Le TTIP, un recul démocratique ?
Le projet de Traité contient la clause ISDS (investor-state dispute settlement) en vertu de laquelle les multinationales pourront traîner devant un tribunal arbitral les pays qui prendraient des initiatives (réglementations, stratégie de développement, etc.) qui nuiraient à leurs intérêts commerciaux ou financiers. Et ce, quel que soit le motif (santé publique ou protection de l’environnement, par exemple). Autrement dit, le TTIP subordonne l’intérêt général à la recherche du profit ou au principe devenu cardinal du libre-échange.
Les négociations se déroulent dans l’opacité la plus totale. La Commission justifie cette situation en indiquant que rendre publics nos objectifs dans le cadre de la négociation affaiblirait selon elle la position de l’UE et sa capacité à tirer parti de l’accord. Comment se fait-il alors que lorsqu’il y a des négociations à l’Organisation Mondiale du Commerce, le mandat de négociation est rendu public et que, lorsqu’il s’agit de trouver un accord environnemental les positions et engagements des différents pays sont connus ? Comment imaginer que la Commission puisse agir sans même un contrôle parlementaire réel, sur base d’un mandat publié?
Par ailleurs, si les négociations sont opaques, elles ne le sont pas au même point pour toutes les parties intéressées. Que du contraire ! Autant les syndicats, ONG, parlementaires et citoyens sont tenus à l’écart, autant les multinationales et grandes entreprises bénéficient d’un accès privilégié aux négociateurs… Tel était déjà le cas avant l’adoption du mandat de négociation, puisque des contacts ont eu lieu plus de 6 mois auparavant, où les représentants de la Commission ont invité les seules grandes entreprises à faire connaître leurs doléances !
Une nouvelle embûche pour l’Europe sociale ?
Selon la Commission européenne, le traité créerait des emplois et augmenterait le pouvoir d’achat en Europe et aux Etats-Unis. Ces affirmations sont à prendre avec la plus grande vigilance puisque les modèles sur lesquels reposent de telles affirmations sont rarement confrontés à l’épreuve des faits. Ainsi, lors de la négociation sur l’Accord de Libre-Echange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, la création de 20 millions d’emplois avait été promise. Avec le recul, on s’est aperçu que l’accord avait entraîné la destruction (nette) de 900.000 emplois !
La Commission prétend que le TTIP entraînera « un bonus de 545 euros en moyenne par ménage de l’Union ». Qui va toutefois croire que les gains seront répartis de manière égale au sein de la population ? Ce sont avant tout les multinationales et les grandes entreprises exportatrices et leurs actionnaires qui concentreront les gains. Etant donné que le TTIP est censé intensifier le commerce entre les deux géants économiques et donc la concurrence entre les entreprises, il est peu probable que les salariés en retirent la moindre perspective d’augmentation salariale. Au contraire.
Le TTIP a surtout pour objectif de s’attaquer aux « barrières non tarifaires ». Or, on a vu au milieu des années 2000 autour de la fameuse directive Bolkestein de libéralisation des services, que derrière ce terme se cachaient parfois des questions de société et des enjeux sociaux de première importance. A cet égard, les Européens ne doivent pas oublier qu’ils négocient avec un pays qui n’a ratifié que deux des normes fondamentales de l’OIT et qui pourrait bien un jour considérer que les pratiques du dialogue social ou le rôle de co-législateur joué par les partenaires sociaux au niveau européen sont des « barrières non tarifaires »…
Bientôt du gaz de schiste dans votre cuisine et nos entreprises ?
La crise ukrainienne confirme que 20 ans après la guerre en ex-Yougoslavie, l’UE est restée un nain politique. En l’occurrence, sa dépendance énergétique envers la Russie est son talon d’Achille. Le président Obama n’a pas manqué de saisir cette aubaine pour favoriser les négociations sur le TTIP : lors de sa venue à Bruxelles, il a proposé de troquer le gaz russe contre « son » gaz de schiste. Le Commissaire Karel de Gucht, principal négociateur européen, a d’ailleurs reconnu devant les sénateurs belges que « des négociations seront entamées pour importer du gaz de schiste des États-Unis. (…) Le TTIP comporte un chapitre consacré à l’énergie. » Remplacer une dépendance par une autre donc, au détriment de la transition énergétique européenne et de la lutte contre le dérèglement climatique.
Les partis politiques européens se sont d’ailleurs mis dans une impasse eux-mêmes à ce sujet car, dans son rapport sur l’industrie et l’énergie (février 2012), une majorité du Parlement européen (avec l’opposition des Verts !) a reconnu être « d’avis qu’à court ou à moyen terme, le gaz de schiste a un rôle à jouer dans l’UE, et qu’il contribuera à atteindre l’objectif de l’Union de réduire ses émissions de gaz à effet de serre ». Ainsi, ils ont, sans le savoir à l’époque, validé la démarche d’un Karel de Gucht pro-gaz de schiste.
En vertu de l’application de la clause ISDS et suite au rapport voté par le Parlement européen (avec l’opposition des Verts !), la poursuite par un Etat membre d’objectifs environnementaux ou sanitaires plus ambitieux que ce que prévoient les textes européens pourrait donner lieu au renvoi de ce pays devant un tribunal arbitral parce que cela pourrait porter atteinte à la « future politique d’investissement de l’Union ». Les eurodéputés n’ont pas prévu des exceptions lorsque cela est justifié par des motifs de santé publique, protection de l’environnement ou des consommateurs, etc. Alors, la transition écologique en Europe et les objectifs du paquet énergie-climat : des barrières non tarifaires ?
Un coup d’accélérateur pour la malbouffe et la dépendance alimentaire ?
Le TTIP envisage de régler le problème des barrières non tarifaires en les supprimant ou en confiant la tâche aux régulateurs des deux côtés de l’Atlantique de les faire converger. Ces régulateurs qui échappent en grande partie à un contrôle parlementaire ne sont néanmoins pas nécessairement imperméables aux influences des grandes entreprises comme l’Histoire l’a montré.
La sécurité alimentaire a été au centre de plusieurs différends entre les Etats-Unis et l’Europe à l’Organisation Mondiale du Commerce. Les Etats-Unis sont moins regardants quant aux additifs alimentaires ou aux effets des nanomatériaux sur la santé et l’environnement. Que restera-t-il du principe de précaution des Européens si celui-ci est vu comme « barrière non tarifaire » ?
Les Etats-Unis et l’UE chercheront à aller encore en-deçà des Normes Sanitaires et Phytosanitaires (SPS) de l’OMC Les Etats-Unis ont calculé que l’exportation de 1 milliard de produits agricoles supplémentaires créerait de leur côté 6.900 emplois. D’où leur insistance à réduire les normes des Européens.
Pour les Verts, ce type d’accord risque de renforcer le modèle agro-industriel qui a déjà assez coûté à l’emploi et à l’environnement, le modèle de la « malbouffe », alors que nous voulons relocaliser la production alimentaire et la fonder sur le modèle agro-écologique préconisé par le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter.