[LARMUSEAU HENDRICK et ALGOED KOEN, Réflexion sur la gestion globale de la sécurité sociale des travailleurs salariés, Bulletin de documentation, Service Public Fédéral FINANCES – Belgique, 67ème année, n°3, 3ème trimestre 2007, [en ligne] U.R.L : http://www.docufin.fgov.be/intersalgfr/thema/publicaties/documenta/2007/BdocB_2007_Q3f_Larmuseau_Algoed.pdf]].
Depuis 20 ans, la sécurité sociale a encore connu deux transformations importantes. D’un côté, les soins de santé, et leur part dans la sécurité sociale, n’ont cessé d’augmenter[[En 1960, les soins de santé représentaient 12,7% des dépenses de la sécurité sociale et 1,1% du PIB. En 2010, les soins de santé représentaient 39,1% des dépenses de la sécurité sociale et 7,3% du PIB.]]. En Belgique, comme dans les autres pays industrialisés, le coût du vieillissement démographique est principalement dû à l’augmentation inédite des dépenses des soins de santé. D’un autre côté, diverses mesures d’allègement du coût du travail ont été mises à charge de la sécurité sociale pour tenter d’améliorer le taux d’emploi et la compétitivité des entreprises. Ce fait et ces mesures ont provoqué, ces dernières années, une forte augmentation du « financement alternatif » de la sécurité sociale qui est, comme les pensions dont elles font partie, dépendante de la situation générale des finances publiques[[PALSTERMAN PAUL, Le financement des pensions, dans le courrier hebdomadaire du CRISP, n°2088-2089, 2011, p.11-12.]] et de la volonté politique de répartir équitablement les richesses.
Ainsi, la situation belge, plus particulièrement encore, nous montre que l’on a tort de confondre la question des ressources du financement des pensions et la question démographique puisqu’il ne s’agit pas d’un simple rapport entre bénéficiaires des pensions et personnes actives.
Les limites des retraites par capitalisation (troisième pilier)
Comme dit plus haut, il y a aujourd’hui de nombreux économistes et responsables politiques au niveau européen, comme au niveau belge, pour encourager la restriction du régime des retraites par répartition (premier pilier) et favoriser le développement du régime des retraites par capitalisation, ou individuel. Ce qu’ils proposent est, en réalité, une privatisation accrue de cette partie de la sécurité sociale.
Tout d’abord, il est important de rappeler que la valeur d’une retraite par capitalisation dépend de la valeur des actifs, non pas au moment où les cotisations sont versées, mais bien au moment où cette épargne est touchée. À cet égard, il y a de trop nombreux exemples pour illustrer que les fonds de pensions ne tiennent pas toujours leurs promesses.
De plus, fondamentalement, ce qu’il est essentiel de comprendre c’est que, que l’on soit en répartition ou en capitalisation, c’est toujours le travail de l’année qui finance les pensions de l’année. Là aussi, Bernard Friot l’explique très bien : « De deux choses l’une : soit il n’y aura pas assez de travail en 2040 et les titres épargnés, prétendument pour apporter un supplément à la valeur de la production, ne vaudront rien ; soit il y aura assez de travail et ils seront inutiles. Et dans tous les cas, c’est la monnaie détenue par les actifs qui financera les pensions »[[FRIOT BERNARD, L’enjeu des retraites, La Dispute, coll. « Travail et salariat », 2010, p.101-102.]].
Ensuite, le régime des retraites par capitalisation est inégalitaire et souvent économiquement douteux. Il est inégalitaire parce qu’il n’est favorable qu’a ceux qui ont la chance de pouvoir accumuler de la richesse (matérielle) durant leur vie active, ce qui implique d’avoir une bonne situation, un bon salaire et des avantages. À l’heure de la retraite, ce régime creuse donc encore les inégalités. Il est également trop souvent économiquement douteux parce qu’il a tendance à transformer chacun en spéculateur. Dans une optique où l’on cherche à assurer un rendement intéressant à son épargne, une grande partie des richesses des futurs retraités les plus favorisés est souvent assurée par la spéculation, aux dépens de l’économie réelle, éthique et locale. Le phénomène dramatique des fonds de pension qui investissent dans l’accaparement des terres dans les pays du sud ou dans les bulles immobilières en sont malheureusement un bel exemple.
Enfin, si de manière générale la rigidité du régime par capitalisation empêche de l’adapter à de nouveaux contextes et en fait donc un régime moins intéressant, le premier argument contre le renforcement de ce troisième pilier au détriment du premier est le fonctionnement de l’économie financière elle-même. En effet, la crise financière de 2008 nous a montré que le régime de retraite par répartition a bien joué son rôle, alors que le niveau de vie de personnes dépendantes d’épargne privée ou de fonds de pensions a davantage été mis à mal.
Les retraites, une réussite à contre-pied du capitalisme ?
Mais alors, pourquoi tant de responsables politiques et d’économistes de tous bords veulent-ils tirer notre système de pension légale vers le bas ? Sans doute parce que, à gauche comme à droite, la pensée néolibérale domine, et que pour celle-ci « les retraites sont une réussite historique à contre-pied du capitalisme » pour reprendre la phrase de Bernard Friot ! Pensez donc à tous ces exemples de retraités heureux et en bonne santé qui rendent service à leurs enfants, leurs petits-enfants et au voisinage. Pensez aussi à tous ces seniors, libérés du salariat et des contraintes de rentabilité, engagés dans un ou plusieurs volontariats. Ils représentent 40% de leur tranche d’âge, alors que seulement 10 à 14% de la population belge totale s’y engage. De plus en plus, le retraité est un actif qui échappe au marché du travail !
En effet, la pension légale est comme un salaire continué à vie qui libère l’individu du marché du travail et de la subordination à l’employeur et aux actionnaires. Et si l’on y réfléchit bien, la retraite constitue un progrès social qui ne concerne pas seulement la pension et les retraités, mais interroge l’ensemble de l’organisation marchande de nos sociétés. Si le retraité, libéré du marché du travail et de l’actionnaire, peut être « actif », « acteur » ou « producteur » et toucher systématiquement une retraite, un salaire continué, cela ne préfigurerait-il pas l’allocation universelle que beaucoup n’osent même plus évoquer ? Vu sous cet angle, combien de questions l’expérience réussie de la retraite pourrait-elle soulever, comme par exemple sur la légitimité des statuts précaires, sur la condition du travailleur comme marchandise, sur l’insuffisante diminution et répartition du temps de travail dans un contexte où la productivité du travail ne cesse d’augmenter, sur les gains de productivité qui ne profitent qu’aux actionnaires, sur l’allongement de la carrière des seniors quand le taux de chômage chez les jeunes est catastrophique, sur la privatisation d’entreprises publiques dont une partie des bénéfices pourraient financer la sécurité sociale et les services publics coûteux, voire sur le bien-fondé de la course à la compétitivité, par exemple ? Vu sous cet angle, la pension n’est-elle pas un progrès que le néolibéralisme, idéologie dominante, ne peut tolérer plus longtemps ?
On objectera alors que ce sont les « travailleurs » qui financent le revenu des pensionnés, comme certains proclament, un peu naïvement, que c’est le privé qui finance le public. Mais alors ne serait-il pas temps de construire un système socio-économique qui reconsidère la valeur indispensable créée par le volontariat en général et les retraités en particulier, et celle aussi créée par les emplois subsidiés et la fonction publique ? Pourquoi continuer à confondre flux de monnaie et flux de valeur ? Ne sommes-nous pas assez intelligents pour comprendre que la richesse ne se trouve pas uniquement dans la marchandise et dans le service monétarisé. Et que penser de tous ces salaires exubérants versés pour tant d’activités dérisoires, comme pour les sportifs de haut niveau ou les vedettes de la téléréalité, voire nocives pour notre prospérité collective, comme pour les spéculateurs ou les producteurs de pesticides, par exemple.
Pour un renforcement de la pension légale !
Si le système de pension légale à un coût, il offre également de nombreux bénéfices. Et avant de conclure, rappelons également que le vieillissement démographique coûtera incommensurablement moins cher aux générations futures que la dégradation systématique de l’environnement, que l’épuisement des ressources naturelles ou que les crises à répétition du système financier.
Soulignons-le, la pension légale est une institution sociale qui a fait, et continue de faire, ses preuves. S’il faut la réformer, ce devrait être dans le sens d’un renforcement, et surtout en tenant compte de l’évolution globale de nos sociétés. La pension légale ne devrait pas être considérée comme un fardeau, comme une relique dépassée de l’organisation sociale du XXè siècle, mais comme une avancée pionnière qui doit nous inspirer pour le futur. Parce qu’il n’y a pas de fatalité budgétaire et que le financement des pensions s’inscrit dans un contexte plus large, rappelons qu’il dépend avant tout de choix politiques.
Ainsi, la question du financement des pensions ne peut se penser sans considérer celle de l’emploi, plus particulièrement en termes d’augmentation du taux d’emploi des jeunes, de qualité de l’emploi des travailleurs âgés, de prise en compte de la pénibilité des différents métiers et de l’évolution des capacités et des besoins de chacun. Dans ce cadre, une politique globale de diminution et de répartition du temps de travail est nécessaire.
Parallèlement, un renforcement du système des pensions légales doit considérer la nécessité de relever les plus basses pensions et de prendre en compte la situation particulière des femmes. N’oublions pas qu’en Belgique, un senior sur cinq vit aujourd’hui dans la pauvreté. Une meilleure contribution des revenus des capitaux, notamment spéculatifs, au financement des services collectifs et de la sécurité sociale doit être mise sur pied.
Enfin, rappelons que surmonter le coût du vieillissement démographique ne peut se faire sans une politique de santé publique ambitieuse. Outre la prévention et la sensibilisation, l’accès à des soins de santé de qualité pour tous, à tout âge de la vie, est essentiel. Corrélativement, il est nécessaire d’accentuer la lutte contre les pollutions et la dégradation de l’environnement. Favoriser une agriculture de qualité et un mode de vie plus sain sera déterminant.
Pour conclure, osons donc rappeler que le « vieillissement » démographique est une bonne nouvelle et que ce progrès, nous le devons avant tout aux dispositions sociales qui ont été conquises sur l’empire du marché durant tout le XXe siècle. Et soyons clairs, tout le discours dominant, du concept de « choc des générations » à l’idée de menace arithmétique qui invaliderait inévitablement notre système de pension légale, en passant par l’hypothèse d’un impact négatif de cette évolution démographique sur la santé de l’économie, est du ressort de la construction idéologique. Sous couvert d’analyses trop étroites, la propagande néolibérale colonise jusqu’à l’imaginaire de ses opposants. Pourtant, la guerre des générations n’aura lieu que s’il n’y a pas de sursaut contre les tabous néolibéraux parce que, qu’il soit question des pensions comme de l’équilibre budgétaire des États ou de la privatisation des services publics, il s’agit à chaque fois d’effectuer des choix politiques. Le réel enjeu de la question du vieillissement et des pensions est donc une fois de plus celui de la répartition des richesses dans un monde qui n’a jamais été aussi riche.